Armel Guerne l'annonciateur de Charles Le Brun et Jean Moncelon (02/08/2016)

Photographie (détail) de Juan Asensio.
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LRSP (livre reçu en service de presse, de la part des éditions Pierre-Guillaume de Roux).


Quel dommage tout de même, que Jean Moncelon et, surtout, Charles Le Brun, ne se soient pas souvenus d'un remarquable propos d'Elias Canetti qui fut traduit en français par un écrivain et traducteur qu'ils connaissent bien, Armel Guerne, propos qu'ils pourraient méditer longuement. Je donne un extrait du Territoire de l'homme : «Bien des choses sont énoncées pour qu'elles ne le puissent plus jamais l'être. C'est de ce matériaux que sont construites les pensées hardies. Qu'on les répète, et voilà que leur hardiesse succombe. La foudre ne doit pas frapper deux fois au même endroit. Sa tension est sa bénédiction, mais sa clarté n'est que fugitive. Là où commence un incendie, la foudre n'est déjà plus» (1). De cette évidence, Jean Moncelon, mais, je l'ai dit, Charles Le Brun surtout qui dans cet ouvrage se taille la part du lion, pardon, de l'hippogriffe, n'ont absolument pas tenu compte car, pour ce dernier, l'incendie n'est qu'une accumulation de coups de foudre ayant la particularité de tomber systématiquement sur le même lieu, qui n'est autre qu'Armel Guerne. C'est bien simple, non seulement, selon notre verbeux commentateur, cet homme et cet auteur sont la foudre mais lui, Charles Le Brun, est le meilleur paratonnerre de cette dernière et, si vous le poussiez un peu, pourquoi pas à la faveur d'un excellent verre de vin, pardon encore, d'hydromel, nul doute que l'intéressé ne se déclarerait tout bonnement favori du prophète, celui que ce dernier a favorisé de ses grâces et confiance. Nous avons découvert Jean Moncelon par le biais de plusieurs livres, dont celui qu'il a coécrit avec Christian Destremau sur Louis Massignon, mais c'est aussi grâce au regretté Dominique Autié que nous l'avons lu. J'ai même dû, voici bien des années, le contacter en passant par son site intitulé D'Orient et d'Occident, sans jamais obtenir de réponse de sa part, comme je m'en étais alors ouvert à Dominique Autié, lorsqu'il avait fait paraître La Nuit veille aux éditions InTexte, avec une préface de Jean-Yves Masson. J'avais évoqué ce texte dans cette note. Charles Le Brun, lui, c'est ma découverte enthousiaste des textes de Paracelse qui me l'a fait connaître, mais j'avoue que ses textes sur Armel Guerne finiraient presque par me faire considérer à nouveaux frais son travail sur le grand médecin errant : la verbosité est un poison qui contamine les corps les plus sains et, une fois détectée, son action est foudroyante, car il n'existe aucun contre-poison efficace, si ce n'est le silence.
27623056684_369b8d3ba9_o.jpgL'avantage d'être confronté à l'un des familiers du prophète est que, d'emblée, il ne nous cache rien de sa destinée ni de ses buts. Ainsi, c'est dès l'avant-propos, verbeux, inutile et grandiloquent, que Charles Le Brun s'investit, s'oint d'une mission dont il est par ailleurs le commentateur le plus éminent et, sans doute, le seul autorisé : «Le silence qui entoure l’œuvre et le nom d'Armel Guerne n'est pas autre chose qu'une insulte pour l'esprit» (p. 7). Cette fadaise est une contre-vérité. Pour ne citer que mon seul exemple, j'ai plusieurs fois évoqué Armel Guerne, et une simple recherche sur Internet le montre assez vite. Certes, si j'en crois ses propos résolument antimodernes, nul doute que notre commentateur ne déteste la Toile. Il peut la détester, qui lui contesterait ce droit ?, mais qu'il s'informe, tout de même, le cas échéant, avant d'écrire.
Tout le reste, cette suite de textes consacrés non point à Armel Guerne (ou si peu), mais à la glorification de son rôle dans notre époque impie, est à l'avenant, et nous ne pouvons citer que quelques exemples d'emphase caractéristique de la manière de Charles Le Brun : ne strictement rien dire d'intéressant, ne rien nous apprendre, mais tenter de nous persuader qu'Armel Guerne était un génie, un prophète et, surtout, un homme d'une droiture exceptionnelle, ce dont nous ne saurions douter : «Il resta fidèle au Maître [Paracelse, que Charles Le Brun a traduit] dont il avait reconnu la haute précellence et dont il avait gravement parcouru, ligne à ligne, le labeur immense et profus, témoignage insigne d'une vérité oubliée tout droit venue du prodigieux Moyen Âge» (p. 26).
