Au-delà de l'effondrement, 53 : Éclipse totale de John Brunner (24/02/2015)

Photographie (détail) de Juan Asensio.
313774931.2.jpgL'effondrement de la Zone.





IMG_5241.JPGCe sont les toutes dernières pages d’Éclipse totale qui sauvent ce court roman de John Brunner, paru en 1974, de la banalité propre à un scénario de science-fiction pour le moins convenu. Les Terriens, au cours d'une mission d'exploration, ont découvert dans le système stellaire Sigma Draconis III, après bien des déceptions qui les ont fait envisager de renoncer à de nouvelles missions, les vestiges d'une ancienne civilisation extraterrestre éteinte depuis des milliers d'années. Une base a été installée pour permettre à plusieurs dizaines de scientifiques, régulièrement ravitaillés, de résoudre l'énigme de la disparition fulgurante des Draconiens, une énigme d'autant plus cuisante (cf. p. 49) que la Terre se meurt et qu'elle n'aura sans doute plus les moyens de dépêcher sur place, via le vaisseau Stellaris de nouveaux chercheurs. Il faut aller vite, donc, et, grâce aux enseignements tirés de la catastrophe, prévenir, peut-être, la ruine qui menace notre planète en proie à la paranoïa.
Il n'est pas très utile de nous attarder sur la personnalité simpliste des différents personnages, réduits à leur fonction, ni même sur les raisons variées, comme toujours dans les romans de Brunner (1), qui conduisent l'humanité à sa disparition, qui, dans ce roman, est signifié de trois façons : d'abord l'énigme du développement remarquable des Draconiens, puis celle de leur disparition en l'espace de quelques milliers d'années, ensuite l'appauvrissement drastique de la Terre, qui ne sera bientôt plus capable de consacrer des sommes d'argent prodigieuses au développement de la conquête spatiale, et enfin la mort lente de la colonie d'humains installée sur Sigma Draconis III qui, une fois que le Stellaris
n'assure plus le renouvellement de ses membres par une navette régulière, est livrée à elle-même. C'est cette troisième figuration de l'effondrement qui est la plus convaincante, alors même qu'elle est étayée de peu de ces explications scientifiques que Brunner nous a livrées d'abondance par la bouche de ses personnages.
IMG_0816.jpgL'énigme sera résolue, au cours d'un processus narratif assez sommaire d'exposition de plusieurs hypothèses scientifiques éprouvées les unes après les autres, et même par le truchement d'une expérience, dangereuse, consistant à tenter de reproduire, pour l'un des scientifiques, les conditions de vie et de perception des Draconiens. C'est en fait parce qu'elle a appliqué un eugénisme forcené que cette espèce a disparu, les raisons de son développement exponentiel expliquant aussi, paradoxalement, celle de sa chute tout aussi rapide (cf. p. 226) : «nous avons découvert que les Draconiens ont poussé l'endogamie au point de la banqueroute génétique» (p. 243), cette race d'extraterrestres ayant «échoué à cause de leur endogamie, à cause de tout ce dont ils se sont volontairement dépouillés» (p. 246), les femmes et les hommes (et même, car ils finiront bien par devoir en avoir, les enfants) chargés de résoudre le mystère de leur disparition disparaissant à leur tour, peut-être parce qu'ils n'ont pas su s'adapter aux conditions de leur nouvelle planète, maintenant qu'ils ne sont plus ravitaillés, nous ne savons pourquoi, par la Terre, peut-être, bien au contraire, parce qu'ils n'ont que rationnellement calculé leurs chances de survie, en tenant compte de ces questions d'endogamie et de reproduction, de survie du cheptel humain, et en oubliant l'essentiel, évoqué par les derniers instants de vie de l'unique survivant, qui s'obstine à laisser une trace du dernier homme.

Notes
(1) Catastrophes diverses («La guerre entre le Kenya et l'Ouganda, la famine Indonésienne, la famine Argentine, le tsunami d'une ampleur de trois mille kilomètres qui a dévasté le sud du Japon; plus tout le reste... rien qu'en deux courtes années», pp. 37-8, l'auteur souligne, ou encore p. 69) bien résumées par cette image : <«Le regard d'aigle d'un satellite ayant coûté deux milliards de dollars pouvait se poser sur le cadavre d'un homme ayant creusé, pour un salaire minable, la terre pour en extraire le métal nécessaire», Éclipse totale (traduction de Mary Rosenthal, Le Masque, coll. Science Fiction, 1977), p. 19, l'auteur souligne.

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