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Les Identités remarquables de Sébastien Lapaque


Le cauchemar, dans le roman de Lapaque, n'est absolument pas celui de la mort du héros, annoncée d'ailleurs dès les toutes premières lignes, par pur jeu s'amusant de la trop fameuse Chronique d'une mort annoncée, par un narrateur qui, étrangement, rudoie son personnage en le tutoyant (1). Cette mort finalement sera déjouée par l'intrusion d'un comique deus ex machina et une ruse narrative maladroite puisqu'elle appuie un message en forme de chute un peu trop facile : le narrateur se venge de son personnage en montrant que lui seul est maître de son récit, tout comme, probablement, il fait un pied-de nez sans grandes conséquences métaphysiques à ses lecteurs.
Nous avions bien compris, en effet, que Laroque n'était pas simplement une coquille vide, un écrivain sans textes, un héros sans faits d'armes, un chevalier sans dame à conquérir, mais bel et bien l'écrivain ou plutôt, l'une des facettes de ce dernier, comme le personnage principal, dont nous ne connaîtrons les prénom et nom qu'à la fin du livre, est une autre facette, peut-être la principale d'ailleurs, de la personnalité du romancier, à moins qu'il ne faille subtiliser inutilement les choses en écrivant, à la place de romancier, le terme narrateur. Éloignons-nous vite des rives encombrées de la psychologie de comptoir, surtout lorsqu'elle est appliquée à la lecture d'un roman, cet esquif qui ne supporte que fort malaisément les encalminages en mares des Sargasses psychanalytiques.
Ce cauchemar n'est pas non plus celui, à peine deviné, qui a servi de toile de fond au passé, pour le moins trouble, des parents de nos protagonistes. Ceux-ci ont eu beau cacher leurs secrets, n'en léguant que quelques bribes à leurs enfants nantis et vides, le tragique a refusé de se nicher dans les surplis de leurs robes de chambre impeccables. Même la mort, cruelle et insignifiante, des parents du héros que Lapaque interpelle sans cesse sans le moindre ménagement (il réserve sa tendresse à Caroline, la délicieuse marchande de jouets), n'est pas digne d'orner la rubrique des faits divers. Il n'y a même pas, dans ces subtiles arabesques qui bien évidemment convoquent le génie propre aux romans policiers dont l'auteur est friand, l'ombre d'un mauvais rêve que, grand lecteur de Bernanos, Sébastien Lapaque ne peut ignorer.
Le maléfice que convoque l'écrivain tient bien davantage dans la nullité confortable de la vie du protagoniste, Folantin plein d'esprit, aimé d'une belle jeune femme comme il y en a tant dans les villes de province (à Paris aussi, mais il faut les chercher avec plus de patience), fidèlement suivi par l'étrange et coruscant Laroque, professeur de philosophie qui s'invente une vie remplie d'actes d'héroïsme. Dans une époque sans sève contre laquelle, récemment, Lapaque décocha quelques flèches en visant la politique plus que la personne de Nicolas Sarkozy (Il faut qu'il parte, Stock, 2008), le diable ne peut plus se nicher dans le meurtre, fût-il prémédité depuis de longues années de sacrifices et de haine, mûrissant dans les cervelles recluses de deux enfants du siècle, c'est-à-dire seuls. Il ne se love même pas dans l'inattention coupable qui éloigne les personnages les uns des autres : chacun, sauf peut-être Laroque, n'est que ce que l'époque qui l'a vu grandir a fait de lui, un égoïste, un hédoniste qui ne sait rien retenir, pas même l'amour d'une femme belle et intelligente, cependant pas exceptionnelle comme le sont les héroïnes de roman.
Les identités remarquables n'en sont donc point, sauf si nous admettons que Lapaque, moins mathématicien que bon lecteur, poursuit le travail de radiographie implacable que le grand Léon Bloy avait génialement mené dans ses truculentes Histoires désobligeantes : ce serait donc en creux, comme déformée, qu'il faudrait parvenir à lire voire déchiffrer la grandeur de ces personnages par excellence antiromanesques, qu'ils soient coquille vide trentenaire, dandy à la petite semaine, midinette romantique ou jeune femme fatalement marquée par le sceau de la haine et la volonté de se venger.
Un critique littéraire pressé (tous le sont) conclurait sans doute, dans un éclair fugace d'à-propos, que la fin seule de ce petit roman intelligent semble constituer l'unique réponse de l'auteur à l'avachissement généralisé. Demeurent tout de même, dans cette société qui dégouline comme de l'époisses, les prestiges de la littérature, d'une intrigue rondement menée, qui sauve la vie du personnage principal et la dignité romanesque ?
Non, bien sûr que non, puisque l'effondrement est général, y compris celui qui guette le narrateur-écrivain, semble nous suggérer Sébastien Lapaque qui nous donne, avec ces Identités remarquables, une histoire que n'aurait probablement point désavouée Hermann Broch écrivant dans Le Tentateur (2) : «J’ai l’impression que l’amorphie de l’existence et de son langage a déjà acquis une telle prépondérance qu’elle a contraint les hommes, en une certaine mesure, à la vouloir contre leur volonté, à la vouloir par dégoût.»
Notes
(1) Une étude serait à mener sur l'usage des formes dialogiques dans les livres de Sébastien Lapaque, qui n'est jamais plus convaincant que lorsqu'il interpelle directement ses personnages ou ses lecteurs, comme il l'avait fait, sous forme de lettres adressées au Grand d'Espagne, dans la toute première version de son Georges Bernanos encore une fois, à l'époque où Olivier Véron, qui édita ce livre, m'en avait fait lire le tapuscrit.
(2) Hermann Broch, Le Tentateur (Gallimard, 1991), p. 10.
17/02/2010 | Lien permanent
Georges Bernanos à l'honneur : Grimpret, Lapaque, Bégaudeau, Crépu, Debluë, etc.
Journal du dernier curé de campagne de Matthieu Grimpret (Le Cerf).
Tel contradicteur pourrait avancer le fait que l'évocation du dernier curé de France, dans un pays point si totalement éloigné du nôtre, ne peut qu'être peinte par le biais d'un langage qui lui-même semble avoir baissé les bras ou rendu les armes, mais nous avons bien des fois entendu cette remarque à propos, par exemple, des textes de Michel Houellebecq, et elle nous semble plus que commode tout de même pour justifier bien des faiblesses. Peut-être, d'ailleurs, l'évocation de Houellebecq ne nous semble point complètement fortuite puisque Grimpret, comme l'auteur de plus en plus convenu et répétitif Soumission, ne dédaigne pas, à petite touches assez finement posées, de s'aventurer dans le récit d'une proche anticipation qui tiendrait compte de ce qu'il est désormais convenu d'appeler les évolutions sociétales de la France, ou, de plus en plus, de l'Occident plus largement. Mais, dans ce cas, le paysage que campe Matthieu Grimpret nous semble bien trop impressionniste ce qui, ajouté aux remarques précédentes, contribue à former une vue pour le moins hâtive, trouble, peu convaincante, d'un pays gagné par le «déclin de l’Église» qui lui-même ne peut que faire émerger selon l'auteur une «obsession identitaire» (p. 26).