Ces quelques mots nous donnent de précieuses indications sur la manière de ce commentateur : profusion d'adjectifs, vocabulaire de l'exaltation, tropisme pour la vérité et son champ lexical (le «véridique» (p. 93), le «véritable» (adjectif employé bien trop de fois, ce qui est louche, cf. pp. 43, 99), «véritablement» (p. 160), le «vrai» (p. 78, répété deux fois, mais aussi pp. 121, 138, 151, répété là aussi deux fois, ou encore p. 157)), mais aussi vernis ésotérisant que l'on trouvera, badigeonné à large traits de pinceau, dans un texte consacré à Gérard de Nerval (pp. 43-6), et dans bien d'autres pages creuses et tout aussi grandiloquentes, comme celles consacrées à Melville.
Voici un autre passage, extrait d'un texte sur les Romantiques allemands, qui condense ces caractéristiques qui sont celles d'un style amphigourique, non point précieux mais pédant : «L'Assourdissant concert de notre équivoque progrès ne nous laissera plus bientôt la moindre place pour la plus élémentaires MAIS indispensable prière, avalés que nous sommes pas la horde enragée des démons ricanants de la publicité, de l'insolence, de l'impudeur, de l'impiété, expulsés de nous-mêmes par le bruit et l'image du tout-puissant écran et distraits, jusqu'au vertige, par sa logorrhée fallacieuse» (p. 82). Qui ne croirait, ici, lire la prose eunuque du très cacographique Richard Millet, aussi martial en phrases qu'il ne l'est point dans ses actes ?
Armel Guerne, bien davantage que l'Annonciateur, est plutôt le Relégué de cette amphigourique incapacité dont témoigne Charles Le Brun à évoquer les textes et le travail de son auteur de chevet. C'est toujours la même rengaine cliquetante, sonnant faux, que nous n'écoutons plus au bout de la troisième page, et que nous n'entendons même plus au bout de la quinzième : «La grandeur : un mot qui pourrait bien devenir vacant dans cette époque étiolée où triomphe la petitesse. Et n'être plus en usage que chez quelques élus rarissimes tandis qu'alentour se répandent et pullulent et s'enhardissent les serviteurs inconditionnels du modernisme. Les parasites de l'âme» (p. 87).
Ailleurs, Charles Le Brun émet un jugement de valeur pour le moins assez tranché sur Cioran, accusé de jouer au désespéré plutôt que de l'être réellement (cf. p. 129), mais nous ne pouvons douter que Charles Le Brun, lui, s'exalte pour rire, puisque sa nature ne peut être qu'une seule chose : ignée ou ne point l'être et, partant, n'être rien : «Mais qui a entendu sonner les heures tandis que se précise, un peu partout, l'inquiétante rumeur des bouleversements à venir ? Tandis que s'amplifie l'innombrable, l'innommable piétinement de quelque sept milliards d'êtres en dérive, modelés, déformés, dénaturés par les démons de l’Écran et leurs atroces thuriféraires ? On pourrait presque entendre, dans les villes de l'enfer que nous nous sommes bâties, monter le froissement sinistre des pensées que sécrètent ces multitudes. Nausée. Vertige. Écrasement. Et où aller pour n'être pas rattrapé par l'asphyxiante poussière du nombre ? submergé par son amplitude ou gagné par ses tentations ?» (p. 143).
Nous avons perdu de vue Armel Guerne depuis belle lurette, et il nous faut parvenir aux lettres toutes simples et lumineuses que Georges Bernanos lui a écrites (cf. pp. 145-9) pour retrouver un intérêt à cet ensemble moins hétérogène que pompeux, creux, verbeux, bourré d'adjectifs qualificatifs dépréciant l'époque contemporaine et magnifiant les vrais, les véritables, les honnêtes, les droits, desquels nos deux commentateurs zélés, l'un étant même plus que zélé, c'est-à-dire fanatique, ne s'excluent certainement pas. Trop de pseudo-style artiste sans doute, celui que l'on devrait rougir d'employer passé 15 ans («Grandir. Trouver son nom. Trouver son temps. Sa mesure. Attiser le feu intérieur pour mieux incendier les jours et se lever, neuf pour des conquêtes dont on ne sait rien encore mais qui font signe, plus loin, dans l'épaisseur des lendemains», p. 152) et dont peut-être, plus d'une fois, Armel Guerne a lui-même abusé, s'il est vrai que l'on reconnaît un maître à ses élèves, mais qu'il a fini quand même par rejeter, lui qui n'est jamais plus fulgurant que lorsqu'il écrit tout simplement, répondant à tel (André Limoges) qui l'interroge : «Nous avons dépassé le seuil de l'Apocalypse et, à mon avis, on se trompe lorsqu'on veut regarder ou lire l'Apocalypse comme une prophétie. En réalité, on devrait la lire et la comprendre comme une histoire vécue, déjà passée en partie et au fond de laquelle nous sommes charnellement engagés» (p. 165).
Il serait sans doute utile, si Charles Le Brun veut à tout prix que le grand Armel Guerne qui, rappelons-le, n'est jamais plus touchant que lorsqu'il se dépouille, une à une, des vieilles peaux inutiles, soit davantage connu, qu'il condescende à descendre de son Empyrée, depuis lequel il va finir par s'étouffer, la bouche pleine de mots gonflés à l'hélium de la suffisance.

Note
(1) Elias Canetti, Le territoire de l'homme. Réflexions 1942-1972 (Albin Michel, 1978, puis Le Livre de poche, 1998), p. 55.

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