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2009 dans la Zone

NB : les titres suivis d'une astérisque indiquent des notes plus ou moins anciennes remises en une au cours de l'année 2009.


À titre purement informatif, je précise que quatre de mes notes* ont été, il y a quelques semaines, supprimées par mon hébergeur, pour la raison qu'elles évoquaient Valérie Scigala et (de façon marginale) Jean-Yves Pranchère qui ont tous deux porté plainte contre moi.
Ces plaintes, pour trois motifs que je commenterai je l'espère lors de mon procès (dont la date n'a pas encore été fixée), m'ont valu de passer 12 (bien lire : douze) heures en garde à vue dans les locaux d'une brigade de gendarmerie fort réputée, spécialisée dans les affaires de cybercriminalité, l'une des meilleures, dit-on, de France.
Si cette garde à vue ne m'a pas poussé, comme l'a fait Frédéric Beigbeder, à me plonger dans mon passé pour en écrire un livre qui aurait ému les âmes les plus insensibles, elle m'a toutefois permis, entre autres vertus roboratives, d'accélérer considérablement mes connaissances en cette matière très intéressante qu'est le droit pénal, surtout lorsqu'il est appliqué à l'univers, stupidement et faussement réputé hors de portée des services policiers, d'Internet.


* Dont une datant de... 2007 (théoriquement, donc, à l'abri d'une suppression; nous dirons qu'il s'agit d'un excès de zèle, puisque la note, comme cela m'a été confirmé par la gendarmerie, n'était même pas visée par ladite plainte), note consacrée à la Société des Lecteurs de Renaud Camus.

Demeures de l'esprit de Renaud Camus, par Jean-Gérard Lapacherie.
Fahreinheit 451 de Ray Bradbury.
Antoine de Baecque et l'ontologie historiale du cinéma, par Francis Moury.
Cristina Campo, mystique absolue..., par Réginald Gaillard.
Les Impardonnables de Cristina Campo.
Eat shit ! Billions of flies can't be wrong !
Nostromo de Joseph Conrad.
La connerie de Philippe Sollers se porte bien.
Fayard, l'éditeur le plus radin de France.
La Tour de Gustaw Herling.
L'édition se porte mal mon bon monsieur.
Notes pour une revue de jeunes, par Cristina Campo.
Alain Zannini de Marc-Édouard Nabe.
The Possibility of an Island by Michel Houellebecq.
L'ombre des forêts de Jean-Pierre Martinet.
Les deux Républiques françaises de Philippe Nemo, par Roman Bernard.
Hélas Nabe !
Ricardo Paseyro est mort.
L'âme de Léon Bloy.
Cormac McCarthy dans la Zone.
Georges Bernanos, encore.*
Poésie journalistique.
La vie et la mort du système de G. W. F. Hegel, par Francis Moury.
Dans l'intimité douloureuse de Paul Gadenne : La Rupture, Carnets, 1937-1940.
Gothique charpentier de William Gaddis.
Retour vers l’OTAN, affaire Chauprade : comment piller le cadavre national, par Samuel Gelb.
Ô mort, où est ta victoire ?
Toute la nuit devant nous de Marcus Malte, par Jean-Baptiste Morizot.
Florilège (horriblement) orienté, voire (visiblement) réactionnaire.
À quoi bon des poètes en un temps de détresse ?, par Élisabeth Bart.
La visite du Tribun de David Jones.
Sous le soleil de Satan de Georges Bernanos.
Apologia pro Vita Kurtzii 2 : Blood Meridian by Cormac McCarthy.
Futurologie de la mémoire.
À quoi sert Josyane Savigneau ?
Berserker, 3 : Ismail Ax.*
Pourquoi ils ne m'ont pas mentionné ?
Un prêtre marié de Jules Barbey d’Aurevilly, par Germain Souchet.
Verticalité de la littérature, donc de la critique.
Au-delà de l'effondrement. L'Effondrement de Hans Erich Nossack.
D'une nouvelle position des vieux problèmes, par Francis Moury.
En lisant Leo Strauss : pourquoi écrire sous la persécution ?
Paradis noirs de Pierre Jourde, par Nunzio Casalaspro.
La blogosphère littéraire n'est hélas pas une rapière.
La masse manquante de la littérature.
Bernard Quiriny, moins vipère littéraire que ver de terre ?
L’abordage de la peinture, lettre à Marcel Moreau, par Nicolas Rozier.*
Sur les Carnets noirs de Gabriel Matzneff.
Maudit soit Andreas Werckmeister ! Un extrait.
Peut-on moraliser le capitalisme ? Brèves notes critiques sur les réponses de Nicolas Tenzer et André Comte-Sponville, par Francis Moury.
Au-delà de l'effondrement, 2 : L'Apocalypse russe de Jean-François Colosimo.
Prélude à la délivrance de Yannick Haenel et François Meyronnis.
L'île de Jersey, un paradis infernal.
Pour un modèle occidental de l'idée d'Occident, par Jean-Paul Rosaye.*
La malfrance, la vraie.
Roberto Bolaño à Bruges.
Le crétinisme, stade suprême du socialisme français ?, par Germain Souchet.*
Au-delà de l'effondrement, 3 : L'époque de la sécularisation d'Augusto Del Noce.
Le navire poursuit sa route de Nordahl Grieg.
Les plaisantins de la Toile : Wikipédia, BSC News.
Entretien avec Nils Aucante.
Entretien avec Ludovic Maubreuil.
Entretiens/Dialogues.
Conte de la barbarie ordinaire, par Sarah Vajda.*
Joseph Conrad dans la Zone.
Moi, Youssouf F., né le 13 février 2006, meurtrier.
Au-delà de l'effondrement, 4 : Les Anneaux de Saturne de W. G. Sebald.
Banalité chevillardienne.
L'Invitation chez les Stirl de Paul Gadenne.
L'état de la parole depuis Joseph de Maistre.
Témoins du futur de Pierre Bouretz.*
La Sorbonne présidée par un grotesque, Georges Molinié, par René Pommier.*
Le dernier travail de Platon, par Francis Moury.
Gabriel Matzneff est-il un maître de l'érotisme ? Ab-so-lu-ment-pas !
L'argent.
Que faire ?
Identification du démoniaque.*
Le canard Vaissié à l’assaut de L’Île. Défense de Pavel Lounguine, par Timothée Gérardin.
L'état de la parole depuis Joseph de Maistre, 2.
William H. Gass dans la Zone.
In memoriam Dominique Autié.
Au-delà de l'effondrement, 5 : Les ruines de Paris en 4908 d'Alfred Franklin.
L'état de la parole depuis Joseph de Maistre.
De l'anarchisme considéré comme déchéance de la raison : sur Julien Coupat, par Francis Moury.
Ludivine Cissé : mystère et confiture.
L'état de la parole depuis Joseph de Maistre, 4.
Paul Gadenne l'oublié, préface à un texte impubliable, et de fait impublié.*
580.
La Zone dans la Zone.
Au-delà de l'effondrement, 6 : Les aventures d'Arthur Gordon Pym d'Edgar Allan Poe.
Paul Gadenne l'oublié.
Tant de morts de la littérature.
Avec Poe jusqu'au bout de la prose d'Henri Justin.
Paul Gadenne dans la Zone.
Le démon de la perversité : Youssouf Fofana et l'aveu.
Valérie Scigala déshonore-t-elle la blogosphère gersoise ?

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Éric Marty, le dernier des Justes ? Sur Bref séjour à Jérusalem

Crédits photographiques : Hazem Bader (AFP/Getty Images).
Décidément, il doit y avoir quelque chose de pourri dans le royaume de papier du Monde pour que l’un de ses collaborateurs, Éric Marty, se sente l’obligation d’écrire un livre tel que Bref Séjour à Jérusalem, sorte de manifeste contre l’aveuglement dont le grand quotidien a très souvent fait preuve, et continue de faire preuve, sur le drame du conflit entre Palestiniens et Juifs. L’exercice tient en effet de la gageure, à moins qu’il ne s’agisse, plus sombrement, de schizophrénie puisque l’auteur tente, dans ce livre qui est en fait un recueil de textes d’intérêt inégal (celui qui a le moins retenu notre attention étant le premier, qui a donné son titre au volume), de pourfendre la massive propagande pro-palestinienne qui, patiemment mais de façon inébranlable, veut nous faire haïr Israël, veut faire de l’ensemble des Juifs de coupables criminels, transforme même celles et ceux qui furent victimes de l’horreur nazie en ses plus fidèles zélateurs. Cette logique ignoble, mélange de pacifisme bêlant et d’antisémitisme viscéral alimenté par la curieuse alliance entre intérêts gauchistes et monde musulman (en premier lieu, celui même de nos banlieues dont le poids semble paralyser nos élus), est habilement démontée par Éric Marty. L’exercice auquel se livre l’auteur n’est heureusement pas nouveau puisque Raphaël Draï avec Sous le signe de Sion ou encore Shmuel Trigano avec Démission de la République ont déjà largement disséqué les symptômes de ce cancer qui paraît décidément incurable, qui patiemment gangrène la France, cancer et pourriture qu’il faudra bien, un jour, se décider à combattre et vaincre si l’on ne veut pas que notre pays crève ignoblement, amputé de sa tête et de son cœur.
L’originalité du livre de Marty est néanmoins bien réelle puisqu’il donne de l’antisémitisme français contemporain deux raisons principales qui l’une et l’autre ont trait au langage. La première, exposée dès l’Avant-propos du livre, évoque le fonctionnement de nos médias, parfaitement incapables, dans leur immense majorité, de proposer un discours rigoureux et étayé qui ne serait pas une dangereuse condamnation d’Israël au profit de Palestiniens présentés comme de tendres enfants de chœur. Les dérives partisanes du Monde diplomatique sont ainsi pointées, ce qui ne peut guère étonner le lecteur de ce journal qui n’est plus, depuis déjà quelques années, qu’un concentré caricatural dans lequel macèrent une poignée d’intellectuels partisans d’un retour à l’éden communiste duquel le règne démoniaque de la Marchandise aurait été définitivement aboli. A la place, donc, d’un discours que nous serions en droit d’attendre objectif, à tout le moins honnête et conscient de ses lacunes, Marty nous affirme sans peur que ce que Le Monde nous propose, mais aussi d’autres médias, c’est tout simplement, ni plus ni moins, une série de mensonges, par exemple sur les torts prétendument israéliens ayant déclenché la seconde Intifada. Dans ce cas comme dans d’autres (je songe au massacre de Sabra et Chatila curieusement expliqué à l’aide des catégories popularisées par René Girard), il s’agit, nous dit Marty, de substituer un discours, le faux, à un autre, le vrai, en faisant croire, systématiquement, que les Juifs sont coupables de l’embrasement du peuple palestinien ou des bombes humaines qui les déciment. Cette logique réellement malfaisante qui à la place de la réalité érige le simulacre fut, en son temps et à propos du pouvoir du langage ultra-médiatique de la propagande, patiemment analysée par Karl Kraus comme l’explique un beau livre d’André Hirt, ensuite par Victor Klemperer ou encore le remarquable ouvrage d’Armand Robin intitulé La Fausse Parole, consacré à la dissection de la propagande communiste.
La deuxième explication, la plus profonde et, bien sûr, celle qui nous importe, concerne la racine métaphysique de la haine à l’encontre d’Israël. Une fois de plus, Éric Marty, sur les brisées de George Steiner qu’il ne cite pas, ne craint pas d’écrire que la haine du Juif, déclarée lorsqu’il s’agit d’un Céline ou dissimulée dans le cas de nos professeurs de vertu, est en fait une haine de l’origine : «L’un des scénarios [l’auteur reste prudent en ajoutant «et pas le moindre»; nous sommes à l’évidence plus catégorique] de la guerre que livrent les Palestiniens aux Israéliens a pour noyau métaphysique l’effacement absolu de l’être-juif en tant qu’insupportable rival parce que dépositaire de l’origine» (45). Et dès lors, dans une logique inébranlable qui est très certainement celle de l’enfer, l’auteur ne peut que nous rappeler que cette haine contre Israël est immémoriale et que, même si elle semble, comme durant la collaboration – dont le lent poison bien évidemment agit encore, et pour longtemps, dans les veines fatiguées de notre pays –, avoir retourné le sens commun de nos concitoyens, leur faisant insulter le juste et défendre le chien d’une façon qui reste toutefois bien mollement consensuelle, les disculpant de toute mauvaise conscience, elle n’en tente pas moins, inlassablement, à trotte-menu, d’effacer le nom d’Israël (cf. pp. 50-51) .
C’est à une telle profondeur que l’auteur nous convie lorsqu’il traite de la complexe question de l’antisémitisme dans l’œuvre de Jean Genet, dans une belle et intelligente lecture des textes de ce paria des lettres, habilement récupéré par les officines tiers-mondistes pour étayer leur propagande pro-palestinienne. En quelques mots exposée, la thèse de Marty est la suivante : Genet serait la victime, face à Israël, d’une kierkegaardienne angoisse du Bien, puisque la volonté systématique de trahison prônée par l’auteur du Journal du voleur le conduirait à se ranger, mais en apparence seulement, du côté du plus faible, l’Arabe donc, lâchement opprimé. En fait nous dit Marty, Genet sait bien, au fond de son cœur, qu’en attaquant Israël il se rend odieux au Bien et que, de ce sentiment, il va retirer une profonde jouissance, un plaisir littéralement diabolique. Cette interprétation rigoureuse et convaincante, cet exercice de lecture bien mené a le mérite d’arracher Genet, je l’ai dit, aux thuriféraires qui ont fait de l’écrivain le chantre de la cause palestinienne. Cette lecture, faut-il le préciser, nous montre également quelle doit, ou plutôt quelle devrait être la mission du critique, assurément religieuse selon le commandement de Pierre Boutang, puisqu’il s’agit, en somme, d’aller tenter de libérer Genet de son enfer et de questionner l’écriture du romancier comme si celle-ci était le masque d’une vérité profonde, quoique voilée, voilée parce que profonde. Marty en est d’ailleurs pleinement conscient lorsqu’il écrit qu’une «métaphysique qui fait du langage le lieu d’une promesse et d’un lien qui déjoue le nihilisme de la domination pure et de la perversion, a d’une certaine manière pour abri, qu’elle le sache ou non, le nom d’Israël» (24-5). Ainsi l’auteur confère à l’œuvre de Jean Genet, après Bataille et Sartre et avec plus de réussite que ces derniers, une dimension mystique, même retournée, qui nous semble évidente pour qui sait lire .

IMG_4893.jpgCe texte figure dans son intégralité (avec son apparat critique) dans mon ouvrage intitulé La Critique meurt jeune, publié par les éditions du Rocher.
Sans autre indication, les pages entre parenthèses renvoient au livre d'Éric Marty, Bref séjour à Jérusalem (Gallimard, 2003).
Acheter La Critique meurt jeune sur Amazon.

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30/03/2008 | Lien permanent

Un brelan d'antimodernes : sur le dernier essai d'Antoine Compagnon

compagnon.jpg

Photographie (détail) de Juan Asensio.
«Je n’aime ni ne comprends rien d’actuel, j’aime et je comprends l’inactuel; je vis le Temps comme une dégradation des Valeurs».
Roland Barthes, La Préparation du roman. Notes de cours et de séminaires au Collège de France, 1978-1979 et 1979-1980, éd. Nathalie Léger, (Seuil-Imec, 2003), p. 360.


