Jünger le subtil, par Dominique Autié (Infréquentables, 1) (01/06/2008)

Julie Jacobson (AP Photo).


In memoriam, Dominique Autié (6 octobre 1949 - 27 mai 2008).



e8d8c2ce9aea11d714c8e00ed24404cc.jpgVoici, sous la plume de Dominique Autié, le premier texte, évoquant Ernst Jünger, d'une série d'inédits consacrés à différents maudits tels que Joseph de Maistre (Olivier Bruley), Bruno Dumont (Ludovic Maubreuil) ou encore Pierre Boutang (Francis Moury). Ces textes constituaient le prolongement naturel (ou plutôt, selon la belle expression dont Dominique Autié m'a fait part, la tête de pont) de ceux qui ont paru le 21 février dans le numéro spécial de La presse littéraire consacré à ces véritables proscrits, prudemment tenus à l'écart des raouts parisiens, grand bien leur a d'ailleurs fait, par une ligue de petits pions qui en France hélas, ont encore pouvoir de bannissement et peut-être même de vie et de mort. Ces quatre textes ont été simultanément mis en ligne ici même et sur le site de Joseph Vebret, qui me confia la réalisation de ce numéro parfaitement infréquentable, pourtant riche des beaux textes de Paul-Marie Coûteaux, Jean-Luc Moreau, Rémi Soulié, Jean-Luc Evard, Georges Sebbag, Jean Renaud et beaucoup d'autres auteurs que je tiens à remercier chaleureusement.

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Que lisez-vous Jünger ? D’autant – l’atteste l’alignement des volumes – qu’il n’est guère plausible de s’acquitter d’une telle lecture comme on le fait de L’Homme sans qualité ou de la Bhagavad-Gîtâ pour lire Musil ou flirter avec l’âme de l’Inde.

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Pour évoquer Ernst Jünger, s’impose soudain d’emprunter l’une de ses structures les plus familières, afin de mieux se couler dans le régime d’une pensée à l’œuvre.

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medium_intro_fremdenleg_juenger_g.2.jpgDans une note additionnelle à sa traduction du Traité du rebelle, Henri Plard s’explique du choix qu’il a fait pour traduire le mot allemand Waldgänger (5), «emprunté lui-même à une coutume de l’ancienne Islande. Le proscrit norvégien, dans le haut Moyen Âge scandinave, avait “recours aux forêts” : il s’y réfugiait et y vivait librement, mais pouvait être abattu par quiconque le rencontrait. Les émigrants norvégiens qui colonisèrent l’Islande y transportèrent cet usage et ce terme, bien que leur île fût dépourvue de forêts : c’est dans ses déserts intérieurs, pierreux, stériles et glacés que le proscrit menait une vie de péril constant, de dénuement et de liberté.» Henri Plard souligne que Jünger s’est approprié l’homme du recours aux forêts pour en forger une figure – comme il le fit pour le travailleur –, c’est-à-dire intemporelle, «qui peut être actualisée à tout moment de l’histoire». Si le terme de proscrit respectait la tradition, il maintenait le Waldgänger dans la situation du criminel «qui subit passivement son exclusion. Alors qu’on devient [tel que l’entend Jünger] Waldgänger par libre choix, par protestation.» Ainsi Henri Plard justifie-t-il rebelle.
À l’exception des romans et des journaux, la plupart des grands textes procèdent par succession de séquences ainsi numérotées (1). Il en va ainsi des essais politiques, dans le sens austère de ce mot – Le Travailleur (2) (Der Arbeiter, 1932), La Paix (Der Friede, 1946), Le Traité du rebelle ou le recours aux forêts (Der Waldgang, 1951), L’État universel (Der Weltstaat, 1960) – comme des nombreux textes d’approches (tentative, ici, pour désigner ce qui n’est pas soumis à la chronologie du journal et qui ne prend pas la forme d’un livre discursif, d’un seul tenant) : Le Nœud gordien (Der gordische Knoten, 1953), Traité du sablier (Das Sanduhrbuch, 1954), Le Mur du temps (An der Zeitmauer, 1959), Approches, drogues et ivresse (Annäherungen. Drogen und Rausch, 1970). L’Auteur et l’Écriture (Autor und Autorschaft, 1981) déroge : les séquences sont séparées par un astérisque.
Si tant est qu’elle fût, à quelque moment, fragmentaire, la pensée s’ordonne, fixe sa progression. Elle réserve toutefois son liant. Au lecteur d’établir les connexions – les cohérences aventureuses, selon Roger Caillois (3) –, de se glisser entre les séquences pour tisser lui-même sa méditation. Pascal Quignard recourt à cette forme dans ses Petits Traités (4) : chaque traité porte un numéro d’ordre, mais celui des séquences qui les composent est absent – mais leur présence ne fait pas de doute, ils figurent en texte caché, ils ont été retirés comme les fils de bâti de la couturière. Pour le lecteur assidu, on pourrait procéder à ce même retrait dans une nouvelle édition du Mur du temps.
On peut voir dans cette forme une structure enviable.
Plus tard, dans un roman, Eumeswil (6) (1977), Ernst Jünger développe, amplifie, rend pour ainsi dire urbaine la figure du Waldgänger. Avec le personnage de Venator, il compose l’anarque, le solitaire, que son choix résolu de l’isolement démarque de l’anarchiste – dont les États finissent toujours par manipuler la révolte.

