Les larmes du Stalker. Entretien avec Marc Alpozzo, 1 (10/07/2008)



Je publie dans la Zone l'intégralité de mon entretien avec Marc Alpozzo, paru dans le tout dernier numéro de La presse Littéraire dirigée par Joseph Vebret, dont le sommaire est excellent (oublions tout de même beaucoup de fautes et surtout les amphigouris de Luc-Olivier d'Algange) puisqu'il évoque le remarquable Guy Dupré (dans un long et passionnant entretien), Ernst Jünger et Philippe Barthelet.

41PGYD54FXL._SS500_.jpgMarc Alpozzo
Ce qui frappe d’emblée en lisant votre troisième ouvrage (1), c’est la facilité par laquelle on y entre en comparaison avec le deuxième (2). Doit-on y voir, dans cette autre forme de votre travail critique, l’aveu même que vous cherchez un plus grand public ? Ne pensez-vous pas que votre critique de la littérature bavarde puisse sensibiliser, au-delà d’un public d’initiés et déjà convaincus, dans la mesure où l’on voit l’art aujourd’hui franchir sans aucun complexe la frontière du divertissement pur pour s’y installer au mépris de ses règles académiques ?

Juan Asensio
Je réponds à votre dernière question, très clairement : non. Je me moque de toucher ce que vous appelez le «grand public», chimère médiatique qui ne correspond pas à grand-chose, si ce n’est, peut-être, à quelque entité acéphale assez étrange lisant (sans même les comprendre, donc !) les livres d’Anna Gavalda et de Marc Levy. Le jour où je verrai, dans une rame de métro, un Parisien en train de lire mon troisième ouvrage (qui n’est facile que comparé au deuxième…), c’est que je serai probablement descendu au niveau d’un journalisme uniquement capable d’habiller les dépêches de l’AFP, elles-mêmes trop souvent écrites dans une langue simplifiée, bientôt proche du novlangue d’Orwell.
Précision supplémentaire : pas davantage que gros vendeur, je ne me rêve autorité académique, nouveau Barthes ou Genette, ce dernier vivant très confortablement des piles de livres que les classes préparatoires et les Universités commandent à ses éditeurs. Je ne vis pas de ce que j’écris et, ma foi, c’est une situation dont je m’accommode parfaitement, ne serait-ce que si l’on considère la liberté de ton qu’elle m’offre. Je m’adresse à des hommes libres, du moins j’en fais le pari : les hommes libres ne se trouvent point, disons, plus prudemment, peu, dans les salles de cours, et de moins en moins souvent dans les salles de rédaction des principaux quotidiens.

MA
Cette question de la perversion de l’art, vous la traitez d’ailleurs dans votre Critique meurt jeune (3). Vous visez par votre critique l’art contemporain que vous dénoncez en des termes sans appels: «Nous considérons comme une évidence absolue la nullité de l’art contemporain dans la presque totalité de sa production picturale.» Vous justifiez cette formule en refusant à l’art de passer d’un matériau noble à un matériau plus pauvre, plus anodin, dont la mesquinerie ne l’empêche plus d’être représenté. Est-ce la position réactionnaire d’un conservateur, ou cherchez-vous derrière cette «terrible» critique, à rappeler à l’ordre une production artistique et littéraire actuelle au fond assez peu imaginative, créative, se contentant d’une posture plus qu’autre chose ?

JA
Je ne rappelle personne à l’ordre, n’ayant pas l’instinct corporatiste d’un mouchard comme Daniel Lindenberg et, plus largement, de tous ces pétitionnaires qui entendent le claquement des bottes nazies dès qu’une mouche brune plutôt que verte s’avise de tomber dans leur soupe de vermicelles. Dans l’expression que vous citez, ce qui compte, c’est le membre de phrase suivant : «dans la presque totalité de sa production picturale». Je ne fais donc référence qu’à un domaine que je connais assez bien et je n’affirme nullement que l’art contemporain est, par essence, nul, ce qui serait un mensonge, doublé d’une idiotie. Seule m’inquiète la disproportion, constatée par beaucoup d’auteurs comme Jean Clair ou Jean-Philippe Domecq (sans parler de Philippe Muray), entre le bavardage fait autour des œuvres (lequel est érigé en unique valeur sépulcrale ou, permettez-moi ce néologisme digne d’un petit Derrida, spectraculaire de l’art), et la valeur intrinsèque de ces dernières. Julien Gracq au tout début des années cinquante évoquait dans sa Littérature à l’estomac ce bavardage incessant qui entourant les livres, prenait quasiment leur place.
Je ne stigmatise absolument pas le fait que l’art soit passé d’un matériau noble à un autre, vil, mais où êtes-vous donc allé pêcher pareil créature d’eau trouble ? L’art choisit le matériau qu’il veut et quelques-unes de ses merveilles ont été peintes à même la roche, il y a plusieurs dizaines de milliers d’années. Je ne sais pas si, lorsque nos artistes seront capables de peindre sur un mur de photons, ils seront beaucoup plus avancés, en matière d’art, que leurs ancêtres préhistoriques.


Notes
(1) La Critique meurt jeune, Le Rocher, 2006.
(2) La Littérature à contre-nuit, A contrario, 2005, Sulliver, 2007.
(3) Op. cit., pp. 14-23.

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