IMG_1484.JPGQuel est donc l'auteur de la phrase suivante, qui lui a semblé tellement extrême qu'il l'a biffée sur son manuscrit ? : «la menace de dépérissement ou d’extinction qui peut peser sur la littérature sonne comme une extermination d’espèce, une sorte de génocide spirituel». S'agit-il des antimodernes Bloy, Bernanos ou même Boutang ? Non. L'auteur de cette singulière phrase n'est autre que l'un des thuriféraires du structuralisme et du post-structuralisme, j'ai nommé Roland Barthes (in La Préparation du roman, op. cit., p. 190), tel que le présente et, ma foi, nous le fait pratiquement redécouvrir, Antoine Compagnon dans une fort épaisse, parfois fort brouillonne étude intitulée Les antimodernes de Joseph de Maistre à Roland Barthes, parue chez Gallimard.
Hormis ce chapitre qui est le dernier de l'ouvrage, c'est sa première partie, qui étudie les différentes thématiques propres à la pensée antimoderne (comme la détestation des Lumières, un pessimisme foncier, la langue, commune, de la vitupération ou la doctrine du péché originel), qui m'a semblé la plus pertinente, le reste du livre, consacré à des auteurs tels que Chateaubriand, Maistre, Lacordaire, Thibaudet, Péguy, Benda ou bien encore Gracq, n'étant qu'un recueil de textes antérieurs que Compagnon a bien dû tenter d'harmoniser.
C'est justement cette tentative qui me paraît plus qu'artificielle car enfin, une fois que l'on a défini la pensée antimoderne comme redevable, en premier et dernier ressort, de la doctrine du péché originel, quel intérêt y a-t-il à évoquer des auteurs qui la refusent, comme Julien Gracq et Roland Barthes, y compris, nous dit-on, si ce dernier a semblé, quelques années avant de disparaître, s'éloigner des parages souillés de Tel Quel ? Antoine Compagnon lui-même d'ailleurs, s'est parfaitement rendu compte de cette bizarrerie, mentionnant en conclusion de son ouvrage des réactionnaires de charme qui me paraissent constituer l'antithèse même d'auteurs tels que Barbey (à peine nommé), Bloy (évoqué, et assez justement, quant à la question juive) ou Bernanos (pratiquement ignoré, comme l'admet Compagnon). Autre bizarrerie, j'ai l'impression que Compagnon, éprouvant parfois quelque gêne face aux auteurs qu'il étudie (par les temps qui courent, il n'a peut-être pas complètement tort...), se contraint par avance de les dédouaner de tout tropisme réactionnaire en insistant à maintes reprises sur l'une des caractéristiques de ces antimodernes qui, selon l'auteur, sont d'abord et avant toute chose des perdants, magnifiques peut-être, mais des perdants tout de même. Ainsi peut-il écrire (p. 446), significativement : «Il y a chez les antimodernes une fêlure et une indiscipline inaliénable qui en font le contraire des centristes, car la droite les pense de gauche, et la gauche de droite. Hors place, ils perdent sur les deux tableaux, avant de transformer leur échec en gain».
Ces réserves indiquées, le livre de Compagnon se dévore avec un réel plaisir, ouvrage imposant qui se conclut, page 447, par ces quelques mots assez justes mais tout de même trop vagues à mon sens, qui font le grand écart entre un Maistre et, reprenons notre exemple, un Barthes : «L’antimoderne est le revers, le creux du moderne, son repli indispensable, sa réserve et sa ressource. Sans l’antimoderne, le moderne courrait à sa perte, car les antimodernes sont la liberté des modernes, ou les modernes plus la liberté». Leur liberté et, devrais-je ajouter, leur style, tant il est vrai que les grands écrivains de notre pays ont été, quoi que pensent les tiques progressistes, des hommes de droite. Cette idée, ou plutôt ce simple constat d'ailleurs ne sont pas bien nouveaux puisque Albert Thibaudet les exprimait déjà dans ses Idées politiques de la France (Stock, 1932, p. 32) où il écrivait : «Les idées de droite, exclues de la politique, rejetées dans les lettres, s’y cantonnent, y militent, exercent par elles, tout de même, un contrôle, exactement comme les idées de gauche le faisaient, dans les mêmes conditions, au XVIIIe siècle, ou sous les régimes monarchiques du XIXe siècle».

Dossier H Joseph de Maistre sous la direction de Philippe BartheletS'il est bien un auteur, inutile Cassandre selon le mot de Chateaubriand, qui peut nous apparaître comme étant le véritable fondateur de la modernité, intempestif et inactuel (cf. Compagnon, op. cit. p. 19), c'est sans doute Joseph de Maistre auquel, je l'ai dit, a été consacré un imposant Dossier H dirigé par Philippe Barthelet. Voici quelques lignes de présentation rédigées par l'éditeur de ce remarquable ouvrage : «De Michelet et Lamartine à Soloviev et Unamuno, d'Henri de Saint-Simon à Auguste Comte, de Proudhon à Bakounine et de Remy de Gourmont à Charles-Albert Cingria, de Paul Valéry à Carl Schmitt et de Jacques Maritain à Antonio Gramsci, de Georges Sorel à Charles de Gaulle, d'Ortega y Gasset à Albert Camus et de Cioran à René Girard ou Maurice G. Dantec, c'est toute l'Europe intellectuelle qui se sera définie, d'une manière ou d'une autre, par rapport au rocher Maistre».

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12/07/2005 | Lien permanent

Ultima necat. Journal intime, 1, 1978-1985 de Philippe Muray

Photographie (détail) de Juan Asensio.
3483137319.jpgPhilippe Muray dans la Zone.





B7izZxNIAAEaAnz.jpg large.jpgÀ propos de Philippe Muray, Ultima Necat. I. Journal intime, 1978-1985 (Postface d'Anne Sefrioui, Annexe d'Alexandre de Vitry, Les Belles Lettres, 2014).
LRSP (livre reçu en service de presse).



14608290319_d387579945_o.jpgLes Belles Lettres, qui ont publié les œuvres complètes de Sophocle, Homère, Platon, Plutarque, Virgile et Didier Goux, semblent être devenues l'éditeur officiel de Philippe Muray, comme le montre la parution du premier volume du Journal intime de l'auteur, postfacé avec beaucoup d'intelligence et de pudeur par Anne Sefrioui. Cette parution doit en principe être suivie de celles de cinq autres volumes, au rythme de deux volumes par an.
Je ne sais, à vrai dire, si ce bien trop gros volume (qui sera donc suivi par d'autres, sans doute tout aussi épais) intéressera un lectorat très large, autre que celui, tout de même assez étique je le crains, qui est déjà passablement spécialisé avec les textes de Philippe Muray et qui serait absolument impatient de connaître le dessous des cartes de ces derniers, la vie quotidienne de l'auteur et, nous annonce sa veuve, quelques croustillantes (espérons-le, car sinon, quel ennui !) révélations sur les maîtresses du polémiste. En France, l'excellent Maxence Caron, Alexandre Vitry, qui n'a jamais écrit des choses bien intéressantes sur Muray comme le confirme si besoin en était l'Annexe de ce volume, et Jacques de Guillebon qui n'écrit, lui, que des nullités quels que soient le sujet ou l'auteur qu'il badigeonne de son incompétence gommeuse, seront ainsi ravis et, à l'exception de quelques lecteurs poussifs, aimant Muray pour de strictes raisons idéologiques et le citant à tout-va de la même façon ridicule qu'ils citent d'autres noms comme celui de René Girard, et enfin d'une ou deux poissonnières journalistiques, nous aurons fait le tour de son lectorat modeste, quoique réel.
Ce volume du Journal, qui s'étend des années 1978 à 1985, évoque les tout premiers textes de Philippe Muray, comme L'Opium des lettres paru en 1979 chez Christian Bourgois, mais aussi le mûrissement, l'écriture et enfin la publication de son meilleur ouvrage, peut-être même de son seul véritable ouvrage, le cratère duquel tous les autres sont sortis, le trou noir où, tous aussi, ils sont attirés, Le 19e siècle à travers les âges bien sûr, ainsi qu'un texte qui ne paraîtra pas sous forme d'essai unique, et qui peut-être même ne paraîtra pas du tout, intitulé Le Genre humain (abrégé en GH par l'auteur).
La grande question qui taraude Philippe Muray, durant ces années brouillonnes et bien que l'auteur ne soit plus exactement ce qu'il est convenu d'appeler un jeune premier, est celle de l'Unité, du Un face à la multitude, déclinée au travers de nombreuses problématiques, comme celle par exemple de la quête de l'origine (cf. à propos de Faulkner, p. 150).
Il est à ce titre frappant de constater que cette recherche ne semble pouvoir se faire, chez Muray, que par le biais de notations, de pensées que nous pourrions qualifier de rhizomiques, l'auteur procédant par associations constantes, parfois frappantes, parfois ridicules et confuses (lui-même, d'ailleurs, se relisant et mettant au propre une partie de son texte, ne cesse de pester contre l'obscurité de ce qu'il a pu écrire, et qu'il ne semble même plus comprendre), bien davantage que s'il était entraîné, comme il le souhaite, par une image, «dans un bruit de départ général» (20 août 1978, p. 9). Le bruit de départ général, chez Muray, ne vient jamais, sauf peut-être durant cette «heure bénie, entre midi et quinze heures», alors qu'il roule en voiture avec sa compagne Nanouk sur une route des États-Unis, le 20 février 1983, moment «où brusquement» ça lui est arrivé, où la vision l'a visité et justifié, où il a vu le fil de son roman enfin (cf. p. 249). Qu'en a-t-il fait, de cette vision et de cette discrète mais pas moins réelle miraculeuse épiphanie ? Nous ne savons.
Philippe Muray affirme qu'il «cherche une preuve littéraire de l'existence de Dieu» (22 août 1978, p. 10, l'auteur souligne) et c'est comme si tout ce qu'il lit lui apportait non pas une mais des centaines de preuves de cette existence paradoxale, de cette véritable «peur du Christ» (31 octobre 1978, p. 18, l'auteur souligne), le Fils de Dieu ne nous laissant d'ailleurs qu'une preuve ambiguë de sa présence (le Saint-Suaire) «pour retourner dans le nombre» (26 novembre 1978, p. 20), finalement dans la littérature, puisque, aux yeux de Muray, la fausse littérature qui se soumet à l'Un «s'effondre ou glisse sous la philosophie», elle-même qualifiée de Réforme, alors que la vraie littérature, elle, «est toujours Contre-Réforme» (30 novembre 1978, p. 21). Rappelons tout de même, à toutes fins utiles que, si Philippe Muray n'hésite jamais à comparer son travail à une longue prière (cf. p. 232) ou rapproche encore son journal d'«un livre de prières» (15 octobre 1982, p. 209), il s'amuse de l'étonnement qu'ont manifesté trois catholiques quand il leur apprend qu'il ne l'est absolument pas, catholique (cf. p. 201), pensant, lui, que cette sainte triade était composée d'athées !
Philippe Muray, trop souvent, comme le poète, réserve sa traduction, et il est assez malaisé de le suivre dans le labyrinthe de ses pensées forant autant de conduits souterrains qui ne mènent nulle part, où sur des idées qu'il développera dans l'un de ses innombrables textes. De fait, les pages les plus intéressantes de Philippe Muray sont encore celles où il applique ses vues sur ses semblables, des écrivains, comme Léon Bloy, le si paradoxal et complexe Léon Bloy critiqué par le personnage principal de Soumission de Michel Houellebecq (ce qui est normal, puisque ce personnage aime Huysmans, mais vanté, et bellement défendu, par un autre personnage de ce même roman), que seuls les plus gras imbéciles rejettent en l'ayant lu comme ils se bâfrent, évacuant ce qu'ils ont englouti sans l'avoir assimilé, Léon Bloy donc, évoqué dans un article intitulé Léon Bloy : l'autre écriture des limites, où Philippe Muray remarque, à juste titre, que «Bloy, Hello et quelques autres» lui paraissent «plus audacieux, plus iconoclastes, plus subversifs, moins refoulés, moins névrosés que les plus sublimes de leurs contemporains rationalistes et athées», bien trop «conjugalement unis au ricanement» (p. 26). Je ne puis qu'être d'accord avec ce constat, et laisser ricaner dans leur coin les imbéciles, dont c'est la mission sur terre que de ricaner.
L'année 1979 se place elle aussi sous cette double quête, ou double contrainte, de l'unicité et de la multiplicité : tout d'abord, l'évocation de la figure de Léon Bloy, qualifié de «premier véritable écrivain moderne» (21 juin 1979, p. 32), car il s'inscrit dans une «tradition extra-canonique», dans «la descente aux enfers [qui est] déjà la littérature et les écrivains» (4 juillet 1979, p. 33), Léon Bloy, qui se trouve «entièrement là où se déroule ce qu'il faut bien appeler le mystère de l'écriture, le mystère dans les lettres» (p. 48), Léon Bloy encore, évoqué dans un long et passionnant texte (cf. pp. 34-52); et, ensuite, directement via la question de l'Unité en lutte avec le grouillement, le «multiple humain dispersé» (18 juin 1979, p. 31) ou encore,la «masse des hommes» venant «profiler son abîme grouillant d'émeute sacrée» (p. 34), Philippe Muray ramassant son propos, toujours dans ce même article foisonnant et contestable sur Bloy, en écrivant que, en réalité, «il n'y a qu'un seul conflit : celui du verbe fait homme contre l'homme fait or» (p. 50). Après Léon Bloy, Philippe Muray pourra ainsi affirmer que c'est Charles Baudelaire qui n'a cessé de méditer la question essentielle de l'Un et du multiple (cf. 28 septembre 1980, p. 93), et remarquer, aussi, que lui-même, en tant que penseur et écrivain, est incapable de «passer du singulier à l'universel», ses propres romans étant au contraire bâtis en tenant compte de «l'itinéraire de l'universel au particulier» (18 octobre 1980, p. 100). D'un côté, l'Un, l'Unique, Dieu, le syncrétisme, le «différencié», de l'autre «l'amalgame» (28 octobre 1980, p. 104), «l'embouteillage» (18 novembre 1980, p. 107), le «siècle immatériel des fantômes, de l'inconsistance habitant des noms d'hologrammes, de doubles» (p. 123), la question, pour le Christ comme pour l'écrivain, résidant dans «l'incorporation du multiple» (29 décembre 1980, p. 111). Un auteur tel que Philip K. Dick semble inconsciemment appelé par ces affirmations et nous verrons plus loin que Philippe Muray l'a lu et aimé.
Finalement, l'écriture, toute écriture un tant soit peu sérieuse ne peut qu'être une recherche de l'identité première, invisible, de l'homme, selon une idée abondamment développée par Léon Bloy que Philippe Muray obscurcit bien trop souvent avec des considérations sur la sexualité (qui semble l'obséder, comme en témoignent de nombreux rêves (1)), les petits jeux de mots lacaniens (2) ou un inutile et pesant baratin psychanalytique (3), enfin quelques sentences absconses (4) sinon creuses, comme par exemple celle-ci, sur Céline : «L’œuvre de Céline étant une tentative interminable d'incarner la fonction paternelle, c'est-à-dire d'être mort et inoubliable, d'être absolument absent et incontournable, sur le corps grouillant, maternel, du monde, il est le plus biblique des écrivains» (9 octobre 1979, p. 62, l'auteur souligne).
Il est à ce titre intéressant de constater que, puisque le monde contemporain n'a plus de profondeur, ou que sa profondeur ne peut plus qu'être contrainte de s'étaler sur deux dimensions, ne cessant de tisser une toile de rhizomes comme je l'ai dit, l'éternité, aux yeux de Muray, consiste à «ne pas savoir qui vous êtes, ne pas avoir de mère dans la bouche pour le dire» (p. 41). Bloy, bien sûr, lesté de flotteurs psychanalytiques criards. Je ne crois pas contredire Philippe Muray quand il affirme que l'Histoire n'est plus, comme par le passé, «horizontale, étale, plane» (27 février 1981, p. 127), car elle est en chute, comme n'a du reste cessé de l'affirmer Léon Bloy, mais me contente de pointer le fait que, en chute, l'Histoire de notre monde se donne comme mirage de platitude, la sensation, vertigineuse, de chute, ne pouvant être que l'apanage des plus lucides, dont Philippe Muray fait incontestablement partie. Comme Baudelaire donc, Philippe Muray souffre du vertige de l'homme vertical vivant dans un monde plat, en tout cas perçu comme étant plat par la majorité de ses congénères. Il est frappant, ainsi, de constater que Philippe Muray est affligé de «dermatoses, psoriasis, petites affections de peau, rougeurs cachées, petits eczémas disséminés», qu'il analyse comme autant de «petites bêtes qui grouillent, pas méchantes, pas mortelles, qui écorchent, qui agacent» (21 octobre 1980, p. 101), la dialectique de l'Un et du multiple s'incarnant ainsi, de façon grotesque si l'on veut, sur la surface de son propre corps, comme celle de la lutte entre Dieu et Satan s'écrivait directement sur la peau des possédées selon les témoignages conservés de la grande affaire de possession collective de Loudun.
Le premier juge, et sans doute le plus sévère, de ce que Philippe Muray a écrit (5) n'est autre que lui-même, comme il le note à la date du 18 août 1980, cette remarque ayant bien évidemment une portée générale : «Misère de faire une œuvre qui ne vaut sens pour le lecteur que s'il a perpétuellement à l'esprit tout le reste de la littérature. Je me rends compte qu'un livre comme Le GH [soit, comme je l'ai précisé, Le Genre humain, qu'il est alors en train d'écrire] ne peut donner de la jouissance qu'à qui a en tête sans cesse l'ensemble des autres livres, la totalité de ce qui a précédé ce livre. Cela a sans doute été vrai de tout livre et de tout écrivain, mais ce que je fais, contrairement à ce que faisaient les autres écrivains, ne peut pas valoir comme vérité humaine immédiate. Seulement comme vérité de ce qu'ils représentaient comme vérité humaine» (p. 81).
C'est en fin de compte prétendre que Philippe Muray a parfaitement conscience d'arriver tard, trop tard sans doute, dans un monde où l'image de la réalité n'est jamais qu'une image d'une autre image car, si «ce monde était un livre, nous en serions l'index», la vérité, pour le dire avec un autre, étant, comme nous le savons désormais, truquée : «Nous en sommes en quelque sorte l'index, c'est pour cela qu'il y a tant de noms et qu'on ne peut que les feuilleter. Si ce monde est un livre, nous sommes à ses dernières pages, tout contre la couverture» (19 août 1980, p. 83). Muray évoque plusieurs fois cette thématique, mais jamais plus nettement que lorsqu'il écrit ces mots : «Il est incontestable qu'à passer sans cesse, comme je le fais en ce moment, de Proust, ou Baudelaire, ou Hugo, ou Balzac, à ce qu'on appelle encore le texte moderne, celui des autres ou celui que j'écris, c'est l'insoutenable laideur, la balourdise, l'opacité du second qui apparaît par comparaison. Ce genre de textes ne me paraît plus véhiculer aucune vérité. C'est même l'amputation de toute vérité dont il est l'incarnation. Les mots y sont castrés de toute violence et de toute pensée. Pire encore : sont devenus incapables de penser cette castration qui est aussi celle de l'époque. Ils resteront comme des traces innommables du chaos, des graffitis de chiottes, des signes pour sociologues du futur, rien de plus. Si mon livre a quelque mérite, ce sera d'avoir essayé de se relever lentement de ce désastre» (1er octobre 1980, p. 94, l'auteur souligne). Philippe Muray ou l'écriture du désastre, titre blanchotien pour chronique journalistique, expression qu'il faut entendre dans sa polysémie : écriture du désastre, écriture contre le désastre, échec paradoxal dans les deux cas, puisque nous manque la hauteur surplombante capable de donner sens à une parole qui tourne à vide, que le moyeu du langage s'est mis à tourner comme une toupie devenue folle, éjectant tout sur son passage, centre perdu que seuls quelques illuminés s'efforcent encore de chercher dans le gouffre de Babel.
Je ne sais si nous pouvons affirmer que tant de pages écrites, publiées ou pas, ont pu se «relever lentement de ce désastre» évoqué par l'auteur, ou bien si, au contraire, ce sont des dizaines de pages de ce Journal qui illustrent, à leur manière tout à la fois ironique et profondément triste, consciente de l'échec, ce désastre : allusions obscures, incessants jeux de mots («Nombre et nombril. La masse comme étymologie du cordon ombilical», 28 septembre 1982, p. 204, «huis-clone», 29 octobre 1982, p. 214), notations mimant parfois le style oral, mots manquants à des observations qui ne pouvaient avoir de sens que pour l'auteur seul, puisqu'il s'agissait pour lui de noter, avant qu'elles ne se perdent, des bribes susceptibles d'aider à faire progresser l'écriture de plusieurs textes menés de front, références constantes à des sottises et de vieilles chèvres psychanalytiques (Lacan et son séminaire intitulé les Non-dupes errent, p. 241), passages entiers parfaitement illisibles et donc incompréhensibles (6), autant d'aspects qui ne peuvent absolument pas compenser des fulgurances, par exemple sur le traitement du visage par la peinture contemporaine (7), des traits destructeurs et drôles, comme sur la gauche et la disparition intellectuelle de la droite (cf. p. 189) devenue «intégralement socialiste (et honteuse de l'être)» (27 septembre 1982, p. 203), ou encore sur le socialisme dans son rapport avec «l'occulte qui le supporte» (6 mai 1982, p. 171), thèse bien connue du 19e siècle à travers les âges, dont les pages du journal de l'année 1982 nous donnent le début (cf. p. 170) de la longue et complexe gestation. Ce désastre comme figure de l'écriture est encore signifié par une métaphore, qui permet à Philippe Muray de comprendre parfaitement de quoi il en retourne : en effet, il désigne ses essais comme des «satellites», «petits ou gros», mais «privés de ce autour de quoi ils tournent» (7 septembre 1982, p. 197), et il n'est pas si difficile que cela de savoir quel est ce grand corps manquant, un roman véritable, un roman, en somme, romanesque, pas honteux d'utiliser les vieilles ficelles que les bousilleurs du Nouveau Roman ont prétendu détruire selon Muray, et non un essai déguisé en roman, comme il en a écrit plusieurs, et trop souvent inintéressants.
L'écriture des premières semaines de l'année 1983 devient, enfin, après tant de pages anecdotiques, brouillonnes, toutes bruissantes de mille idées, tour à tour ennuyantes ou fatigantes, une écriture digne de ce nom, du nom de Journal, et c'est d'autant plus drôle, mais point étonnant après tout, que Philippe Muray y relate son calamiteux séjour en Californie, où il est allé pour donner des cours à l'Université de Stanford. L'auteur, qui s'ennuie à mourir, y poursuit ses analyses, souvent fort drôles et surtout frappantes de justesse, sur la spectralisation du monde moderne (cf. p. 209), en lien avec «la progression fantomale de Baudrillard» (1er octobre 1983), en lien aussi avec sa propre thèse sur les liens qu'entretiennent l'occultisme et le socialisme (ce dernier étant défini comme «le protestantisme, la femme, l'occulte, la reproduction, la Californie, la santé, le sport, croire que Freud est dépassé, etc.», 5 février 1983, p. 241), la sexualité (elle aussi menacée de spectralisation, cf. pp. 291-2), à ses yeux abominable mais qui est rendue

