Brutus de Roger Breuil (26/08/2019)

Crédits photographiques : Alvaro Barrientos (Associated Press).
Le nom d'un auteur tel que Roger Breuil (Jézéquel pour l’État civil) n'évoque de nos jours aucun souvenir dans le lectorat, fût-il éclairé.
Peut-être, espérons-le du moins, garde-t-il une belle et émouvante présence dans l'esprit des familles dont, avec l'aide de son père Jules Jézéquel, il a caché certains des membres, dans leur propre maison appelée La Chartreuse, en les préservant des rafles menées par les nazis pendant l'Occupation, une action tout simplement héroïque qui a valu à l'auteur le titre de Juste parmi les Nations.
Le lecteur curieux se référera à la page Wikipédia sur Roger Breuil ou, forcément plus complet, à l'ouvrage de Sidney Jézéquel, intitulé L’Avant-dernier des protestants, Roger Jézéquel dit Roger Breuil : sur la route de l’Arsenal publié en 2007.
Finalement, ces actes rares, à réelle hauteur d'homme, ne peuvent pas nous éloigner du sujet de Brutus (Gallimard, 1945), un essai pour lequel Roger Breuil reçut le Prix de la Pléiade : ce sujet est l'homme, non point, précisément, une vie romancée de celui qui assassina César mais plutôt tout homme qui, lorsque sa conscience lui dicte une conduite juste, se lève d'entre la foule et, fût-il le seul à se lever et courût-il au devant d'une mort certaine, demande des comptes (et de quelle façon expéditive, dans l'exemple illustré par Breuil !) au dictateur.
Un essai sur l'homme que, dans les quelques lignes rédigées par l'auteur en guise de préface, celui-ci désavoue pourtant, prétextant le fait que les pages de son livre ont été, croit-il, «un effort vers la vérité, même si à présent elles [lui] semblent enveloppées dans la condamnation où sans cesse nous rejetons ce qui n'est plus» (p. 8, les italiques sont de l'auteur).
Ce qui n'est plus, ce sont les conditions d'écriture de ce livre que l'auteur rappelle, l'urgence, en quelques minutes, de pouvoir s'échapper par la fenêtre «entr'ouverte, moins pour avoir de l'air que pour diminuer le nombre de secondes nécessaires à la glissade au dehors» (p. 7). Ce qui n'est plus, peut-être, c'est cette curieuse et quelque peu maladroite façon de disséminer, dans son texte, d'évidents anachronismes (cf. pp. 100, où une somme de «trois mille dollars» est évoquée, p. 114, c'est une «librairie» où nous dénichons un exemplaire de l'Anti-Caton de César, p. 122, César doit «faire passer Rome d'une communauté moraliste et conquérante à une sorte d'administration à l'américaine» et, p. 139, quelque curieux «wait and see» ponctue une phrase consacrée à la devise de Cicéron; enfin, gauche et droite politique sont convoquées à propos de Brutus et de César, cf. p. 167), comme si à tout prix l'auteur cherchait à se persuader que, par-delà les siècles, Brutus est notre contemporain.
Se pourrait-il qu'il existe des livres insincères écrits durant de tels événements, dans la certitude de la mort crainte mais déjouée à tout instant ? Peu importe, car, de ce livre, Roger Breuil semble s'être éloigné.



La suite de cet article figure dans Le temps des livres est passé.
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