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Il est étrange que la fermeté du tracé psychologique de l’anarque ait pu laisser place au doute, voire à la haine qui jette l’anathème sur toute une œuvre. Il faut chercher ailleurs les raisons de l’incompatibilité de nature organique entre le texte jungerien et son temps – qui ne cesse d’être le nôtre, qui se propage, joue les prolongations. Pour s’y aider, on peut se représenter un décor plus ordinaire que le cadastre imaginaire d’Eumeswil (c’est le grand ordinaire, précisément, qu’il convient de planter) : une soirée de beuverie entre amis et, allant de l’un à l’autre, riant de bon cœur, l’un d’eux, alcoolique abstinent depuis de nombreuses années désormais. Son cas est connu de tous, on aurait pu se dispenser de l’inviter, mais nul ne dispose de la force morale pour en décider. Et c’est – ce fut – un bon ami à nous. Quelle raison de l’exclure ? Son regard bienveillant qui s’attarde sur notre négligé qui finira de sombrer dans l’obscène, l’alcool aidant au fil des heures, rend insupportable sa présence. Mais nul n’a le courage d’en tirer les conséquences. D’ailleurs, quelqu’un l’a-t-il vu depuis tout à l’heure ? L’anarque s’est retiré, personne ne l’a vu faire. Il nous laisse à notre écœurement, à notre haine de nous-mêmes. Salaud !

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Aujourd’hui, dans la bibliothèque de survie (7), ouvrir l’un des livres d’Ernst Jünger qui alignent leurs tranches comme des fûts, c’est pratiquer le Waldgang, le recours aux forêts. S’esquiver de la fête, qui bat son plein.