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17/02/2015 | Lien permanent

Georges Molinié, prince des cacographes

Crédits photographiques : Queensland Brain Institute.
«Ma langue est la putain de tout le monde, dont je fais une vierge.»Karl Kraus, Pro Domo et Mundo [1912] (trad. par Roger Lewinter, éditions Gérard Lebovici, 1985), p. 134.9edcc44de0adf98784cdc45f54fb61c8.jpgJe croyais avoir lu, en matière d'inepties verbales, de torcheculatives envolées post-grammaticales, de barbarismes mongolo-oulipiens, de zeugmatiques attelages de verbes à sémantisme vide, d'hypallageux truismes soupliniens, de métaphores synesthéphages d'une laideur diacritique, d'infatuesques et tudeux rudoiements de notre langue à bout de souffle et de coups, de sémiostylistiques épanchements de sinovie, je croyais donc avoir lu, en cette matière hélas aussi profonde que les océans de la planète Solaris (matière et planète autour desquelles, comme dans le roman de Lem, une véritable clique de spécialistes qui les étudient sans relâche orbitent), beaucoup de belles et bonnes choses, d'insignes réussites, par exemple sous les plumes badigeonnées de sottise diafoireuse de MM. Jacques Derrida, le singe savant que les douanes nord-américaines n'ont malheureusement pas mis en stricte quarantaine, Jean Bessière l'énigmatologue contrarié ou encore François Rastier le chercheur légèrement subventionné mais je dois reconnaître que jamais, jamais je n'ai eu la chance de lire un des somptueux ouvrages de Georges Molinié, ancien directeur de l'UFR de Langue française à l'Université de Paris-Sorbonne, éminent stylisticlinologue, émérite patricien de la sémantolophagie, roi des fonds où broutent quelques milliers d'étudiants et, très probablement, leurs professeurs, admirateurs discrets et sujets immodérés du prince des cacographes.Si l'on me demandait par quel miracle, aussi, j'ai pu contourner l'obstacle pourtant de belle taille que mes professeurs de classes préparatoires m'avait tendu avec malice, justement la lecture des ouvrages dudit Georges Molinié, spécialiste universellement connu de la catachrèse anapestifuge, je ne saurais quoi répondre. La chance sans doute, rien de plus, cet aveu m'en coûte puisqu'il ne suppose point, de ma part, quelque précoce capacité de résistance à la stupidité institutionnalisée. Il est vrai que, parvenant non sans mal à éviter, grâce à mon portulan personnel, l'amer que constituait la lecture du cuistre moliniesque, je ne pus toutefois qu'encalminer piteusement mon frêle esquif sur l'îlot clippertonien colonisé par plusieurs milliers de manchots que ma carte, dûment tenue à jour, répertoriait sous le nom de Genette-Soulevent. Je tombai donc de Molynide en Derryda pour sûr, Genette n'étant qu'une sous-épigraphe presque anodine d'un texte autrement complexe, bien que fou. De plus, absolument accaparé par la modeste tâche consistant à tenter de décortiquer, pour les soumettre à une saine analyse, les pelotes de déjection où je lis la destinée brumeuse de mes nains favoris tels que Todorov ou Kéchichian, je n'ai pu me résoudre à lire Molinié dont l'écriture infra-verbale, si je puis dire, m'a été mise sous les yeux (ou plutôt, ici, sous le nez) par René Pommier, agrégé des Lettres classiques, ancien élève de l'ENS, docteur d'État et professeur ayant enseigné vingt-deux années à Paris IV. D'habitude, les théories ronflantes de titres universitaires me font sourire mais, ma foi, je constate avec plaisir que l'empilement des diplômes n'est pas toujours le signe d'une profonde stupidité, d'une intelligence dévoyée seulement désireuse, sans doute pour se prouver qu'elle est de belle taille plutôt que de réel poids, d'aligner sagement les épreuves écrites comme autant de moutons qu'il s'agira d'enjamber les uns après les autres.Mes chers lecteurs, quelques spécimens dangereux du sabir moliniesque vous attendent derrière cette cage en titane. Le bon docteur Moreau n'y est pour rien je crois, mais il est bien vrai que ses descendants sont beaucoup plus discrets que lui, puisqu'ils vivent désormais au milieu de nous tous et non plus à l'abri des regards, fou expérimentant sur quelque île perdue.Je vous prie de ne point jeter à ces monstres hélas sexués des friandises, de peur que nos étranges créatures phocomèles (mais pourvues pourtant d'une gueule vorace et d'organes génitaux conséquents) ne se reproduisent inconsidérément.Nous les verrions alors peut-être se retourner contre leur créateur, le placide docteur Molinein, et poursuivre ce dernier sans relâche jusqu'au pôle Nord, où le froid extrême régnant dans cette région, espérons-le tout du moins, immobiliserait durant des siècles l'ardeur créative des uns et la docte stupidité de l'autre.3487a5445e7e4babef6dce91f2df8d70.jpgSpécimen 1«Le narrateur dit au lecteur que la princesse de Clèves dit à son mari, M. de Clèves, que la reine Dauphine lui a dit (à elle la princesse) que le vidame de Chartres lui a dit (à elle la reine) que M. de Nemours lui a dit (à lui le vidame) qu'un ami lui a dit (à lui le duc) qu'une dame a dit à son mari (son histoire)», Georges Molinié et Alain Viala, Approches de la réception. Sémiostylistique et sociopoétique de la réception (PUF, 1993), pp. 79-81.c94d35e0b0494d921a31c2e322b16ea5.jpgSpécimen 2«le stylème est appréhendé comme un caractérisème de littérarité, c'est-à-dire comme une détermination langagière fondamentalement non informative (même fictionnellement) dans le fonctionnement textuel», La Stylistique (PUF, coll. Que sais-je ?, 1989), p. 105.fb9034b87c37ccf681c7819b2492162e.jpgSpécimen 3«On peut donc se livrer à un deuxième ratissage de la page, en quête de marques langagières se constituant peu à peu, par accumulation-augmentation-imbrication, à l'intérieur et au cours du tissu textuel concret en question», La Stylistique (PUF, coll. Premier Cycle, 1993), pp. 191-2.f6448dcf8f3052dc08f6fe29b8d475e7.jpgSpécimen 4«il convient d'associer à la considération, méthodologique, que la façon dont une discipline construit ses objets décide de l'interprétation qu'elle en tirera, la considération, épistémologique, qu'il y a distance, différence, entre l'objet et le concept, entre les formes empiriques et les constructions épistémiques», Approches de la réception (op. cit.), p. 2.106ce3a01801ee751a74135d34dcf2f6.jpgSpécimen 5«car, justement, c'est plus il avance que le texte devient plus nettement lyrique», La Stylistique (op. cit.), p. 177.86189bfb7b27e6afb4b528b17d57ebb3.jpgSpécimen 6 ou prince des monstres«L'environnement interdit une analyse selon la saisie 1 (S1), qui impliquerait ici un simple niveau I, difficile à concilier avec l'extrême focalisation introspective du narré : en revanche, cette saisie 1 (S1) serait parfaitement interprétative, avec un actant émetteur de type JE (récit à la première personne) : ce qui n'est matériellement pas le cas. Mais il ne faudra pas oublier ce sentiment (ou ce fantôme de sentiment) du lecteur. La saisie 2 (S2) est, paradoxalement, plus évidemment exclue encore : elle impliquerait une distanciation analytique très forte des héroïnes, bien difficile à admettre en l'occurrence, sans artifice de lecture assez violent. Et le modèle de la saisie 3 (S3) ? Elle permet [...] toutes les intégrations-fusions imaginables, ce qui est effectivement exigé dans cette phrase. Mais justement, l'intégration-fusion semble ici excessive : trop lisse, trop belle, et, finalement, comme se donnant presque elle-même en objet de discours. À l'intérieur de cette fusion, s'instaure comme une distanciation qui souligne à tout le moins, la manipulation d'une instance émettrice par l'autre instance (celle du niveau inférieur) : la saisie 3 (S3) ne suffit plus. Il faut pouvoir rendre compte de la fusion actantielle du type de la saisie 3 (S3), de l'impression que le narrateur (actant émetteur de niveau I, quelle que soit la stratification interne du I) est d'une certaine façon partie prenante de l'histoire racontée, et aussi de l'extériorité stylisée qui marque ce narré; ce dernier trait peut se gloser en disant que l'objet du récit est alors qu'une histoire est racontée. C'est tout ce mixte qu'il s'agit d'expliciter», Approches de la réception (op. cit.), pp. 82-3.À titre purement informatif, rappelons que le texte ayant généré ce commentaire est le suivant : «Elles aimaient bien tremper leur lèvre supérieure dans la coupe légère, et sentir le pétillement des bulles qui piquait à l'intérieur de leur bouche et leurs narines», Le Clézio, La Grande vie.Sources des illustrations :Spécimen 1 : Aldrovandi, Ulysse (et Ambrosino, Bartholomeo), Monstrorum historia cum paralipomenis historiae omnium animalium Bartholomaeus Ambrosinus (Bologne, N. Tebaldin, 1642, cote BIUM 881).Spécimen 2 : Boaistuau, Pierre, Histoires prodigieuses (Paris, 1566, cote BIUM 42.194).Spécimen 3 : Liceti, Fortunio, De monstrorum caussis, natura et differentiis libri duo (Padoue, P. Frambotti, 1634, cote BIUM 6.964).Spécimen 4 : Rüff (ou Rueff), Jacob, De conceptu et generatione hominis, de matrice et ejus partibus, nec non de conditione infantis in utero... (Francfort sur le Main, 1587, cote BIUM 71.560).Spécimen 5 : Schenck, Johann Georg, Monstrorum Historia memorabilis, monstrosa humanorum partuum miracula, stupendis conformationum formulis ab utero materno errata, vivis exemplis, observationibus et picturis referens (Francofurti, 1609, ex officina typographico Matthiae Beckeri, impensis viduae Theodori de Bry, et duorum eius filiorum, cote BIUM 72.438).Spécimen 6 : Paré, Ambroise, Vingt cinquième livre traitant des monstres et prodiges, Œuvres (Paris, G. Buon, 1585, cote BIUM 1.709).

