Dracula, 3 : Le fils de Dracula de Robert Siodmak, par Francis Moury (09/03/2010)

Résumé du scénario
En 1943 dans le sud des États-Unis, Katherine, l’une des deux filles d’un riche colonel, organise une soirée à Dark Oaks, la demeure familiale, en l’honneur de l’arrivée d’Anthony Alucard, un comte hongrois dont elle semble éprise, au grand dam de sa sœur et de son fiancé. Passionnée de sciences occultes et frappée de thanatophobie, Katherine entretient une sorcière gitane dans les marais qui dépendent du domaine. Inquiète du retard d’Alucard alors que la réception bat son plein, elle va la consulter. La sorcière lui annonce que l’invité apportera la mort et la désolation sur elle et sa famille…

Fiche technique succincte
Avec : Lon Chaney Jr., Louise Allbritton, Evelyn Ankers, J. Edward Bloomberg, Robert Paige, Adeline de Walt Reynolds, Frank Craven, etc.
Production : Ford L. Beebe et Donald H. Brown (Universal Picture)
Réalisation : Robert Siodmak
Scénario : Curt Siodmak et Eric Taylor
Direction de la photo: George Robinson (A.S.C.)
Montage : Saul Goodkind
Maquillage : Jack P. Pierce
Effets spéciaux : John P. Fulton (A.S.C.)
Musique : Hans J. Salter
Décors : Russel A. Gausman et E.R. Robinson