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«Très mal dormi. Friedrich Georg (8) exprime la crainte qu’après la mort nous ne soyons sujet, dans l’autre vie, à cet ennui bien spécifique qui règne sur les nuits d’insomnie.» Le journal du Voyage atlantique s’ouvre sur cette notation (9). Les journaux principalement sont parsemés de tels pas de côté. Ce n’est pas moi qui le dit, mais je l’inscris. Sans commentaire. Il se peut que le lecteur y reconnaisse l’une de ses préoccupations. Je laisserai dire que, sans doute, je partage son angoisse.
«Vivre dans l'angle – in angulo – du monde.» Pascal Quignard précise : «Dans l'angle mort – par lequel le visible cesse d'être visible à la vue.» (10) Dans l’angle, ou dans la forêt.
Jünger, lui aussi, explore le jeu du monde depuis l’angle mort. Le passage, l’un des plus beaux, se trouve dans la seconde version du Cœur aventureux (Das abenteuerliche Herz. Figuren und Capriccios, 1938), intitulé «Le rouge-queue» (11). Un petit, à peine né, est tombé du nid. Les parents passent à proximité du cadavre sans y prêter attention. «J’en conclurais volontiers qu’ils ne se perçoivent pas entre eux en tant qu’images, mais en tant que manifestations de la vie ; rapports qui feraient songer à ce qui se passe entre nous et la lampe électrique qui nous éclaire parce que le courant l’habite et tant qu’il y est. […] Lorsque nous réussissons à pénétrer une réalité de cette sorte, nous pouvons être sûrs qu’elle se cache également dans notre propre vie. Cet antique aveuglement règne peut-être où nous l’attendions le moins, je veux dire en ce qui concerne notre propre moi. Nous ne nous percevons pas nous-même comme individu, et l’image de notre cadavre échappe à notre représentation. Dans notre organisation extrêmement ramifiée, le moi est la suprême forteresse où s’est retiré l’aveuglement vital, et c’est de là qu’il effectue ses sorties. […] Nous vivons ainsi dans l’angle mort de nous-même.»
Aussitôt, Jünger relève que le privilège de l’homme est de n’être pas entièrement soumis au pouvoir d’un tel aveuglement. Ses capacités d’intelligence, de lucidité, son aptitude à répondre à l’injonction socratique du Connais-toi toi-même rendent compte du développement du Droit, de la naissance des États et de l’Histoire : «Aussi est-ce à bon droit que cet homme supérieur parle de soi à la troisième personne», note Jünger.
Jusqu’à ce point du propos, le raisonnement est unanimiste. Si convaincant que le lecteur pourrait ne pas prendre la mesure de ce qui suit, sur quoi s’achève le passage. «Car chacun de nous ne cesse de sentir le puissant attrait de la nuit vitale, profonde et sombre, qui cherche à nous reprendre en son sein. Il existe une grande tendance qui, voilée sous des formes toujours changeantes, vise à ramener totalement notre vie sous l’empire de la loi qui règne dans les nids ou dans l’obscurité du sein maternel. Il n’est plus ici de grandeur, de droit, hors de l’aveugle et profonde cohérence où tout est lié. Nos racines plongent dans ce sommeil ; mais la trame de notre vie exige l’un et l’autre monde.»
Le soldat est à son poste, mais il lit – Tristam Shandy, Roland Furieux –, et c’est la littérature qui le rend héroïque. Dans deux entretiens au moins, Ernst Jünger relate sa pratique de la lecture au front durant la Première Guerre mondiale à ses interlocuteurs : en 1985, à Julien Hervier, l’un de ses traducteurs : «Il se produisait à intervalles réguliers des pauses d’une ou deux heures où je lisais Sterne, puis le feu reprenait, puis de nouveau Sterne ; et, chose étonnante, cette lecture s’est plus profondément gravée dans ma mémoire que tout le déroulement des combats. C’est-à-dire que la littérature est en fait plus importante pour moi que l’expérience vécue, même concentrée à l’extrême.» (12) Dix ans plus tard, à Antonio Gnoli et Franco Volpi : «J’ai toujours conçu ma vie comme la vie d’un lecteur avant que d’être celle d’un soldat.» (13)
Il est permis de supposer que ce qui n’est pas soluble dans la pensée dominante de l’après-guerre, c’est la posture de ce soldat-là – et non quelque introuvable objet de repentir, tel que chacun le désigne à chacun ces temps-ci, voire l’exhibe avant qu’on ne le lui enjoigne de le faire, justifiant les grandes ordalies cathodiques par quoi les passagers de l’ordre moral se donnent l’illusion que le rafiot tient l’eau.

