Georges Bernanos vu par Thomas Renaud (10/02/2019)

Photographie (détail) de Juan Asensio.
3518592029.JPGGeorges Bernanos dans la Zone





FullSizeR.jpgJe recommande à celles et ceux qui, ne sachant rien ou presque de Georges Bernanos, voudraient découvrir les textes de celui que Roger Nimier surnomma le Grand d'Espagne, le petit ouvrage bien conçu et illustré de Thomas Renaud (1) qui ne s'embarrasse d'aucune glose universitaire, cite les bons extraits, de l'écrivain ou de ceux qui l'ont connu, et au bon moment; ainsi, grâce à ces belles vertus d'économie qui ne sont plus guère répandues, il va à l'essentiel.
Cet essentiel, à force d'être noyé sous des gloses universitaires plus ou moins originales (et je n'exclus bien évidemment pas les miennes de cette chape), est pourtant d'une simplicité dont nous ne mesurons plus guère la richesse tout autant que la rareté : Georges Bernanos, «proche du petit peuple et de son humble condition» (p. 30) selon l'auteur, se moquant comme d'une guigne «de savoir si les pharisiens qu'il épinglait étaient de l'une ou de l'autre auberge partisane» (p. 85), fut sa vie d'homme durant un esprit totalement libre, détestant ceux qu'il nommait savoureusement les «chrétiens de pain d'épice» (p. 20), ces catholiques français honorant «la neutralisation de la Providence par la capitalisation, le salut sous garantie contractuelle» (p. 19).
Dpaxo73WwAAuQFY.jpg large.jpgCette discrétion n'est toutefois pas transparence car Thomas Renaud, aussi bien à propos de l'exil de Georges Bernanos au Brésil, qui bien sûr lui fut reproché, que de sa collaboration avec Le Figaro du très riche Coty, ou encore pour ce qui est de son admiration jamais démentie envers Édouard Drumont (2), ne se gêne pas pour souligner que l'auteur «a toujours su payer le prix de son indépendance et de sa radicalité» (p. 98), peut-être parce que, «toute sa vie, [il] aura la passion évangélique des âmes brisées» (p. 80), ce qui suppose de ne point totalement rejeter les salauds, les pécheurs, les imposteurs et même les criminels dans un abîme d'exécration vertueuse.
Remercions Thomas Renaud qui, en si peu de lignes, est parvenu à s'effacer devant Georges Bernanos tout en nous donnant, discrètement, des aperçus assez révélateurs de ses propres opinions, comme celle concernant ce qu'est devenu le paysage où le romancier a fait évoluer presque tous ses personnages, puisque, au moment où l'écrivain figurait les aventures tragiques d'un Donissan ou d'une Mouchette, «les environs de Fressin étaient une terre de bocage. Année après année, le pèlerin bernanosien d'aujourd'hui se désole d'y constater les progrès de la triste uniformité de l'agro-industrie. La pauvre Mouchette n'y trouverait peut-être plus de pièce d'eau digne de ce nom pour y disparaître» (p. 27), un constat avec lequel je ne puis qu'être d'accord, après m'être rendu sur ces terres en photographe curieux bien davantage qu'en pèlerin attentif.
Remercions-le encore, ce commentateur qui ne se paye pas de mots, d'avoir dégagé la force qui fut celle de Georges Bernanos : «Ne nous leurrons pas», écrit ainsi bellement Thomas Renaud, car «rester assez pauvre et fragile pour demeurer dans les mains de la Providence est une constante de la spiritualité bernanosienne», cette «ligne de crête», poursuit l'auteur, ayant été «suivie avec une abnégation et une constance qui forcent le respect» (p. 91), le relevé, fût-il distrait, des tribulations de l'homme toujours sans le sou ou, en ayant un peu, le gaspillant si vite, refusant les honneurs, montrant si besoin en était que «Bernanos a toujours su payer le prix de son indépendance et de sa radicalité» (p. 98), raison pour laquelle, sans doute, cet «infatigable héraut» ne cesse «de sonner l'appel des aristocrates de demain» (p. 112).

Notes
(1) Thomas Renaud, Georges Bernanos (Pardès, coll. Qui suis-je ?, 2018). Toutes les pages entre parenthèses, sans autre mention, renvoient à notre édition. Le texte a été soigneusement relu, ce qui, comme je ne cesse de le répéter, devient de plus en plus rare, y compris dans des maisons d'édition réputées sérieuses. Je signale toute de même ce qui est peut-être une étourderie à la page 85, les «milices d'Aragon» dont parle Simone Weil dans la fameuse lettre qu'elle adressa à Georges Bernanos pour le remercier d'avoir écrit Les Grands Cimetières sous la lune désignant bien évidemment une région espagnole et non Aragon, cité immédiatement après cet extrait par Thomas Renaud, bien que je ne sache là s'il s'agit d'un clin d’œil ou d'une étourderie.
(2) «La Grande Peur des bien-pensants est la pièce à conviction que l'on retient pour faire de Georges Bernanos un écrivain antisémite. C'est, avec nos œillères contemporaines, aller un peu vite. Il y a eu un Bernanos maurrassien, c'est-à-dire considérant les juifs de France comme représentant l'un des quatre États confédérés et considérant qu'il existe en France un «problème juif». C'est incontestable» (p. 67).

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