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05/09/2007 | Lien permanent

Pierre-Antoine Rey dit Cormary ou l'écrivant qui se répand

Crédits photographiques : Bernd Weissbrod (EPA).
D'un monologue au fond d'une cave : Pierre Cormary le mélisant

Si vous avez quelque temps à perdre, allez donc lire, tout de même pas comme je l'ai fait, c'est-à-dire jusqu'à l'écœurement, les indigestes tartines de beurre rance que Pierre Cormary agite sous nos nez en y ayant déposé de gros morceaux malodorants de Sade, Sacher-Masoch, Joyce ou Stendhal (ces quatre noms importent peu et peuvent être remplacés par n'importe quels autres, comme Nabe, Chesterton ou René Girard, ayant eu la malchance d'être commentés par notre piètre lecteur) et des plumitifs aussi nuls qu'Amélie Nothomb.
Parfois, il nous offre, utilement, un résumé de son activité annuelle sur Facebook. Cela donne telle note, où le grotesque le dispute au vulgaire, au sale, à la pornographie verbale.
C'est bien simple, quel que soit l'auteur ou le sujet évoqués par notre mélisant, comme lorsqu'il s'agit de défendre l'ignoble navet de Mel Gibson ayant pour titre La Passion du Christ ou tel ou tel prodige d'intelligence, selon notre si fin critique cinématographique (les preuves : sur Kill Bill, Batman Begins, etc.), bref, quel que soit le sujet sur lequel Pierre Cormary n'hésite jamais à déverser sa fausse science et sa maladive logorrhée, la même aigre ritournelle nous est jouée, dont le refrain si peu original qu'il en devient touchant et même obsédant est un long, unique et douloureux Moi ! Moi ! Moi !, formule magique de sa pauvre structure névrotique, selon le procédé fort commun dit de l'identification priapistique pré-pubère qui consiste à se choisir une figure de grotesque, de préférence fantasmatique, pour décharger sur ses épaules déjà courbées ses plus insignes tares.
C'est ainsi que Pierre Cormary a pris soin de n'aimer que des égotistes indécrottables qui, signe invariable de la petite mécanique perverse à laquelle il obéit comme un éléphant à son cornac, lui ressemblent (puisque tout le monde ressemble, en fin de compte, au plus misérable d'entre nous et qui se considère comme tel), comme Gabriel Matzneff, et, bien sûr, Marc-Édouard Nabe, qu'il aime et hait tout à la fois.

Celui par qui le scandale n'arrive jamais

Confusion mentale ? Nous pouvons la soupçonner dans une bonne centaine de notes de Pierre Cormary même si quelque lecture inattentive, superficielle des écrits de notre infect blogueur peut laisser penser qu'une redoutable mécanique dialectique est à l'œuvre dans les textes de l'intéressé.
Car, chez Rey, tout est leurre : et d'abord sa connaissance de la littérature, qu'elle soit française ou étrangère. Pierre-Antoine Rey est beaucoup de choses si l'on veut mais il est, avant tout, un incompétent en matière littéraire et, par-dessus le marché, un inculte.
Qu'avons-nous, en guise d'intelligence et de style ? Quelques pitoyables procédés, dont je n'évoque que les plus intéressants. Ainsi, en guise de captatio benevolentiae, ce que nous pourrions appeler l'insinuation galopante ou bien la suspicion salopante, dont le contresigne pourrait être appelé le blanchiment infamant. Illustration, par ce monologue entièrement imaginaire que pourrait nous tenir Pierre Cormary : «Allez, mon cher lecteur, mon semblable, mon frère, crois-tu réellement que le pur parmi les purs, le Christ voyons, soit aussi pur que cela ? Tiens, saint Paul lui-même, «hystérique, fanatique, misogyne, homophobe, pré-inquisiteur», n'est jamais qu'un Saul repenti ! Pareillement, es-tu assez stupide pour penser que le plus abject salopard, un Sade ou tout autre pestiféré de ton choix, est aussi abject que cela ? Non mon cher, il l'est encore bien plus que jamais tu ne l'imagineras et, a contrario, le Christ est au-delà de toute idée lamentable que tu pourras te faire de la pureté, et, je vais te le dire, c'est bien pour cela que l'un et l'autre, le Christ et Sade ou le plus insigne salaud qu'il te plaira de peindre en termes outranciers, sont au-delà du bien et du mal parce que, moi, je te le dis : rien n'est pur, tout est déjà sali, même le plus innocent bambin encore relié à sa mère (cette probable mégère peu reluisante...) par son cordon ombilical.
De fait, juger le plus pur ou le plus impur ne fait que nous juger, je te conseille de relire La Chute de Camus si tu veux tout comprendre à cette mécanique vieille comme le monde, et que René Girard a merveilleusement démontée.
Deuxième temps de notre petite démonstration cormarienne : nous juger, c'est nous condamner parce que, cher lecteur, au cas où tu en douterais, je te confirme que nous sommes, toi et moi, moi surtout mais tu n'es pas en reste, deux beaux salopards. Pourquoi, me demandes-tu ? Comme tu es touchant, à la fin, un véritable petit ange tombé du ciel sur la terre et tout désorienté de se trouver entouré de visages grimaçants. Tu es un salaud parce que, retournement de l'identification priapistique vue plus haut, tu ne me lirais pas si tu étais si pur que cela. Si, donc, tu me lis, c'est sans doute, allez, à coup sûr même, que tu patauges dans la boue, comme moi, mais que, tout comme moi je le sais bien, tu adores t'y vautrer, selon le mouvement bien décrit par Honoré Biffard lorsqu'il parle de rivalité porcinétique : tu me lis et désespère d'égaler ma vilenie, ma saleté repoussante mais tu sais bien que jamais tu ne parviendras à m'égaler car, vois-tu, si tu étais comme moi, eh bien, tu serais moi, je veux dire que tu écrirais à ma place et donc que je n'aurais plus de raison de le faire, ni même de vivre puisque mon unique raison de vivre, n'est-ce pas, c'est l'écriture ! Tu me suis ? C'est pourtant facile de me comprendre, non ? Garde en mémoire que je ne m'aime pas et que je n'aime pas que les autres m'aiment, c'est le fil directeur de ma sophistique.
Troisième mouvement de notre opéra de quatre sous, il me faut donc, immédiatement, défaire ce que j'ai lié et te faire comprendre, pauvre âne de lecteur, que jamais tu ne seras aussi sale et repoussant que je le suis, j'appelle ce procédé le bannissement par l'abjection : je me couvre de merde comme David Nebreda, sous une telle quantité que je disparais de ta vue. Ainsi me suis-je retiré de la communauté avouable des vivants et des lecteurs pour m'emprisonner et me retraire dans l'inavouable, la communauté des damnés, impossible bien sûr puisque le damné est l'être le plus solitaire que tu pourrais concevoir dans ta petite cervelle friande de réjouissances festives et sociales. Crois-tu, même, que l'auteur que je commente, pour lequel j'ai déroulé le tapis crasseux de ces trois procédés herméneutiques, crois-tu même que cet auteur me soit d'un quelconque secours ? Bien sûr que non car l'ultime ruse de celui qui hait est de se débarrasser de la main tendue du dernier bon Samaritain, de cracher même sur cette main offensante qui est le signe et le symbole de la bénédiction du partage et moi, je ne veux rien, rien d'autre que d'être mon propre bourreau, j'ai mieux lu Baudelaire que toi va, et ainsi, dans un tête-à-tête infernal, je désire dissoudre à petit jets de haine en espérant bien faire taire celles et ceux qui pourraient vouloir m'aider, toi le premier peut-être

Je vois l'écrivant tomber sans mystère

Jugez-en donc, de cette intelligence devenue légendaire, par cet extrait de ce brouet sans saveur : «Au bout du compte, ça veut dire quoi être chrétien ? Ca (sic) veut dire reconnaître la saloperie de son être (sic ! NDLR : le péché originel). Ca veut dire avoir une certaine conscience de soi en même temps qu’une conscience du négatif. Ca veut dire apprendre à retourner le négatif en positif, le mal en bien, la faute en châtiment et le châtiment en rédemption.» En somme, ce magnifique condensé de la réversibilité des mérites pour lecteurs de Oui-Oui indique suffisamment que, au travers du regard de notre «catholique de la Contre-Réforme» (sic, extrait des informations fournies par l'intéressé sur son profil public Facebook), rien ne peut vraiment l'ébranler puisque tout, finalement, se vaut, une tragédie de Shakespeare comme un des surnuméraires navets de Nothomb, une page de Nietzsche comme une page de Laurence Zordan. Être catholique, du moins selon Pierre Cormary, cela signifie... absolument tout ce que l'on voudra, sauf, probablement, être catholique, c'est-à-dire appartenir à la communauté visible et invisible de celles et ceux qui non seulement suivent les commandements du Christ mais tentent de lui ressembler.
Affirmer que le personnage inventé par Rey n'est autre chose que le signe d'une pathétique et ridicule obsession de soi-même, entraîne quelques conséquences et provoque, chez l'intéressé, de nouveaux dysfonctionnements herméneutiques comme une vulgarité indéfectible (tous ces «Ah !» (variante «Ah la la !»), tous ces «Oh !» ponctuant ses commentaires et ses notes de blogueur, tous les petits procédés si peu originaux qui lui font imiter une gouaille populaire aussi peu naturelle qu'une greffe de palme d'ornithorynque sur un ventre d'hippopotame), une sexualité aussi tortueuse que torturée comme il nous l'expose dans la majorité de ses notes impuissantes à parvenir à se saisir et peut-être même à s'aimer, y compris lorsqu'elles évoquent la position de l'Église sur les animaux génétiquement modifiés, mais aussi une incapacité totale à évoquer un grand texte pour des raisons purement littéraires, nous offrant au contraire, en lieu et place d'une grande critique dont la première grandeur est de s'oublier, une soupe peu alléchante où surnagent quelques gros croutons frottés à l'ail de moi-mêmisme démultiplié à l'infini, nous offrant encore, contemplée sous une bonne centaine d'angles et autant de miroirs, la face de notre navrant et si profondément incompétent lecteur, ne faire que cela donc, aligner les uns après les autres ces jugements qui feraient taire, à vie, tout autre que Pierre-Antoine Rey dit Cormary qui n'a jamais douté de son talent, c'est s'arrêter trop vite et rater la vérité splendide et misérable, en ce qu'elle est d'essence théologique, de cet intarissable bavard, l'un des plus infâmes littérateurs sévissant sur la Toile.
Vais-je aller jusqu'à affirmer qu'il déshonore la blogosphère ? Non, bien sûr que non, quelle stupidité ce serait là ! Pierre Cormary ne déshonore que l'idée que je me fais de la parole critique. Il déshonore aussi l'idée que je me fais de la vertu et de la pudeur, avouons que c'est là placer la barre plus haut qu'une niaise et pitoyable stigmatisation d'un blogueur qui, vite perdu dans les plus minuscules flaches virtuelles, se rêvant grand squale blanc alors qu'il n'est, au mieux, qu'éponge de mer, frétille toutefois d'aise.
Cette vérité cormarienne, comble d'ironie (et quelle ironie, aussi socratique que kierkegaardienne, voilà qui devrait plaire à l'intéressé) qui, toutes les fois que je lis une ligne de notre littérateur, me fait partir d'un grand éclat de rire, est tellement visible que je m'étonne que personne n'ait songé à la jeter en travers de notre poussif jouisseur : car Pierre Cormary, comme telle créature de papier qu'il rêve d'égaler par son impuissance même et la misère, nous dit-il, nous répète-t-il, nous fatigue-t-il de note en note, en évidences ou allusions à peine voilées (Rey n'aime pas le voile, c'est un fait; il le déteste même, comme le montre cette note répugnante, qui aurait pu valoir fatwa à celui qui en est l'auteur), la misère donc de sa sexualité, est un Don Juan parodique, un démon de toute petite envergure. Je veux dire qu'il est, comme le Peredonov de Sologoub, un de ces pauvres torturés qui paraissent perpétuellement agités par une danse de Saint Guy, la danse de celles et ceux qui ne savent pas danser sans que pénètre dans leurs veines le suc d'une présence étrangère, qui les anime un temps puis les abandonne à leur navrante insignifiance. Car Pierre-Antoine Rey, qui feint de jouer l'impassibilité devant ses ennemis et l'imperturbable et pédagogue Socrate qu'il n'est bien évidemment pas, n'a aucun ami véritable, rien d'autre que quelques échos électroniques et fantômes, apitoiements contraints, encouragements de circonstance, tendresses mensongères et dégoûtées.

Ne surtout pas achever le piètre critique

Ces deux termes, érotomanie et démoniaque, ne représentent rien d'autre que la difformité d'une seule créature, malheureux bifrons enfermé dans ce que le génial penseur danois a nommé l'hermétisme.
Je ne puis que renvoyer les lecteurs intéressés par cette question, et surtout Pierre Cormary, ce lecteur si lamentable du Grand d'Espagne qu'il doit tenter de déshonorer sa mémoire pour nous convaincre qu'il n'était pas aussi intègre qu'on l'a dit, à ma longue étude de l'hermétisme démoniaque appliqué, comme catégorie de lecture, à Monsieur Ouine de Georges Bernanos.
Pierre Cormary nous apprend qu'il est un rat.
Je laisse à l'auteur la responsabilité de sa comparaison tout en lui faisant remarquer qu'une créature aussi malaimée que le rat bénéficie encore de la chaleur de ses congénères et que, dans les ténèbres où il se cache, il peut trouver quelque réconfort à se frotter contre une ou plusieurs femelles de son espèce, et même se perpétuer, sous la forme d'un de ces repoussants anneaux de bébés rats.
Le démoniaque, lui, est enfermé, comme l'est le personnage de Fiodor de La Joie, dans la propre geôle qu'il a édifiée avec une haine de lui-même que le malheureux, comme la première Mouchette d'ailleurs, finira par retourner contre lui.
Il y aurait toutefois une faute herméneutique à rapprocher Pierre-Antoine Rey du personnage de Fiodor qui, dans sa bassesse, témoigne d'une certaine grandeur, car il ne sert finalement à rien de demander à un mort d'être vivant.
Un autre personnage illustrant l'hermétisme démoniaque, cette fois-ci mis en scène par Ingmar Bergman dans Saraband, Johan, nous permettrait mieux je crois de comprendre le comportement de Cormary. Johan aime tellement les autres (sa fille, surtout) qu'il les confond avec lui-même. Les haïssant donc, il se déteste tant qu'il accepte tous les crachats; il est contraint, par une impérieuse nécessité, à se vider de sa haine et de sa grimaçante vérité de démon devant le premier venu.
Kierkegaard, définissant l'hermétisme et son corollaire qu'il nomme l'ouverture involontaire, écrit dans Le concept de l'angoisse que le plus faible contact, un regard d'un inconnu, etc., suffisent pour déclencher cette ventriloquie, terrible ou comique, qui agite le démoniaque furieux de se libérer de sa haine.
L'intelligence contrefaite de Pierre Cormary sait parfaitement que, employant certains mots, il nous indique les chiffres de son rébus misérable. Appelant à me faire condamner, il tourne contre moi une haine, une détestation viscérale qu'il a d'abord dirigée contre lui-même. Ainsi se condamne-t-il lui-même à ne pouvoir s'évader du cachot dans lequel il s'est claquemuré.
Mais cette banalité, ce n'est pas au démon de toute petite envergure qu'est le personnage de Pierre Cormary que je vais l'apprendre.

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07/04/2011 | Lien permanent

L'Empire du Rien n'a pas perdu son chantre : Pierre-Antoine Rey dit Cormary, cacographe, pornographe, souchien (faux-ami

Crédits photographiques : Armando Franca (Associated Press).
Ajout du vendredi 8 février 2012.