Critique
708495869.jpgSon of Dracula [Le fils de Dracula] (É.-U., 1943) de Robert Siodmak est un film rare : sa réédition par Universal en DVD zone 1 avait été rapidement épuisée et sa copie chimique (à la différence de celle de Dracula’s Daughter [La fille de Dracula] avec lequel il est accolé en zone 2 comme en zone 1) n’avait pas pu être programmée par la Cinémathèque française lors de sa rétrospective « Vampires » de juillet-septembre 2003. Rare et passionnant. Il est typique du mélange de convention et de folie que la guerre de 1939-1945 faisait régner sur Hollywood. Ce fut la première réalisation importante de Robert Siodmak aux É.-U.,, suivie la même année de Cobra Woman [Le signe du Cobra] (É.-U., 1943) avant Phantom Lady [Les mains qui tuent, 1944], The Killers [Les Tueurs] (É.-U., 1946), The Dark Mirror [La double énigme] (É.-U., 1946) et The Spiral Staircase [Deux mains, la nuit] (É.-U., 1946) qui contiennent tous certains éléments expressionnistes et fantastiques. Cette même année 1943, son frère Curt Siodmak écrit le scénario de deux autres classiques du cinéma fantastique : I’ve Walked With A Zombie [Vaudou] (É.-U., 1943) de Jacques Tourneur et Frankenstein Meets the Wolf Man [Frankenstein rencontre le loup-garou] (É.-U., 1943) de Roy William Neill. 1943 est donc une année charnière pour la carrière américaine des deux émigrés juifs-allemands, par conséquent, qui se concrétise d’abord par ce remarquable Son of Dracula.
Précisons que son interprète est bien Lon Chaney Jr. et non pas son père, en dépit du générique mensonger qui néglige de rajouter «Jr.» à la suite de «Lon Chaney» pour faire croire une fois encore (car cette pratique est constante à cette époque) que le père (mort en 1930) a interprété le film. On a dès le début jugé que son physique n’était pas idéal pour incarner un être nocturne et blafard. C’est exact. Mais il s’en tire tout de même bien et son jeu sobre et contenu est honorable. Mais il est bien sûr très pâle comparé aux interprétations de Max Schreck (chez Murnau), Bela Lugosi (chez Browning) et même John Carradine (chez Kenton) ou plus tard Christopher Lee (dans les Hammer Films). Lon Chaney Jr. est beaucoup plus à l’aise dans le rôle du loup-garou que dans celui de Dracula (cf. : House of Frankenstein [La maison de Frankenstein] et House of Dracula [La maison de Dracula]). Le directeur de la photo (le noir et blanc travaillé de George Robinson, influencé par l’expressionnisme allemand, est bien restitué et on profite merveilleusement du marais pourrissant que ce soit pendant les scènes nocturnes ou le jour, il réussit par ailleurs d’impressionnant travelling), le musicien (Hans J. Salter signe une partition fonctionnelle mais parfois mélancolique et angoissante à la fois), le producteur (Ford L. Beebe, aussi réalisateur de nombreux serials et films fantastiques), le maquilleur (Jack Pierce), et bien sûr John P. Fulton dont les effets spéciaux sont comme d’habitude poétiques et efficaces à la fois : tous sont des spécialistes «Universal» du genre et aident les frères Siodmak de tout leur talent. Mais les deux frères insufflent déjà leurs marques personnelles respectives.
Le fils de Dracula coupe le cordon ombilical avec l’intrigue des deux films précédents de Browning et Hillyer dans la mesure où le scénario ne s’en présente plus comme une suite «logique» ou «historique» : on repart de zéro en somme et ce «fils» auparavant passé sous silence de Dracula (aucun dialogue ne lève l’équivoque : Dracula est-il réincarné ? S’agit-il de son fils ? Seul le titre indique qu’il s’agit de son fils mais il pourrait aussi bien s’agir du père dans l’absolu, et l’intrigue ferait donc alors l’économie de la tentative londonienne du film de Browning pour effectivement repartir à zéro) émigre non plus à Londres (comme l’avait fait sa fille) mais directement aux É.-U., dans une région légendairement vierge du thème : belle idée ! On discute dans les forums américains la question de savoir si on a affaire ici à Dracula ou à son fils. La logique voudrait qu’on soit en présence d’un fils puisque le père est mort dans le film de Browning. Les frères Siodmak mélangent les genres policiers et fantastiques intelligemment (la stupéfiante séquence qui voit le fiancé jaloux tirer sur le vampire au revolver puis Katherine s’écrouler scelle l’osmose des deux genres), transposant le vampire (sous anagramme dont le référent est fourni au spectateur d’emblée par le titre et presque immédiatement dans l’histoire avant qu’il ne soit définitivement confirmé !) dans une petite ville du Sud des É.-U., au climat moite et étouffant, close sur elle-même, flanquée d’un marais pestilentiel qui pourrait être une émanation de la jungle dans laquelle le comte Zaroff chassait ses victimes. Robert Siodmak se souvient de ses peintures 1935-38 de «bourgeois démoniaque», fidèle à l’inspiration de l’expressionnisme allemand lorsqu’il brosse certaines ombres portées à l’arrière plan de messieurs aux costumes étriqués. Curt Siodmak pour sa part saisit à merveille l’essence de la femme américaine, celle du «film noir» dévorante et fatale (de la femme fatale à la femme vampire, il n’y a qu’un pas qu’il franchit avec aisance) et Louise Allbritton dote son personnage d’une touche discrètement «sexy» typique des années 40.
Robert Siodmak réalise plusieurs morceaux de bravoure : celui, célèbre et souvent cité, de l’apparition du cercueil flottant dans les brumes du marais mais aussi les attaques impressionnantes de chauves-souris, la «guérison» d’un enfant mordu par le vampire, le dialogue dans la prison entre un vivant et une morte-vivante, etc. Il renouvelle le personnage classique du chasseur de vampire en remplaçant Van Helsing par un très curieux Professeur Lazslo (surprenante interprétation de J. E. Bloomberg) à l’ironie noire assez étonnante, et doté d’un accent européen cauteleux et inquiétant. Il reprend aussi une scène du Browning (celle du face-à-face Van Helsing-Dracula) mais la renouvelle efficacement. Et il détourne le thème de la folie et de l’incarcération du fou en le transférant momentanément sur le personnage du fiancé de Katherine. Cette métaphore de l’immigration politique est éventuellement savoureuse si l’on garde présent le contexte mondial de l’époque à l’esprit : c’est de l’Europe que vient le fléau, la menace mortelle qui risquent de s’abattre sur la «race vigoureuse et virile» des américains. Les terres de Hongrie (ici une anicroche à la vérité historique du roman de Bram Stoker et à la tradition historique et géographique : la Hongrie remplace la Roumanie mais c’est une constante de toute cette série Universal pour des raisons historiques : voir le test du premier Dracula) sont, nous dit-on, sèches et arides, toute vie y est épuisée car les vampires l’ont asséchée au long des générations. Il y a là une mélancolique mise en abîme. La maladie comme son remède sont des européens. Le mal, nous disent les deux Siodmak, est universel, tout comme le bien : apatride et éternel.

Suppléments de Son of Dracula (É.-U., 1943)
Film-Annonce : probablement anglais de 1’38’’ en format 1.33 N.&B. et assez bon état. Document aussi rare que le film de référence, aussi passionnant que ce dernier ! Les notes de productions du zone 1 ont, en revanche, disparues : dommage car sans être considérables, elles contenaient quelques renseignements anecdotiques intéressants, comme le fait que Lugosi regretta longtemps de ne pas avoir obtenu le rôle de Chaney Jr. Les filmographies annexées au zone 1, ces précieux instruments de travail, et les nombreuses bandes-annonces du zone 1 de divers films fantastiques (momie, loup-garou, etc) des années 30 et 40 distribués par Universal ont aussi disparu.

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