Bien que nous ne sachions guère si le texte de Matthieu Grimpret a été élimé par son éditeur pour passer sous les fourches caudines pour le moins sévères qui constituent désormais la politique principalement commerciale, publicitaire même avec quelques productions journalistiques sans pesanteur ni écriture comme celles d'Eugénie Bastié ou d'Alexandre Devecchio, des éditions du Cerf, nous ne pouvons que constater que jamais il ne parvient à la densité toute simple du modèle dont il se revendique ouvertement et transpose quelques épisodes, sans que, là encore, le décalque nous paraisse très inspiré. Tout est superficiel, journalistique mais d'un journalisme tout de même contraint, qui aurait préféré ne pas devoir se soumettre à des impératifs peut-être fictifs dans le cas qui nous occupe mais qui, s'ils ont été de mise, ont châtré un texte : c'est comme si on avait demandé à Matthieu Grimpret d'adopter le style d'un des plumitifs précédemment cités. Rien n'est creusé, tout semble avoir été laissé en plan, au bord du vide, comme si Matthieu Grimpret ne croyait pas lui-même à l'histoire de son dernier curé, comme si, lui-même, s'était montré incapable de suivre la devise militaire que lui expose tel personnage, directeur spirituel de notre dernier curé, «Croche et tient» (p. 16), qu'il s'agisse de la vision ultime d'une jeune femme anorexique, Édith, qui s'est suicidée, d'une rencontre avec Franck devenu pasteur, de la dernière rencontre avec le fils d’Éléonore de B., Alexandre, jeune homme ouvertement homosexuel, ou bien encore de l'entrevue de notre curé avec Monseigneur Jacques ou encore le Père Charles. Que faire de toutes ces scènes qu'aucune consistance temporelle, existentielle, ontologique réelle, profonde fût-elle désespérée comme dans l'histoire de Bernanos, non seulement ne nous permet de prendre vraiment au sérieux, mais qui elles-mêmes ne fonctionnent guère du strict point de vue de l'économie interne, pour ainsi dire, de ce roman ? Rien, si ce n'est rêver d'un texte autrement plus ambitieux qui illustrerait cette belle et juste remarque de l'auteur : «Si Jésus, selon les mots de l’Évangile, est toujours au milieu de ceux qui se réunissent en son nom, même s'ils ne sont que deux ou trois, l'inverse n'est pas vrai. Il n'existe pas de chrétienté sans Christ; mais il peut exister un Christ sans chrétienté...» (p. 168). Matthieu Grimpret semble avoir été influencé, dans ce roman, par Monsieur Ouine qui, après tout, contamine par sa langue pourrie les cervelles d'une paroisse morte, mais son texte ne possède absolument pas la densité de celui de Bernanos : dans le dernier roman de ce dernier, les trous et les ellipses paraissent tout grouillants de mille créatures, alors que tous et ellipses, dans le roman de Grimpret, nous laissent dubitatifs.
Le plan géopolitique censé structurer l'histoire n'est pas davantage élaboré car Matthieu Grimpret ne creuse pas suffisamment, pour conférer une réelle consistance au monde très prochainement futur qu'il dépeint, les différentes évolutions qu'il évoque comme la disparition de l’État d'Israël (cf. p. 37), la réaffectation systématique des églises où plus personne ne se rend de toute manière, le plus souvent achetées par des néo-protestants nord-américains, ou encore l'essor, du reste déjà bien réel à notre propre époque, des mouvements pentecôtistes.
Dernier curé de France, nous ne sommes pas très étonnés que le personnage imaginé par Matthieu Grimpret paraisse se dissoudre sans le plus petit éclat, fatigué d'assister moins à la fin d'un monde qu'à la possibilité de «recommencer le monde» (p. 108), puis qu'il part sur une île, afin d'oublier «cette maîtresse intérieure, cette femme odieuse qui [lui] intime de garder constamment braquée, sur la moindre de [ses] pensées, le moindre de [ses] actes, la lumière du prétendu mystère dévoilé pour [lui] !» (p. 234), et pouvoir ainsi contempler quelque improbable dernière lumière qu'on aura oublié, sur la côte, d'éteindre. Finalement, le mot de la fin revient encore au modèle colossal, sans doute bien trop impressionnant, Georges Bernanos, qui aura célébré, selon Armel Guerne dans Le Verbe nu, avec le texte qui à mon sens constitue le véritable modèle, bien que non nommé et innommable, du roman de Matthieu Grimpret, autrement dit «avec Monsieur Ouine le service funèbre de la Chrétienté tout entière».
Sous le soleil de Satan, préface de Michel Crépu, édition de Pierre Gille (Gallimard, coll. Folio).
Demeurent, tout de même, dans cette préface qui ne marquera heureusement pas les esprits, y compris les plus acquis aux facilités de Michel Crépu, clone à prétentions romanesques d'un François Angelier si l'on veut, quelques aperçus justes, car l'homme n'est pas un sot et c'est ce qui rend d'ailleurs son cas affreusement banal si sordidement triste, lorsque par exemple il affirme que «l'enjeu romanesque a toujours quelque chose de catholique parce qu'il est en lui-même un enjeu de rédemption, de salut» (p. 14, l'auteur souligne), ou bien lorsqu'il rappelle que Donissan tout comme Mouchette sont des incarnations du «concret du monde où tout est sale» (p. 15), personnages qui tous deux habitent «bel et bien chez Dostoïevski et non chez Thomas d'Aquin» (p. 437) ou enfin lorsqu'il évoque un livre hélas, en effet, «oublié des bibliographies», «l'admirable Portrait de M. Pouget par Jean Guitton» (p. 17) que nous n'avons pas lu, mais que nous ajouterons à notre pile menaçant de s'écrouler de livres à lire, même s'ils nous auront été conseillés, comme c'est ici le cas, par un lecteur dont chaque lecture le plus souvent gros d'un commentaire ironique aura représenté une ligne ajoutée à son curriculum vitae. D'ici quelques années que nous lui souhaitons bien sûr longues, Michel Crépu sera parvenu à ricaner sur des dizaines d'écrivains et, au moment de mourir, peut-être que son ultime raillerie ne sera point tout à fait suffisante pour masquer complètement le vide qu'aura été son magistère.
Sous le soleil de Satan, présentation par Maud Schmitt (Flammarion, coll. GF).
La suite de cette présentation se concentre, donc, sur la composition du premier roman, curieusement qualifié d'embryonnaire ou d'inabouti, de Bernanos, Maud Schmitt laissant aux spécialistes, il en existe bien sûr y compris sur de telles passionnantes questions, le soin de se lancer des virgules à la tête pour déterminer qui de Jacques Maritain ou de Robert Vallery-Radot a le plus souhaité raboter les innombrables aspérités du manuscrit, puis notre commentatrice évoque la rencontre de Donissan avec le maquignon qui n'est autre que le diable, mais je crains qu'elle ne se soit guère avancée dans l'étude du phénomène de subtilisation de la figure démoniaque, au sein même de ce premier roman pourtant présenté comme un peu trop simpliste, ne serait-ce que par nombre de ses références littéraires directes ou indirectes.
J'ai tenté de montrer, dans une étude que cite pourtant Maud Schmitt dans sa bibliographie que, dès Sous le soleil de Satan, la figure du démon, mais aussi la figuration du démoniaque, étaient beaucoup plus complexes qu'on ne l'avait dit (voir La figure de Satan dans Archives Bernanos 11, Lettres Modernes Minard, Caen, 2008, pp. 5-61) en se contentant de nous expliquer, sur les brisées des travaux de Max Milner, tout ce que le personnage du maquignon jovial devait au romantisme. Répéter cela, nous bassiner pour la millième fois sur la présence, en effet surprenante, de Paul-Jean Toulet dès la première page du roman, sans s'aviser, comme je l'ai montré, que l'histoire de Mouchette présentait quelques ressemblances troublantes avec La jeune fille verte dudit poète mais aussi avec Le Grand Dieu Pan de Machen que Toulet traduisit en français, c'est ne même pas parvenir à remplir correctement le rôle d'un universitaire qui est, je crois, pardonnez-moi ce gros mot, d'être un chercheur, autrement dit de présenter des hypothèses de lecture. Ces hypothèses, j'en ai présenté plusieurs, dont celle, donc, concernant une influence plus ou moins indirecte de Machen sur Bernanos, car il faut cesser de croire que Georges Bernanos, contrairement à une légende qu'il a sans doute lui-même contribué à forger, était un lecteur fort occasionnel.
Quelques répétitions malencontreuses de termes et de tournures (ainsi de «non seulement» répété deux fois à quelques lignes d'écart, p. 35), un peu de jargon universitaire à coup d'heuristique et de diégétisme (1) ne sauraient toutefois gâcher l'intérêt, bien réel, de cette présentation sobre et efficace de Maud Schmitt qui a raison d'insister sur la puissance essentiellement romanesque de Georges Bernanos qui réussit, «même dans les scènes apparemment les plus banales, les plus insignifiantes», à nous faire entrevoir «une étrangeté, une difficulté qui stimulent l'esprit en même temps qu'elles l'agacent" (p. 37). Reprochons tout de même à notre assez bonne exégète de s'accommoder de bien peu, au final (Crépu, lui, le sait, en bon journaliste : il faut soigner accroche et chute), car il me semble que les romans de Bernanos ne s'adressent pas seulement «à n'importe quel lecteur qui, indépendamment de tout catéchisme et de toute confession, et dans le contexte moderne d'une crise du sens, ne se satisfait guère de la fausse évidence des apparences» (p. 38), mais sondent comme nulle autre œuvre romanesque, du moins en France, les reins et les cœurs des hommes creux que nous sommes, croyants ou pas, jeunes ou moins jeunes, sachant tout ou ne sachant rien des jeux de la grâce, et du Mal qui rôde comme un lion cherchant qui dévorer.
Note
(1) Vocabulaire de petit singe savant qui nous permet d'ironiser sur la déclaration que m'a faite la patronne de la collection GF, Clémence Simonian, m'assurant que le ton d’une édition GF était universitaire et académique, et qu'il visait en conséquence le grand public cultivé mais non spécialiste !
Journal d'un curé de campagne, présentation de Karine Robinot-Serveau (Flammarion, coll. GF).
07/02/2019 | Lien permanent
Georges Bernanos dans la Zone



















Études comparées










Études spécifiquement consacrées aux ouvrages de Georges Bernanos.


Le septième sceau de Sous le soleil de Satan.







12/02/2009 | Lien permanent | Commentaires (7)
Georges Bernanos en quarantaine
10/03/2004 | Lien permanent
Georges Bernanos pas vraiment surpris par la nuit
Ma modeste contribution à la pratique taxidermiste ne peut cependant, en aucun cas, me préserver du véritable dégoût que j'éprouve, souvent, à lire certains auteurs, dont les cadavres encore puants semblent avoir été maquillés de frais pour parader sous les néons des plateaux de télévision. Un seul ouvrage d'eux m'a parfois suffi pour me décider à les abandonner à leur sort et je ne les ai plus jamais relus, sans doute pour de mauvaises raisons invinciblement mélangées avec de meilleures. La lecture, après tout, de même que la critique, ne sont-elles pas toutes deux des sciences inexactes et profondément partiales, n'en déplaise aux laborieux inventeurs de grilles et des schémas qui, avec leurs petits meccanos, ne cherchent qu'à se rassurer devant l'inconnu ?
Mais le temps presse, chaque seconde qui passe me rapproche un peu plus de l'heure où, devenu imbécile, ignorant, homme ancien devant les choses muettes, je ne me souviendrai peut-être même plus de mon propre nom. Il est temps de me remettre en route, porque, aunque no haya caminos, tengo que caminar. Il me faut donc, coûte que coûte, trouver la clé de l'énigme, magiquement éparpillée dans les livres innombrables qui sont comme autant de grains de sable composant la plage immense de la littérature, autant de lettres formant la longue phrase imprononçable s'enfonçant dans les ténèbres qu'évoqua William Faulkner dans Pylône.
Georges Bernanos en est un des mots les plus énigmatiques, un auteur que je ne cesse de relire, qui, même lorsque ses livres sont refermés, semble rugir dans mon crâne ou bien y chuchoter d'une voix admirable et fragile, tant ses fulgurances paraissent avoir décrit notre monde, et surtout celui qui vient, de prémonitoire et radicale façon. Contrairement à l'image sotte que les milieux catholiques et les dévots universitaires, hélas, ont donné de ses romans, ceux-ci ne peuvent se réduire à quelques romantiques chromos évoquant des curés d'un autre âge aux prises avec le Boiteux vagabondant sur les terres dévastées par les batailles de la Première Guerre et la rapine universelle. Il y a, fort heureusement pour Bernanos et pour nous, beaucoup plus, comme je tente de le montrer dans mes propres travaux.
Je l'ai répété à Matthieu Bénézet durant une émission consacrée tout entière au romancier (Surpris par la nuit sur les ondes de France Culture*) est un auteur qui reste devant nous, dont les questions angoissées sont plus que jamais les nôtres, l'un des rares romanciers à avoir sans doute pris la mesure colossale, comme Nietzsche l'exigeait, des conséquences inouïes entraînées par la mort de Dieu.
Carl Schmitt, dans une phrase ô combien célèbre de sa Théologie politique de 1922, a pu écrire que tous «les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État [étaient] des concepts théologiques sécularisés» (1). Les textes de Bernanos, qu'il s'agisse des romans (et, singulièrement, du dernier d'entre eux, Monsieur Ouine) ou des écrits polémiques, ne font rien d'autre que de tenter de sonder cette modernité grosse d'idées chrétiennes devenues, selon le mot de Chesterton dans Orthodoxie, folles. On cite cependant moins souvent ces autres lignes de Schmitt écrites dans sa postface à l'édition de son livre datant de 1969 où il répond à Hans Blumemberg : «L’homme nouveau qui se produit lui-même dans ce processus n’est pas un nouvel Adam, ni d’ailleurs un nouveau pré-adamite et encore moins un nouveau Christ-Adam, mais à chaque fois le produit non préstructuré du procès-progrès qu’il a lui-même mis en route et qu’il maintient en état de fonctionnement.
[...]
L’homme nouveau est agressif dans le sens d’un progrès ininterrompu et d’incessantes nouveautés posées dans l’existence; il récuse la notion d’ennemi et toute sécularisation ou transposition d’anciennes représentations de l’ennemi; il dépasse le suranné grâce au neuf tiré de la science, de la technique, de l’industrie; l’ancien n’est pas l’ennemi du neuf; l’ancien se dissout lui-même et de lui-même dans le procès-progrès scientifique, technique, industriel, qui ou bien met en valeur l’ancien – à l’aune des nouvelles mises en valeur possibles –, ou bien l’anéantit comme de la non-valeur qui le gêne» (2).
Sommes-nous alors à ce point aveugles, ou bien dotés d'une mémoire labile, que nous n'avons lu le même avertissement sous la plume de Bernanos, par exemple dans une préface abandonnée au Chemin de la Croix-des-âmes paru en 1948 : «C'est très joli de dire que la conception marxiste de l'Histoire est fausse. Elle est de moins en moins fausse à mesure que les hommes se déspiritualisent davantage, c'est-à-dire réussissent de mieux en mieux à se donner l'illusion qu'ils peuvent se passer de Dieu, tentative évidemment chimérique, mais que les immenses ressources de la Technique permettront de pousser très loin, beaucoup plus loin, terriblement plus loin que ne l'imaginent de pauvres prêtres imbéciles, ou des cardinaux roublards. La déspiritualisation de l'homme, en effet, ne restera pas longtemps un problème d'éducation ou de propagande: elle peut devenir très vite, elle est sans doute déjà devenue, un problème de biologie […].» (3) ?
Avons-nous encore oublié cet avertissement encore plus ancien (puisqu'il date de 1931) contenu dans La grande peur des bien-pensants : «L'histoire tout entière du XIXe siècle est celle de ses déceptions, de ses fureurs paniques, de ses longues somnolences coupées d'accès sanguinaires dont on l'a vue chaque fois sortir exténuée, amollie, ruisselante de larmes. Nulle peut-être ne fut plus essentiellement, au sens total du mot, conservatrice. La haine du spirituel qui l'inspire d'ordinaire, cette passion où l'on serait tenté de reconnaître le signe d'une sorte de grandeur sauvage, démoniaque, n'est que la somme de ses ignorances, de ses rancunes, de ses envies. Elle a pris ses précautions contre le divin, simplement. Elle assiste sans comprendre à ce phénomène capital, unique: l'altération, peut-être désormais sans remède, du sens religieux dans l'homme moderne, qui fausse l'équilibre de la vie sociale, commence à développer d'énormes passions collectives dont la contagion menace de s'étendre d'un bout à l'autre de la planète» (4) ?
Montrer, donc, que nous n'en avons absolument pas fini de lire, de relire et d'étudier (je n'utilise pas le verbe disséquer, car ils sont diablement vivants !) les textes de Georges Bernanos, voilà ce qu'il importe de faire. C'est tout le sens des deux articles universitaires (5) qui avaient paru dans le vingt-troisième numéro des Études bernanosiennes éditées par Minard, éditeur impeccable qui vient de publier un volume des Archives Bernanos contenant une nouvelle étude sur le premier roman, époustouflant et génial, du Grand d'Espagne, Sous le soleil de Satan bien sûr que Sébastien Lapaque, pour sa réédition au Castor Astral, a hélas affublé de quelques lignes aussi visiblement hâtives qu'indigentes.
*Addendum
Écoutée, cette émission m'a particulièrement déçu : pourquoi avoir conservé au montage le passage expliquant en quelques mots plutôt confus la trame de l'histoire du village de Fenouille, alors que Claire Daudin l'avait déjà fait, et de façon plus compréhensible ? Pourquoi avoir supprimé ce qui je crois constituait la particularité de mon intervention : de longues minutes où j'expliquais à Matthieu Bénézet les raisons pour lesquelles Monsieur Ouine pouvait être à bon droit considéré comme un roman de la mort de Dieu illustrant la théologie du fantôme chère à Michel de Certeau ? Pourquoi ne pas avoir conservé cet autre passage où je rapprochais les sombres prédictions de Georges Bernanos des analyses d'un Carl Schmitt sur les concepts de la théorie de l'État qui sont tous, à ses yeux, des concepts de théologie sécularisés, comme je le souligne dans cette note ? Pourquoi avoir supprimé ce développement sur la catégorie du prophétisme telle qu'elle est exposée par Maurice Blanchot, appliquée aux livres du romancier ? Pourquoi avoir enfin considéré que n'étaient pas intéressantes (ou pertinentes, ou claires) mes analyses sur la contre-incarnation que réalise le démoniaque, à moins qu'il ne s'agisse de la dernière trace, parodique et déformée, de la présence du divin ?
Je sais bien que la loi du genre est frustrante : un montage, par définition, est un choix. Un choix pourtant, jusqu'à preuve du contraire, n'est pas le contraire d'un résumé intelligent sinon fidèle. Du moins pouvais-je attendre que l'originalité, sinon la cohérence de mon intervention, eût été conservée.
Notes
(1) Carl Schmitt, Théologie politique (Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences humaines, 1988), p. 46.
(2) Op. cit., pp. 180-1.
(3) Georges Bernanos, Essais et Écrits de combat, t. II (Gallimard, coll. La Pléiade, 1995), p. 693.
(4) Essais et Écrits de combat, t. I (Gallimard, coll. La Pléiade, 1971), p. 332.
(5) J'avais mis en ligne l'un de ces deux textes sur Knol avant de le rapatrier dans la Zone, ici.
27/10/2008 | Lien permanent
Walter Benjamin, Georges Bernanos et quelques hongres
Lette de Carlo Michelstaedter à Gaetano Chiavacci, 4 août 1908, in Épistolaire (Éditions de L’Éclat, 1990).
Je recopie quelques lignes de mon Journal, à la date du 20 mars 2003. Les ajouts sont signalés entre crochets.

L’aura donc est encore visage, ce que rappelle l’auteur, terminant par quelques considérations il me semble assez justes sur la différence entre le fascisme (esthétisation de la politique) et le communisme (politisation de l’esthétique).

Terminé également, il y a quelques jours, la rédaction de mon (très long) article sur le Soleil de Satan de Bernanos, pour le n°24 des Études bernanosiennes, où je compare l’apparition satanique devant les yeux de l’abbé Donissan à celle que l’inquisiteur en pays de Labourd, Pierre de Lancre, décrivait admirablement dans son Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons (Aubier). Nous avons donc cet article et les deux qui vont paraître dans le n°23 de ces mêmes Études bernanosiennes que, jeune élève puis étudiant, je dévorai, me demandant si, un jour, je parviendrai à rejoindre ces grands noms de l’Université. C’est fait et je n’en tire aucune vaine gloriole, ayant en outre rencontré de visu la plupart de ces professeurs, parfois bien décevants dans leur conversation (et leurs travaux…).


Pardon, jeunes fats tout enduits du saint chrême royaliste : qui les rédigeait plutôt de A à Z, Les Brandes, sans l’aide de Pierre ou de Paul et surtout pas, grands dieux non, de vos minables plumes d’ânes savants.
Je n’oublierai pas ce dîner.
D’ailleurs, je n’oublie rien.
28/12/2004 | Lien permanent
L'Imposture de Georges Bernanos


S’il est un écrivain qui reste à découvrir, c’est bien Georges Bernanos, comme je l’écrivis pour Famille chrétienne (n° 1589, 28 juin - 4 juillet 2008). Aucune lecture n’a épuisé la formidable richesse de son œuvre, comme je viens de le constater de nouveau, en relisant pour la sixième fois L’Imposture, un roman d’une violence inouïe, une plongée dans la conscience d’un prêtre renégat, absolument unique dans la littérature française, dont je viens d’achever la préface pour Le Castor Astral qui réédite tous les ouvrages du Grand d'Espagne : L'Imposture devrait ainsi paraître durant la seconde quinzaine du mois de juin.