Parfois, je me dis que Dieu, dans son infinie sagesse, a créé, comme les crapauds et les limaces, un Pierre-Antoine Rey pour me rappeler ce que sont les lénitives vertus de la répétition. Accordez une ligne (la voici, quelle affaire : «[Philoménon Yanka] utilise à peu près le même pseudo-argument que le cacographe [Arnulphe] Rey»), en bas de note, au meilleur de nos plus mauvais écrivants, et ce condor de la pensée nothombienne, du haut de sa stratosphère, vous chie un ciel de guano pour vous rappeler, encore et encore, qu'il ne peut décidément vous oublier, que ce serait même indécent, voyons, qu'il ne se rappelle pas à votre bon souvenir par un rot, un pet ou une longue fiente toute molle et verdâtre, signe d'intestins en effervescence. Après les philippiques, au moins méchamment bien troussées, du polygraphe belge, les jérémiades poussives du cacographe niçois, c'est bien notre déveine de tomber de Yanka en Rey ! : «Hé m'sieur, m'sieur, moi aussi, hein, chuis méchant», répète notre petit factotum de la dégoulinade à prétention stylistique. Non mon petit : toi, tu es bête et tu ne sais pas écrire, et tu ne t'en remets toujours pas que je te méprise.
Notre raté notoire, dans la trentième note qu'il me consacre depuis que j'ai eu l'idée remarquable de lui suggérer de créer un blog, afin que l'humanité ne soit pas privée de ses lumières digestives, semble ne toujours pas avoir compris l'évidence : c'est bien sûr du point de vue le plus éminemment littéraire que je juge l'affriolante qualité de son potage tout plein de rognures de nombril en pleine fermentation, de strates géologiques de cérumen xénophobe, de gisements profonds de poils de misogynie, de croûtes marmoréennes de vulgarité et de bubons expansifs de trouille, en rappelant justement que cette alléchante mixture, même pour les papilles d'un pauvre hère souffrant d'un cancer de la langue, ne peut être confondue avec une écriture digne de ce nom. Rappelez à Pierre-Antoine Rey qu'il a perdu une procédure contre moi à laquelle il s'était pourtant joint, alors qu'elle ne le concernait d'aucune sorte, montrez-lui, en le citant et en argumentant, qu'il ne sait ni lire ni écrire si ce n'est après avoir enfilé sa panoplie de René Girard et ce Diafoirius de la quatrième de couverture mélassée d'humeurs et de bile vous crie son amour si maigrement rendu il est vrai.
J'ai commis une erreur de taille, à l'endroit de Pierre-Antoine Rey, et je prie mes lecteurs de bien vouloir me pardonner cette inadmissible bourde. J'ai supposé que Pierre-Antoine Rey possédait un cerveau, des yeux aussi, cet ensemble d'organes, dont un colibri est pourvu, lui permettant, à peu près, de comprendre ce qu'il lisait. Je me suis trompé lourdement mais, me souvenant des exposés d'Austin sur la parole performative, j'espère au moins ne point exagérer les pouvoirs du langage en écrivant : apprends à lire et à écrire, pauvre Horla malaimé et surtout, surtout, essaie de m'oublier car je ne suis de toute évidence pas intéressé par ta comique parade amoureuse.

«D'ailleurs, que faire dans la vie, sinon jouer ? Calmez-vous, monsieur Match... Que faire dans la vie ? Vous avez l'embarras du choix. Que ne vous mariez-vous ? Vous me dites que les femmes n'aiment que les hommes qui les amusent, qui sont beaux ou qui leur font la cour. C'est vrai... Amusez les femmes! Comment ? Eh bien soyez spirituel, drôle, racontez des histoires... parlez chiffons... homosexualisez vos gestes, votre tenue vestimentaire, vos propos... Renoncez à votre air affamé devant les belles – elles ont horreur de donner à manger aux pauvres et s'effraient si vous vous précipitez sur leurs appâts comme la misère sur le pauvre monde – éteignez le feu de votre regard, soyez toujours disponible, offrez de menus cadeaux. Au-dessus de vos forces ? En ce cas, soyez l'homme d'un métier, travaillez. Prenez un emploi dans les Postes, ouvrez une boutique, vendez des chapeaux, de la crème à raser, des balais, embrassez la carrière des armes, embauchez-vous comme gardien de musée, jongleur, commissaire de bord, moniteur de ski. Ho ! quel étrange regard me jetâtes-vous, monsieur Match ? Douteriez-vous de mon amitié ?»
Jean Cau, La Pitié de Dieu (Gallimard, coll. NRF, 1961), p. 233.

«Vingt ans déjà. Le problème d’Amélie Nothomb est qu’à force de la voir publier un livre tous les ans à la même époque on finit par oublier qu’elle est géniale, que sa littérature est la plus vivante et la plus surprenante du temps, et que contrairement aux critiques qui doivent bien vivre, elle reste jeune comme au premier jour.»
Pierre-Antoine Rey dit Cormary, sur son blog.

«Continue de s'éclater comme un con sur Facebook. Tente de se réformer gastriquement, car il fait de l'hypertension, des tendinites, et n'a pas renoncé à baiser un jour normalement. Couleur préférée : le bleu paon.»
Du même (cf. À propos, sur son blog).


Version très courte et bernanosienne

Les ratés ne vous rateront pas (in Cinq appels aux Français, Le Chemin de la Croix-des Âmes).

«En moi, je renie le désir,
Qui ne fit jamais que pourrir,
Abandonnant les belles en rut,
...M’éjectant de toutes les luttes,
Glaçant n’importe quelle ardeur,
Ennuyant toutes les moiteurs,
Ne se révélant qu’à la main,
Loin du con, des cuisses et des seins.»

Pierre-Antoine Rey dit Cormary, Forceps, poème publié sur Facebook et reproduit sur son blog.



Version courte

Notre époque est celle où règnent les clowns et la parodie. Il n'est donc pas étonnant que ce soit une personne qui ne sait pas écrire, qui pense mal, qui est dénuée de la moindre culture littéraire, politique, philosophique et, bien sûr, théologique, un exégète insignifiant dont la rigueur herméneutique est une blague, un procureur et un inquisiteur de foire virtuelle, il n'est pas étonnant que ce soit ce type d'insignifiance bavarde bien évidemment contente de son insignifiance et de son bavardage, néo-décadent affamé de chair et de chaire et qui contente la seconde bien davantage que la première selon ses propres dires, il n'est donc pas du tout étonnant que Pierre-Antoine Rey, qui a le jugement comme les deux accoudoirs de son fauteuil, soit celui qui me demande, sans pudeur ni honte, de me justifier sur mon passé de grand résistant au Remplacisme, qui me traite de belle âme, de chef de meute, à mots couverts de lâche narcissique, d'enragé du net, de spécialiste en démonologie ayant vendu son âme au diable et, pour finir, de Judas qui, comme il se doit, a trahi le Christ et, à tout le moins, retourné sa veste un nombre non précisé de fois, comme moi d'ailleurs.
Dans un monde inversé, n'est-il pas logique que la bassesse mime la grandeur et que, remplissant son office, elle accuse de lynchage celui-là même qu'elle traîne publiquement dans la boue ?
Nous ne nous étonnerons pas qu'un aussi mauvais lecteur que Pierre-Antoine Rey fasse mine de se rendre compte que je ne suis pas, à la différence de ses amis camusiens de plus ou moins fraîche date et, peut-être, de lui-même, un xénophobe aussi ordinaire que respectable (ce qui fait de ces personnes des êtres non point ordinaires mais, finalement, des personnes vulgaires, rendues plus vulgaires par le poids même de leur intelligence supposée). Je ne me suis jamais justifié, pas même devant des juges auxquels notre clown calomniateur avait exposé par écrit ses nombreuses doléances, et je ne me justifierai donc pas devant un homme qui à mes yeux n'aurait pas même le droit de mépriser la rognure d'ongle de la pire charogne ayant existé sur terre. D'ailleurs, je rappelle à Pierre-Antoine Rey que sa tentative ô combien digne et courageuse de réaliser un greffon procédurier s'est soldée par un magnifique échec, bien capable après tout, à condition que ce triste personnage fût digne de se poser quelques questions sur ses actes dictés par une petite envie recuite, de le renvoyer à sa lâcheté et sa très médiocre capacité de nuisance.
Saint Tartuffe, patron de Pierre-Antoine Rey, prie donc pour lui, si pauvre pécheur, si piètre pêcheur d'âmes.
Je comprends bien ce qui guide Pierre-Antoine Rey, Ponce Pilate d'opérette qui, à vrai dire, ne s'est jamais lavé les mains : moins l'envie de débattre ou de critiquer (puisqu'il ne débat de rien et insinue plutôt qu'il ne critique, ce qu'il n'a jamais su faire) que celle de nous faire croire que je siffloterais tous les matins, en me rasant pourquoi pas, la ritournelle que Dutronc composa sur l'opportuniste. Moins, aussi, l'envie de tenter de comprendre l'évolution intellectuelle (si elle existe) de celui qui n'a jamais voulu être son ami, que celle de dénigrer un comportement qu'il lui est impossible d'admettre, lui l'éternel suiveur, l'homme de rien obligé de se jucher sur les épaules de certains écrivains qu'il barbouille ou de journalistes peu regardants qu'il flatte. Répondons donc à ce serviteur volontaire, toujours heureux de se soumettre et de flatter, que je suis ce qu'il n'a jamais été, ce qu'il n'est pas et ce qu'il ne sera sans doute jamais : un homme libre.
Un homme libre ne se justifie jamais, fût-il accusé par une théorie d'ombres dolentes, fût-il suspecté d'entretenir des sympathies extrémistes, desquelles, du reste, j'ai été dédouané, mes furieux contradicteurs oublient ce détail comme ils en oublient d'autres, par un organisme aussi vigilant, sur ces questions qui empêchent les souchiens de dormir sur leurs deux oreilles, que le MRAP.
Un homme libre explique, toutefois, même s'il ne s'explique jamais.
Expliquons. Pierre-Antoine, enlève donc les doigts de ton nez, je te prie, je t'ai déjà expliqué mille fois qu'un élève aussi prometteur que toi devait tout de même essayer de ne pas polluer l'ensemble de la classe avec ses déjections, petites ou grandes.

«En moi, réel est pure haine,
Et l’image, seule érogène.
Onan sur le net et Masoch
De sites en bites, partout loque,
Je m’aliène aux récits SM
Autant qu’aux filles qui ne m’aiment.
Tant pis pour moi, tant mieux pour elles.
Au moins ne salirai leurs ailes.»



Version romancée

Il faut bien vivre !, s'exclame Pierre-Antoine Rey dans l'une de ses plus récentes notes, qui est d'ailleurs bien moins consacrée à la défense et à l'illustration des thèses, qu'il fait mine de connaître, de Renaud Camus sur le Grand Remplacement qui eut son chantre en la personne du grand écrivain Jean Cau (1), qu'à un appel au secours que nous pourrions résumer de la façon suivante : Juan Asensio, je t'en prie, réponds-moi, ne me laisse pas fermenter dans le jus aigre de ma solitude profonde, essentielle, qu'importe même que je sois entouré par tout un tas d'animalcules ovovivipares et gaudepisés (de godepie, morue) qui s'ébrouent derrière leur petit écran (2) dès que je parle de toi. Je sais bien que je mérite, mille et mille fois, ton mépris, puisque je ne manque jamais une occasion, depuis la création ou peu s'en faut de ton blog en 2004, de réclamer ton attention d'une façon ou d'une autre. Je sais bien que ma dernière vilenie (connue), qui a consisté à apporter mon soutien, au moyen d'une lettre immonde de plus d'une douzaine de pages (oui, mon vomi s'est déversé, j'aime me déverser) rédigée de ma grosse main toute blanche, à trois de mes amis qui, depuis 2009, veulent à tout prix te faire condamner par la justice française et t'étouffer financièrement en te demandant des sommes qui, additionnées, dépassent 150 000 euros, que cette magnifique vilenie mérite, à tout le moins, que j'ose me regarder dans une glace. Je sais bien encore que, lorsque tu m'as croisé par hasard (ce hasard qui fait décidément si bien les choses, comme c'est par pur hasard que tu as recroisé Renaud Camus sur un plateau de télévision, comme c'est encore par pur hasard que tu t'es assis à quelques centimètres de son cul in-nocent et de stricte AOC gersoise, petit farceur, va !), dans une rame de métro, je t'ai souri timidement, d'un sourire de petit garçon apeuré et craintif tout pressé de dire «Pouce !» au moment où il se sent en danger, et que tu m'as alors gratifié d'un regard que je ne suis pas près d'oublier, où j'ai pu lire, en un éclair de mépris pas même amusé, la grossièreté de ma personne et le ridicule achevé de mon existence. Tu as dû me voir, ensuite, avançant sur le quai comme un Chesterton réfléchissant, avec un sourire rêveur, au nommé Jeudi. Une fois de plus, c'est à toi que je songeais, bien sûr ! Car tu me dévores.
Je sais tout cela, et je sais aussi que je me suis répandu, auprès de personnes qui étaient de simples connaissances à mes yeux et qui ont pu être, aux tiens, des amis, sur ce que je sais ou crois savoir de ta vie privée, que je fais mine publiquement d'ignorer et qui en réalité m'obsède. Tout m'obsède chez toi, je me repasse en boucle ton passage dans le petit écran et je crois bien que je n'ai pas fini de le passer et de le repasser. Toi qui, contrairement à ce que j'ai osé dire lorsque je suis allé te voir et t'écouter au TGI, avais si belle allure, parlais si bien, tu viens d'illustrer par l'exemple ce que je sais parfaitement et que j'ai travesti : ton calme, ton aisance, ta fermeté (Baroin s'en souvient, Colombe Schneck aussi), bref, ta gentillesse. Comme je suppose, aussi, que ma vie t'obsède, regarde, je l'évoque dans chacune ou presque des lignes que j'écris. Je sais bien que tu ne vas pas déverser sur ma tête un tombereau d'insultes, moquer mon corps répugnant, mon âme laide, ma veulerie sans nom, ma trouille bien connue, avec comme il se devra mon vrai nom révélé et répété mille fois, le tout enrobé de mille explications enragées et illisibles sur le bien-fondé de tes attaques mais, vois-tu, je dois bien te salir, non, cela m'amuse tellement, et cela permet à tant d'autres poltrons de s'abriter derrière le rempart de mon corps qui, une fois encore mais certainement pas la dernière, rougira en sa partie la plus large et molle, marquée tant de fois par l'empreinte de solides godillots.
Je sais tout cela, et aussi que, par peur, par lâcheté, peur et lâcheté qui devancent chacune de mes phrases comme un poisson pilote d'un genre spécial qui guiderait non pas un requin mais une créature molle et aveugle des profondeurs, j'ai refusé de te rencontrer, il y a quelques mois, au moment où tu m'as proposé d'aller boire un verre et de régler nos différends (au fait, quels sont-ils ?) entre hommes, une expression que je déteste tant elle provoque un relâchement de mes forces et de mon courage si labiles.
J'ai refusé. Dès ce moment, j'aurais dû, à ton égard, me contenter de me taire. Oui.
Mais je ne sais pas me taire, comme toutes les vieilles filles esseulées qui, au coin du feu, égrènent les souvenirs insignifiants d'une vie plate comme les billes sucrées d'un chapelet à la guimauve.
Je suis un lâche, vois-tu et, comme tous les lâches, il m'a fallu ruser pour échapper aux forts en gueule ou en bras. Je crois que tu m'as bien décrit, dans ton livre sur Judas, en évoquant le gnou, cet animal si pataud et imbécile quand il est en troupeau, qui devient pourtant intelligent, l'espace de quelques secondes au moins, lorsqu'il se sent en danger et que la puissante mâchoire va se planter, s'est déjà plantée, sur ses flancs ruisselant de la sueur de la peur. Trop tard. Le gnou est emporté, et seule la queue du crocodile semble sinuer à la surface de l'eau d'une façon ironique.
Je sais, oui, je sais aussi que, toutes les fois que j'ai évoqué, si mal, un de tes livres, ce n'a jamais été pour en proposer une critique fine ou assassine (je me rêve tireur d'élite alors que je ne suis que vivandier, condamné à ramasser les ordures laissées par les gaillards du front qui me terrorise), mais uniquement pour essayer de te blesser. Ainsi, j'infère de ta passion affichée et illustrée, par tant de travail, pour la démonologie, le fait que tu sois un démon et, de ton livre sur Judas, que je n'ai pas compris et, pour tout te dire, même pas lu, celui que tu sois un traître. Un traître, rien que cela.
Un traître, oui, c'est un grand mot sans doute et, à la réflexion, je ne suis pas certain que tu aies trahi. Trahi qui ? Trahi quoi ? As-tu jamais milité pour une cause politique ? T'es-tu fais, une seule fois, le chantre des idées paraît-il politiques de Renaud Camus, alors que, si j'avais su te lire (par exemple ta critique sur Le Communisme du XXIe siècle), j'aurais compris que ton millénarisme te faisait considérer l'agitation politique, d'où qu'elle vienne, comme un théâtre d'ombres où s'agitent les vanités ? Je sais tout cela, oui, et bien d'autres choses que tu ignores et pour lesquelles Dieu seul, le moment venu, ne me réclamera aucun compte mais se contentera de me
juger. Peut-être que, comme l'un de ces vieux Juifs intraitables, j'essaierai de sauver ma peau, rejouant l'histoire d'Abraham et des villes pécheresses qui frappa tant l'imagination de Louis Massignon.
Non non non, ne pense pas que j'introduis le sujet si gonflant d'Auschwitz, dont on finira bien par se débarrasser lorsque tous les témoins directs de l'horreur auront disparu, que tu as même eu la délicatesse et l'extrême ingéniosité, devant un Renaud Camus non pas blanc mais livide, de déconnecter de sa si fâcheuse propension à compter les Juifs ! Les Nazis aussi estimaient qu'il y avait bien trop de Juifs en Allemagne et dans le monde. Il est vrai que, sur ce terrain-là, René Girard ne m'aide pas beaucoup avec son christique sacrifice mimétiquement rejoué jusqu'à la fin des temps. Les Juifs sacrifiés ? Oui. Mais à quel Dieu ? Pas le mien en tout cas, je ne veux rien savoir et me lave les mains, elles n'en finissent pas d'être rouges, comme celles de Macbeth, tiens, Notho.. euh, Shakespeare a écrit une si belle pièce sur la culpabilité infinie des non-coupables.
Pardonne-moi

