Au-delà de l'effondrement, 35 : Avant de disparaître de Xabi Molia (23/09/2011)

Crédits photographiques : Luis Lopez (Reuters).
313774931.2.jpgTous les effondrements.








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Finalement, ce texte sans aucune prétention, qui se lit d'une traite tant son écriture paraît avoir été réduite à une épure, dont la seule acrobatie stylistique est de faire alterner première et troisième personne du singulier, réussit là où l'ambitieux mais trop souvent prétentieux et confus premier roman de Dalibor Frioux échouait : donner chair à des personnages, nous présenter un monde d'après la catastrophe non seulement crédible mais parfois assez émouvant.
Xabi Molia imagine une capitale française protégée de l'extérieur par un mur d'enceinte, un Paris-Citadelle éloigné de notre époque de quelques années à peine, défiguré par une période de troubles politiques, d'«effondrements boursiers, de banqueroutes et de plans de rigueur, de grandes grèves, de pénuries qu'on croyait réservées à des républiques lointaines, d'attentats politiques et de combats de rue dans des quartiers autrefois respectables» (p. 27). Le ton est donné, il s'agit d'aller à l'essentiel, d'être efficace, comme le laisse entendre un des personnages, obsédé par les phrases magnifiques, mais surjouées et fausses à ses yeux, du Typhon de Joseph Conrad (cf. p. 263).
C'est au moment où commence la reconstruction d'un pays ravagé, dont les principales villes ont été rasées, qu'apparaissent les premiers cas d'un nouveau mal, une épidémie dont il n'existe pas de traitement connu et qui, croit-on savoir, ne se transmet que par des relations sexuelles. Très vite, il se transmettra aussi par l'atmosphère, rendant sa propagation de plus en plus virulente.
Comme un écho peut-être à L'île du Dr Moreau de Wells, celles et ceux qui en sont touchés se transforment en sauvages, paraissent régresser vers un stade animal qui impose aux pouvoirs publics, ou ce qu'il en reste, un plan d'exécution massive, quitte à recourir aux forces de l'OTAN et aux troupes anglo-américaines. Face à l'urgence, des mesures radicales s'imposent, rejouant le fameux commandement que Kurtz traça rageusement sur la marge d'un de ses manuscrits, Exterminez toutes ces brutes !.
Antoine Kaplan, un médecin affecté au diagnostic des premiers symptômes de la monstrueuse infection est le personnage principal de ce roman qui se lit comme un bon polar, qui n'est d'ailleurs qu'un polar assez classique utilisant un décor d'après la catastrophe. L'homme appartient au groupe sanguin AB qui est devenu suspect aux yeux des autorités puisque la majorité des infections s'est déclarée dans cette population que l'on a choisi d'isoler, avant de la réhabiliter.
Antoine Kaplan n'a pu oublier ses mois de détention, même s'il a tenté de se reconstruire auprès d'Hélène, dont nous ne savons pas grand-chose sinon que ses sympathies politiques allaient vers les insurgés et les anarchistes puisque, dès le début du roman, elle disparaît puis est retrouvée morte. La thèse du suicide ne fait pas l'ombre d'un doute aux yeux du policier chargé de l'enquête, un certain Hernandez qu'on dit promis à un brillant avenir et qui s'intéresse, bien davantage qu'à la résolution de l'énigme, aux états d'âme d'Antoine Kaplan, avec lequel il finira par se lier d'amitié.
Alors commence une patiente enquête menée par ce jeune flic féru de questionnement métaphysique, puis un privé qui livrera des indices troublants sur la vie parallèle que menait la compagne de Kaplan, quelques mois avant de se donner la mort. La réalité, à tous les sens du terme, semble s'être effondrée sous les pieds de Kaplan, et la mort de sa femme a déclenché la faillite généralisée : l'enquêteur Hernandez comprendra rapidement que tout un pan du passé de cet homme hagard est pour le moins trouble et Kaplan sait de son côté qu'il n'a pas véritablement aimé, avant ces deniers jours de vie commune, sa femme, qui lentement s'est éloignée de lui.
Qu'est-ce donc qu'Avant de disparaître ? De par son genre, un texte post-apocalyptique à l'évidence je l'ai dit, qui n'est pas sans rappeler Je suis une légende de Richard Matheson, roman dans lequel nous assistons à l'aube d'une nouvelle ère, où l'humanité est lentement mais irrévocablement remplacée par une population qu'elle s'est jusqu'alors évertuée à pourchasser et à détruire. Les fins du monde provoquées par de brusques et dévastatrices épidémies ont une vieille histoire que nous pouvons faire remonter à plusieurs ouvrages comme par exemple l'étrange Rire jaune de Mac Orlan (1914) où la terre est ravagée par une maladie qui tue par une hilarité irrépressible, alors que, dans Le Dernier Homme (1826) de Mary Shelley ou dans La peste écarlate (1915) de Jack London, c'est l'antique fléau qui décime les humains. Signalons encore le très beau roman de George R. Stewart intitulé La Terre demeure (1949), évoqué sur ce blog.
