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Écrits d'exil, 1927-1928 de Léon Daudet

Photographie (détail) de Juan Asensio.
346554300.jpgMâles lectures.







4055562228.jpgÉcrivains et artistes de Léon Daudet.








Daudet 2.JPGAcheter Écrits d'exil sur Amazon.

La Préface de Sébastien Lapaque aux Écrits d'exil de Léon Daudet (1), si elle ne pipe mot sur les qualités littéraires évidentes et l'originalité incontestable de l'écriture toute faite de parallèles aussi vifs qu'une décharge d'adrénaline et de notations intimes ou de confidences sur des auteurs (Hugo, Baudelaire) aussi touchantes que surprenantes, que se remémore, pour notre plus grand plaisir, ce tonitruant continuateur de Rabelais et de Bloy que fut Léon Daudet, nous renseigne suffisamment sur la période personnelle, atroce, qu'il traverse, puisque son deuxième fils, Philippe, est mort, s'étant suicidé ou bien ayant été éliminé par les sbires de l'ombre du pouvoir en place, comme le père ravagé n'aura cessé de le penser jusqu'à sa mort. Il trouve, alors, la force d'écrire un ouvrage intitulé Courrier des Pays-Bas dont sont extraits les différents textes composant ce recueil.
Il ne faut chercher aucune cohérence directe entre les textes ainsi colligés, fort courts ou de belle ampleur, qu'il s'agisse de portraits ou de méditations littéraires, mais aussi d'épigrammes, sinon, bien sûr, la constante tension stylistique d'une écriture qui n'éclate jamais mieux que dans les séries de courtes notations, longues parfois de deux phrases, dans lesquelles Léon Daudet non seulement ramasse ses forces et bande ses muscles, mais jamais n'hésite à décocher telle flèche qui à coup sûr se plantera dans l'ennemi qu'il s'est choisi, Paul Valéry ou Ernest Renan par exemple, qu'il déteste visiblement par-dessus tout, le second davantage encore que le premier. Parfois, cette force contenue permet au fauve de sauter directement à la gorge de sa proie, et nous assistons, d'un claquement sec de mâchoire, à l'égorgement de la gazelle ou du pourceau : ainsi, l'auteur de Monsieur Teste est-il surnommé «Léonard de Vichy» (p. 206) ou, petite facilité que nous excuserons sans peine à notre atrabilaire qui ne peut pas toujours saigner proprement, si je puis dire, sa victime mais la larde de coups de canif inoffensifs, «Paul Valait-rien» (p. 217), facilité de potache disais-je, comme si Léon Daudet nous montrait par avance le maximum auquel atteindrait, quelques années après sa sanglante carrière d'imprécateur, un Jean Cau, pire encore, je veux dire, bien plus petit, un Denis Tillinac, si nous nous souvenons que, comme Georges Bernanos, Daudet fils «déchire comme l'aigle», mais «un aigle qui saurait l'anatomie» (p. 124). Parfois également, cette fois-ci à l'exemple de Léon Bloy, l'auteur des Morticoles, pourtant mieux nourri et sustenté que le Mendiant ingrat, a pu accrocher aux mesquineries (cf. p. 118), travers qui est celui de tous les prodigues et prodiges verbaux. Du second, Renan donc, tout est sale et abject et là, le trait est aussi juste qu'assassin, donc définitif : «Quand je lis Renan, j'entends, derrière la toile peinte en couleurs tendres, des blasphèmes furieux, des jurons de charretier ivre» puisque «son style lui servait à masquer son âme» qu'il avait vile (Aphorismes sur la polémique et l'invective, p. 127). Je retiens cette autre magnifique méchanceté, d'une brièveté lardant la masse des dix mille pages inutiles et fausses écrites par l'auteur de La vie de Jésus : «Renan, ou le bidet de Ponce Pilate. Il s'y lavait, non les mains, mais le cul» (Réflexions sur la connaissance, p. 301). Si la polémique, telle que la définit Léon Daudet, est ainsi «un combat mené par la plume en faveur de certaines idées» et «la réaction de défense contre les enlisements et endormements philosophiques, artistiques et littéraires» (Le plus grand de nos polémistes, François Rabelais, p. 66), nul doute qu'il soit, lui, tandis que d'autres dorment, constamment en éveil ! Nous verrons pourtant que l'un des effets bénéfiques de cette hargne à ne jamais fermer l’œil est une étonnante capacité d'accommodement, au sens optique du terme, de la vision, susceptible tout autant de replacer le plus fin détail dans un plan d'ensemble ordonnateur, qu'il sera cependant le seul capable de parvenir à discerner avec autant de justesse, nous en précisant le moindre dentelé. Léon Daudet nous le dit avec humour lorsqu'il prétend que le polémiste est réactionnaire, donc réaliste : «il est pour ce qui est, contre ce qu'on lui dit qui sera, mais dont il n'est pas du tout sûr que ce sera; en d'autres termes, le polémiste est avant tout un réaliste» (ibid., p. 68), à condition de préciser que ce réaliste-là sera doué d'une finesse de jugement et d'une sensibilité inouïes, ce qui n'est en fin de compte pas très étonnant puisqu'il est celui qui, «aux périodes critiques de notre histoire», venge «la justice et la morale bafouées en montrant les choses et les gens sous leur véritable aspect, en dehors des conventions d'écoles, d'assemblée et d'instituts» (ibid., p. 103). En somme, le polémiste, loin d'être un aigri et un raté, communes insultes dont les bonnes âmes l'accablent avec leurs petits crachats, est bien au contraire celui qui, derrière les apparences du luxe et de la volupté, flaire la pourriture de la charogne maquillée pour la fête démocratique et, non content d'incommoder l'odorat de nos vertueux, expose la pourriture en plein défilé républicain. Pas étonnant que la vieille démocratie française, que Léon Daudet qualifie de «Révolution couchée, et qui fait ses besoins dans ses draps» (Les atmosphères politiques et l'histoire de la Révolution, p. 193) ne lui ait jamais pardonné un tel outrage, et l'ait enfermé à quintuple tour dans le cabanon capitonné où elle a relégué ses plus fiers contempteurs, qu'il s'agisse de Barbey, de Bloy, de Darien, de Céline, de Marc-Édouard Nabe et, donc, de Léon Daudet.
D'autres ressemblances entre les divers textes appartenant qui plus est à des genres eux-mêmes différents, plus évanescentes et subtiles, composent la toile de fond sur laquelle Léon Daudet projette au premier plan des motifs grossiers, comme un peintre qui n'hésiterait pas à accorder un soin maniaque à l'arrière-plan de la scène qu'il représente, mais se contenterait, pour peindre le devant de la scène, de larges traits de gouache, tout pressé en somme de signifier une mystérieuse transparence aux yeux de ceux qui se tiendront devant sa toile. Il est d'ailleurs difficile de préciser la nature de cette musicalité diffuse, de cette colle qui unit apparemment tous les textes sans les confondre, qu'il s'agisse de notations ou d'aphorismes fulgurants de justesse et d'alacrité ou de passages plus amples, élégiaques, chantant la beauté des grands écrivains et des textes qui tous se répondent les uns les autres, si ce n'est par ce que nous pourrions appeler une espèce d'atmosphère de sympathie, équivalent moderne des correspondances baudelairiennes que Léon Daudet place au-dessus de la faculté épaisse, bornée, répétitive, kilométrique même d'un Victor Hugo à dérouler des images poétiques, remarquables ou, inversement, d'une sottise républicaine consommée (voir le beau texte intitulé Hugo grandi par l'exil et la douleur).
Si, écrit Daudet, «dans le pamphlétaire de bon aloi, il y a du chien, dressé à sauter à la gorge du faux (Aphorismes sur la polémique et l'invective, p. 127), raison pour laquelle il goûte la puissance d'un Léon Bloy (2) tout en n'oubliant pas d'indiquer certaine petitesse on l'a dit, il y a aussi chez ce diable d'écrivain qui est, avant tout, un critique littéraire puissant, ce que nous pourrions affirmer être une constante instabilité : je ne veux pas parler de l'incapacité, pour Daudet, de planter le dard d'un jugement dans une bajoue ou une fesse molle, cette arme dont jamais les cochons de la critique journalistique contemporaine n'ont imaginé le pouvoir de trancher de fines lamelles de lard, mais d'une espèce de perpétuelle, à vrai dire dévorante curiosité, un appétit formidablement rabelaisien de tout lire, de tout connaître, de tout vanter ou, dans certains cas, de tout exécrer, avec une même étonnante capacité d'ingestion et, reconnaissons-le dans le cas de cet exécrateur surdoué, de digestion et d'expulsion.