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28/11/2012 | Lien permanent

Dans la gorge de l'ombre, par Lucien Suel

Francisco de Goya, Mala noche, gravure extraite des Caprices, 1799
A propos du livre de Juan Asensio, La littérature à contre-nuit. Lucien Suel, Notes de lecture, mars - septembre 2005. Avant toute chose, j’aimerais dire les circonstances qui m’ont amené à rédiger ces notes à propos de l’ouvrage de Juan Asensio. Depuis plus de trente ans, mes influences littéraires majeures forment un ensemble additionnant Léon Bloy et Jack Kerouac, Georges Bernanos et William Burroughs, Philip K. Dick et Kurt Schwitters, Joris-Karl Huysmans et Raymond Chandler, mélange qui peut paraître hétéroclite mais que j’assume avec plaisir. Mon isolement relatif au fond d’une campagne française me laissait imaginer qu’à la vérité, peu de gens partageaient avec moi ce cocktail capiteux. Ces dernières années, au moins deux événements m’ont heureusement détrompé. Ce fut d’abord la découverte de l’œuvre en construction de Maurice G. Dantec à partir des Racines du mal, jusqu’à Villa Vortex, en passant par son Journal métaphysique et polémique, une œuvre qui brasse également un flot d’influences diverses pour en faire une pâte singulièrement nourrissante. Je me souviens de mon heureux étonnement en voyant Maurice G. Dantec découvrir Léon Bloy dans Le théâtre des opérations, premier volume de son journal, découverte se métamorphosant pour l’auteur, en véritable engouement, voire fascination, dans le deuxième volume, Le laboratoire de catastrophe générale, jusqu’à ce que le Vieil Imprécateur devienne pour finir un des personnages de son roman Villa Vortex. Un ami qui rédige aujourd’hui sur Internet les Chroniques de l’inutile avait attiré mon attention sur un compte rendu de Villa Vortex rédigé par Juan Asensio. Et là intervient le second événement, la rencontre sur Internet d’une communauté de lecteurs et d’auteurs partageant influences et admirations similaires aux miennes. Le blog littéraire de Juan Asensio, avec ses articles et ses liens, me fait vivre une nouvelle expérience, m’ouvre d’autres portes. Depuis plus d’un an maintenant, j’ai appris à lire sur un écran, mais je suis toujours heureux de tourner les pages de papier et de humer l’intérieur des livres. Me voici donc occupé à rédiger ces lignes sur un livre qui parle d’autres livres, à écrire noir sur blanc sur noir sur blanc. A contre-jour, l’ombre est devant, la lumière est derrière. A contre-nuit, l’objet est éclairé, c’est la nuit qui est derrière. Le dévoilement se fait sur un fond de noirceur, sur le fond du mal. Lisant La littérature à contre-nuit, je réagis, j’approuve, je me questionne mais aussi je m’approprie les phrases de Juan Asensio. J’ai lu ce livre entre mars et septembre. Cela peut sembler une longue période, mais c’est que je pratique deux formes de lectures, comme en électricité, la lecture en parallèle (1) et la lecture en série (2). J’ajoute que comme tout bon livre, La littérature à contre-nuit m’a donné des envies de lecture, de relire Joseph Conrad et William Faulkner et de connaître l’œuvre d’Ernesto Sabato. Le projet est de travailler à dissiper la nuit, détruire la nuit, me souffle en parallèle Michel Ciry. J’ai appris dans ma jeunesse que parfois, la nuit se manifeste en plein jour, à trois heures de l’après-midi. Juan Asensio, lecteur au service des lecteurs, pour parodier le slogan des Électriciens de France, dirige l’éclairage sur quelques auteurs, Joseph de Maistre, Joseph Conrad, Paul Gadenne, Ernesto Sabato, Georg Trakl, Georges Bernanos et Ernest Hello. Ce n’est bien sûr pas un nouveau brelan d’excommuniés, je sais compter, mais il ne m’étonne pas de trouver là des maîtres et des disciples devenus à leur tour maîtres, mais souvent ignorés par une majorité de lecteurs. Ernest Hello figurait déjà dans le Brelan d’excommuniés de Léon Bloy. Il est intéressant de se souvenir que dans l’édition Pauvert de Belluaires et porchers, le brelan était devenu une paire, Barbey d’Aurevilly et Paul Verlaine, le malheureux Ernest Hello étant excommunié une fois de plus... Merci donc à Juan Asensio de lui redonner un peu de lumière, de vraie lumière, pas cette mauvaise lumière de la télévision qui est le véhicule nouveau du démoniaque (3), agent du contrôle nova (4), propagatrice des mots-virus (5). Le langage s’attaque à la parole. Il faut répondre à l’assaut, ne rien céder, c’est l’obstination qui sauve, l’obstination, un autre nom pour l’espérance. Ernest Hello encore, en 1872 : «La Parole est un acte. C’est pourquoi j’essaye de parler.» Depuis mes premières lectures de William Burroughs, notamment Junkie et Les Lettres du yage, je fréquente plus volontiers les évidences du béhaviourisme que les écoulements de la psychanalyse. Je regarde aussi l’infini dans le microcosme, en étant attentif au ver de terre, au pouillot véloce, à l’éclat de silex noir et blanc. Les plus petites choses méritent la contemplation. C’est la nature qui me donne la parole. Ceux qui me connaissent un peu savent que j’écris dans et sur le jardin, grave dans la terre, sur la terre. Le jardin de mon enfance, de mon innocence était celui d’Éden. Le monde actuel est l’ennemi de l’enfant et du pauvre. La période est courte pour gambader dans le jardin d’Éden. La perte de l’innocence intervient de plus en plus tôt. On appelle cela précocité. A force de vivre dans un présent figé comme le rictus des bonimenteurs médiatiques, on finit par oublier l’existence de l’entropie. Comment lutter contre quelque chose dont on ignore, volontairement ou non, l’existence ? Je sais que le monde est un langage, une parole. Je préfère croire que tout est signe de tout. Ce n’est pas encore la Pentecôte, mais de vrais nuages s’éclairent de rouge à l’ouest. En clignant des yeux, je peux voir la Nouvelle Jérusalem descendre du ciel entre les pales des éoliennes. Mouchette flotte à la surface de l’étang, les yeux ouverts, levés vers la même vision, autre chose qu’un flux de méga-octets transitant dans l’espace entre deux boîtes de plastique métallisé. Je flotte dans le vide assourdissant de la cacophonie. L’oracle des ondes crachouille. Il est ce qu’il prononce, le plus souvent, un flot de vomissures. Satan parle, la bouche d’ombre vagit. Il y a identité entre être et parole, entre faux-semblant et langage. Le langage est infecté à l’origine. Le virus est l’autre nom du péché originel. Écoute, petit homme : le barbare est devenu médiocre, le sauvage est devenu terne. Oui, Satan radote ; c’est le non-langage, l’épidémification, le nihilisme, la nullité revendiquée ou non, celle que Pierre Jourde fustige dans La littérature sans estomac (6) avec le renfort de René Girard concernant l’écriture blanche (7). Pour Joseph de Maistre, ce n’est pas seulement le langage qui est malade, mais l’homme entier qui n’est qu’une maladie. William Burroughs déclare que son pays était déjà vieux et malade avant même l’arrivée des Indiens. L’esprit du mal est à l’oeuvre, pétrifiant les consciences incapables de tendre vers un ailleurs et un autre, figées dans le froid l’ennui le vide. L’ennui, une autre joie dépourvue de grâce, est l’autre nom du désespoir, une préfiguration terrestre de l’enfer. Le sacré a été retourné comme un gant. Juan Asensio affirme : «Sans Dieu, l’homme n’est rien de plus qu’un bavard qui s’ennuie». La langue est détruite par le mensonge de la propagande. Là où Jacques Ellul voit le règne de l’image toute-puissante humiliant la parole, Juan Asensio juge que la dégénérescence du langage est à l’œuvre intrinsèquement. Il y reviendra avec le personnage de Bernanos, Monsieur Ouine, personnification du mal abouti. La liste sans fin des noms des jeunes gens abattus par dizaines de milliers entre 1914 et 1918, gravés sur les pierres de la Porte de Menin à Ypres est un des premiers poèmes de la douleur et du désespoir du siècle dernier. Impossible de visiter ce lieu, d’effleurer tous ces noms sans être saisi par l’horreur. Georges Bernanos et Paul Celan, entre autres, sont les témoins à charge de ce crime et de ceux qui suivirent. La parole désespérée débouche sur le silence définitif. Je pense à Barbey d’Aurevilly disant qu’après A rebours, Huysmans n’avait le choix qu’entre le revolver et le pied de la croix. Aujourd’hui, cent ans après, il n’aurait plus le choix (8). D’ailleurs, Georges Bataille, aussi bien que Pierre Klossowski, tous deux un moment tentés par le sacerdoce, n’ont pas succombé à la tentation. Ne parlons pas de Maurice Sachs ou d’Ernest de Gengenbach. En revanche, voici ce que Hugo Ball, l’un des fondateurs de Dada, initiateur du Cabaret Voltaire à Zürich en 1916, déclarait à Hambourg, dans un discours prononcé le 1er juillet 1920 : «Tirons la leçon de notre défaite. Nous avons vécu sous le règne de Satan. Nous pouvons croire à nouveau que le démon existe. Nous l’avons vu à l’œuvre. Faisons maintenant de l’Allemagne un pays de Dieu. Il nous suffit de prendre le contre-pied de tout ce que nous avons vu à l’œuvre autour de nous. Voilà ma conception de la reconstruction.» Les conseils de Hugo Ball (9), aussi bien que ceux de Georges Bernanos dans Les Enfants humiliés, sont restés lettre morte (10). «L’Illumination, c’est fini. Ce que nous vivons maintenant, c’est la Dés-Illumination» (11). Et Juan Asensio me présente L’ange des ténèbres de Ernesto Sabato. Je le sens plus proche de moi que le sinistre Cthulhu de Lovecraft. L’ange se penche vers moi, regarde la page. J’ai perdu la grâce de l’enfance mais je veux bien essayer d’écrire un Jugement Dernier, voire une Apocalypse romancée pour mes enfants et petits-enfants. Je peux mixer L’Obsolescence de l’homme de Günther Anders avec des fragments de la trilogie Matrix. Le désespoir est rivé à la «possibilité» de la grâce, la possibilité d’une île. Le battement du sang dans mes artères me rappelle d’où je viens, ma provenance lointaine et sacrée. Il s’agit de réintroduire le mystère dans la littérature. Je me souviens de ce que Claude Louis-Combet disait, concernant le rejet catégorique de la religion par André Breton, comment les surréalistes avaient ignoré tout un pan du merveilleux, du sacré. Nous avons réduit le monde en pièces (12). Aujourd’hui, la parole souffle sur notre poussière (13) et l’évidence de la beauté se tient dans la simplicité. Le bleu-Trakl que j’utilisai dans mes précédents livres (14) est devenu un bloc de noirceur obstruant la gorge du poète. Même avec les yeux crevés, le chant reste un croassement. Monsieur Ouine, Madame Ebola, le mal, l’horreur, un duo, une litanie pour notre temps. Monsieur Ouine, le personnage de Georges Bernanos est ici analysé, disséqué magistralement par Juan Asensio. L’écriture de Monsieur Ouine fut le combat de Bernanos avec l’Ange, le second du programme, après celui de Donissan et du maquignon dans Sous le soleil de Satan. Dieu est mort, il n’y a même plus la possibilité d’une seconde d’innocence absolue. Monsieur Ouine, c’est le mal. Monsieur Ouine, c’est le froid éternel de l’enfer. Monsieur Ouine, c’est l’ennui. Monsieur Ouine, c’est le néant (15). Mais Juan Asensio ajoute que c’est un néant trompeur. En effet, «l’homme n’est pas la victime résignée mais la bête volontaire, le partenaire de Satan». D’un point de vue littéraire, c’est le mal qui provoque le brouhaha et la confusion dans l’écriture. Seuls, ceux qui respectent la tradition peuvent s’autoriser les audaces les plus inouïes. Juan Asensio a raison de pointer l’insignifiance des productions des nains littéraires du nouveau roman en regard du roman de Bernanos. Monsieur Ouine exprime toute la civilisation depuis la Renaissance (ce terme est-il vraiment approprié ?). Dans la crise du langage, le sens des mots s’est inversé (16). Au commencement était le Verbe [...] et le Verbe était Dieu, s’il n’y a plus de Dieu il n’y a plus de Verbe. La littérature à contre-nuit se termine par un long développement sur Ernest Hello et l’urgence de la parole. Ernest Hello ! Bonjour l’espérance ! Je vois le jeune Georges Bernanos, dans son collège d’Aire-sur-la-Lys, lisant avec un grand sérieux les phrases de L’Homme. Oui, la beauté est dans la simplicité. Ernest Hello et Arthur Rimbaud meurent la même année et Juan Asensio nous invite à un détour par le désert, par le silence du désert que l’adolescent de Charleville a cherché. Mais on ne part pas, le désert se multiplie par lui-même et l’Éden est perdu. Le silence est le verbe du désert. C’est l’or qui s’oppose au silence, l’or qui glapit en lettres lumineuses au sommet des tours, sur les affiches de la propagande publicitaire, sur tous les écrans de la virtualité, l’or qui est le sang du pauvre. Les pierres ne seront pas transformées en pain mais les mots, eux, sont du pain ou du poison. La lumière est la splendeur du monde visible. La parole est la splendeur du monde invisible. Il reste à reprendre l’offensive pour dégager les mots profanés, les arracher à l’homme médiocre, l’homo festivus d’aujourd’hui en apesanteur dans un présent indifférencié, un néant d’où naît l’ennui d’où naît le désespoir. Il reste à graver, à marteler une écriture noire, à se frayer un chemin vers la rédemption par la langue. La Tiremande, septembre 2005. 1) Mes lectures en parallèle durant la même période : La parole humiliée (Jacques Ellul), Détruire la nuit (Michel Ciry), Choke, Berceuse (Chuck Palahniuk), La littérature sans estomac (Pierre Jourde). 2) Mes lectures en série de la même période : Sunset Limited (James Lee Burke), Entretiens avec Raymond Abellio (Marie-Thérèse de Brosses), La poésie en string (Jean-Marc Baillieu), Un drôle de pèlerin (Elmore Leonard), Celle qui pleure (Léon Bloy), L’oiseau de paradis (James Purdy), Takfir sentinelle (Lakhdar Belaïd), La solitude du manager, Meurtre au comité central (Manuel Vasquez Montalban), Le jeu du chien-loup, Une proie en hiver, La proie de l’instant (John Sanford), Le silence inutile (Lambert Schlechter), L’homme qui souriait (Henning Mankell), De Marquette à Vera-Cruz (Jim Harrison), La source chaude (Thomas Mc Guane), Gone, baby gone, Un dernier verre avant la guerre (Dennis Lehane), Déviances mortelles (Chris Mooney), L’enfant du silence (Abigaïl Padgett), Ce que je crois (Jean Delumeau), Rimes de joie (Théodore Hanon), Sarinagara (Philippe Forest), Ça sent le brûlé (John Lutz), Revanche, Une balle dans la tête (Dan Simmons), Brûlé (Leonard Chang), Chant pour Jenny (Staffan Wasterlund), Rites de mort (Alicia Gimenez Bartlett), L’homme chauve-souris (Joe Nesbo), Chroniques, volume I, (Bob Dylan), Mea culpa (Louis-Ferdinand Céline), Tchadiennes (Daniel Boulanger), Deuil interdit (Michael Connelly), Meurtre à la sauce cajun (Robert Crais), L’insurrection de Cronstadt et la destinée de la révolution russe (Ante Ciliga), Les neiges bleues (Piotr Bednarski), La simple vérité (David Baldacchi), Le bonhomme de neige (Jorg Faüser), Tokyo (Mo Hayder), Le papou d’Amsterdam (Jan Van de Wetering). 3) Dans La part du diable (Gallimard, 1946), Denis de Rougemont a donné un bel exemple de la ruse ultime de l’ennemi, celle qui consiste à faire douter de son existence. 4) 24 octobre 2004, Bordeaux, 1H30 du matin. En rentrant à l’hôtel, je jette un œil au mur de la caverne de Platon. Je tombe dans le «toc chaud» de Thierry Ardisson, un aréopage pérorant d’humoristes auto-proclamés, arrogants et sûrs de connaître la vérité ultime sur le destin et la manière de vivre de l’humanité. Le meneur de jeu au masque de cire, espace de statue funéraire au regard vicieux, donne la parole à Philippe Val, le rédacteur en chef inamovible d’un organe libéralo-conformiste. Je suis édifié par le visage dur, lisse et glacé de ce moraliste à rebours qui énumère les lieux communs les plus convenus. Tous ces gens se congratulent. Ils sont les nouveaux maîtres à penser. J’éteins le poste et les rejette dans leur nuit. 5) Voir William Burroughs, Entretiens avec Daniel Odier (Belfond), 1969. 6) La littérature après avoir perdu l’âme et le souffle a maintenant perdu l’estomac. 7) «Comme l’avait bien vu René Girard, l’écriture blanche n’est que du romantisme dégradé : L’esthétique du silence est un dernier mythe romantique. [...] Dix ans ne passeront pas avant qu’on reconnaisse dans l’écriture blanche et son degré zéro des avatars de plus en plus abstraits, de plus en plus éphémères et chétifs des nobles oiseaux romantiques. Ils ne veulent pas la solitude, mais qu’on les regarde en proie à la solitude. Ils ne choisissent le silence que comme marque d’honorabilité littéraire, l’insignifiance n’est chez eux qu’une ruse de l’impuissance, qui l’utilise comme apparence d’un sens mystérieux», Pierre Jourde, La littérature sans estomac (Presses Pocket, coll. Agora), pp. 195 et 196. Un peu plus loin, p. 333, Pierre Jourde parle de l’idiotie revendiquée de Valère Novarina, comme perspective d’un dépassement du couple affirmation-négation. Pour lui, «l’étrange réalisme de Novarina est le miroir du réel : son théâtre représente le monde à l’envers». Après tout, en ce siècle, cela est peut-être proche de l’affirmation de saint Paul dans la Première épître aux Corinthiens, souvent citée par Léon Bloy : «Nous voyons maintenant, à travers un miroir, en énigme. Mais alors, nous verrons face à face». 8) «Parfois, dit et renifle Denny, c’est comme si je voulais être battu et puni. C’est pas un problème s’il n’y a plus de Dieu, mais je veux quand même continuer à respecter quelque chose. Je ne veux pas être le centre de mon propre univers», in Choke de Chuck Palahniuk (Gallimard, Folio Policier n° 370), p. 106. 9) Voir aussi Hugo Ball, La fuite hors du temps, Journal 1913-1921 (Editions du Rocher), 1993. 10) Sauf peut-être pour Maurice G. Dantec qui se coltine tout cela dans Cosmos Incorporated (Albin-Michel). 11) Choke, de Chuck Palahniuk (Gallimard, coll. Folio Policier n° 370), p. 136. 12) Choke, p. 153. 13) Titre de l’essai que Juan Asensio a consacré à l’œuvre de George Steiner (L’Harmattan). 14) Sombre ducasse (épuisé), Canal Mémoire, Marais du Livre Éditions. 15) «Monsieur Ouine est partout ! Monsieur Ouine est partout ! Monsieur Ouine se porte bien ! Il est le ressuscité des ordinateurs, les robots qui ne disent plus rien d'autre que oui non oui non oui non oui oui non non, qui marchent aux pas des lois : un deux un deux un deux un droite gauche droite gauche ! Logiciel, ça s'allume et ça s'éteint.» L. S., in Canal Mémoire. 16) Voir l’ouvrage de Arnaud Aaron-Upinsky, La tête coupée (Éditions Le Bec, 1998) et aussi, de Dimitri Panine, Théorie des densités (Éditions Présence), 1990.