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Heidegger pense les Holzwege, qui ne sont pas plus des chemins qui ne mènent nulle part que le Waldgänger n’est, stricto sensu, un rebelle. Jünger, qui élabora pendant l’offensive de 1918 des tactiques de progression (14), expérimente la méthode pour emprunter les Holzwege. On imagine que c’est de cela qu’ils s’entretinrent quand ils se rencontrèrent.
[«Dès l'abord, il y eut là quelque chose – non seulement de plus fort que le mot et la pensée, mais plus fort que la personne même. Simple comme un paysan, mais un paysan de conte qui peut à son gré se métamorphoser en gardien du trésor, dans la profonde forêt de sapins, il avait aussi quelque chose d'un trappeur.» (15) Ainsi Jünger décrit-il, en 1969, l’impression que lui fit Heidegger lors de la première visite qu’il lui rendit à Todtnauberg vingt ans plus tôt, en 1949. Toutefois, l’aurait-il entrevu déjà dans la figure de ce «Grand Forestier» qu’il mit en scène en 1938, dans Le Cœur aventureux ? «J’eus alors l’effrayante certitude que j’étais tombé, en dépit de tout, dans les filets du Grand Forestier. Je commençai à maudire ma sagacité et la témérité solitaires qui m’avait fait le captif de cette compagnie, car je comprenais trop tard que la subtilité de mes manœuvres n’avait servi qu’à rendre invisibles les fils dans lesquels il m’avait enveloppé. L’adepte, qu’il voulait faire disparaître, le gibier qu’il avait attiré par l’appât de la vipère bleue, c’était moi.» (16) Que ce bref conte fantastique anticipât de dix ans la montée à Todtnauberg ne fait qu’aiguiser l’intérêt d’une telle hypothèse : les deux hommes étaient entrés en relations épistolaires au début des années mille neuf cent trente.]
Survivre dans la forêt exige la furtivité du tigre – de progresser à contre-vent. Le Holzweg est une trouée que pratique le forestier pour se rendre sur les lieux de coupe. Le Waldgänger n’a, à proprement parler, rien à faire dans les parages. Si leur chemin viennent à se rejoindre, le second trouve un prétexte à sa propre présence. Mais il tomberait parfois sur plus retors que lui. Il y aurait des subtilités qui ne mènent nulle part.

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Mantrana. Einladung zu einem Spiel (17), 1958. Singulière invitation au jeu ! «Le Mantrana est un jeu de dominos à deux et à trois dimensions, joué avec des maximes qu’on appellera des “pierres”. […] Les pierres ont la forme de brèves maximes qui expriment une expérience ou une opinion. Elles comprennent en règle générale une phrase, et ne devraient pas aller au-delà de trois. Elles doivent être autonomes, compréhensibles et dépourvues de trait polémique. […] Elles doivent s’en tenir à des thèmes universels ; c’est dire que les références spécifiques sont exclues. Dès lors, les sciences spécialisées, les faits politiques, sociaux, historiques et psychologiques ne peuvent servir de thème. Mais il serait concevable que les ajouts ultérieurs s’étendent dans leur direction. Tout ce qui est mesurable doit par principe être écarté.»
Ernst Jünger tire de sa poche les règles d’un jeu qu’il pratique depuis quelques décennies déjà. Il y a un meneur de jeu, il y a des joueurs, mais aucune partie ne se dessine vraiment. «Quand les pierres sont en nombre suffisant, elles sont tirées de leur série élémentaire pour être assemblées. La manière de l’assemblage dépend de leur contenu et de leur densité. […] Si l’assemblage ne se fait pas, il reste une collection de sentences sur la vie et la mort, avec la valeur didactique qui s’attache à toute mise en forme concise d’un contenu vrai et important ou d’une expérience de la vie. Le joueur remarquera que cet effort l’éloigne de la contrainte des idées du moment, mais exerce surtout par lui-même une action bienfaisante.»
À la même époque, des escadrons d’universitaires s’efforcent de se concilier les bénéfices d’une thèse, soutenue en 1948, qui a pour titre Les Structures élémentaires de la parenté. Dans d’innombrables notations, qui émaillent les livres assemblés déjà dans ces années-là, Jünger avait produit de quoi dissuader plusieurs générations à venir : inutile qu’ils s’essoufflent aux basques du maître, qu’ils déclinent et qu’ils brodent, l’analyse structurale ne jetterait pas un surcroît de clarté sur les agencements secrets de la langue et de l’âme. Lui, Jünger, du fond de ses forêts, restera plus moderne qu’eux, jusqu’à son dernier souffle.
«L’obscurité devrait présager l’incommunicable, non l’incapacité à communiquer.» (18) Le dernier des «mantras» que pose Jünger sur le damier resserre à l’extrême toute une dialectique de la lumière, qui mériterait pour elle-même, au long de l’œuvre, un minutieux examen, tant elle est récurrente.