De fait, la situation géo-politique décrite par Xabi Molia est plus embrouillée que réellement complexe : nombre de Français ont rejoint la cause des infectés, se surnommant les animalistes. Ils ont rédigé un texte censé dire la vérité sur la situation du pays, lequel circule, comme La Sauterelle pèse lourd dans Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick, sous le manteau. Ce texte aux résonances millénaristes et nietzschéennes, intitulé Le Projet humain, affirme que l'homme, devant la catastrophe qui le transforme en bête féroce ne connaissant, à l'égard de ses anciens semblables et même de ses congénères, aucune pitié, est destiné à disparaître (cf. p. 181). Antoine Kaplan, qui a décidé coûte que coûte de se lancer sur les traces de l'homme qui a été l'amant de sa femme, finira par rejoindre un groupe d'animalistes à la fin de son périple, non seulement dans les rues de Paris transformées en amas de décombres, mais dans ses souterrains, où se livre une guerre de l'ombre entre des groupuscules anarchistes et l'armée ou, là aussi, ce qu'il en reste.
Il est troublant de constater que cette histoire, ici brossée à grands traits, ne donne qu'une vision partiale du roman de Molia, dont l'intérêt est de nous présenter le parcours d'un homme banal, parfois lâche, parfois vénal, parfois courageux lorsqu'il se lance à la recherche de celui qui fut l'amant, selon toute vraisemblance, de sa compagne. Cette recherche est aussi une plongée dans sa propre conscience, que Molia a la bonne intelligence de ne pas nous présenter comme une immersion sans queue ni tête, comme Casas Ros le fait dans ses désastreuses et surfaites Chroniques de la dernière révolution, un roman qui ne révolutionne rien, pas même l'art du bavardage.
En fait, l'intérêt du roman de Xabi Molia, sous couvert d'une fort banale dénonciation de la xénophobie et de la peur de l'autre (1), d'une apologie plus que convenue de la minorité (cf. p. 252) évidemment opprimée et sans trop s'attarder sur une volonté de réfléchir aux thèmes de la culpabilité (cf. p. 256) ou de la séparation entre le Bien et le Mal, au-delà même de descriptions d'une vie de débrouillardise peu regardante héritées de la période où les Français collaborèrent ou résistèrent (ou firent les deux tour à tour), l'intérêt de ce livre est de nous montrer que la catastrophe affectant une nation entière (puisqu'on nous dit que Paris-Citadelle se tient au milieu d'un désert), n'est peut-être que l'image métaphorique, comme retournée, d'une déchirure, d'une catastrophe intimes : l'impossibilité de retenir, et même de parvenir à comprendre celles et ceux que nous avons aimés, le propre fils de Kaplan parti combattre dans les rangs de l'armée et, nous l'avons vu, celle qui a été sa compagne et qui s'est suicidée.
Ainsi, comme dans le film Cloverfield, comme dans Les Derniers Jours du monde réalisé par les frères Larrieu (2), retrouver la femme aimée, qu'elle soit vivante ou morte, constitue la quête véritable à laquelle nul, une fois l'heure venue, ne doit ni ne peut se soustraire.

Notes
(1) Notons ainsi que le chef légendaire des infectés se nomme Taïr El Mouharib (cf. p. 152). Ailleurs (cf. p. 217), l'un des personnages affirme que c'est «la crise et le déshonneur de la persécution [qui ont] libéré le pays de la morale catholique». Voir encore le discours du privé que Kaplan a engagé et qui déclare : «On a besoin d'un héros AB. Si vous ne comprenez pas ça... Pour que les choses s'arrangent avec les AB, je veux dire : après tout ce qui s'est passé, et dont les Français sont responsables, il faut que le regard sur les AB puisse changer. Même chose avec les Roumains, avec les homosexuels, avec les Juifs et les Arabes. Vous comprenez ? Après le coiffeur pédé, après le Chinois fourbe et rusé, l'intellectuel névrosé juif, et aujourd'hui la victime AB, le martyr AB, le pauvre petit AB à la peau pâle, il faut l'aventurier juif, le guerrier AB, le héros noir. Sinon, ça ne changera jamais» (p. 252).
(2) Amusons-nous du fait que Xabi Molia évoque le nom de l'acteur Mathieu Amalric (cf. p. 268) censé venir à un raout organisé par certains de nos personnages.

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