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29/10/2005 | Lien permanent

Les états généraux de la violence, par Gregory Mion

Crédits photographiques : Keith Srakocic (Associated Press).
f4d33334a8462db34ad2f5d1b8f91c94-300x300.gifÀ propos de Figures de violence (sous la direction de Richard Bégin, Bernard Perron et Lucie Roy), L’Harmattan, 2012).

Ce recueil de textes est l’initiative de trois chercheurs canadiens francophones (Richard Bégin, Bernard Perron et Lucie Roy). La plupart des contributions se concentre sur le traitement médiatique de la violence, décrivant un «mal nécessaire» qui s’enrichit d’une inquiétante confusion des dispositifs émotionnels. C’est que la violence, outre qu’elle est au sens premier la manifestation d’un excédent de force dont la destination implique un mouvement destructeur, suggère aussi des effets de sédimentation que les technologies médiatiques laissent hors traitement, faute de pouvoir les apparenter aux stratégies informatives qui régulent le champ des perceptions immédiates – entendons par là que l’action soudaine de la violence est médiatiquement commensurable tandis que ses conséquences, à court ou long terme, demeurent irréductibles au temps éphémère des médias modernes.
Conscient de cet écart, Stephen Prince (pp. 103-6) propose une délimitation entre la violence fictionnelle et la violence réelle. Il part du principe que la violence à laquelle nous sommes confrontés est majoritairement fictive ou imaginaire. Quant à la violence véritable, elle est selon lui contenue par des mécanismes de censure. Même si la médiatisation des guerres a perdu bon nombre de ses caractères abstraits depuis les années 1990, notamment lors du premier conflit du Golfe, elle n’en reste pas moins contrôlée, supervisée, soumise à des organes de rationalisation qui évaluent la décence ou l'incongruité des images incriminées. Cette part de hors champ incite la fiction à prendre le relais, d’où la multiplication, au cours de la dernière décennie, des productions cinématographiques américaines qui ont choisi pour cadre fictionnel les déserts de l’Irak ou de l’Afghanistan. Le cinéma essaie à cet égard de s’approcher de la violence réelle qui s’inscrit dans le temps long de ses effets (deuil, cicatrisations de blessures internes/externes, bouleversements économiques, etc.). Ainsi Paul Haggis, avec son film Dans la vallée d’Elah, propose une focalisation sur les prolongements psychologiques de la guerre, s’attachant à raconter la tension entre un vétéran qui veut savoir pourquoi son fils a possiblement déserté l’armée lors d’une permission, et les amis du potentiel déserteur qui sont troublés par cette ingérence paternelle. Aucune violence active ou imminente n’est à l’œuvre, sinon par le truchement d’une vidéo fragmentée que le père reconstitue graduellement, le film s’intéressant à la dissémination des traumatismes, plus précisément à la manière dont les soldats ont rapatrié dans un pays où les images subissent un contrôle permanent (les États-Unis) des représentations fondamentalement incommensurables. En faisant le choix d’une violence décrite a posteriori de ses manifestations explicites, le parti pris esthétique de Paul Haggis se soustrait au régime des horreurs corporelles («body horror is a vanishing feature» nous dit S. Prince) afin d’entamer un examen des proportions autrement plus énormes et complexes de la violence continuée, durable et sédimentée. Il s’agit d’une violence qui n’est plus vraiment audio-visuelle, si bien qu’elle n’est pas complètement traduisible à travers l’appareil médiatique.
Au chapitre des cogitations esthétiques de la violence, il va sans dire que le jeu vidéo constitue désormais un espace privilégié. Bernard Perron et Guillaume Roux-Girard (pp. 81-90) dépassent cependant les seules satisfactions esthétiques que procure le domaine vidéo-ludique. En dirigeant leur attention sur les fonctions du son, ils notent que l’optimisation d’une synchronisation entre les phénomènes acoustiques et visuels a transformé le jeu vidéo en un lieu hautement pragmatique. En d’autres termes, les nécessités d’agir pour le joueur sont plus fortes par cela même que l’univers du jeu est devenu de plus en plus immersif. Le cas des jeux «horrifiques» est évidemment un modèle. Dans un enchaînement narratif où les normes de l’État de droit ne sont plus d’actualité, la violence atteint un seuil de légitimité : d’une part il faudra combattre les monstres pour survivre, d’autre part il faudra régulièrement adjoindre à cet affrontement nécessaire une réflexion en vue de penser une préservation de l’humanité, et par extension, peut-être, une reconfiguration des notions telles que la loi et la justice. Dépendamment de ces contextes, le joueur est perçu comme la composante d’un système de forces (cognitives) qui éprouve les forces d’un autre système. Les « actions primitives » du joueur sur ses outils de jeu (cf. Gregersen et Grodal qui les nomment les «actions-P» (1)), par essence extra-diégétiques, précèdent leurs expressions diégétiques, et le jeu sera d’autant plus pertinent qu’il parviendra quelquefois à mettre en rapport une simplicité des causes avec une complexité des effets. Certes l’impétuosité de la violence sera transcrite dans l’univers diégétique, mais il ne s’ensuivra pas que les décisions initiales du joueur auront été soumises à des applications primesautières. Tout au contraire, un phénomène d’encodage des connivences entre les «actions primitives» et leurs retentissements diégétiques concrétise une philosophie de l’action qui peut présupposer des finalités moins immédiates, à savoir que les résultats de nos actions seront éventuellement passés au crible d’un arbitrage moral. On est ici en plein dans la pensée antique de la mesure et de la tempérance, fût-elle paradoxalement visible à l’intérieur d’un jeu vidéo tout entier environné d’horreurs et de monstruosités. Cette pensée acquiert par ailleurs une valeur de « prévoyance » des actions, en l’occurrence une valeur positive de prudence. Prise en son sens aristotélicien, la prudence (phronêsis) indique « une disposition accompagnée de raison juste, tournée vers l’action, et concernant ce qui est bien ou mal pour l’homme (Éthique à Nicomaque, VI). Par conséquent le héros en première personne du jeu vidéo horrifique n’est pas réductible à un simple agent d’extermination. Mieux encore, tel que le font justement remarquer B. Perron et G. Roux-Girard, la vision d’un corps en troisième personne va induire un coefficient de terreur supplémentaire. En effet, les blessures possibles nous apparaîtront beaucoup plus personnelles, aussi sera-t-on enclin à affiner nos panoplies cognitives en vue de sauvegarder notre intégrité physique dans le jeu, mais aussi notre intégrité intellectuelle en amont étant donné que nous sommes maîtres et possesseurs du personnage incarné. De tels réquisits font définitivement basculer le jeu vidéo du schéma contemplatif au schéma actif, prenant appui sur la maîtrise de l’esthétique dans le but de créer un espace pragmatiquement ordonné où le joueur pourra tester sa compréhension de l’agir.
Il n’empêche que la violence procède à d’autres «figurations» moins interactives que celles de l’environnement vidéo-ludique : ce sont les «figures» imposées par une culture de l’écran de télévision (qui fait écran de surcroît) et qui produisent un phénomène de déferlement des images agressives allié à une symbiose de la souffrance et du spectacle (cf. le texte d’Henry A. Giroux, pp. 15-23). Insistant sur la rhétorique «toxique» des médias de droite aux États-Unis, Giroux voit en cela l’installation d’une politique de la cruauté. Si des meetings politiques brassent des idées qui reposent sur une fallacieuse notion de parasitage (il y aurait des catégories de population qui affaiblissent la forteresse de l’État, donc il serait convenable que ces gens-là disparaissent en dépit de tout ce que l’euphémisation verbale sous-entend), alors on ne peut plus reprocher le renforcement des comportements indifférents, ou bien encore ne peut-on plus réfréner la culture de l’ultra-individualisme qui tend à recevoir la présence de l’autre-que-soi à l’instar d’une menace. Cette forme de violence rhétorique abolit certes les effets d’une violence performative et instinctuelle, mais en même temps elle polarise des processus de persécution qui nous font entrer dans l’ère d’une violence intersubjective. La communication devient dans cette perspective une arme essentielle d’affirmation et de spéculation. Cette configuration découvre simultanément une situation de «guerre asymétrique» : c’est le combat de rationalités différentes qui est à l’ordre du jour (par exemple les rivalités politiques ou les revendications intercommunautaires), et l’enjeu est de pouvoir s’imposer par n’importe quels moyens, souvent très différents de ceux de l’adversaire, dans le but de signifier quelles sont les valeurs dominantes qu’il faudra dorénavant appliquer, quoi qu’il en coûte en quotient d’humanité et de dignité de la parole. Et dans la mesure où l’asymétrie de guerre se pratique entre des individus de même espèce (l’homme en tant que tel), on ajoute aux incidences de la violence intersubjective les effets pervers de la violence intra-spécifique. En corollaire, on obtient des manipulations sur la mémoire des vaincus. À ce titre, Émilie Houssa (pp. 25-35) distingue trois types d’intoxication mémorielle : 1/ la mémoire occultée (crise économique en Argentine en 2001) ; 2/ la mémoire interdite (Salvador Allende renversé par Pinochet) ; 3/ la mémoire impossible due au «trop-plein» des images (Carlo Giuliani tué à Gênes le 20 juillet 2001 par un carabinier, lors des émeutes qui s’opposèrent au sommet du G8), demandant à ce que l’on soit capable de choisir une image prépondérante parmi un fleuve de représentations aussi bien fugitives qu’insoutenables.
Les diverses intoxications de la mémoire prouvent que l’univers médiatique est plus efficace que les prisons quand il est question de verrouiller un point de vue, de mettre à l’écart, ou bien, pour le dire encore autrement, de séquestrer une discordance qui serait trop déstabilisante au sein des normes en vigueur – voire des normes « vigoureuses » attendu que celles-ci sont rarement issues d’une stabilisation flegmatique. Ainsi le traitement de l’information peut arbitrairement enfermer la ou les personnes de son choix, l’incarcération médiatique étant naturellement inséparable de ceux qui jouissent des meilleurs moyens de communication. Conformément à cela, É. Houssa aborde la pratique du cinéma documentaire comme la proposition d’une alternance créatrice qui viendrait falsifier la suprématie des discours officiels. On retrouve ici la nécessité d’une dynamique du conflit, lointainement héritée des fragments d’Héraclite lorsqu’il s’exprimait de façon pythique sur le «Polemos», puis thématisée dans la philosophie politique de Machiavel. Pour peu que l’on soit sensible au « moment » machiavélien, il semble donc qu’une société qui souhaite perdurer ait à comprendre la violence à l’image d’une présence fertile car elle permet de tracer une ligne de démarcation entre deux archétypes du peuple : d’un côté un peuple constitutionnel qui poursuit indifféremment les desseins de l’État, d’un autre côté un peuple expérimental qui pratique une falsification plus ou moins spontanée des discours dominants. Ceci étant, lorsque la violence de la domination politique est si fortement ancrée qu’on en vient à l’identifier à quelque chose de naturel, on supprime les actions potentielles du peuple expérimental tout en affermissant la docilité du peuple constitutionnel.
Alain Brossat (pp. 39-52), au cours d’un texte éblouissant de lucidité, dénonce le moralisme antiviolence que la parole politique s’est approprié, une parole invariablement fabriquée d’éléments de langage et de redondances. En assignant des territoires parfaitement définis à la violence, qui plus est par l’entremise d’un discours sans cesse fuyant pour mieux contrecarrer la multiplicité des poches insurrectionnelles, la parole du pouvoir produit un déplacement du centre de gravité de l’événement violent. Dans ce cas de figure, non seulement la violence étatique de répression se justifie par l’intervention politico-médiatique en face de ce qui fait événement, métamorphosant de la sorte les mots du pouvoir en un ersatz embarrassé de morale et d’éthique, mais en plus cette répression qui ne dit pas son nom localise la violence directement chez ceux qui subissent au premier chef l’agressivité latente d’un État moralisateur. Tout se concentre autour d’une méthode dont l’objectif est de manufacturer une conjuration de l’événement. Finalement l’État pseudo-libéral, entre son moralisme et sa «démocratie policière», alimente une « machine anti-événement » qui diminue une politique de l’action au profit d’une politique du boniment (p. 49). Les langages du pouvoir ont donc la tâche de combiner une intrigue du monde où se conjuguent des histoires cacophoniques, sautant d’une éclipse médiatique à une autre, mais ayant quoi qu’il arrive l’obligation de maintenir la population sous l’égide d’un «storytelling sécuritaire», avec ses héros normalement violents (les policiers) et ses victimes illégitimement violentes (les séditieux). Ce sont là des dispositifs qui reprennent le thème foucaldien de la biopolitique. L’enjeu consiste à se prémunir d’un excès de «corps» dissemblables aux fonctionnalités de l’ordre ambiant, en quoi l’on n’hésitera pas à éliminer par des voies douces ou symboliques ceux qui s’octroient des libertés qui transgressent l’ordre disciplinaire théorique, en l’occurrence un ordre toujours idéalement présent mais jamais formulable en termes pratiques du fait même des contraintes imposées par le «storytelling» de la parole sécuritaire. Ces astuces politiciennes, dont il ne faudrait pas minimiser les conséquences, altèrent radicalement l’espace social. D’une part elles ont tendance à rendre vulnérables les sociétés modernes en complexifiant inutilement la perception de l’information, ne serait-ce qu’en la transmettant sous des angles arrangeants, et d’autre part elles décrédibilisent massivement l’image du dirigeant politique qui apparaît de plus en plus comme l’agent d’une manutention humaine insupportable.