9


Le Traité du rebelle ouvre, en sa dernière séquence (19), sur un saisissant tableau des relations de l’homme et de sa langue : les conjonctions du Verbe [matière de l’esprit, précise Jünger] et du langage. Le pouvoir, qui s’exprime dans les réalisation humaines, « [suit] le poème » – ce qui signifie qu’il en épouse le cours. « La langue ne vit pas de ses lois propres ; sinon les grammairiens régiraient le monde. […] Le langage se tisse autour du silence, comme l’oasis s’ordonne autour d’une source. Et le poème confirme que l’homme a découvert l’entrée des jardins intemporels. Acte dont vit ensuite le temps. »
Comment imaginer vie plus écrite ?

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«Wilfingen, 17 mars 1996 – Le matin au jardin – une belle journée d’avant printemps. L’ellébore d’hiver fleurit tout autour de la tonnelle et sous le hêtre pourpre; le jasmin d’hiver est fané. Les crocus commencent tout juste à percer. Sur l’étang, deux cygnes, des foulques et de nombreux canards, les verdiers picorent le thuya. Hier soir, c’était la fête au Löwen (20) pour l’abattage du cochon – dans la nuit, rêves agités, entre autres en compagnie de Florence Gould (21). En face de moi, un noble élégamment vêtu; il ne faisait pas partie du rêve mais se trouvait concrètement dans la pièce. Peut-être ma lecture intensive de Dostoïevski me prédispose-t-elle à ce genre d’apparitions.» [Douze jours plus tard, Jünger aura cent un an, ces lignes sont les dernières du journal (22)].
Comment ne pas relever que l’homme du recours aux forêts confond si peu sa silhouette avec celle de l’homme des bois que, jusqu’en ses pages ultimes, il fait figure de dernier classique ?


***


L'auteur
Dominique Autié est éditeur.