Rien de moins figé en effet que la pensée sans cesse mouvante de Léon Daudet ou, pour le dire autrement, rien de moins compassé que certaines de ses vues ondoyantes, perpétuellement souples mais non point labiles ou fragiles, que l'on aura quelque mal à penser avoir été celles d'un prétendu réactionnaire engoncé dans son corset de certitudes ripolinées plutôt qu'émises par un zélé moderniste s'extasiant, comme un nouveau-né, du moindre bilboquet qu'on lui mettra sous le nez. Lisons-le prétendre, à juste titre puisque la hauteur de vue, l'empan intellectuel véritable toujours s'entent sur une très solide culture, sur la connaissance du tuf où l'art a germé au long des siècles et jamais sur une voracité instantanée, devant être perpétuellement comblée par de nouveaux aliments qui exténueront la volonté et tortureront l'estomac, que «toute œuvre d'art de forme nouvelle provoque un véritable choc, et celui-ci est douloureux à ceux qui ne font pas partie des élites, intellectuelles ou artistiques, de ce temps. Ces élites savent bien que l'art aussi doit changer, que ses formes sont éternellement mouvantes, qu'il en est d'elles comme des reflets du soleil, ou de la lune, sur les flots incessamment agités; mais les autres, les gens de peu d'esprit, d’œil, d'oreille, de sensibilité, les «verts» d'académie et d'institut, les professeurs de facultés, les mandarins à douze boutons, se figurent qu'il y a des formes de beauté immuables et que quiconque s'en écarte et apporte un étincellement inédit en littérature, une configuration inédite en sculpture, une couleur inédite en peinture, etc., ou bien est fou, ou bien veut se moquer du monde» (Baudelaire, le malaise et «l'aura», p. 271). Quelques pages plus loin, il affirmera qu'il semble, à propos d'un poème de Baudelaire, que «tous les mots soient employés là pour la première fois», comme s'ils étaient «décrassés de l'accoutumance, de la même façon syntaxique que dans les Pensées de Pascal» ou que «leurs coordonnées mentales sont changées (ibid., p. 285) : encore faut-il, n'est-ce pas, pouvoir non seulement supporter ce changement des repères, accepter un nouveau mètre étalon par quoi, le plus souvent, un génie établit sa souveraineté, mais en qualifier la pertinence, l'originalité et la beauté.
Nous savons plus d'un écrivain qui aura dû son lancement de carrière, si je puis dire, à ce superbe facilitateur que fut le fils d'Alphonse Daudet, car Léon a une remarquable capacité non seulement d'accueillir le talent, où qu'il se trouve (en cela, la critique littéraire d'un Pierre Boutang peut à bon droit être considérée comme sa plus riche héritière), mais à s'enthousiasmer sans feinte ni cynisme pour la grandeur, en vertu, peut-être, de l'universelle communication des livres entre eux, la beauté nourrissant et même : faisant naître la beauté, dans une atmosphère ténue que Léon Daudet définit en la qualifiant d'ambiance, et qui pourrait en peu de mots être décrite comme l'«étincellement général de l'intelligence» (Le plus grand de nos polémistes, François Rabelais, p. 64) : «L'ambiance est voisine du frisson et de l'aura, et c'est par là que s'expliquent les grandes frénésies et terreurs en commun, les pressentiments en nappe, et non plus seulement individuels, et les épidémies prétendues mentales, en réalité cutanées» (Les atmosphères politiques et l'histoire de la Révolution, p. 191). Notons, ici, la prévalence du vocabulaire clinique, médical, que Léon Daudet n'hésite jamais à utiliser, avec l'avidité d'un glouton, se servant d'images, de métaphores ou de comparaisons aussi précises que les gestes d'un découpeur de cadavres, non seulement parce qu'il a retenu la leçon du spiritualisme charnel que Huysmans invoquait dans l'entame de Là-bas mais surtout parce qu'il a, d'abord, été médecin, comme un autre pestiféré des lettres, cette fois-ci d'outre-Rhin, Gottfried Benn : la Révolution, qualifiée de bloc, «est plutôt un énorme caillot de sang et de sanie, et comparable à la soudaineté d'un cancer rongeur et dévastateur, qui envoya ensuite des métastases, de formes très diverses, à travers l'Europe» (Les atmosphères politiques et l'histoire de la Révolution, p. 195).
C'est sans doute, avec bien sûr les fulgurances de jugement dont nous avons parlé (3) et ce qu'il a appelé l'aura ou l'ambiance d'une époque, avec la délicieuse accumulation de souvenirs bien souvent directs (4) d'écrivains reçus par son fameux père ou encore une sensibilité étonnante à la musicalité de la langue (5), la dimension la plus intéressante du génie de Léon Daudet que cette délicate et exquise intrication entre le charnel, voire le corporel le plus humble et même misérable, et le spirituel, le corps et l'esprit ou même l'âme mais, surtout, plus profondément encore, cet entremêlement de la matière et de ce qui n'en est pas, ou bien est une matière ténue, toute pleine, toute grosse de ce qui la dépasse, l'essentialise, la subtilise. Ainsi du génie, que Léon Daudet explique très bellement dans son Hérédo, lequel naît d'une lutte, «d'un combat victorieux de la personnalité souveraine, et donc saine, contre la pression héréditaire et neurochimique, contre les troubles de ce [qu'il a] appelé la gravitation intérieure» (Baudelaire, le malaise et «l'aura», p. 260, je souligne). Nous pourrions croire Léon Daudet, comme Émile Zola, dans le matérialisme le plus fangeux, et trempant sa plume dans le bidet où Renan, donc, lavait son cul, que nous ferions entièrement fausse route puisque plus d'une fois l'auteur vitupère contre «les sombres crétins du matérialisme médical» définissant la pensée comme une «sécrétion du cerveau» alors qu'elle est bien davantage, et la formule est superbe, «un rythme de rythmes» : «En effet, un écrivain, comme un savant, n'est pas seulement parcouru par des ondes rythmiques, quantitatives ou qualitatives, normales et classées, et glissant dans le sens unilinéaire du temps, ou polylinéaire de l'espace. Il est le point de rencontre et la jonction de ces rythmes, accourus de l'avenir, que l'on ne pourrait pas plus nier que le mirage, ou le pressentiment. Tout orateur, ayant l'habitude de la parole en public, sait qu'il est commandé par trois séries d'ondes intellectuelles : celles venues du passé, c'est-à-dire du thème qu'il s'est donné; celles venues du public; celles venues, plus subrepticement et plus mystérieusement, d'un résultat moral ou actif, à obtenir, qu'il n'entrevoir pas mais qui, à son insu, le guide. J'en ai fait personnellement l'expérience vingt fois; et ce qui est vrai de l'orateur est vrai de l'écrivain, et aussi du savant» (Rythmes et cadences de la prose française, p. 51). Ces rythmes, ce réseau de fines cordes qui semblent ne jamais s'arrêter de résonner, toutes parcourues de frissons qu'il importera au lecteur immense de capter et d'ordonner, prouvent donc que «les sommets de l'esprit se relient à des attaches organiques», Baudelaire, d'autres aussi, étant de fait «de connivence avec les secrets permanents de la vie animale» (Baudelaire, le malaise et «l'aura», p. 283).
Cette conception que nous ne pouvons absolument pas prétendre mécaniciste de l'univers, puisque les forces de l'esprit infusent la secrète architecture, puisque l'ambiance, ou l'aura, ou encore l'influence, l'atmosphère dira l'auteur (cf. p. 193), imprègnent l'histoire humaine, conception que nous pourrions sans doute, au prix d'une excessive simplification, nommer organique ou organiciste, apparaît très nettement lorsque Léon Daudet évoque les lettres françaises, qualifiées comme étant «une sorte de corps, qui a une continuité, des ramifications et une direction générale en dehors des corps des citoyens français qui se succèdent de famille en famille suivant les lois et des dérivations héréditaires» (Montaigne et l'ambiance du savoir, p. 163), le mouvement que réalise le critique littéraire pouvant en fin de compte être comparé à l'exploration méthodique d'un corps immense dont aucune des parties ne serait ignorée ni considérée comme ne faisant pas partie d'un tout dont il importe, avant tout, de bien comprendre la fondamentale complexité, si la visée du grand lecteur, comme la pensée de Montaigne selon Daudet, «se met à décrire des cercles successifs et subintrants, auxquels sont tangents d'autres livres et d'autres réflexions» (ibid., p. 164).
Ainsi pouvons-nous dire que, tout comme Léon Daudet resta émerveillé devant la pénétration de Charles Baudelaire, sa logique et ce «je ne sais quoi de divinatoire qui est au-delà de l'analyse et de l'exposé et qui fait les synthétistes et rassembleurs de premier plan» (Baudelaire, le malaise et «l'aura», p. 358), nous restons émerveillés devant la puissance synthétique de cet auteur, laquelle, il faut bien le noter, jamais ne se départit d'une formidable capacité de concentration de la vue, comme si ce pénétrant critique dispo