Note
(1) Gregersen, Andreas et Torben Grodal (2009). Embodiment and Interface, dans Bernard Perron et Mark J.P. Wolf (dir.), The Video Game Theory Reader 2 (New York, Routledge), pp. 65-83.

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24/04/2013 | Lien permanent

L’Architecture de Marien Defalvard ou le roman de l’anthropologie dogmatique ?, 2, par Baptiste Rappin

Photographie (détail) de Juan Asensio.
2703738766.jpgMarien Defalvard dans la Zone.








Rappin1.jpgL’Architecture de Marien Defalvard ou le roman de l’anthropologie dogmatique ?, 1.







Débridement du désir et nécessité entravée de la séparation

Mais dire, avec Legendre puis Defalvard, que l’architecture des civilisations est dogmatique, institutionnelle, liturgique; affirmer, toujours avec eux, que la Société est un assemblable et une généalogie de textes, c’est simultanément soutenir la nécessité du Père, c’est prétendre que la pulsion, arbitraire par définition, doit se soumettre à l’arrangement symbolique (ou juridique, dans le cas de l’Occident). Que doit, par conséquent, primer la séparation.
Il est à vrai dire étrange de constater, après les développements précédents, que nos deux auteurs se rattachent à des traditions bien différentes quand il s’agit de penser le désir. Legendre n’a jamais caché l’importance de sa pratique clinique ainsi que sa fidélité à la psychanalyse freudienne, et même sa «relation, orageuse, avec Jacques Lacan» (Legendre, 2021, p. 22); et l’on sait bien, pour l’exposer ici de façon quelque peu caricaturale, que la pulsion de l’inconscient ne doit pas s’exprimer de façon brute, sous peine de provoquer l’anomie sociale. La pulsion passe par un processus de transformation – condensation, déplacement, sublimation, etc. – afin de s’exprimer dans une activité socialement désirable. Tout autre est le prisme de Defalvard, qui donne raison «à René Girard dont l’antifreudisme avait toujours énoncé que le désir, loin d’être le garant d’une singularité, était le plus faible dénominateur commun» (Defalvard, 2021, p. 188); c’est la raison pour laquelle, «dans le Désir, [l’animal humain] perdrait toute singularité de langage et toute propriété personnelle sur sa phrase» (Defalvard, 2021, p. 188-189). Alors que le Désir procède de l’individuation chez Freud, elle mène à l’homogénéisation chez Girard.
On pourrait alors se dire que, ne partageant pas les mêmes fondements anthropologiques du désir, Legendre et Defalvard divergent quant à leur appréciation de sa place dans la société contemporaine. Il n’en est pourtant rien. Tous deux se rejoignent en premier lieu sur un diagnostic commun : la société de consommation consacre l’expression débridée des désirs et la revendication des sujets à s’autofonder, c’est-à-dire à se passer de Référence et d’institutions. Et ils n’ont pas de mots assez durs pour qualifier cette situation inédite : «fondamentalisme» chez Legendre («Sous le fatras des amalgames contemporains, se découvre le fondamentalisme de notre époque : la revendication de l’autofondation, chaque sujet prenant statut souverain, autrement dit devenant une caricature d’État» (2005a, p.116)), «fascisme» chez Defalvard («[…] pour lui, le fascisme, c’était d’empêcher de jouir (de l’empêcher de jouir), de mettre une limite à la jouissance; alors qu’à l’évidence, c’est de n’en mettre pas« (Defalvard, 2021, p. 219)). Plus encore, cette tyrannie revêt les atours de la démocratie, dans la mesure où chacun peut prétendre à jouir au même titre que tout le monde, de telle sorte que l’on pourra appeler «démocratique» une société qui garantit un accès égalitaire à la jouissance. Force est alors de conclure que «[…] l’unanimisme de la comédie organisée, de la comédie sociale, avait cédé le pas devant le régime sans exemple des pulsions : régime idéal puisque chacun avait l’impression d’y jouir autant que l’autre […]» (Defalvard, 2021, p. 242).
Et les deux auteurs, en outre, de s’accorder sur la logique sous-tendant ce primat du désir. Le renoncement au Tiers, au Dogme, mène directement à la fusion et à l’absolutisme (au sens étymologique : «l’absence de lien»); ainsi Defalvard (2021, p. 25) évoque-t-il «le désir immature, absolutiste de fusion» ainsi que «l’intégrisme de la fusion» tandis que Legendre (2005b, p. 175) note, à propos du totalitarisme qui n’est pas sans rapport avec le fondamentalisme de notre époque, constate «un non-lien, un état de fusion avec l’absolu». Où mène alors ce fusionnisme ? Où conduit l’exacerbation du désir au mépris de toute équerre normative ? «Il n’y avait plus qu’à attendre, donc, en regardant les bras croisés ce déferlement comme on aurait regardé les mouvements fous de la mer. Attendre quoi ? Ce à quoi aspire le fantasme, sa note ultime, ce dérèglement qu’il cherche dès l’orée quand on l’a libéré, qu’on lui a donné le plein jour : le meurtre, le désir du meurtre, le couronnement de tout fantasme dans le meurtre institué» (Defalvard, 2021, p. 200). Ce que décrit ici le romancier n’est autre que ce que Legendre a analysé dans ses Leçons VIII, Le crime du caporal Lortie (Legendre, 1989). Le juriste se penche en effet sur la tuerie qui eut lieu le 8 mai 1984 à Québec; Denis Lortie, revêtu d’un uniforme militaire, pénètre dans l’enceinte du Parlement afin d’assassiner des députés du Parti Québécois; bilan : trois morts et treize blessés. Mais, plus que l’objectivité des faits, c’est la mise en scène et le motif avoué de Lortie qui retiennent toute l’attention de Legendre : «Une clé nous est offerte par Lortie lui-même; évoquant, dans l’après-coup de la tuerie, "le visage de (son) père"« (Legendre, 1989, p. 27), aveu qui conduit alors à interpréter son acte comme relevant du parricide. C’est l’image du Père, son symbole, son effigie, qu’il est venu tuer en se rendant dans une institution, lieu même de la «ligature généalogique« (Legendre, 1989, p. 30) qui distribue les places entre les générations. Lortie, en tuant le droit civil qui assure le départ entre les parents et les enfants, accomplit le règne de la fusion par le meurtre, paroxysme de l’expression du désir qui se substitue à la norme dans les sociétés post-hitlériennes.
Mais dire que le désir fusionnel fait régner sa loi paradoxale de l’anomie, cela revient à affirmer que la séparation n’a pas lieu : «Simplement, aucune épée n’avait jamais tranché en lui cette armature par laquelle son fantasme – son fantasme absolutiste – s’arrimait au monde : ce fantasme l’envahissait. Il n’en avait jamais été séparé : individus véritablement, indivisible» (Defalvard, 2021, p. 222). Le Père ne joue plus son office : lui qui, désormais devenu «papa» – évolution des termes qui témoigne à elle-même de la désymbolisation de la fonction paternelle –, ne détache plus l’enfant de sa mère, renforce les processus fusionnels et devient lui-même, dans cette situation, un obstacle à l’émergence de l’altérité, de soi, des autres, du monde. La loi symbolique est enrayée, paralysée, elle qui se trouve pourtant au cœur du processus de séparation : «Symboliser : tel est l’enjeu de la ternarité, quel que soit le champ considéré. Symboliser, cela veut dire, pour le sujet, rendre habitable l’écart, le vide, la séparation, en d’autres termes assumer la négativité» (Legendre, 1998, p.115). Le monde ternaire s’éclipse devant la société plate de la binarité : interactions et contrats deviennent alors les principales modalités de la vie sociale. De ce point de vue, c’est la condition même de l’être humain, cet animal langagier, cet «animal qui écrit« (Legendre, 2021, p. 115), qui se trouve promise à un avenir des plus sinistres.

La donne anthropologique : l’animal langagier

S’il est, avec le recul, une convergence anthropologique qui se dessine entre Defalvard et Legendre, c’est bien celle que nous venons d’énoncer : l’homme est cet animal qui dématérialise la texture du réel pour le faire ressusciter dans les mots et les images : «Il y a eu l’envers de l’intuition d’origine : le monde fuyant entier vers le langage comme pris par une cascade au lit impossible à contenir, démettant tout de la matière» écrit ainsi Defalvard (2021, p. 21). La fusion de l’homme avec le réel n’advient que par l’absence ou la défaillance du langage; là où il y a langage, advient la séparation, c’est-à-dire l’arrachement à l’opacité du réel. On mesure alors le risque de la prolifération contemporaine des langues de bois politiques, des novlangues de l’expertise, des multiples langages autoréférentiels qui sempiternellement bouclent les mots sur eux-mêmes : avec ces nouvelles langues, froides comme le métal, qui se substituent tant à la langue quotidienne, commune, professionnelle, vernaculaire, qu’à la langue travaillée, polie, littéraire, véhiculaire, advient l’impossibilité de la séparation du sujet d’avec le monde, prisonnier qu’il reste de l’indépassable répétition. Quoi qu’il en soit, force est d’admettre nous parlons comme nous respirons : «La vérité est ailleurs, dans le langage; dans l’emprise entière du langage sur la conscience, dès le lever. L’air et le langage se mélangeaient, comme une buée au fond des yeux; le langage était la matérialité, l’air, l’abstraction des souvenirs» (Defalvard, 2021, p. 13). Cette condition langagière de l’animal humain est d’ailleurs si prononcée qu’elle pousse Defalvard, qui pousse ici le raisonnement jusqu’à son terme logique, à rejeter la causalité au nom de la croyance dans le pouvoir des mots : «L’esprit historique, d’une manière générale, me rebutait; l’absurde idée de la causalité, de la foi dans les hommes plutôt que dans les mots – l’absurdité du spectacle donné ou cru de la volonté, la maladie de la volonté, le labourage de la mer, les grandes orgues de morbidité du désir. […] L’Histoire, je m’en passais et d’autres auraient pu s’en passer qui s’agrippaient à elle dans l’illusion du sens, de la puissance, de la totalité – attachés obscurément au fantasme de la causalité» (Defalvard, 2021, p. 85). Croire en la causalité plus qu’au langage, c’est au fond passer à côté de l’essence symbolique de l’homme et des sociétés, et ramener l’action aux forces qui s’exercent sur la matière, ou à travers la matière; on pourrait même affirmer, de ce point de vue, que l’obnubilation pour la causalité historique constitue l’un des facteurs insoupçonnés du procès de désymbolisation caractéristique de l’époque contemporaine.
De son côté, Legendre (2004, p. 9) rappelle qu’»une caractéristique fait de l’humain une chose à part dans le vivant : la parole». Mais, convient-il d’ajouter sur le champ, l’être humain parle autant qu’il est parlé; il est même parlé avant que de parler, avant que d’apprendre à manier le langage : «Avant même d’être né, tout individu est parlé, du seul fait que les institutions existent et fonctionnent» (Legendre, 2004, p. 75). De sorte que le nouveau-né, avant d’être l’enfant de ses parents, est avant tout celui du Texte, celui des institutions et des dogmes qui l’accueillent au sein du structure qui lui assigne une place et lui offre la possibilité d’inscrire son existence dans une trame préalable de sens.
Le raisonnement peut encore être étendu à un niveau ontologique que Legendre désigne par l’expression, récurrente sous sa plume, d’»interlocution du Monde et de l’homme» : «[…] le Monde nous parle et nous lui parlons. De cette interlocution structurale, qu’ignore la Science ultramoderne et que néanmoins elle pratique sur un mode inédit, aussi aveugle soit-il, mes Leçons apportent maintes illustrations, dont regorgent les arts sous toutes leurs formes, incluant l’art de fabriquer les objets industriels» (Legendre, 2021, p. 48). Selon cette optique, on peut sans hésiter qualifier la méthode et la pensée de Legendre d’»herméneutiques» : il fait le pari du sens, il gage que le Monde offre un horizon de sens, ou une pluralité d’horizons de sens, qu’il nous parle et même nous comprend; réciproquement, il postule que l’animal parlant est aussi l’animal qui cherche à comprendre et interprète, qui explore les continents de la signification et leurs diverses frontières, de telle sorte que s’installe une interlocution du Monde et de l’homme qui renvoie à cet universel socle animiste déjà évoqué plus haut.
Mais quoique le langage constitue indéniablement une donne anthropologique fondamentale, il n’empêche qu’il peut s’user, s’épuiser voire se consumer, et que les mots perdent de leur portée; l’interlocution du Monde et de l’homme s’en trouve alors affaiblie, diminuée, et même empêchée. Lisons Defalvard : «Au réveil, oui, j’avais les yeux tuméfiés. Et le langage s’est insinué, dès la première banderille de la conscience, sans dire son mot, bestial, brutal, une évidence propre; un aphorisme s’est inscrit, un vieil aphorisme sans méthode, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus aisé, de plus mesquin dans le langage : son, usage direct, sans distance. La fausse monnaie du langage, dans le cerveau, au réveil […]» (Defalvard, 2021, p. 14). Nous l’avons lu, nous le savons : Defalvard n’apprécie guère Nietzsche, c’est le moins que l’on puisse dire, et il juge Montherlant en tous points supérieur; il n’empêche que «cette fausse monnaie» a tout des accents de la pièce de monnaie émoussée etvieillie qu’évoque le philosophe allemand dans l’opuscule Vérité et mensonge au sens extra-moral pour parler de la vérité : «Qu’est-ce donc que la vérité ? Une armée mobile de métaphores, de métonymies, d’anthropomorphismes, bref une somme de corrélations humaines qui ont été poétiquement et rhétoriquement amplifiées, transposées, enjolivées, et qui, après un long usage, semblent à un peuple stables, canoniques et obligatoires : les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont, des métaphores qui ont été usées et vidées de leur force sensible, des pièces de monnaies dont l’effigie s’est effacée et qui ne comptent plus comme monnaie mais comme métal» (Nietzsche, 1997, p. 16-17).
Legendre entretient également ce même souci de la vigueur des mots et c’est précisément la raison pour laquelle il abandonne le terme de «religion» et privilégie celui, plus expressif, de «fiduciaire» : «Faire le ménage. J’entends par là prendre acte de l’usure du concept de religion, c’est-à-dire poser les repères historiques et tirer les conséquences, mettant au jour l’enjeu suprême du langage : le fiduciaire» (Legendre, 2012, p. 72). Usure du concept de religion ? C’est ce que détaillent justement les pages suivantes, tout au long desquelles Legendre met en évidence le flou voire le chaos qui règne autour de ce mot et de son champ lexical incluant «mythe», «idéologie», «rituel», «théologie», «mystique», etc. La conclusion s’impose alors d’elle-même : «la notion de religion a épuisé son crédit» (Legendre, 2012, p. 82).

La geôle de la langue

Si nos deux auteurs partagent une même conviction anthropologique, s’ils s’accordent sur le phénomène d’érosion des mots, ils entretiennent néanmoins un rapport différent à la langue. Pour Legendre, nous l’avons vu ci-dessus, la condition langagière de l’animal humain ouvre les portes de l’herméneutique qui traverse l’interlocution du Monde et de l’homme, ménage un accès de la théâtralité des civilisations et ouvre la porte à l’étude des textes qui forment la structure porteuse des sociétés. En quelque sorte, entrer dans le langage, c’est modestement prendre conscience de soi à travers la découverte d’une généalogie dogmatique. Au fond, cette démarche témoigne du crédit général que Legendre accorde au langage, malgré l’érosion des mots et des effigies que le vent des siècles, fatalement, amène avec lui. