La Vierge et le Graal de Joseph Goering (31/08/2010)

Crédits photographiques : Daniel Ochoa de Olza (AP Photo).
41y4P8AxUWL._SL500_AA300_.jpgÀ propos de Joseph Goering, La Vierge et le Graal. Les origines d’une légende [2005] (traduit de l’anglais par Valérie Dupré, Les Belles Lettres, coll. Histoire, 2010).
LRSP (livre reçu en service de presse).


Résumée en peu de mots, la thèse qui donne son cap aux recherches de l’historien Joseph Goering est la suivante : le saint Graal que nous décrit très sommairement et de façon énigmatique, pour la toute première fois, Chrétien de Troyes dans Le Conte du Graal ou le roman de Perceval, œuvre inachevée qui sera développée par le Parzival du chevalier bavarois Wolfram von Eschenbach et Robert de Boron, doit peut-être son origine à une série de très belles fresques, peintes aux alentours de l’an 1120 par un maître anonyme dans une petite église perdue dans les Pyrénées catalanes du nom de Saint-Clément de Tahull. La thèse est hardie, soulèvera peut-être les critiques et même les moqueries des médiévistes mais son auteur a toutefois raison de faire remarquer que, pour l’heure, aucune autre (1), qu’elle soit sérieuse ou farfelue, n’est parvenue à expliquer la présence de ce mystérieux objet, ne désignant, sous sa forme latine gradalis, qu’une écuelle ou un plat, qui n’a cessé de fasciner les artistes occidentaux, pas seulement jusqu’à Wagner et Gracq (2).
Comment expliquer cependant le fait que le Graal, simple récipient à l’origine, soit devenu motif pictural sacré, objet littéraire énigmatique sous la plume de Chrétien de Troyes entre 1180 et 1190 puis véritable mythe sous celles de ses nombreux continuateurs, non seulement français mais européens ? Je ne dirai bien évidemment rien de la subtile et minutieuse recherche conduite par l’auteur même si, en fin de compte, me paraissent fragiles, par l’intermédiaire du personnage de Perceval, les fils que tisse Joseph Goering entre Chrétien de Troyes et le peintre inconnu aux magnifiques dons. Liens fragiles car enfin l’auteur, s’il parvient à expliquer de façon assez pertinente et convaincante le chemin tortueux par lequel Chrétien de Troyes a pu être amené à connaître les peintures de l’église de Saint-Clément, ne nous dit pas, en revanche, pour quelle raison c’est bel et bien Robert de Boron dans son Joseph d’Arimathie plutôt que Chrétien de Troyes qui a définitivement associé le saint Graal au récipient ayant contenu le sang du Christ supplicié : «Robert [de Boron] est aussi le premier à suggérer que le Graal doit nous faire penser à la coupe de la Cène et au calice de la messe catholique. Son «histoire» est devenue si intimement liée à celle du Graal que l’on en viendra facilement à oublier qu’avant lui personne ne l’avait contée ou n’avait expliqué ainsi l’importance du Graal. Elle constitue une des grandes inventions poétiques de l’histoire littéraire» (p. 66). Joseph Goering précise lui-même que c’est Robert de Boron qui a fixé, une fois pour toutes, l’imaginaire occidental relatif au saint Graal : «Pour Chrétien, le Graal est un plat ou un plateau, pour Wolfram c’est une pierre, et c’est seulement avec Robert de Boron, dont le texte est postérieur de près d’un siècle à cette peinture, qu’il devient le réceptacle pour le sang du Christ» (p. 153).
Les esprits tatillons auront également beau jeu de constater que Joseph Goering ne fait que renforcer le mystère de l’apparition du Graal puisqu’il ne se prononce pas sur l’origine de sa figuration picturale par un artiste qui n’a laissé aucune autre trace historique de son art que quelques magnifiques peintures dans une église pyrénéenne. Voici ce qu’écrit l’auteur à ce propos : «Plusieurs artistes réalisèrent les fresques de l’église Saint-Clément de Tahull, mais nous nous attacherons ici à l’artiste anonyme qui décora l’abside centrale peu de temps avant que l’église ne soit consacrée, en décembre 1123. Il est en effet, à mes yeux, le créateur de la première image datable de ce qu’il est possible d’appeler un «saint Graal». Cette représentation est une invention de son imaginaire sans antécédent : il ne pouvait connaître les histoires du saint Graal que Chrétien de Troyes et ses successeurs élaborèrent ultérieurement» (p. 121). L’enquête menée par Joseph Goering, quelles que soient nos réserves, est quoi qu'il en soit tout à fait passionnante.

Notes
(1) «Aucune des hypothèses qui furent formulées sur les sources du Graal de Chrétien, qu’il s’agisse des légendes celtes, de l’ésotérisme philosophique, des rites religieux orthodoxes aussi bien qu’hétérodoxes, ou de tout autre domaine, n’a trouvé de confirmation parmi les données de l’histoire» (p. 179). D’autres historiens voient ainsi, dans le chaudron de Gunderstrup, un bassin en argent doré datant du Ier siècle avant Jésus-Christ et découvert dans une tourbière du Jutland danois, le véritable ancêtre du saint Graal de la légende arthurienne.
(2) Innombrables sont les adaptations de l’histoire du Graal et, plus largement, du mythe arthurien. Bornons-nous à mentionner, pour le seul domaine cinématographique, les œuvres de Richard Thorpe, Robert Bresson, John Boorman, Terry Gilliam et Mamoru Oshii.

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