Georges Bernanos selon Monique Gosselin-Noat : devenir «militant de l'éternel» en quatre leçons (13/04/2007)

Crédits photographiques : Staff Sgt. Richard Williams (AP Photo / US Air Force).
«En écrivant, il [Bernanos] parvient à préciser la raison pour laquelle il a quitté son pays. Ce serait un moyen de se libérer du sentiment d'un étau dans lequel la France est prise [...].»
Monique Gosselin-Noat à propos de Georges Bernanos. Exemple caractéristique de sabir médiatico-universitaire (je souligne).


J'ai déjà évoqué le très lamentable souvenir que m'a laissé Monique Gosselin (c'était alors son patronyme) qui fut, comme je l'ai rappelé, mon aussi nulle qu'éphémère directrice de thèse. J'ai bien sûr tenté, vous pouvez me croire, de ne point trop garder à l'esprit ce souvenir catastrophique (voire : de l'effacer, ce qui a peut-être provoqué l'effet inverse de celui que je souhaitais, quelle malchance) alors que je lisais son dernier petit ouvrage (récemment publié par Michalon dans la collection Le bien commun), une étude consacrée à Bernanos, surnommé, un peu trop facilement, Militant de l'éternel par un sous-titre qui, je crois, ne veut strictement rien dire. A-t-on donc eu peur à ce point, chez Michalon, d'écrire le mot Dieu en couverture ? Apparemment oui...
Lisant donc ce mince essai, je me suis brusquement souvenu de la très pénible impression que j'avais gardée de ma lecture de la thèse de Gosselin-Noat, consacrée à Georges Bernanos. Enfin, lorsque j'affirme que cette thèse brouillonne est consacrée à Bernanos, je vais un peu vite en besogne puisque, noyée parmi une bonne centaine d'autres auteurs, petits et grands, l'évocation de la figure du Grand d'Espagne a dû probablement signifier, pour notre éminent professeur spécialiste de tous les écrivains du XXe siècle, le fait de tenter d'enfermer dans sa thèse non seulement les textes du romancier mais aussi ceux de tous les auteurs qu'il avait lus, pas lus, aimés ou détestés, connus, pas connus, etc.
Références normales me dira-t-on dans ce type de recherche qui se veut exhaustif. Sans doute, mais pourquoi évoquer chaque brin d'herbe de la demeure où vécut, enfant, Bernanos, et ne pas dédaigner s'attarder sur la couleur suspecte de sa première couche ? Et chacune des tuiles de cette maison d'enfance, dont il ne reste aujourd'hui plus que quelques mètres carrés ? Et chacune des pipes fumées par le grand-père paternel, et la volute de fumée la plus éthérée, se perdant, à la brune, lors d'un mois d'août sorti de toutes les mémoires (sauf de celle de Monique Gosselin-Noat qui elle aussi a plus de souvenirs que si elle avait vécu mille ans ) ? Et, en prime, pourquoi évoquer l'ascendance de Bernanos dont la généalogie fantaisiste (prétendument ibérique) a été reconstituée, patiemment, jusqu'au biblique Nemrod, fils de Koush, lui-même premier-né de Cham, fils de Noé ? Une chance, n'est-ce pas, que les archives précédant l'époque du fier navigateur aient été englouties par les eaux du déluge, car, sans cela, Monique la hardie eût demandé son registre à Dieu le Père...
Et que dire du style si platement érudit dans lequel cette tour de Babel de pseudo-savoir universitaire a été édifiée, à grand renfort d'étais et sans trop prendre garde aux immenses pièces rapportées qui donnaient à la construction un aspect pour le moins peu architectural, comme si ces plus de mille pages de recherche avaient été rédigées dans quelque savant sabir annonçant la toute proche confusion des langues ?
Évoquant les écrits de Bernanos, c'est donc presque toute l'histoire de la spiritualité française telle qu'elle s'était lentement déposée dans des milliers de livres que Monique Gosselin-Noat a jugé bon de passer en revue. Quel fut le résultat d'un travail aussi colossal ? Il tenait en bien peu de mots finalement : pour évoquer le surnaturel, Georges Bernanos, grand lecteur de Balzac et, quoi qu'il en dise, de Zola puis de Huysmans, usait d'un vocabulaire éminemment naturaliste.
Est-ce bien tout ? Quoi, mais comment ? Ne trouvez-vous pas que c'est déjà une souris suffisamment dodue que cet Himalaya de science exégétique a expulsée ?
C'était donc la thèse fameuse, déclinée ensuite en un bon millier d'articles évoquant à peu près tous les auteurs qui se sont un jour, une heure ou une seule seconde avisés de tenir une plume. Chacun de ces articles renvoyant lui-même à d'autres, j'ai un instant pensé que la maternité du terme hyperlien revenait à notre chère professeur... Dans son Bernanos, fidèle à son borgésien tropisme, Monique Gosselin-Noat aura-t-elle eu ainsi tout loisir, pendant une grosse centaine de pages, de citer à peu près l'ensemble de ses travaux universitaires, pléthoriques, ce qui n'est déjà point un mince exploit.
Cessons à présent de moquer le lourd travail accompli par cette éminence de la recherche bernanosienne pour concentrer notre attention sur sa dernière production. Nous allons voir que, si la thèse centrifuge de Monique Gosselin péchait par sa ridicule prétention à vouloir englober, comme le livre de sable de Borges, l'univers entier, son Bernanos light, pour sa part, semble avoir été rédigé pour un public qu'il convient de ne surtout point heurter, tout en faisant de l'écrivain une espèce de papy point trop désagréablement ronchon, un «insurgé traditionaliste» écrira notre professeur (p. 122), autant dire un amateur de grand écart.