Notes :
(1) Encore qu’un roman au moins, Le Problème d’Aladin (Aladins Problem, 1983), emprunte cette forme. L’énumération qui suit n’est évidemment pas exhaustive.
(2) Lors de la première occurrence, le titre allemand et son année d’édition suivra le titre français de l’ouvrage. Les références de l’édition française ne seront mentionnées qu’en cas de citation.
(3) Titre sous lequel Roger Caillois, en 1976, rassembla en un volume de la collection de poche Idées de Gallimard, trois de ses textes majeurs : Esthétique généralisée (1962), Au cœur du fantastique (1965) et La Dissymétrie (1973). Pour qui chemine avec Jünger, convoquer Caillois n’est pas fortuit, qu’il s’agisse, chez l’un et l’autre, d’observer et d’écrire la nature – les coléoptères, les minéraux… – ou de tracer ses propres diagonales, ses chemins de traverse dans l’approche des jeux de l’ivresse, de mettre à la question les protocoles de l’imaginaire, l’esprit refuse d’obtempérer devant l’évidence que d’autres auraient érigée avant eux en théorème.
(4) Maeght, 1990. Nouvelle édition, Gallimard, collection Folio, 1997.
(5) Essai sur l’homme et le temps, Christian Bourgois, 1970, pp. 145 et sq.
(6) Traduit par Henri Plard, La Table ronde, 1978.
(7) L’appellation est de Maurice G. Dantec.
(8) Friedrich Georg Jünger, (1898-1977), frère cadet d’Ernst (1895-1998). Ils furent affectés dans le même régiment durant la Première Guerre mondiale – Ernst sauva la vie à Friedrich Georg durant la bataille de Langemark, en juillet 1917 ; ils participèrent ensemble au mouvement du national-bolchévisme qui, dans l’entre-deux-guerres, proposait une alternative à ceux qui refusaient à la fois le communisme et le national-socialisme. Les Jünger se lièrent avec Ernst Niekish (1889-1967), qui joua un rôle déterminant dans l’établissement des bases théoriques de cette mouvance. Ernst et Friedrich Georg Jünger écrivirent jusqu’en 1933 dans la revue du mouvement, Widerstand [opposition, résistance], que les nazis interdiront l’année suivante.
(9) Traduit de l’allemand par Yves de Chateaubriant, La Table ronde, 1952, p. 7.
(10) Les Ombres errantes, Grasset, 2002, p. 58.
(11) Traduit par Henri Thomas, Gallimard, 1942, pp. 166-169.
(12) Julien Hervier, Entretiens avec Ernst Jünger, Gallimard, coll. Arcades, 1986, pp. 24-25.
(13) Antonio Gnoli et Franco Volpi, Les prochains Titans [trois conversations avec Ernst Jünger], traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Grasset, 1998, p. 18.
(14) Julien Hervier, op. cit., p. 24.
(15) Ernst Jünger, Rivarol et autres essais, traduit de l’allemand par Jeanne Nuajac et Louis Èze, Grasset, 1974, p. 130.
(16) Op. cit., p. 64. Le Grand Forestier est la figure (au sens jüngerien) de Sur les falaises de marbre, roman qui paraît en Allemagne en 1939, un an après la seconde version (1938) du Cœur aventureux, dans laquelle figure le passage cité ici. Le bref récit fantastique de 1938 semble donc écrit en marge du projet des Falaises… Bout d’essai ? Esquisse abandonnée pour le roman mais recyclée dans Le Cœur aventureux ? Seul un spécialiste de l’œuvre pourrait nous éclairer. Il me semble toutefois que cette première apparition du Grand Forestier est bien moins brutale que la figure du roman – qui stigmatise Hitler, les critiques s’accordent sur ce point, même si Jünger a louvoyé ensuite à propos de l’allégorie, refusant avec panache les perches qu’on lui tendait pour mieux le dédouaner de tout soupçon (mais Jünger a quelques principes : ne pas se commettre, même pour montrer patte blanche !). Mon hypothèse, mezza voce : le Grand Forestier ne serait pas une métaphore à usage unique : dans la saynète du Cœur aventureux de 1938, construite comme l’un des innombrables rêves dont l’œuvre de Jünger est semée, on ne songe pas à Hitler; c’est plus subtil, d’ailleurs Jünger dit lui-même que, face au Grand Forestier, il a lui-même cherché à jouer au plus fin; le Grand Forestier, ici, n’est pas encore passé à l’acte; c’est la «très vieille femme», apparue à la fin du récit, qui prévient le narrateur : il ne paie rien pour attendre, lui qui est imprudemment tombé dans les pièges tendus par le Grand Forestier.
(17) Mantrana, traduit de l’allemand par Pierre Morel, La Délirante, 1984.
(18) Mantrana, op. cit., p. 43.
(19) Op. cit., pp. 143-145.
(20) L’auberge du Lion à Wilflingen [note du traducteur].
(21) Mécène de nationalité américaine, Florence Gould (1895-1983) s’installa en France dès 1906 et tint un salon fréquenté par le Tout-Paris littéraire, qu’elle maintint durant l’Occupation, y recevant notamment Ernst Jünger.
(22) Soixante-dix s’efface, V – Journal 1991-1996 (Siebzig verweht V, 1997), traduit par Julien Hervier, Gallimard, coll. Du monde entier, 2004, p. 240.

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