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03/11/2020 | Lien permanent

La démonologie dans la Zone

Photographie de Juan Asensio.

Littérature
David Gray:Reuters.jpgApologia pro Vita Kurtzii : Suttree de Cormac McCarthy.





3799730483.jpgApologia pro Vita Kurtzii, 2 : Méridien de sang de Cormac McCarthy.




AP Photo:Mohammad Abu Ghosh.jpgApologia pro Vita Kurtzii, 3 : David Peace en terre du Yorkshire.





Edgard Garrido:Reuters.jpgApologia pro Vita Kurtzii, 4 : Le jour de la colère de Dieu de Jean-François Colosimo.




3925317242.jpgApologia pro Vita Kurtzii, 5 : No Country for Old Men de Cormac McCarthy.




715734547.2.jpgApologia pro Vita Kurtzii, 6 : Exterminate all the brutes !





Pornchai Kittiwongsakul:AFP:Getty Images.jpgLord Jim de Joseph Conrad.





CRISTINA QUICLER:AFP:Getty Images.jpgL'Échelle de Jacob, Alain Cugno, Marianne Closson, etc.





3859293335.jpgFair is foul, and foul is fair : Macbeth ou l'ontologie noire.





Courtesy of Jessica D. Schiffman and Caroline L. Schauer; Drexel University.jpgIci et là-bas, toujours, le diable : à propos de Là-bas de J.-K. Huysmans.




Jonathan Franks.jpgLes Bienveillantes attendront... encore un peu.





2385370376.jpgGeorges Bernanos dans la Zone.





1619807253.jpgMonsieur Ouine de Georges Bernanos.





3020243884.jpgLe démoniaque selon Sören Kierkegaard dans Monsieur Ouine de Georges Bernanos (article d'abord mis en ligne sur Knol, site qui n'existe plus).



410203626.jpgO Demoníaco segundo Sören Kierkegaard em Monsieur Ouine de Georges Bernanos (traduction en portugais du précédent, par Carlos Sousa de Almeida).



1734709810.jpgUn Démon de petite envergure de Fédor Sologoub.





AP Photo:Hasan Jamali.jpgSous le soleil de Satan de Georges Bernanos.





942364382.2.jpgIdentification du démoniaque (extrait de l'avant-propos de La Littérature à contre-nuit).






Albert Tousson and Tomek Szul; Department of Cell Biology The University of Alabama at Birmingham.jpgJudas revu et corrigé par Pierre-Emmanuel Dauzat.





1434075477.jpgLe Démon de Hubert Selby Jr.





1990979902.jpgLe Mal absolu de Pietro Citati.