Quel incroyable roman, hélas moins connu que le premier, Sous le soleil de Satan paru en 1926 et, bien sûr, l’admirable Journal d’un curé de campagne. J'espère ne vexer aucun écrivain vivant (à vrai dire, je m'en fiche un peu) mais il me semble parfaitement évident que Bernanos n'a eu aucun héritier direct, hormis, peut-être, sur le versant polémique de son œuvre prodigieuse, Pierre Boutang, et je serai tout à fait incapable de trouver, dans la France contemporaine, un auteur dont les romans atteindraient la puissance hallucinatoire de ceux du Grand d'Espagne.
Quelle apocalypse, en effet, opposer, si ce ne sont les cauchemars d’un Dostoïevski ou d’un Céline, à celle que nous oblige à fixer un auteur ayant contemplé la prodigieuse fermentation du monde moderne de laquelle naquit l’abbé Donissan, sorti des tranchées de la Grande Guerre tout fumant de sang ? Quelle plus parfaite illustration convoquer d’un hermétisme démoniaque, à l’œuvre d’ailleurs dans L’Imposture, qui ne soit celle des plus grands, Shakespeare dans Macbeth, Barbey d’Aurevilly dans Une Histoire sans nom, Gadenne dans Le Vent noir ? Quelle puissance d’évocation du Mal, sous les plumes d'un Ernesto Sabato ou d'un Hermann Broch, pourrait ridiculiser la véritable vision du néant que Bernanos subit puis maîtrise, au prix d’années d’un travail acharné, dans Monsieur Ouine qui est sans doute le plus grand roman français du XXe siècle ? Quel plus farouche contempteur de la lâcheté dresser sur les barricades si ce n’est Bergamín qui salua l’auteur des Grands cimetières sous la lune comme un frère d’armes ? Quel plus formidable peintre de la lumière, surtout lorsqu'elle est intensifiée par des béances de ténèbres, imaginer si ce n’est Rembrandt ?
Georges Bernanos a eu peu de maîtres et encore moins d’égaux, aucun héritier de nos jours je l'ai dit, même s'il existe bien évidemment des romanciers de grand talent, qui sans doute lui doivent une partie de leur souffle, comme Didier Séraffin, Jean Védrines, Sébastien Lapaque et Julien Capron.
Georges Bernanos est ainsi, comme les plus grands écrivains le sont, devant nous.
Intégralité de ma préface, intitulé Les disciplines de l'imposture
C’est par un brutal coup de dague que nous pénétrons dans le deuxième roman de Georges Bernanos, L’Imposture, qui tout entier ressemble à une horrible blessure que l’écrivain semble ne point vouloir refermer. Violence bien réelle puisque, pour le romancier, les batailles de l’âme sont sans doute bien plus brutales que celles que les corps se livrent entre eux. Violence fascinante dont André Malraux, qui admirait Bernanos, se souviendra peut-être en y ajoutant les sucs vite éventés de l’érotisme, lorsqu’il fera s’interroger Tchen devant la fameuse moustiquaire qui lui cache l’homme qu’il faut assassiner, «moins visible qu’une ombre» sous le «tas de mousseline blanche» tombant du plafond. Il s’agit en tout cas de détruire, ici en lardant d’implacable ironie l’esprit d’un pauvre type, Pernichon, qui se joue la comédie et finira par se suicider, là en enfonçant une lame bien réelle dans une chair endormie, avec l’unique volonté de s’en débarrasser de la façon la plus rapide et, si possible, sans bagarre ni bruits, sans faire le plus petit scandale. Un éclair en somme, trouant les ténèbres qui auront vite fait de happer de nouveau les personnages qu’elles ont laissé s’échapper le temps d’une scène mémorable. Bernanos fouaillant la conscience d’un publiciste, puis plaçant sur le chemin nocturne de Cénabre un mendiant qui sera son double misérable; Malraux contractant dans La Condition humaine les muscles de Tchen autant que sa volonté : les grands romanciers semblent être ceux capables de fixer sur le papier des scènes fulgurantes, quitte à tenter ensuite de transformer en véritable orage ces explosions de chaleur sourdes et éphémères.
De fait, la pauvre âme de Pernichon crève sous le regard minéral, tranchant comme un couteau, de celui qui reçoit, avec dégoût et colère, la confidence de son misérable tas de petits secrets et de fautes imaginaires. Cénabre, à la différence de Chevance dont le nom même affirme la bonté et la garde du bien d’autrui, ne veut, lui, absolument rien recevoir des autres, une fois sa curiosité dévorante satisfaite. Dans les premières pages surprenantes de L’Imposture qui, comme une sonde, descendent à très grande vitesse dans les profondeurs de l’âme humaine, Cénabre révèle sa stature puissante de maître à l’ironie complexe, au savoir froid et altier, qui a tenté un pari aussi fou qu’impossible : «écrire de la sainteté comme si la charité n’était pas.» Il n’est assurément point, tel Pernichon, un médiocre qui se donne au plus offrant. Pourtant, quelques subtiles notations nous font vite comprendre que la médiocrité du fameux auteur des Mystiques florentins n’est guère différente de celle que sa pauvre marionnette a senti exploser comme une bulle de gaz sous le feu de son confesseur. Plutôt qu’un véritable imposteur, Cénabre se révèle, pour ainsi dire, un génial médiocre. Il est peut-être même le médiocre par excellence selon Bernanos, en tous les cas l’ébauche la plus convaincante de Monsieur Ouine. En ce miroir déformé qu’est Pernichon, Cénabre a reconnu son propre visage grimaçant de douleur, comme il reconnaîtra dans le mendiant Framboise un double avili, alors qu’il contemplera le mensonge du vagabond «du même regard avide qu’il eût regardé sa propre conscience». En fin de compte, malgré ses livres savants qui tournent autour des vies de saints sans jamais oser pénétrer dans leur cœur, il n’est qu’une pauvre âme fuyant la lumière de sa propre lucidité. Aucun partage possible entre les personnages de Bernanos, Cénabre, Pernichon et le mendiant, mais ce constat est également valable pour bien d’autres ombres parcourant les pages de L’Imposture : tous ces fantômes semblent s’adresser à quelque témoin muet qu’ils implorent secrètement d’une délivrance qui jamais ne viendra.
Que sont donc ces pages qui ouvrent L’Imposture ? Assurément moins une confrontation entre Cénabre et son protégé ridicule, le sordide Pernichon, qu’un combat entre le prêtre et le timide Chevance, le «confesseur de bonnes» à l’autorité spirituelle foudroyante. Si le double est traditionnellement l’une des figures spéculaires les plus évidentes de Satan, celui que nous pourrions a contrario appeler le frère (ou la sœur, bien sûr), Chevance puis Chantal, est le véhicule de la grâce qui libère. Et c’est peu dire qu’avec une véritable rage, le romancier ferme les unes après les autres les portes qui emprisonnent ceux qu’un autre écrivain, Julien Green, nommera des épaves. Pernichon, Catani, Mgr Espelette et Guérou à la trouble réputation, Framboise et Cénabre : autant de personnages littéralement rentrés en eux-mêmes, tombés dans un réduit où ils demeurent prostrés, incapables de faire éclater la bulle pestilentielle depuis laquelle ils contemplent une réalité déformée par leurs envies, leurs complots, leurs mensonges, leurs sordides manœuvres. C’est le même vide qui réunit ces hommes creux dans une communion pourtant impossible. La médiocrité est l’unique pain que rompent ces damnés que Bernanos condamne à une pure et simple disparition, sans appel (ni rappel) sur la scène romanesque.
