L'attente messianique de David Banon (30/01/2014)

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Photographie (détail) de Juan Asensio.
1502245678.jpgIsraël dans la Zone.





IMG_6833.JPGL'attente messianique de David Banon est un recueil d'études pour le moins intéressantes publié par les Éditions du Cerf et qui, comme le titre de l'ouvrage l'indique, évoque la problématique du messianisme et du prophétisme juifs.
Un passage du livre résume assez fidèlement le propos de l'auteur : «Une attente fiévreuse et inquiète. Une attente qui atteste la relation avec ce qui ne peut entrer dans le présent, lequel est trop petit pour le contenir. C'est l'attente de Dieu ou la durée du temps. Une attente qui maintient une tension entre l'irréversibilité du temps et sa fécondité, entre l'accompli et l'inaccompli, entre le passé et l'à-venir. Une attente qui ne se convertit pas en détente, car elle serait aussitôt démasquée comme pseudo-attente» (p. 15).
Le messianisme juif, par définition, ne peut qu'être une attente que l'on dirait interminable et c'est bien à cette caractéristique fondamentale que s'attache l'auteur, qui éloigne ce dernier du millénarisme et de l'apocalyptisme chrétien dans cette belle méditation lévinassienne : «La parole prophétique ne doit viser ni à renverser l'univers, ni à l'envahir, ni à l'incendier, mais seulement à y établir ce silence sourcier par lequel l'essor de l'esprit humain est de nouveau possible, à augmenter la justice. Car la violence, le fanatisme rendent idolâtre et empêchent la conscience humaine, devenue inhospitalière et hostile, de percevoir la présence de l'autre, d'être attentif à son visage» (p. 31).
Pourtant, si par essence le messianisme juif est essentiellement déceptif (1), David Banon ne semble guère s'intéresser à une forme de violence intrinsèque bien réelle à ce dernier, rappelé par cette étonnante sentence : «Trois sont ceux qui surgissent sans que l'on y prenne garde : le messie, une trouvaille et [la piqûre] d'un scorpion» (Sanhédrin 97 a), comme si le messianisme juif était en fin de compte une des dimensions évidentes de la manifestation de la divinité hic et nunc, une temporalité non pas future mais potentielle, une attitude que tout Juif pieux se devrait d'adopter et de respecter devant Dieu, dont le royaume et le serviteur (le messie) ne sont pas relégables dans le futur mais sont bel et bien intimement présents, eistent dans le présent : «Maïmonide a fixé là un grand principe : l'attachement à Dieu et à ses commandements n'est pas un moyen pour hâter ou provoquer la rédemption messianique qui serait, elle, la finalité. Les mitsvot ne sont pas comme le chemin qui nous conduit vers l'objectif qui serait l'ère messianique. Le sens et la valeur de la foi et du service se déclinent au présent, dans le monde tel qu'il est, sans qu'il soit tributaire d'un quelconque avenir messianique – évident ou incertain. L'obligation de servir Dieu n'a besoin d'aucun fondement, pas même celui de l'hypothèse du Messie» (p. 72).
Car, comme le rappelle David Banon dans sa conclusion : «la temporalité messianique est de l'ordre d'un temps non advenu, non pas un temps de la fin, mais plus précisément d'un commencement ou d'un recommencement» (p. 185), qui semble ne rien avoir de commun avec le futur, contrairement à ce qu'affirme l'auteur lui-même : «Israël vit dans ce monde-ci l'anticipation du monde futur : il incarne la dimension du divin dans ce bas monde matériel» (p. 107).
Le mystère, les hommes de foi diront le miracle de la permanence au travers des siècles d'Israël (2), les événements inouïs qui ont caractérisé son histoire (3), incarnent moins l'anticipation ou bien la certitude du monde futur que l'existence ou la possibilité d'une brèche formidable capable de désamarrer le présent de sa gangue de boue, de le creuser d'une profondeur inouïe, celle de l'irruption du Tout Autre, de l'interruption du cours du temps par ce qui n'y est point soumis et pourtant le subsume. Le messianisme juif n'est pas le temps du futur, la temporalité de ce qui n'est pas encore advenu, mais bien la certitude d'un présent qui seul nous empêche de désespérer, parce qu'il est rempli de Dieu, et qu'importe s'il s'est éclipsé.

Notes
(1) «La promesse messianique annonce une venue et en défait d'avance la figure» (p. 44) mais aussi : «Le messie n'est pas un homme, encore moins un Dieu, c'est une époque, un éon : yémot hamashiah' / les jours du messie, un temps, voire la temporalité du temps» (p. 48).
(2) «[Le] Nétsah' Israël [du Maharal de Prague] défend, par conséquent, la thèse de la non-disparition du peuple d'Israël dans sa dispersion exilique en dépit de la précarité de son existence sociologique, juridique, économique et politique, visible à l’œil nu, et qui oblige tout observateur doué de bon sens et un tant soit peu honnête d'en douter fortement» (p. 102).
(3) «En lisant Abravanel, on peut avancer sans risque de se tromper que l'expulsion des Juifs d'Espagne a provoqué, au sein du judaïsme de la fin du Moyen Age et au-delà, un profond traumatisme, semblable à celui que le peuple juif connaîtra au lendemain d'Auschwitz» (p. 85).

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