1715300355.jpgLa Légende du Grand Inquisiteur de Dostoïevski.





1553215967.jpgLa voix de la nuit de Marcel Beyer.





1690626914.jpgLes Carnets du sous-sol de Dostoïevski.





2459614825.2.jpgL'exorciste de William Peter Blatty et Rosemary's baby d'Ira Levin.





6489944.jpgL'Ange des ténèbres d'Ernesto Sábato.





1331736991.JPGLe Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov.





Cinéma
1429943319.jpgDamnation de Béla Tarr ou la sécheresse de l'âme.





3094573378.jpgDamnation de Béla Tarr, par Olivier Noël.





manhunter3.jpgManhunter de Michael Mann.





the-usual-suspects-original.jpgThe Ususal Suspects/Seven.





aph_3.jpgSaraband d'Ingmar Bergman.





AP Photo:Tara Todras-Whitehill.jpgLes envoûtés de John Schlesinger, par Francis Moury.





Edgard Garrido:Reuters2.jpgLes Vierges de Satan, par Francis Moury.





531788377.jpgLa chambre des tortures de Roger Corman, par Francis Moury.





Walter Piorkowski.jpgLes deux visages du Dr. Jekyll, par Francis Moury.





1560399417.jpgDracula au cinéma, une série de plusieurs notes par Francis Moury.





3158674843.jpgL’Exorciste de William Friedkin : la densité du Mal, par Gregory Mion.




1140038706.jpgM le maudit de Fritz Lang, par Francis Moury.





Peinture
les-sataniques-de-ontvoering-1882-felicien-rops.jpgSatan graveur : Les Sataniques de Rops.







goyadesastresGuerra.jpgSatan graveur : Les Désastres de Goya.





AP Photo:David Ramos.jpgDeux portraits du diable : Daniel Arasse, Arturo Graf.





4004507161.jpgOn ne voit décidément plus rien, ni Dieu ni diable, sans Daniel Arasse (premières lignes d'un article paru dans la revue Études du mois d'avril 2015.




Histoire
2579993037.2.jpgLe diable et l'historien Robert Muchembled.





2368592444.jpgLe corps du diable d'Esther Cohen. Varia.






Théologie, varia, livres
AP Photo:Pat Roque.jpgEntretien avec le Père Charles Chossonnery, exorciste.





KHALED DESOUKI:AFP:Getty Images.jpgSur la collection Atopia, aux éditions Jérôme Millon.





Dr. Havi Sarfaty.jpg

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15/11/2011 | Lien permanent

Sur une île, stalker, quels livres emporteriez-vous ?, 7

Photographie de l'auteur.
«The cold sweat melted from their limbs,Ne rot, ne reek did they;The look with which they look’d on me,Had never pass’d away.»Samuel Taylor Coleridge, La Ballade du Vieux Marin et autres poèmes (Gallimard, coll. Poésie, 2007), Chant IV, p. 54.1404789347.jpgStéphane Audeguy a beau pester, rien n'y fait, La Montagne morte de la vie de Michel Bernanos (1) est bien évidemment un texte remarquable et stupéfiant taraudé par une inquiétude religieuse qu'une vieille taupe athée et à l'odorat émoussé serait capable de renifler à mille mètres de son museau. La liste des signes évoquant une présence divine (qui est, bien sûr, dans ce livre, absence (2)) est accablante pour notre préfacier (il en donne lui-même quelques-uns, le plus évident étant un poème posthume de Michel Bernanos intitulé lui aussi La Montagne morte de la vie évoquant des prêtres continuant d'adresser leur prières à un Père absent), préfacier que Nicolas d'Estienne d'Orves auquel personne (hélas, si : un autre journaliste) n'a songé à demander son avis idiot, a bien évidemment tort de préférer à Dominique de Roux, dont le jugement, sur celui qui fut son ami, est fulgurant.Non seulement Michel Bernanos cite, significativement tout de même, le Baudelaire des Phares en exergue de son mystérieux conte que l'on peut lire comme un hymne à la ténacité et au courage des hommes (le renoncement, l'immobilité étant au contraire infernaux (3)), mais les mentions explicitement religieuses sont légion. J'en donne quelques-unes : Toine, le vieux compagnon du narrateur, L'évoque (p. 53) et Le prie (p. 82) alors que les métaphores liturgiques, elles, sont innombrables (p. 89 : «Sa voix fut aussitôt emportée, et, comme un chapelet de prières égrené à haute voix en semaine sainte, répercutée pendant de longues minutes par l'immense voûte gorgée de nuit». Page 113 : «Cette forêt entière priant, tous arbres inclinés, puis se relevant comme après une génuflexion !», etc.). 389614115.jpgCertes, Audeguy a bien raison de se méfier des lectures spiritualistes (dont celle, à ses yeux, de Salsa Bertin intitulée Michel Bernanos l'Insurgé parue aux Éditions de Paris) mais enfin, affirmer, comme il le fait, que La Montagne morte de la vie, est un texte «habité par une hantise différente, intensément physique» [à savoir : une Nature cruelle et incompréhensible pour l'homme], autre que celle de l'absence d'un Dieu incompréhensible, c'est prendre la cause pour l'effet.J'ai du mal à comprendre ces commentateurs qui, systématiquement, sous le prétexte fallacieux de ne point comprimer la formidable polysémie des textes qu'ils analysent mal et vite (réduisant donc eux-mêmes ladite richesse du sens...), refusent, du moins écartent prudemment la lecture religieuse qui, de fait, lorsqu'elle est intelligemment menée et sans volonté outrancière d'apologétique, subsume toutes les autres.J'indique enfin, à tout hasard, que La Montagne morte de la vie figure en son centre une plongée dans un vortex : y tombent non seulement les deux personnages (rendant de fait impossible, logiquement, quoique littérairement acceptable, la prise de parole du narrateur, mort ou plutôt pétrifié dans une minéralisation éternelle) mais Michel Bernanos, lui aussi mort lorsque ce texte somptueux a été publié en 1967 par Jean-Jacques Pauvert.Notes(1) Michel Bernanos, La Montagne morte de la vie (La Table ronde, coll. La Petite Vermillon, 2008).(2) Notons que, à la différence du magnifique poème de Coleridge appartenant aux célèbres Ballades lyriques, nulle rédemption ne sauvera le narrateur du conte de Bernanos. Toute la première partie de son texte évoque La Ballade du Vieux Marin et autres poèmes.(3) «Le dégoût n’est-il pas le commencement de l’acceptation ? Si l’acceptation est fatale aux gens normaux, elle est logique pour ceux qui restent muets aux questions qui pourraient les sauver», op. cit., pp. 109-10.

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29/05/2008 | Lien permanent

L'Architecture de Marien Defalvard

Photographie (détail) de Juan Asensio.

Marien Defalvard.jpgMarien Defalvard dans la Zone.








Quand les nains et les caco-nains commentent le tout dernier écrivain de langue française, ou petit traité de lecture en époque alogale

Architecture.JPGAcheter L'Architecture sur Amazon.

Voici quelques jours à peine, un joli chapelet d'andouilles radiophoniques présentant la particularité d’être composées de davantage de chaudins de blaireaux plutôt que de gras de porc, dont une parfaite idiote pigeant pour Elle (oui, une femme peut gagner ainsi sa vie, en accomplissant une aussi sale besogne qu’écrire pour un magasine comme Elle); oui, une lamentable sous-pigiste, une certaine Élisabeth Philippe qui ne sait même pas qu’un grand écrivain du nom de Carlo Emilio Gadda a par avance réduit à un peu de cendre refroidie et puante chacun de ses bavardages, peut écrire un monceau d’âneries à tropisme de petit flic (et, dès lors, faisant passer pour une enquête digne de ce nom sa consultation de Twitter et de Google) pour L’Obs et être payée pour cela, oui, et d’autres, d’autres nains et mégères, tant d’autres se reproduisant, comme les mouches à merde, par génération spontanée sur la carne avariée de la Presse), ou encore, pour continuer à détailler ces exemplaires d’une évolution régressive, d’une dévolution comme disent les Anglais, de l’homme, le communiste des beaux quartiers Arnaud Viviant, le pseudo-décadent et vrai arriviste poudré Frédéric Beigbeder et je ne sais plus quelle nullité (ah, si, un certain Jean-Claude Raspiengeas, dont le nom est si laborieusement laid à prononcer qu’il vous démange la glotte comme un crachat), nullité parfaitement digne d'écrire pour La Croix, tous fiers, en tout cas de leur stupidité bavarde, de leur inculture triomphante, assumée, décomplexée, pornographique, germanopratine, échangèrent donc avec force gloussements, silences entendus de conspirateurs de troquet et mines que l'on devinait interloquées tout autant que complices, sur l'antenne consanguine de France Inter, de consternants truismes que je résumerai en quelques mots : Marien Defalvard est un écrivain passablement compliqué à lire, pas vrai Raoul ?, mais son dernier roman (1), L'Architecture, alors lui, est, je vous le dis tout de go, parfaitement i-l-l-i-s-i-b-l-e et même tout simplement hermétique ! En tout cas, moi, Frédéric, moi, Jean-Claude, moi, Arnaud, moi, Jérôme et moi, Bécassine, je n’y ai rien compris !. Quelques jours plus tard, cette fois-ci pour Le Figaro Magazine, Frédéric Beigbeder, omniprésent lorsqu’il s’agit d’écrire ou de parler pour ne rien dire et le dire, qui plus est, sans éclat mais avec la nonchalance de celui qui, depuis qu’il est né, n’aura jamais exercé d’autre spécialité que celle de branleur, dont il est Docteur honoris causa d’un bon millier de bars parisiens, répétera que Marien Defalvard est un «génie illisible», un propos stupide qui sera pratiquement recopié, mot pour mot, par Christian Authier (qui n’oubliera tout de même pas de saluer les nouveaux livres de ses petits copains Jérôme Leroy et Sébastien Lapaque) pour L’Opinion Indépendante : ces nains sont tellement peu sûrs d’eux-mêmes qu’ils vont, on le suppose inconsciemment mais je n’en suis pas certain, jusqu’à se recopier les uns les autres, en invoquant, dans les cas d’Authier et de Beigbeder, Lautréamont, comble, pour ces cerveaux en forme de crachoir, de la difficulté, que dis-je, de l’impénétrabilité littéraire !
Misère de la critique journalistique française bien sûr, ces clowns qui jamais n’ont fait rire devant se contenter, faute de moyens esthétiques, littéraires et tout bonnement : intellectuels, d’une accusation d’illisibilité, confondante aberration à la morgue jupitérienne fientée par ces perdreaux aux ailes rabotées avec une autorité de saint Jean proclamant l'ouverture des sceaux au-dessus de la mer d'huile entourant Patmos, et sans doute reçue – mais là encore nous ne pouvons qu’imaginer sa mine ahurie – avec un hochement de tête par Jérôme Garcin qui était chargé, en fait de distribution de la parole, de repasser les plats remplis à ras bord d’un potage verbal aussi peu ragoûtant : de la merde, n’est-ce pas, quelle que soit la manière de l’accommoder, reste de la merde. L’Architecture est donc illisible selon l’alpha et l’oméga de la critique journalistique, et même, nous dit notre GO mononeuronal, imbattable dans l’imbitable, ce qui, dans la bouche pâteuse de ce Monsieur de Phocas de bac à sable, doit il me semble correspondre à un compliment enrobé dans un mot qu’il a le tort de croire bon et qui n’est qu’une déjection supplémentaire, cette fois-ci entourée d’une imitation de papier de soie.
Je suis particulièrement frappé, au-delà bien sûr de la crétinerie inimaginable de ces cuistres qui font pourtant office de critiques littéraires sur moult types de supports médiatiques (le plus possible, si possible), par la fausseté de leurs dires, qui ne sont même pas des affirmations mais, tout au plus, de molles hésitations, des flatulences, qu'ils lâchent en tournant autour du trou de toilettes à la turque qui leur sert de cerveau infundibuliforme : disons-le comme nous le pensons, L'Architecture se lit parfaitement, bien plus facilement en tous les cas que de très compacts petits tas de conneries point recyclables comme le sont les livres d'une Cécile Coulon, seule écrivassière à laquelle les journalistes pensent, avant même de songer que le génie de Pascal a jadis irrigué les rues de la ville de Clermont-Ferrand qui, marâtre, détruisit sa maison, lorsqu'ils veulent tenter d'associer l'idée de littérature, celle qu'ils s'en font bien sûr, à l'ingrate cité saccagée des années durant par une municipalité quasiment soviétique, pire que soviétique puisque française, stalinienne donc, ou encore à la région auvergnate, à peu près épargnée par ces salopards salopeurs et même raseurs de patrimoine, dont la folie destructrice eût dû être confinée dans une grande salle capitonnée avec, pour obligation de soins, le visionnage 24 heures sur 24, de documentaires sur la destruction méthodique de villes entières : peut-être y auraient-ils vu qu’à trop vouloir faire table rase du passé, c’est l’homme que détruisent ces réformateurs intraitables ? Il a quoi qu’il en soit toujours été parfaitement clair à mes yeux que ce ne sont pas les grands textes qui sont durs à lire, voire incompréhensibles, imbitables selon Frédéric Beigbeder, ce nouveau Sainte-Beuve, mais, bien au contraire et au rebours des affirmations les plus sottes, les mauvais, les médiocres, les petits, les nuls, comme ceux d’une autre Auvergnate, Cécile Coulon et de ses innombrables consœurs, toutes écrinaines et déparant d’autres belles régions françaises, cachant leur totale indigence de baudruche vulgaire et peroxydée dans le cas qui nous occupe sous le vernis d'une insipide simplicité qui ne berne que les sots, certes nombreux, surtout lorsqu'il s'agit de promouvoir de si rondes boulettes de fumier.
Si je voulais continuer à choquer les imbéciles, je m'amuserais même à prétendre que L'Architecture se lit non seulement d'une traite, mais ne m'a causé aucune difficulté particulière, de lexique comme de forme (je veux dire : de structure grammaticale), contrairement à tels autres textes eux aussi réputés «imbattables dans l’imbitable» comme Tristram Shandy de Laurence Sterne, Locus Solus de Raymond Roussel, Gothique charpentier de William Gaddis, Absalon, Absalon ! de William Faulkner, Le Purgatoire de Pierre Boutang ou encore Sous le volcan de Malcolm Lowry, voire Monsieur Ouine de Georges Bernanos, bien souvent considéré comme le roman le plus obscur et difficile, pardon Frédéric, «imbittable», du Grand d’Espagne : ce ne sont du reste pas des textes que nous pourrions qualifier, rapidement, sottement, journalistiquement, d'hermétiques à proprement parler, comme le sont par exemple ceux du si tristement surestimé Pierre Guyotat ou bien, d'un degré bien supérieur à ce dernier, ceux de Maurice Scève (la Délie est nommée, p. 185) ou de Georg Trakl, et que dire de Paul Celan. Ces textes sont difficiles parce qu'ils évoquent la matière même qui les constitue, qui nous constitue, le langage et, l'évoquant, parce qu’ils le mettent en joue et en jeu, jouent avec lui, s'enfoncent en lui, et ce sera, dans ce concours extraordinairement sélectif, à celui qui parviendra à creuser le plus profond, moins, d’ailleurs, pour y trouver du nouveau, selon l’impératif baudelairien, que pour y retrouver ce que l’on a perdu.

Le saint langage ou la descente dans la fosse de Babel

Exploration des plus épaisses couches du langage, L'Architecture est aussi, d'abord même, au niveau le plus superficiel où barbotent les animalcules à tuba et palmes en plastique mou, un remarquable essai sur la littérature, sur ce qu'est la grande littérature et celles et ceux qui la font aux yeux de l'écrivain. Pour Marien Defalvard, le style se caractérise avant tout sinon uniquement par l’écart, le pas de côté : «non la fusion mais l'inadéquation, l'inappropriation; la singularité qui apparaissait dans les grincements, dans les brisements, dans les points-virgules écaillés, non pas dans l'application heureuse, le succès» (p. 154). Ainsi le texte de Marien Defalvard fourmille d'impressions, de jugements, de rapprochements, le plus souvent étonnants et parfois remarquables, sur des auteurs comme Virginia Woolf, «l'alacrité anglaise qui fait baigner le dernier état de la mélancolie victorienne dans les obus prochains» (p. 161), Shakespeare (surtout par l'évocation de sa pièce la plus noire, Macbeth), que Defalvard, sur les brisées d'Ezra Pound, orthographie à sa façon phonétique et signifiante (soit «Shaxpeare»), mais aussi, bien qu’ils ne puissent être directement rattachés à la seule littérature, Pierre Legendre ou encore (et encore, et encore, hélas) René Girard, Philippe Muray, d’autres aussi, comme Carlo Emilio Gadda, et son Château d’Udine (cf. p. 28).
Mais ce n’est là que la surface des choses je l’ai dit, quelques noms d’auteurs que les journalistes, en pseudo-lecteurs paresseux, prélèveront ici ou là sans jamais comprendre quelle cohérence intime a exigé leur mention, leur apparition au détour d’une phrase qu’en apparence rien ne prédisposait à voir germer en tel ou tel bouquet. Tout au plus de quoi écrire un petit article qui, dans le meilleur des cas, saluera l’évidence si affreusement située au rebours de toutes les assurances contemporaines selon laquelle un grand écrivain est aussi, d’abord là encore, un grand lecteur. Dans cette exploration de la littérature et des cavernes et puits sur lesquels elle s’appuie, Marien Defalvard est l'un de ceux qui descend le plus bas, qui, même, parfois, comme l'indique telle image éblouissante, telle comparaison ou métaphore qui ne sont pas simplement remarquables mais géniales en ce sens qu'elles établissent des rapports évidents mais que lui seul aura ainsi signifiés, qui même, donc, parvient à passer derrière, au-delà ou en dessous on ne saurait dire de quelque inimaginable frontière du langage. Ce qui saisit, plus d’une fois, à la lecture de L’Architecture, c’est tel méplat de visage qu’on croyait enfoui et qui brille selon un angle inaccoutumé, telle tranchante pointe qui, une fois dégagée la terre autour d’elle, se révélera n’être que le sommet le plus pointu d’un édifice inconnu, comme les explorateurs des textes de Lovecraft ou de Machen, en passant le doigt sur un relief aux motifs étranges, ont la sensation bizarre qu’ils commencent à s’aventurer dans un royaume qui n’est non seulement pas de ce monde mais en aucun cas ne les préservera de rencontres dangereuses, de noires révélations. Comme toujours chez les très grands, il y a, dans la prose de Marien Defalvard, des espèces de trouées qui, dans une mare que nous pensions connaître, ouvrent des puits de profondeur d’un bleu d’outre-monde.
Voici quelques jours, profitant de sa présence, devenue rare, à Paris, Marien et moi avons longuement discuté en marchant vers la gare d'Austerlitz, et n'avons pas fait qu'aborder W. G. Sebald, qu'il ne tient pas en aussi haute estime que moi, mais l'un de mes textes, dont je ne tire aucune fierté particulière, La chanson d'amour de Judas Iscariote; Marien s'est déclaré surpris que je n'aie pas désiré m'aventurer, de nouveau, dans ces territoires finalement assez peu explorés qui se situent aux confins de la prose et de la poésie, de l'essai et du roman et, parfois aussi, mais ce choix était pleinement assumé, de l'hermétisme. Imaginant, sous la figure de Judas, quelque impossible dernier écrivain ou, pour le dire avec les mots de Marien Defalvard qui lui aussi peut prétendre tenir ce poste de vigie si peu enviable, le dernier homme, le dernier de cordée ou de lignage (cf. p. 88), il me fallait bien tenter de sonder ce que le rapport pour le moins paradoxal que l'apôtre-félon a noué avec le Christ, autrement dit le Verbe incarné pour la théologie chrétienne, forer, à mon tour, après tant d'autres, probablement avant d'autres qui, je le crains, deviendront de plus en plus rares à mesure que le langage s'amenuisera à une novlangue macronienne, il me fallait bien m'enfoncer dans le tuf primordial du langage, produisant un texte pour le coup énigmatique après plusieurs années d'écriture, de réécriture, de polissage, de sertissage des mots. Ah oui, on peut dire, selon le mot qu'aimait citer Bernanos, que je n'ai alors pas tenu une plume pour rigoler ! Marien Defalvard lui non plus, ne tient pas une plume pour rigoler, se souvient peut-être de Jacques Chessex écrivant, dans L’Interrogatoire, qu’il ne faut jamais «considérer la littérature comme un jeu, mais se rappeler que tout vrai texte manifeste la Parole dans la parole», ce qui signifie assez clairement qu’il vous faut laisser tomber les billevesées sur la prétendue illisibilité de ses textes, car vous pouvez être certains que ce que lui reprochent les sots que j’ai mentionnés, et une foule d’autres, connus ou pas, c’est justement qu’il ne le fait pas, qu’il ne s’amuse pas en écrivant, mais alors vraiment pas une seconde, puisqu’il rappelle à ces pitres ce qu’ils ont oublié dans le meilleur des cas ou, plus sûrement, n’ont jamais soupçonné : l’écriture et, à un moindre degré, la lecture, sont toutes deux expositions de celui qui les pratique à la corne de taureau évoquée par Michel Leiris dans L’Âge d’homme. Voyez, au moment de comprendre qu’ils s’engagent dans une rue où ils risquent de gager leur peau de trouillards, nos bravaches : lâchés sans autre solution que courir aux ferias de San Fermín, vous pourrez être certains que, dans l’exemple le moins manifeste de débandade radicale, ils tenteront de cacher l’auréole de pisse dont leur peur comique aura poissé leur pantalon. Cette peur, ce relâchement de vessie et même de sphincters, ils l’étalent, à leur façon inconvenante car publicitaire, dans ce qu’ils écrivent : tous ces imbéciles, en fait, exsudent leur trouille quand ils écrivent.
Defalvard.JPGMarien Defalvard ne rigole pas c’est une certitude, plus d’un événement, d’ailleurs, lui a apparemment passé l’envie de rigoler, lui dont l'esprit de sérieux passera pour de la prétention; or, de la même manière qu’il en va pour les grands textes, les grands auteurs ne sont jamais prétentieux, puisque ce sont ceux qui jouent à paraître ce qu'ils ne sont pas, des écrivains, qui le sont, et au plus haut degré, comme tant d'exemples suffisent à nous en convaincre, de l'indigent Emmanuel Carrère, fils de maman, jusqu'au kouglof verbal sué par Mathias Enard qui se croit le fils de Balzac, ou au mage de pacotille Yannick Haenel confondant une pellicule de peau saponifiée de Philippe Sollers avec le rayonnant aleph dont parle Borges, en passant par tous les animalcules, têtards, plantigrades, etc., sollersiens ou pas, et toute la clique écouillée mais pas moins cacographique des éditions POL, tant d'idiotes intarissables aussi, et puis tous ces écrivaillons n'ayant rien à dire mais, tel un Sylvain Tesson fils de papa, le disant quand même, devant un parterre de crétins et, hélas pour les mâles idéalistes, s’il en reste, d'idiotes à cyprine hypokhâgneuse.
Marien Defalvard, lui, comme le prouve chacune des critiques que j'ai consacrées à ses trop rares textes, est un monstre qui va finir par devenir absolument unique, puisqu'il est tout entier composé par le langage. Lui-même le dit, et cette affirmation suit de quelques lignes à peine une distinction entre deux types d'écrivains, ceux qui creusent (Paul Gadenne (2) d'un côté, dont L'Avenue constitue comme un palimpseste et l'horizon si tentateur, à la fois esthétique et ontologique, peut-être même théologique, de L'Architecture, et Nabokov de l'autre, celui des écrivains qui se donnent au monde, vont vers lui, le dévorent en quelque sorte); d'abord, donc, la confession de l'auteur, qui écrit que sa «dépendance aux mots était une dépendance de drogué, la dépendance de l'opiomane ou du cocaïnomane malheureux, qui connaît sa dépendance mais aime à l'éprouver avec une espèce de gratuite répétitive ou de répétition gratuite, et l'éprouve avec une voluptÃ

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14/01/2021 | Lien permanent

Presque tous mes entretiens radiophoniques

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Photographie (détail) de Juan Asensio.
C'est à Benoît Comte, que je remercie chaleureusement, que je dois ce presque exhaustif travail de synthèse. Je ne fais dans cette note que reprendre sa propre compilation, disponible ici.
Deux entretiens manquent, l'un avec Mathieu Bénézet, l'autre avec Philippe Barthelet sur les ondes de France Culture.
Mon émission la plus récente figure ci-dessous.



Entretien avec Pierre Mari dans l'émission de Charles de Meyer sur Radio Courtoisie, le 12 juin.

Entretien avec Anne Brassié sur Radio Libertés, le 7 mai 2019.

Entretien avec Rémi Soulié sur Radio Courtoisie, le 6 mai 2019.

Bernanos, encore une fois, avec Henri Quantin (ancien collègue de khâgne retrouvé pour l'occasion) sur Radio Courtoisie, dans l'émission de Charles de Meyer, le 30 janvier 2019.

Dialogue avec Patrice Jean et Mickaël Poquelin pour l'Université réelle à Montpellier, le 5 mai 2018. La version initiale, filmée, est disponible sur YouTube ou sur le site de l'Université réelle.

Au régal du management : portrait intellectuel d'un jeune philosophe. Avec Baptiste Rappin, Juan Asensio et Rémi Soulié sur Radio Courtoisie, invités par Charles de Meyer, le 28 juin 2017.

Conférence sur la novlangue à l'Institut d'Administration des Entreprises de Metz, à l'invitation de Baptiste Rappin, le 12 mai 2017.

Entretien avec Pierre Mari et Charles de Meyer à propos du roman intitulé Les Sommets du monde sur Radio Courtoisie, le 12 avril 2017.

Entretien avec Charles de Meyer à propos de Léon Bloy, sur les ondes de Radio Courtoisie, le 8 mars 2017.

Entretien avec Charles de Meyer à propos de Georges Bernanos sur Radio Courtoisie, le 11 janvier 2017.

Surpris par la nuit, une émission animée par Mathieu Bénézet et consacrée à Georges Bernanos, le 9 février 2009. Je rends compte, de façon assez mitigée, de cette émission dans cette note.

Blogosphère et littérature sur Canal Académie, avec David Abiker et Élodie Courtejoie pour radio Canal Académie / Institut de France, 2008.

Hommage à Philippe Muray. Avec Renaud Camus, Élisabeth Lévy, Juan Asensio et Basile de Koch chez Paul-Marie Couteaux sur Radio Courtoisie, le 28 février 2007.

Avec Antoine Buéno pour son émission Plume & Plomb sur Fréquence Paris Plurielle, le 14 mars 2005.

Avec Philippe Barthelet pour une émission consacrée à George Orwell sur les ondes de France Culture, le 30 juin 2002.

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09/06/2019 | Lien permanent

Mer variable où toute crainte abonde

Photographie (détail) de Juan Asensio.
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751872114.jpgChristophe Colomb devant les cochons.





1803438018.jpgLes aventures d'Arthur Gordon Pym d'Edgar Allan Poe.





2526854467.JPGBenito Cereno de Hermann Melville.





2874731195.jpgBilly Budd, marin de Hermann Melville.





3292584513.jpgLe Maître de Ballantrae de Robert-Louis Stevenson.





938802740.jpgLe Trafiquant d'épaves.





4128961250.jpgLe navire poursuit sa route de Nordahl Grieg.





4162903430.jpgUltramarine de Malcolm Lowry.





Christian HartmannReuters2.jpgLe Quart de Nikkos Kavvadias.





3485478472.jpgLord Jim de Joseph Conrad.





4210579709.2.jpgNostromo de Joseph Conrad.





1978492553.JPGLa Montagne morte de la vie de Michel Bernanos.





2616268723.jpgLa Côte sauvage de Jean-René Huguenin.





131919522.jpgUn rescapé de La Méduse : mémoires du capitaine Dupont, 1775-1850.

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18/07/2014 | Lien permanent

Arthur Machen dans la Zone

Crédits photographiques : Supri (Reuters).
404725187.jpgLe Peuple blanc.





1399713020.jpgLes trois imposteurs.





AP Photo:Montgomery Advertiser, David Bundy.jpgMonsieur du Paur contaminé par Arthur Machen.





1405785745.jpgLa Terreur d'Arthur Machen.





3003059339.jpgL'Ami des bêtes (une histoire désobligeante non recueillie en volume par Bloy) rapprochée de La Terreur d'Arthur Machen.




1351770566.jpgLe Grand Dieu Pan d'Arthur Machen.





3407836264.jpgRelecture du Grand Dieu Pan.





1608770645.jpgArthur Machen : une influence souterraine de Georges Bernanos ?.






1104510459.JPGNouvelle édition du Grand Dieu Pan aux éditions Lumpen, agrémentée d'une préface/essai intitulée Arthur Machen ou les voies de la dévolution.

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07/10/2011 | Lien permanent

Philosophies du secret de Jean-François Marquet

Goya, Le Sabbat des sorcières, 1798
Si je n'hésite jamais à me moquer des tartuffes verbeux, surtout lorsqu'ils s'abritent derrière un paravent de culture aussi fin qu'un voile de gaze et quelques mots trop forts pour leurs petites plumes vaporeuses, j'éprouve en revanche beaucoup d'admiration non seulement pour les auteurs ayant exploré l'ésotérisme mais aussi pour les chercheurs capables d'évoquer intelligemment ces pensées (ou ces véritables systèmes de pensée) bien souvent complexes, voire tortueuses. Mon goût pour cette matière, aujourd'hui, enfin !, considérée à sa juste place par l'Université, est né plus ou moins au moment où je commençais à m'intéresser à la démonologie, à la sorcellerie, au satanisme dans ses manifestations les plus diverses, qu'il s'agisse de vieux récits de possession diabolique, d'entretiens avec des prêtres exorcistes ou d'enquêtes officielles menées sur des cas atroces de tueurs en série. Choqué, à tous les sens du terme, par la découverte des romans de Bernanos, je me lançai dans la lecture de centaines d'ouvrages, plus ou moins sérieux, qui évoquaient le diable et ses pompes, le démoniaque. Aucun d'entre eux ne me donnait pourtant du démon la vision hallucinée que le Grand d'Espagne, dans Monsieur Ouine par exemple, peignait avec les couleurs boueuses du Miserere de Rouault. L'ésotérisme, surtout par certains de ses plus dignes représentants tels que Böhme ayant pourtant évoqué longuement la figure du Tentateur, ne pouvait, lui aussi, que me décevoir : à quelle profondeur s'était donc aventuré Georges Bernanos pour nous ramener des ténèbres une vision du Mal que je crois absolument unique et irremplaçable dans la littérature ?

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05/08/2007 | Lien permanent

Le sacerdoce de l’imposture, par Jean-Baptiste Fichet

Crédits photographiques : Marcelo del Pozo (Reuters).
J'adresse mes remerciements à Jean-Baptiste Fichet qui m'a autorisé à reproduire son article mis en ligne sur le site Parutions.com.RappelGeorges Bernanos dans la Zone.Sur L'Imposture et la préface que j'ai rédigée pour la nouvelle édition donnée par Le Castor Astral.La maison Plon bazardant, toute honte bue, l’œuvre de Bernanos : jolie manœuvre, où l’ironie vient tranquillement vérifier les prédictions de l’auteur de La France contre les robots, lequel voyait se lever un monde de petits calculs érigés en vastes entreprises, prodigue des menues trahisons qui font les grands naufrages. Ignoré des douaniers de la culture, ce lâchage d’un écrivain de la trempe du Grand d’Espagne, soudain rabaissé à une ligne de bas de bilan, nous murmure, dans un minuscule renvoi, quelque chose de l’actuelle puissance d’oubli de la France, de sa furie de reniement, pendants exacts du «devoir de mémoire» dont on nous rabâche sans cesse les oreilles. Dieu merci, quelques-uns savent encore ce qu’est la mémoire sans fidélité : une imposture, précisément. C’est l’honneur des éditions du Castor Astral d’avoir, en dépit d’une tirelire qu’on n’imagine pas obèse, tiré Bernanos de la fosse d’aisances de la civilisation des machines. Dans nos mains, donc, ce beau volume de L’Imposture (roman paru en 1929), rouvert avec l’angoisse sourde qui précède toute plongée dans les songes de Bernanos, songes d’une rare densité, d’une extrême touffeur, où le surnaturel prétend néanmoins à une nudité crue, désencombrée de symboles.Aujourd’hui que la couenne de beaucoup de consciences se dore, paresse ou lâcheté, d’une suave couche de miel, lire est vain tant qu’on ne se sent pas soi-même un peu chimère, un peu monstre, et avide d’être dégrossi par quelque scalpel chauffé à blanc : la lucidité d’un écrivain supérieur, par exemple. L’enfant s’identifie aux héros des contes ; qui se veut un peu enfant, aujourd’hui, se cherche dans le monstre. Banalité ? Soit. Et cependant on voit, le XXe siècle achevé, l’indolent Monsieur Prudhomme persister dans le confort moral, quand un Baudelaire lui déclare, malicieux, que «la vie fourmille de monstres innocents» : «Monstre innocent ? chante notre bonhomme. Comme c’est curieux ! Et dans quelles eaux, je vous prie, croiser un tel animal ?» Ces candeurs bouffies, ces jugements crevés, ne laissent pas d’interloquer l’observateur naïf, mal renseigné sur les subterfuges de l’amour-propre, et cette espèce d’immunité paradisiaque propre à la bêtise. De L’Imposture, à travers la plaie ouverte du personnage de l’abbé Cénabre, suppure la mauvaise nouvelle : le mensonge, ce poulpe, a peut-être déjà posé sur nous sa ventouse vorace… Sur nous – et pas seulement sur le voisin, cet aimable déversoir du pharisien. Car notre âme manque d’yeux pour elle-même : sait-elle si un cancer ne ronge pas déjà ses assises, en silence ? S’est-elle assuré qu’aucun éclair, au cours d’aucune nuit, ne lui révélera un socle vermoulu, sous des dômes fissurés ?Les imposteurs ne datent évidemment pas d’hier. Seulement, nous dit Bernanos, une imposture d’une espèce nouvelle croît, qui colle à la peau des temps comme la tunique de Nessus à celle d’Hercule… Elle colle aux temps, sans les brûler ! Le mensonge, tel que le fouille l’écrivain dans la figure de l’imposteur et apostat Cénabre, c’est moins ce jet de pus, de sang et de boue qui maculait, par intervalles, avec plus ou moins de force, les âmes et les temps, qu’une sorte de givre arachnéen, perforant de ses cristaux la chair du monde, et l’érodant, la creusant, la paralysant… Son imposture conçue, Cénabre, effaré, se fouille et se fige : il n’y a plus rien ! Sous le masque, nulle chair : le mensonge a tout dévoré !«Écrire un roman n’est pas un exercice de charité», cette parole de la romancière catholique américaine Flannery O’Connor va bien au teint de Bernanos. L’Imposture en témoigne, et sa scène d’introduction, l’une des plus brutales qui se puissent lire : alors qu’agenouillé face à son directeur spirituel (Cénabre), le lamentable Pernichon débite une confession rosâtre gouachée d’un peu de gris, il est fendu en deux par le regard d’un Cénabre soudain basilic : «Votre médiocrité tend naturellement vers le néant, l’état d’indifférence entre le mal et le bien. Le pénible entretien de quelques vices vous donne seul l’illusion de la vie». Arrêt impitoyable, rendu par Cénabre comme une guillotine lâche son couperet… Décapité, déboussolé, Pernichon en est réduit à cavaler en tous sens, à la recherche de sa triste tête, que ses confrères momifiés de la presse catholique s’ingénieront, du bout de leur orteil gangréné, à pousser au fond d’un puits. Menu fretin, ce Pernichon, qu’un trait de plume saignant de Bernanos renvoie au néant. Le fort gibier, c’est Cénabre : la médiocrité supérieure, le hiératisme torve du prêtre, font de son âme un butin de choix, digne d’être disputé par les puissances de l’invisible.Esprit fort, âme spartiate, sphinx assis sur la certitude de sa valeur, l’abbé Cénabre a aperçu dans Pernichon, cette flaque humaine, le reflet de sa propre imposture, la vase de son mensonge : éclair qui a allumé sa rage d’extermination. Pernichon est en effet une des multiples figures du double qui peuplent le roman, décrites par Juan Asensio dans sa robuste préface, comme «autant de personnages littéralement rentrés en eux-mêmes, tombés dans un réduit où ils demeurent prostrés, incapables de faire éclater la bulle pestilentielle depuis laquelle ils contemplent une réalité déformée par leurs envies, leurs complots, leurs mensonges, leurs sordides manœuvres». Cénabre cependant était lui-même double, dès l’adolescence. Il se voit double dans ses doubles, pour ainsi dire : Pernichon renvoie au prêtre sa propre duplicité, sa nature de faussaire. Quarante années durant, Cénabre a ciselé de surfines Vies de saints, attentif à sélectionner des spécimens assez rares qu’il pût les tripoter à sa guise, et réaliser coup sur coup cet exploit de friser l’hétérodoxie sans jamais y tomber, à l’admiration des aigrefins du ralliement démocratique et autres combinards ecclésiastiques… Pourquoi cette suspicion foncière de Cénabre envers les saints, pourquoi ce goût de dégrader ? Il y a un secret, enfoui dans les ténèbres de l’enfance, pour y rester ; un vice originel, cause que Cénabre a cru, quarante ans durant, aimer ses saints, quand il écrivait de la sainteté «comme si la charité n’était pas»… Faute impardonnable ! Pour le chrétien Bernanos, l’esprit se corrompt aussitôt qu’il s’écarte du double foyer de la raison et de la charité. Ivre de raffinement spéculatif, ayant nourri «une curiosité sans amour», Cénabre s’est rendu incapable du grand, du net, du simple saut de la charité. L’amour seul, cette flèche, touche sa cible ! Le prêtre cependant n’est plus qu’intelligence – l’intelligence à front de taureau ! Il a voulu ses saints défectueux comme lui, il les a crus, ces divins simplets, réductibles à quelque formule secrète – ainsi nos cuistres modernes s’appliquant, armés d’un microscope et d’une pince à épiler, à dénicher dans la crinière des grands morts les mêmes poux qui leur labourent le crâne, pour se consoler… Les saints n’ont pas de secret ! tonne Bernanos. La sainteté, c’est la nudité, c’est l’offrande… C’est l’abandon.Comment Cénabre ne se cabrerait-il pas sous la douceur terrible de l’abbé Chevance, ce «confesseur des bonnes» dénué de tout calcul et de toute prudence, âme prosaïque rasant de célestes pâquerettes, et qu’une parole contient : «J’ai si peu l’habitude de m’observer que mon propre visage même ne m’est pas – comment dirais-je ? – trop familier…» Chevance est tout bonnement un saint, dont la voix fait sauter les masques, et le regard rompt les armures les mieux jointes. Dans celle, bronzée, de Cénabre, ce limier du ciel guette une faille où déverser, à pleines mains, l’or liquide d’une pitié. Peine perdue : aux yeux de Cénabre, cet entomologiste clouant saint sur saint à son liège comme autant d’insectes rares, Chevance ne sera jamais qu’une bête curieuse ; dit autrement : un récit à déconstruire, un «écheveau, que [Cénabre] peut dévider brin à brin»… Un écheveau ne sauve pas ! À une intelligence pure comme Cénabre, heurtée à ses confins comme un physicien à sa particule, tout paraît résolu, et vain. Le sursaut ? Pose, encore – imposture dans l’imposture. Scrupule, délicatesse monstrueux de l’homme embastillé en lui-même, et qui se fait fort de miner toute issue ! Par la pitié de Chevance, par «la main terrible et douce» de Dieu, Cénabre se croit traqué. Ne reste qu’à singer le Christ, à contrefaire encore : «Quid me persequeris ? Pourquoi me persécutes-tu ?» Cette parole grimaçante, elle a auparavant ricoché, sans le fatras lyrique, dans la bouche d’un mendiant ramassé par Cénabre dans les rues de Paris : Framboise, jadis Ambroise – autre figure du double, et prince du boniment et de l’ordure. Dans cette scène prodigieuse, mixte grotesque de marchandage, de course-poursuite et de viol, l’imposture se cherche dans la comédie, l’enfance sous le détritus : «Pourquoi jouez-vous ce rôle inepte ?», harcèle Cénabre, «Pourquoi vous avilissez-vous ?» Scène superbe, où Cénabre, mendiant véritable, réclame la manne infiniment nourrissante d’une parole «qui ne soit pas abjection pure» ! Sans succès : comme lui, Framboise a perdu «jusqu’à sa vérité, jusqu’à son nom».La tragédie de l’homme sans nom, c’est que le tragique même se dérobe à lui ; le feu caresse la surface ripolinée de son âme, sans la mordre. Cénabre, à lui-même : «Si ta chair tremble, c’est de froid» ! Écran de fumée, sans feu, résolu dans un romantisme de foire : «Je me suis débattu cette nuit dans des ténèbres exceptionnelles», achevé par le point d’orgue d’un ricanement démentiel. Mécanique huilée, dont Bernanos restitue superbement l’infernale logique. Mais ce ricanement, ce rire de chacal blessé, qui le pousse ? Cénabre ? Le diable ? On ne sait... Ce rire maelström renvoie Cénabre sur la minuscule banquise de son non, où cet ancien roitelet se découvre nu, et grelottant : il n’y a plus personne ! Enfer bien sûr, >i>enfermement, sans la consolation des très hautes températures ; ce bon Lucifer lui-même a pris congé, qui jadis offrait de fouetter un peu le sang des damnés, pour le réchauffer… Il n’y a plus personne. «Peine d’Absence», disait Péguy de l’enfer. Nier l’autre – Chevance, ici –, c’est ratifier l’Absence divine, et Cénabre récusera jusqu'à ses larmes – cet autre en lui. Cabré, il bascule dans sa nuit : «Alors [Chevance] enfonça ses deux bras dans les ténèbres, et en retira une main inerte et molle, qu’il pressa sur sa poitrine, en gémissant».«La dernière ligne écrite, j’ignorais encore si l’abbé Cénabre était oui ou non un imposteur, je l’ignore toujours, j’ai cessé de m’interroger là-dessus», note Bernanos dans Les Enfants humiliés, quinze ans après L’Imposture. Limite du romancier catholique, qui croit à la volonté et au libre-arbitre, lesquels lui échappent quand il pose sa loupe sur eux ? «Quelque part que sa jeunesse ait faite au mensonge, une heure est venue entre toutes les heures où l’indifférence s’est muée en un renoncement volontaire, délibéré, lucide», est-il écrit de Cénabre dans L’Imposture, comme si le cauchemar du prêtre était consenti. Cependant, plus tard (Les Enfants humiliés encore) : «Pour mériter le nom d’imposteur, il faudrait qu’on fût totalement responsable de son mensonge, il faudrait qu’on l’eût engendré […]» Cénabre, monstre d’affectation, colossale baudruche, d’abord cible de Bernanos, ne lui paraît plus, après écriture, qu’un pauvre diable ; une outre percée. Alors, à quoi bon accabler un malheureux imposteur ? À quoi bon, oui, le persécuter ? Pour Bernanos, comme pour tout écrivain de race, il s’agit d’arracher, à fortes poignées, la bourre bombant le buste d’épouvantails grandioses : effort épuisant, démesuré, ne se résolvant jamais que dans l’impuissance souveraine du titan… Lequel s’exclame, désignant un établi d’or jonché de haillons et de fétus de paille : «Qui aurait imaginé ce qu’il coûte de vie, de peine, de sueur, pour montrer… ça !»Glaçant roman que L’Imposture, où se cherche, avec une rare puissance, une métaphysique de la duplicité, du travestissement natif. Le masque, nous dit Bernanos, a passé du visage au cœur – cœur voué à se manquer. À vrai dire, l’abbé Cénabre, ce Tartuffe éclos dans une gaine d’acier, nous pouvons le respecter un peu, lui dont le refus opiniâtre conserve des restes de fierté, même vaine... Les temps présents, eux, semblent dégringoler de Cénabre aussi fermement que Cénabre dégringole des grands négateurs ; temps de l’«authenticité» et de la «sincérité publicitaires, où l’on voit s’entre-congratuler le cynisme de Rastignac, la décontraction d’Eichmann et le second degré de Casimir; où batifolent des Cénabre élevés à la puissance négative, fantômes cuirassés dans cette réplique exquise : «Je ne vois pas où est le problème» – le Quid me persequeris d’aujourd’hui ! Charmants «débiteurs insolvables», dirait Bernanos, qui, comme Cénabre, se doivent à eux-mêmes, et en rient : âmes intéressées à leur morne consomption ! «Ce que le monde perd de force vive», écrivait encore, en 1940, Bernanos, «est probablement bien perdu, anéanti, perdu pour le bien et le mal, perdu sans retour. C’est de froid que le monde va mourir».