Nous pourrions lire ces pages comme le prolongement et l’exploration acharnée d’un de «ces drames cachés, étouffés» que Barbey d’Aurevilly illustra dans ses Diaboliques ou dans Une histoire sans nom. Elles constituent quoi qu’il en soit l’une des plus troublantes introspections psychologiques et spirituelles que le roman français moderne nous a données. Le coup de sonde génial que Bernanos lance dans les mobiles les plus profonds de Cénabre est bien trop lucide pour que nous ne puissions soupçonner, de sa part, une condamnation indirecte des pouvoirs inquisitoriaux de tout grand écrivain, comme le théologien Hans Urs von Balthasar et Max Milner l’avaient remarqué. En ouvrant l’âme de Cénabre comme on ouvre un fruit, Bernanos ne nous convie pas seulement au juteux festin qui sera salué par ses confrères ou ses lecteurs. L’un d’entre eux, Antonin Artaud, que la scène de l’agonie de Chevance avait bouleversé, comprit d’ailleurs que Bernanos, son «frère en désolante lucidité», avait dû lui-même beaucoup souffrir pour écrire semblable œuvre. Sous les regards de ses lecteurs fascinés, l’écrivain dispose en fait ses propres entrailles. Il désigne les ruses par lesquelles le romancier de génie est le moins dupe de ses pouvoirs de vision. Ce n’est ainsi pas sans raison que Bernanos a écrit dans Les Enfants humiliés que L’Imposture lui avait coûté beaucoup de peine, objectant même, contre la réalité purement humaine de l’imposteur, des doutes radicaux : «Je ne crois plus aux imposteurs depuis que j'ai écrit L’Imposture, ou du moins je m’en fais une idée bien différente. [La] dernière ligne écrite, j’ignorais encore si l’abbé Cénabre était oui ou non un imposteur, je l’ignore toujours [...]. Pour mériter le nom d’imposteur, il faudrait qu’on fût totalement responsable de son mensonge, il faudrait qu’on l’eût engendré, or tous les mensonges n’ont qu’un Père, et ce Père n’est pas d’ici» (1). Pas étonnant que les pauvres hères dont ce roman nous fait contempler la noria monotone ne puissent se décharger de leur fardeau imaginaire, leur ridicule chevance. Pas étonnant non plus, à l’exemple de Pernichon, qu’ils soient liquidés en quelques mots par un écrivain en apparence insensible à leur sort qui évoquera le probable suicide du journaliste comme, d’un geste de la main, on chasse une pensée importune ou encore un moucheron.
Ces pages sont peut-être enfin un théâtre sur les planches duquel Dieu et diable se livrent bataille, puisque Cénabre et Chevance, nous dit Bernanos, «s’étreignaient dans le ciel». Dieu et diable s’affrontent, de même que «deux combattants qui se prennent à la gorge au-dessus d’un cadavre» qui n’est autre que celui du prêtre, comme si le romancier donnait une nouvelle vie aux mystères du Moyen Âge et nous indiquait, par la longue et belle évocation de la voix de la création (2), que le décor de son roman n’a de réalité qu’invisible et immémoriale. Ainsi, accompagner l’écrivain dans les plus secrètes contrées de l’esprit et de l’âme, c’est pénétrer dans un royaume dérobé à nos yeux de chair, dont la réalité semble cependant plus assurée que celle des rues où Cénabre erre durant une nuit. L’Imposture de Georges Bernanos, avant le crépusculaire Vent noir de Paul Gadenne qui paraîtra en 1947, nous convie à une marche harassante sur la terre vaine qu’arpentent sans relâche ni but les hommes à la cervelle remplie d’un peu de bourre, comme l’écrit T. S. Eliot. Cette exploration des ténèbres de l’âme humaine, bien sûr, n’est pas dépourvue de dangers, comme Gadenne nous le montrera dans son magnifique roman.
«Convenez cependant que je me suis bien avancé pour pouvoir, maintenant, reculer ?» Aussi banale que nous semble cette phrase lorsque Cénabre la lance avec dédain à Chevance qu’il a fait venir chez lui en pleine nuit, elle ne peut qu’éveiller l’écho d’une autre phrase, célèbre, prononcée par Macbeth devant son épouse : «I am in blood / Stepp’d in so far that, should I wade no more, / Returning were as tedious as go o’er», «Je suis dans le sang, enfoncé si profondément que, même si je n’y pataugeais plus, revenir en arrière serait aussi fastidieux qu’avancer». Macbeth avancera donc coûte que coûte et s’enfoncera dans son mauvais rêve, croyant peut-être aborder une terre au-delà du bien et du mal, jusqu’à ce que son cauchemar, les actes odieux qu’il a commis et leurs conséquences néfastes, soient dissipés comme une vapeur maligne par un rai de lumière. Il faudra la farouche décision, pour les hommes de bonne volonté, de se débarrasser de celui qu’ils appellent le tyran, il faudra même la marche, irréelle, d’une forêt tout entière s’avançant sur son château pour faire disparaître Macbeth le meurtrier. Défait, ce dernier aura les mots pitoyables de l’enfant qui trop tard mesure la portée de ses actes.
Cénabre lui aussi, nous confie Bernanos, semble ne plus pouvoir revenir des profondeurs qu’il a atteintes ni escompter «un arrêt dans la descente verticale», sans remonter chargé de précieux trésors, arrachés aux ténèbres. Non point, comme nous l’indiquerait une lecture trop hâtive de L’Imposture, l’indifférence ou même le néant, mais la joie, la joie sans retenue de celui qui n’a plus besoin d’aiguiser son mensonge quotidien à toutes les arêtes qu’une banale journée lui offrira d’abondance. Contre la volonté inébranlable et sèche du prêtre auprès de laquelle les regrets de Macbeth sonnent comme un véritable cri de libération, la lumineuse charité de deux âmes magnifiques, celles d’un humble prêtre et d’une jeune femme qui en vision contemplera l’apôtre félon, Judas Iscariote enfermé dans une solitude inconcevable, ne sera point de trop.
Enchaîné à ses résolutions comme Macbeth l’est à ses desseins, Cénabre est libre, aussi libre que l’est un damné. A-t-il trahi, comme le suggère la présence dans La Joie de la figure de Judas ? Il eût fallu pour cela avoir prêté allégeance, alors que Cénabre semble tenir pour billevesées les postulations baudelairiennes vers Dieu et Satan. Ne faisant plus qu’un avec son imposture, du moins en ayant pris la conscience la plus irrécusable, le prêtre sans foi peut ainsi jouir de «l’effusion de son affreux bonheur», même si, de sa joie, nul signe ne paraîtra sur son visage inexpressif.