Deux graves défauts, que ne rachète point une conclusion bien trop consensuelle, entachent donc cet essai. En premier lieu, il n'évoque que la seule dimension politique des textes bernanosiens, les romans n'étant convoqués à la barre de l'histoire qu'en guise d'illustration, afin de remédier, nous dit Monique Gosselin-Noat, par le recours à «toute une poétique», à la «tragique insuffisance du langage» (Id.). Je veux bien que la collection même dans laquelle ce livre a été publié exige cette orientation politique mais d'autres auteurs, nous le verrons prochainement, se sont tout de même acquittés de l'exercice avec bien plus de brio que ne l'a fait Gosselin-Noat. Ensuite, à peu près n'importe quel lecteur je crois, y compris s'il n'est pas un grand amateur de Bernanos, aura compris que l'intention première de notre auteur a été, presque constamment, de faire du romancier une espèce sympathique de visionnaire qui avait tout prédit, les grands thèmes du futur qui est désormais notre passé ou notre présent (l'enfer concentrationnaire, la Machine chère à Günther Anders, la médiacratie), mais aussi les petits sujets tellement prisés par les journalistes, ces brèves dites sociétales, comme le sort des SDF, le malaise de l'homme moderne, d'où, je suis cette fois bien d'accord avec son ridicule sous-titre, l'aspect militant de notre livre.
Que Bernanos puisse être considéré comme une sorte de prophète éructant dans un monde sans Dieu, je ne vois là rien à redire. C'est ce qu'il est et certains de ses tout derniers écrits de combat paraissent avoir été écrits non pas hier mais demain. C'est bien la raison pour laquelle ses cris de colère, d'alarme ou de franc désespoir ne sont pas prêts d'être étouffés. Qu'il soit en revanche considéré comme le porte-drapeau des conflits sociaux les plus divers gangrenant notre pays, il y a là tout de même un pas que je ne saurais franchir, à moins de ne pas craindre de me couvrir de ridicule. Monique Gosselin-Noat, elle, paraît se moquer du ridicule, dans lequel elle sombre toutefois un peu trop souvent, lorsqu'elle n'hésite pas à parsemer d'incroyables niaiseries son texte: ainsi Bernanos sera tout à la fois «intransigeant mais ouvert au dialogue». N'avons-nous pas entendu, ces derniers temps, un bon millier de fois de semblables sentences creuses, dans la bouche d'élus, de syndicalistes et bien sûr de journalistes ?
Et puis, quelle affreuse écriture universitaire, à la diable composée d'un rapide collage de phrases-types, censées, je le suppose, rendre plus moderne ce vieux jobard qu'est Bernanos, pourtant admirable styliste, aux yeux des petits étudiants de Gosselin-Noat. Cette fort louable attention provoque une débandade stylistique pour le moins comique lorsque nous lisons (p. 51), sans bien savoir si l'auteur a relu son manuscrit : «À vrai dire, dans la bouche de l'agnostique, on entend surtout la voix de Bernanos, presque «ventriloque» comme l'écrit Jacques Chabot, prendre un ton de sermonnaire en s'adressant dans la notice de la Pléiade à ses «chers frères» pour les interpeller véhémentement [...].» Je suis ainsi absolument ravi d'apprendre que l'imprécateur Bernanos a gueulé contre toutes les hypocrisies de son époque depuis la chaire de papier d'un volume de la Pléiade ! Je le suis encore de savoir que notre illustre professeur délivre un satisfecit (p. 88) parfaitement grotesque à Georges Bernanos lorsqu'elle écrit, pitoyablement, qu'«il puise dans une rhétorique de la conviction ces paroles [un passage de la Lettre aux Anglais] qui sonnent très justes [...].» Une dernière perle tout de même, pêchée dans cette flache universitaire manquant d'oxygène (p. 56) : nous apprenons ainsi que Bernanos a placé en «clausule pour clore son brillant final» une phrase empruntée à Saint-Exupéry. Fort bien : il ne pouvait que fermer hermétiquement son texte avec autant de verrous, n'est-ce pas ?
Autre exemple (p. 50) d'une écriture frisant le ridicule tant elle se contente d'enchaîner de fort banales considérations enveloppées dans un style digne d'une mauvaise copie de classe de Terminale : «Et là, il retrouve l'accent des prophètes bibliques, comme chaque fois que résonnent en lui les paroles testamentaires dont il se fait l'écho et dont il semble vouloir se faire le porte-voix, mais qu'il traduit aussi en langage plus familier. Il manie tour à tour le fouet de la satire, l'ironie ravageuse du pamphlétaire et la rhétorique du sermonnaire, ce qui rend son texte extraordinairement vivant et bien sûr très moderne.»
Ouf, nous voici absolument rassurés, puisque Bernanos, devenu subitement imparablement moderne, ne pourra plus être taxé de passéisme par les grincheux. Quelle bonne idée tout de même, cette volonté de traduire pour l'esprit de Raoul, en utilisant un langage compris de tous (autant le dire : le niveau zéro de l'écriture) les éructations d'un Isaïe...
Au moins, Monique Gosselin-Noat est fort lucide lorsqu'elle écrit, avec une pointe d'auto-dérision probablement involontaire, que Georges Bernanos n'aimait pas les professeurs, surtout celles et ceux qui écrivent de piètres livres de surcroît absolument inutiles.
Je me demande vraiment pourquoi, d'ailleurs, Bernanos a été à ce point outrecuidant et délicieusement méchant à l'égard de semblables mauvais phraseurs, cuistres d'université et peignes-culs pour notule de bas de page.
Non, je sais pourquoi, à vrai dire.

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