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13/03/2011 | Lien permanent

Le septième sceau de Sous le soleil de Satan

Photographie (détail) de Juan Asensio.
3518592029.JPGGeorges Bernanos dans la Zone.





21832681608_98d79e6f76_k.jpgLéon Bloy dans la Zone.





14589706_1229536970420836_1539898017922276684_o.jpgCette note constitue en quelque sorte une apostille à ma précédente longue étude sur le premier roman de Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan, et évoque plus précisément la dimension eschatologique, proprement apocalyptique, de ce texte. Je ne reviens pas sur l'importance de l'influence que Léon Bloy a exercée sur Georges Bernanos, tant elle est profonde, séminale. Il paraît que l'inénarrable Monique Gosselin-Noat, du haut de son savoir livresque pour classe de Terminale, tient en mépris l'étude des liens pourtant évidents qui unissent les textes du Grand d'Espagne à ceux du Mendiant Ingrat. Il est vrai, aussi, que si Bernanos en personne se levait de sa tombe et se plantait, sous le nez de notre petite bonne femme à l'inculture littéraire proverbiale, pour venir lui rappeler quelques utiles vérités, notre spécialiste d'un auteur réduit à quelques petites cases universitaires éconduirait d'un geste distrait le fantôme du prodigieux écrivain, le sommant de la laisser à ses vagues études où, depuis un demi-siècle bientôt, elle déroule sa pelote d'ignorance, le fil de son mandarinat stérile. Heureusement, Monique Gosselin-Noat ne laissera, dans quelques années, pas plus de traces qu'un moustique plongé dans un flacon d'acide pur, et c'est heureux car, alors, pourront probablement prospérer bien des travaux universitaires que cette Sphynge privée de science aura refusé d'accompagner ou, bien pis, aura étouffé dans l’œuf.
Oublions cette fâcheuse et revenons à nos deux écrivains. Il est ainsi frappant de constater que Georges Bernanos, parlant du Mendiant Ingrat dans ce texte étrange qu'est Dans l'amitié de Léon Bloy (1), évoque finalement assez peu le grand écrivain pour, très vite, se concentrer sur la scandaleuse question (y compris aux yeux des démocrates chrétiens et des «chrétiens communisants», note l'auteur perfidement) de la Pauvreté, véritable «charnière» du catholicisme (p. 1234) et, beaucoup plus que cela, une, parmi d'autres, des «révélations de la douleur» (p. 1236). Or, Georges Bernanos se demande si Léon Bloy «n'est pas le dernier prophète du peuple des Pauvres» (p. 1233) et si, surtout, la volonté de la civilisation moderne d'éradiquer les pauvres, la Pauvreté plaisamment confondue, pour des raisons hygiénistes et prophylactiques, avec la misère tôt ou tard résorbable comme une vilaine moisissure sur un coin de mur, ne va pas se retourner dramatiquement contre cette dernière. Le ton de Georges Bernanos, dans ce texte qui date de 1946, se fait alors volontiers prophétique : «Le misérable dégradé, déshumanisé par la misère ne peut plus porter témoignage que de l'effroyable injustice qui lui est faite, mais le Pauvre est le témoin de Jésus-Christ. J'ose écrire qu'une Société sans pauvres est chrétiennement inconcevable et si personne n'a plus le courage de l'écrire après moi, j'estime que je n'aurai pas vécu en vain. Vous voulez une Société sans pauvres ? Vous n'aurez qu'une société inhumaine, ou plutôt vous l'avez déjà. L'innocente pauvreté que vous aurez cru détruire reparaîtra sous d'autres formes effrayantes, sous lesquelles vous ne la reconnaîtrez pas. Si un proche avenir me donne bientôt tragiquement raison, que m'importe votre scandale ? Il y a une force cachée dans la pauvreté, comparable à celle que nos savants viennent de libérer dans une matière dont leurs prédécesseurs ne voulaient connaître que l'inertie. La désintégration de la Pauvreté ne vous donnera pas moins de surprises que l'autre» (p. 1234). Pour Léon Bloy comme pour Georges Bernanos, l'évocation du Pauvre, de la Pauvreté, ne peut que convoquer un horizon d'attente eschatologique, très précisément apocalyptique comme dans Monsieur Ouine, c'est le pas des mendiants qui, tôt ou tard, ne pourra que faire résonner la terre.
28669176025_13c6af8a89_k.jpgC'est dans son premier roman, Sous le soleil de Satan, que nous allons retrouver cette «force cachée» d'une façon éclatante. La critique savante, celle qui au moins nous sert à quelque chose, c'est-à-dire à ne pas perdre notre temps, nous a appris depuis quelque temps déjà que la composition de ce roman n'avait pas été un long fleuve tranquille pour son auteur. Lu ou relu, nous ne pouvons cependant que constater que c'est un même élan qui, de part en part, traverse ce livre, comme un fleuve pressé de se jeter dans une mer inconnue.
Nous avons déjà vu que l'abbé Donissan était décrit par Bernanos comme une espèce de catalyseur, traversé par une énergie tout entière dirigée contre le Démon, un homme ne ménageant jamais ses efforts, même s'il s'agit de ces «magnifiques imprudences des grandes âmes» (p. 142). Ces images de flux, de force, d'élan aussi sont innombrables, qui ont pour particularité, presque de façon systématique, de montrer à l’œuvre une sourde tension qui ne demande qu'à jaillir et s'épandre à la surface. En cela, ce mouvement est apocalyptique, qui commande aux secrets d'être percée au grand jour, sous une lumière qui en dissoudra la morne complication : «Les sentiments les plus simples naissent et croissent dans une nuit jamais pénétrée, s'y confondent ou s'y repoussent selon de secrètes affinités, pareils à des nuages électriques, et nous ne saisissons à la surface des ténèbres que les brèves lueurs de l'orage inaccessible» (p. 83) (2). Sous le soleil de Satan est traversé par une force intérieure dont l'issue ne peut qu'être une libération, dont nous allons voir que sa nature est apocalyptique, cette puissance contractée, un temps, dans la prison d'un texte, ne pouvant guère étonner le lecteur d'un ouvrage aussi passionnant qu'original, signé par le linguiste Albert Dauzat, et qui avait pour sujet l'analyse des innombrables fausses nouvelles, légendes et prophéties ayant circulé au cours de la Première Guerre mondiale (3). Tout est révélation dans le grand roman de Georges Bernanos, et révélation au sens étymologique du terme, qui commande une apocalypse dont l'annonce est plusieurs fois figurée, y compris directement, par le truchement de signes (4). En tout cas, si «le vice pousse au cœur une racine lente et profonde», «la belle fleur pleine de venin n'a son grand éclat qu'un seul jour» (p. 89), pour une unique éclosion qui révélera tout, c'est-à-dire rien pour Bernanos, puisque le Mal est une intumescence fallacieuse, une baudruche gonflée de vide. Mais, avons-nous vite fait de soupçonner, faire taire Satan, éventer sa ruse aussi patiente qu'immémoriale, ce sera peut-être, enfin, le moyen de laisser l'Autre apparaître, et son Verbe annihiler la longue litanie des mots creux et trompeurs, menteurs depuis le commencement.
Mais il y a une autre révélation qui permettra, peut-être, à Donissan de ne point arriver au port les mains vides, selon la crainte qu'exprime Menou-Segrais (cf. p. 133), une révélation qui a d'ailleurs été plusieurs fois figurée au cours de la carrière prodigieuse du saint de Lumbres, capable de voir, au dernier recès de la chair des pécheurs, les circonvolutions du Mal, dans une chaîne que l'on dirait interminable, comme un enchevêtrement que son don extraordinaire est seul capable de montrer. Cette vision, encore une fois au sens premier du terme, est apocalyptique, car elle résume pour ainsi dire l'histoire du péché, et le soumet au faisceau, nous oserions presque dire au laser infaillible du jugement. C'est ainsi que le vigoureux lutteur évoque devant Mouchette «l'histoire saisie du dedans» de la jeune fille et de ses ancêtres, l'histoire «la plus cachée, la mieux défendue, et non point telle quelle, dans l'enchevêtrement des effets et des causes, des actes et des intentions, mais rapportée à quelques faits principaux, aux fautes mères» (p. 205). L'Apocalypse est révélation mais, aussi, récapitulation : «La foule, un instant plus tôt si grouillante, où elle avait reconnu tous les siens, se rétrécissait à mesure. Des visages se superposaient entre eux, ne faisaient plus qu'un visage, qui était celui même d'un vice. Des gestes confus se fixaient dans une attitude unique, qui était le geste du crime. Plus encore : parfois le mal ne laissait de sa proie qu'un amas informe, en pleine dissolution, gonflé de son venin, digéré. Les avares faisaient une masse d'or vivant, les luxurieux un tas d'entrailles. Partout le péché crevait son enveloppe, laissait voir le mystère de sa génération : des dizaines d'hommes et de femmes liés dans les fibres du même cancer, et les affreux liens se rétractant, pareils aux bras coupés d'un poulpe, jusqu'au noyau du monstre même, la faute initiale, ignorée de tous, dans un cœur d'enfant...» (p. 206). Nous n'avons pas le secret d'aussi prodigieuses images, que nous pourrions sans doute rapprocher des manies zoliennes consistant à établir des généalogies de vices et de tares ou encore, de façon beaucoup plus convaincante, du moins à mes yeux, de certains des textes d'Arthur Machen, où ce magnifique écrivain dévoile quelques-unes des involutions du Mal, dans des métaphores qui semblent annoncer celles de Georges Bernanos. Quelques pages plus loin, le romancier, à nouveau, utilisera ces images de grouillement, d'entrelacs, de généalogie pourrie qui n'aura semble-t-il de fin qu'au moment où se brisera le dernier sceau : «Il écoute un murmure bientôt plus distinct... monotone... inexorable. Il le reconnaît... Ce sont eux. Un par un, hommes et femmes, les voilà tous, dont il sent le souffle monter vers lui, moins détestable que leur parole impure, mornes litanies du péché, mots souillés depuis des siècles, ignoblement ternis par l'usage, passant de la bouche des pères dans celle des fils, pareils aux pages les plus lues d'un mauvais livre, et que le vice a marquées de son signe», contresignées même, «dans la crasse de milliers de doigts» (p. 275).
Logiquement, la pression apocalyptique se fait plus forte à mesure que l'histoire de Donissan progresse et s'achemine vers sa fin, cette ruée même qui se conclut sur une image fameuse où, une fois de plus, Georges Bernanos nous montre que la lutte contre le péché est force, élan que rien ne peut venir contenir, volonté de reconquête, aussi, du royaume perdu : «Pour moi, dès l'enfance, j'ai vécu moins dans l'espérance de la gloire que nous posséderons un jour que dans le regret de celle que nous avons perdue» (p. 225), confesse ainsi Donissan qui, quelques lignes plus bas, sent monter en lui un «flot de paroles chez un homme naturellement silencieux» qui ne pourra point éternellement être contenu, car, un jour que nul ne sait, triomphera l'éclat surnaturel qui brûlera tout, si ce n'est le reste (d'élus, de saints, de pauvres, qui sait ?) : «Cette justice, qu'un peuple généreux attend de M. le ministre des Finances, il ne la cherchait pas si loin», mais «plutôt là-bas, au-dessous de l'horizon, toute prête, pétrie à l'aube prochaine, irrésistible, dans la nuit qui vole en éclats», et le romancier de poursuivre, le rythme de ses phrases s'accélérant et perdant, même, parfois, leurs majuscules, comme si le flot ne pouvait décidément être plus contenu : «La main ouverte ne se fermera pas... la parole sèchera sur les lèvres... le monstre Évolution, fixé à jamais, cessera soudain de s'étendre et de bouillonner... L'effrayante aurore, qui se lève au-dedans de l'homme, donnera à la pensée la plus secrète sa forme et son volume éternels, et le cœur double et furtif ne pourra même plus se renier... Consummatus est, c'est-à-dire tout est défini pour toujours» (p. 234).
Saint-Marin lui-même, tout rempli d'une «curiosité, dont l'âge n'a pas encore émoussé la pointe» (p. 280), venu rencontrer Donissan dont la réputation de sainteté semble devoir constituer le dernier plaisir sensuel capable de fouetter l'imagination de ce vieil esthète podagre, semble annoncer le discours que tiendra, dans Stalker de Tarkovski, l'homme de lettres sur le cloisonnement mécaniste du monde, quelques heures avant de pénétrer dans la Zone qui en abolira le mécanisme destructeur : «Nous espérons tous un miracle, monsieur, et le triste univers l'appelle avec nous. Aujourd'hui, ou dans un millier de siècles, que m'importe, si quelque événement libérateur doit faire brèche un jour dans le mécanisme universel ? J'aime autant l'attendre pour demain et m'endormir content. De quel droit la brute polytechnique viendrait-elle m'éveiller de mon rêve ?» (p. 285). Bien évidemment, c'est ironiquement que Bernanos place dans la bouche de son personnage un tel discours, et il y a fort à parier que l'heure de la révélation ne soit pas franchement une de ces tranquilles parties de plaisir goûtées, entre deux tirades, par les académiciens.
Car c'est bien de violence qu'il s'agit, dans ce roman où Bernanos n'aura eu de cesse de nous répéter que l'âme humaine est l'enjeu d'une lutte à mort entre Dieu et le diable, le second se manifestant finalement bien davantage que le premier, enfui (cf. p. 212) ou peut-être attendant, patiemment, incompréhensiblement, Son heure, Dieu «que les cieux ne cèleront pas toujours !» (p. 307).

Notes
(1) Essais et écrits de combat, t. 2 (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1995).
(2) Sous le soleil de Satan (Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1974). Sans autre précision, les pages entre parenthèses renvoient toujours à cette édition, la seule qui trouve grâce à mes yeux, comme je l'ai déjà dit et redirai.
(3) «Toutes les époques troublées, et en particulier la guerre, en augmentant la nervosité et la crédulité générales, donnent naissance à un grand nombre de faux bruits qui, lorsqu'ils correspondent à l'état d'esprit du milieu, ont tôt fait de s'accréditer dans l'âme simpliste des foules», pouvons-nous ainsi lire dans cet étonnant ouvrage publié par Albert Dauzat au sortir de la Première Guerre mondiale et intitulé Légendes, Prophéties et superstitions de la Guerre (La Renaissance du livre), p. 7.
(4) «Mais le signe fatal était déjà écrit au mur» (p. 109) est l'une de ces nombreuses images destinales, que nous pourrions rapprocher de plusieurs occurrences bibliques. Signalons encore cette autre, Donissan sentant «à cette heure unique qu'il consommait son destin» (p. 219).

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22/10/2016 | Lien permanent

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