Avant d’être tué, Macbeth reviendra à la raison, nous mettant en garde contre les «ennemis jongleurs («juggling fiends») qui nous ont enroulés dans le double sens» (cf. Acte V, scène 9). Cénabre, lui, avant de sombrer dans la folie, trouvera la force de prier le Père. C’est sans doute forcer le texte de Shakespeare que de supposer que le tyran aura eu le temps, d’une seule pensée tue, d’honorer à nouveau l’antique piété que le meurtre du roi Duncan a détruite dans son cœur «gorgé d’horreurs». Car c’est bien le geste impie de Macbeth qui a fait vaciller l’axe du monde, c’est bien le meurtre qu’il a commis qui fait que la nuit ne parvient plus à être dissipée par le jour. C’est son forfait inouï qui a transformé le bien en mal et inversement, alors que tous les animaux (3) deviennent des créatures enragées. La nature, déséquilibrée par l’assassinat du roi, bascule dans le chaos en raison de la folie d’un seul homme, que l’on dirait choisi avec grand soin par les puissances maléfiques. Dans l’esprit de Macbeth tourmenté gît la faille étroite par laquelle le poison subtil des sorcières va s’infiltrer, comme la lézarde minuscule finira par faire s’écrouler la majestueuse maison Usher dans le marécage qui s’étend devant elle. Dans sa geste la plus achevée, la pièce de Shakespeare nous présente le drame de la tentation, qui est celui de l’écart, tragique, entre la volonté et l’acte, le projet et sa conséquence funeste. À la différence de Macbeth, tout paraît consommé dans L’Imposture, bien que Georges Bernanos cherche sans relâche, dans les pages fébriles de son roman, à mettre le doigt sur cette faille pratiquement insoupçonnable qui a fissuré l’âme de Cénabre alors qu’il était encore jeune. Nous ne savons pas avec certitude si le prêtre, avant de sombrer dans la folie qui conclut les toutes dernières lignes de La Joie, a eu le temps de véritablement comprendre le sens de son aventure, et de quelle façon son imposture a pu bouleverser l’ordre invisible du monde. Peut-être a-t-il remis au Père, Lui adressant sa toute dernière prière, l’âme pure du petit enfant qu’il a été ?
Macbeth est un personnage que Shakespeare a peint avec beaucoup de subtilité comme un homme devenu prisonnier de son mauvais rêve, alors que, comme n’importe lequel de ses rudes compagnons, il n’a accompli aucun forfait notable avant de rencontrer les trois sœurs démoniaques qui paralyseront sa volonté par leurs paroles trompeuses. Macbeth est encore celui que Shakespeare a imaginé en héros maléfique ayant une parfaite conscience de ses pensées et actions, comprenant qu’il s’enchaîne irrémédiablement au mal qu’il est contraint de perpétrer pour faire advenir son rêve de puissance. La grandeur romantique dans le Mal semble cependant consommée, comme nous le montre le roman de Bernanos et, avant celui-ci, l’un des textes les plus connus de Joseph Conrad. Est-il ainsi exagéré de prétendre que Macbeth, dans Cœur des ténèbres, est devenu l’homme creux dont le seul pouvoir est celui de sa voix, Kurtz (4), réfugié au plus profond de la jungle où des sauvages l’adorent au sens propre du terme ? Ne peut-on en outre considérer que Macbeth est l’un des lointains ancêtres, encore tout rempli de bruit et de fureur, de Cénabre, ce personnage implacable et froid qui annonce la véritable «incarnation du
26/06/2010 | Lien permanent
Presença e permanência de Georges Bernanos par Adalberto de Queiroz

Le blog d'Adalberto de Queiroz. Rappel
Georges Bernanos dans la Zone.
A estrada de Cormac McCarthy (ma critique sur La route traduite en portugais par Henri Carrières).
Um amigo virtual e francófono, Juan Asensio, crítico literário que mantém o blog Stalker, na seqüência de uma troca de mensagens sobre o consagrado autor francês Georges Bernanos, me provoca para encontrar filiações bernanosianas no Brasil. Uma resposta difícil, confesso !
Do tempo que passou no Brasil (1938-1945), em meio a uma vida sempre nômade, Georges Bernanos angariou muitas amizades e influenciou uma série de escritores, mas não acho que tenha criado discípulos na ficção; na vida, ao contrário, semeou muitas amizades e registrou várias polêmicas – sem, talvez, ter deixado inimigos públicos.
Dos amigos que fez em seu exílio brasileiro, Bernanos recebeu a bela homenagem no livro Bernanos no Brasil : Testemunhos Vividos, editado pela editora Vozes, em 1968, artigos de verdadeiros admiradores de Bernanos, coligidos e apresentados por Hubert Sarrazin. O livro se refere aos sete anos da vivência brasileira do escritor francês e reúne textos de respeitáveis homens da cultura brasileira da época, nomes de notoriedade pública que, segundo Sarrazin «representam o escol, a cultura, o pensamento intelectual e moral do Brasil» : Jorge de Lima, Alceu Amoroso Lima, Henrique J Hargreaves, Jean-Bénier, Virgílio de Mello Franco, Augusto Frederico Schmidt, Álvaro Lins, Geraldo França de Lima, Hélio Pelegrino, Paul Gordan entre outros.
Mas mesmo entre esses, desconheço um romancista brasileiro que tenha sucedido Bernanos nos mesmos temas (com igual talento). Tem o leitor a liberdade de fazer correlação dos temas bernanosianos com outros romances brasileiros como Geraldo França de Lima, Carlos Heitor Cony, Autran Dourado ou Antonio Callado – menos pelo anticlericalismo (de natureza diversa da exercida pelos exemplos citados), tampouco por sua ortodoxia, mas sim pela retomada de temas recorrente : a vida religiosa, a persistência do pecado no ser humano, o sacerdócio, a expiação da culpa, o ambiente místico da Igreja e os dilemas dos homens (e mulheres) que vivem dentro e em torno dela. Mas a crítica e os estudos sobre Bernanos entre nós, tampouco, ajudam muito nessa pesquisa.
Recentemente, um estudo francês trouxe a melhor contribuição para aclarar a profundidade das filiações de Bernanos em nosso ambiente cultural. Sébastien Lapaque traça em Bernanos sous le soleil de l’exil (2003) a importância que aquele «time de escol» teve para manter a memória de Bernanos no Brasil. É claro que nenhum deles sustentaria a permanência de Bernanos entre os leitores não tivesse ele o talento que teve (e tem, pois que eterno, sem nunca ter entrado numa Academia de Letras). Seu admirador Geraldo França de Lima entrou (ABL) e, convenhamos, por mais que seu talento tenha sido reconhecido por, ninguém mais, nem menos, que Guimarães Rosa (elogio em público ao seu talento), não escovaria os sapatos do mestre Bernanos. Em outro momento me ocuparei de resenhar Lapaque escondendo o desejo de traduzi-lo para o português, pois que é o melhor depoimento jornalístico e de reconstrução da memória que Bernanos poderia receber chez nous, como homenagem jornalística, ao mesmo tempo acurada e afetiva.
É elogiável que tenhamos nesses dois livros a tentativa de esboçar o perfil do gigante Bernanos, de quem, recentemente vimos ressurgir na mídia francesa, em meio à família dos «escritores místicos», tipologia que tanta influência política exerceu em sua época (Bloy, Péguy, Bernanos), como parte da genealogia literária francesa dos escritores que, por derradeiro, viram florescer sua personalidade e capacidade de influência política, sem culpa de ter feito leitores e cabeças na alta direção de seu país (França) e no estrangeiro (como Bernanos no Brasil).
O crítico e historiador da literatura, Otto Maria Carpeaux, apesar de sua conhecida má-vontade com os escritores católicos franceses – embora fosse ele próprio católico (e ainda mais : um judeu convertido !) – dedica algumas linhas em sua História da Literatura Ocidental para classificar Bernanos como «um cruzado da Fé e da Honra contra a hipocrisia, contra a corrupção de valores». O depoimento de Carpeaux vem carregado, provavelmente, da dificuldade que sobre o crítico deve ter desabado em meio à polêmica mantida com Bernanos, registrada por Olavo de Carvalho no prefácio de Ensaios Reunidos, vol. 1 (citando Andreas Pfersmann, Carpeaux vs. Bernanos, 1993).
Assim, a avaliação puramente literária que Carpeaux faz de Bernanos não é nada animadora, pois, para ele, Bernanos não passa de «um talentoso panfletário». Carpeaux classifica Sous le soleil de Satan como um romance «gótico composto de exaltação mística e sensacionalismo grosseiro». O panfleto seria, segundo Carpeaux, o melhor gênero da expressão bernanosiana – de cuja cepa teria ele, Bernanos, gerado o melhor exemplo do gênero em língua francesa, depois de Rousseau – amostra maior dessa vertente na obra de Bernanos, segundo o crítico, seria Les Grands Cimetières sous la Lune (1936), panfleto dirigido contra os católicos da direita francesa. No entanto, a resposta de Bernanos, que em seu exílio brasileiro não produzira , até aquela época, nenhum romance : «Não sou nem polemista nem panfletário. Menos ainda um doutrinário. Deus sabe o desgosto que tenho por já não escrever romances. É um grande sacrifício para mim. Mas quero devolver às pessoas seus reflexos de boa vontade, de sinceridade...».
Mas a voz lúcida de Bernanos não se calou e, do mais fundo Brasil, falava a seus compatriotas, tentando esclarecê-los sobre o que considerava a «derrota das consciências» e a tripla corrupção – nazista, fascista e marxista na França, donde se evadiu porque o ambiente era irrespirável para a consciência do escritor. Durante o exílio brasileiro, é, majoritariamente, vivendo no interior de Minas que ele escreve Nous autres Français, Scandale de la vérité e uma série de artigos, publicados em jornais brasileiros ou em jornais clandestinos da França ocupada; ou divulgados pela rádio em Londres. Os artigos escritos no exílio brasileiro foram reunidos nos livros intitulados Le chemin de la Croix-des-Âmes, Le lendemain, c´est vous ! , La vocation spirituelle de la France, La France contre les robots e o bombástico Lettre aux Anglais·
Isso nos coloca diante da filiação em política. Teria sido por essa vertente que teríamos filiados ? Tampouco, penso eu. Politicamente, onde se situa Bernanos ? Vejamos a resposta do professor e filósofo Olavo de Carvalho :
– «Homem de direita por temperamento, conservador e monarquista apegado aos valores da vida rural francesa, não hesitou em voltar-se contra seus correligionários para condenar, primeiro, sua omissão ante os excessos do franquismo e, depois, sua cumplicidade com o invasor alemão. E quando a esquerda começou então a cortejá-lo, respondeu que o esquerdismo era a manifestação suprema da imbecilidade universal. Nunca se curvou a ninguém exceto à sua consciência cristã, e mesmo o General de Gaulle, que ele proclamava admirar, confessava : «Esse eu nunca consegui amarrar na minha carroça... ». Em outro trecho, Carvalho sublinha que Bernanos não teme nem hesita em criticar essa mesma direita (francesa) em cujas fileiras Bernanos fora contado : «sem abjurá-la ideologicamente, ele a acusava de omissão ante os massacres franquistas em Palma de Majorca» (in Les grands cimetières sous la lune).
Tendo voltado à França, em julho de 1945, por convocação do general de Gaulle, Bernanos que estivera ao lado do general desde o armistício, recusa sucessivos convites para cargos de ministro, embaixador e mesmo para a Academia Francesa. Fiel ao seu espírito nômade, Bernanos não fica muito tempo em Paris, passando, sucessivamente, por Sisteron, Bandol, Chapelle-Vendômoise. É de seu filho, Jean-Loup Bernanos a resposta mais acurada à pergunta acima :
– Visceralmente livre e incapaz de submeter sua consciência ao mínimo compromisso, Bernanos é o exemplo cabal de um homem que nunca se sentiu confortável com as classificações políticas habituais. Profundamente católico, era, ao mesmo tempo e a seu modo, anticlerical e anticonservador – que o prova sua reação à repressão franquista em Palma de Majorca; aparentemente próximo da esquerda por esse ato, ao retornar à França, considera insuportável o ambiente de ascenção dos partidos de esquerda e estes julgam seus artigos profundamente reacionários. E finaliza : «na verdade, Bernanos tinha a nostalgia do tempo em que as noções de direita e esquerda não existiam». Nostagia de «l’ancienne France, si unie et si diverse à la fois où chaque Français pouvait trouver sa place, l’occuper avec honneur...» (Notice biographique, dans Georges Bernanos, Romans, Omnibus/Plon, 1994).
O crítico Otto Maria Carpeaux, em sua História da Literatura Ocidental formulou outra importante questão (tal como a de Asensio) : pode Bernanos ter sucessores ? Resposta positiva ele encontrava apenas em Luc Estang, que para Carpeaux é «literariamente mais audacioso que seu mestre», para reafirmar, no entanto, que «a ortodoxia de Bernanos só colhe honra e glória com o que a crítica literária tenha afirmado contra ele». O que parece inteira verdade inclusive em relação ao que disse e deixou de dizer o mestre Carpeaux.
Álvaro Lins, por sua vez, afirma que não é nos padrões canônicos do romance, de seus modelos acadêmicos que podemos enquadrar a obra de Bernanos, porque este seria «da raça dos escritores que usam os gêneros literários como personalíssimos instrumentos. Panfleto, romance, eloqüência ? O seu gênero é o do seu temperamento dramaticamente poderoso de genuíno grande-homem; e o do seu estilo singularmente estrutural de autêntico grande escritor.»
Diante desse conflito em que o próprio crítico se coloca, Álvaro Lins extrai a solução do temperamento como explicação : «do romance católico de Bernanos não se dirá apenas que é o romance de almas, mas um romance de almas em oposição».
Examinando a natureza dessa oposição, Álvaro Lins acrescenta :
– «O romance de Bernanos é o das oposições : entre almas, entre sentimentos, entre instituições; e seu ponto de partida cifra-se numa idéia que está expressa em Monsieur Ouine : a de que não há fogo no inferno, mas frio. O fogo, que é a vida, está do lado divino. E é pelo fogo que o católico se configura em face do mundo, num movimento que deve ser mais de oposição do que de integração”.
Mas, afinal, quem é Bernanos para os leitores atuais ? Infelizmente, parece que a melhor resposta é que Bernanos continua um desconhecido da nova geração de leitores, embora dois ou três de seus livros (Diário de um Pároco de Aldeia, sobretudo) continuem sendo vendidos, lidos e comentados, mesmo que esta geração midiática não o conheça mais profundamente.
Ainda cabe citar o filósofo Olavo de Carvalho, que classifica Bernanos como «romancista de gênio e temível polemista que se dizia conservador, mas cuja identidade se tornava difícil de catalogar depois de páginas coléricas contra os judeus e contra os nazistas, contra aristocratas e burgueses, contra comunistas, contra Franco, contra socialdemocratas e contra o Governo de Vichy». E finaliza, em tom irônico, dizendo que Bernanos «não poupava ninguém, exceto Santa Terezinha do Menino Jesus e o General de Gaulle».
Em conclusão, Bernanos não há de ter filhos literários, mas de crença. E sua literatura, sem servir ao modelo de catequização é, além, e acima de tudo, modelo da expressão da Fé e da Esperança, porque para ele «nossa felicidade interior não nos pertence mais do que a obra que ela motiva». Ninguém melhor que Bernanos poderia ilustrar essa legenda.
21/10/2009 | Lien permanent
Rimbaud, Bernanos et Frank Herbert
12/05/2004 | Lien permanent
Bernanos, la guerre, Satan, la critique
21/09/2005 | Lien permanent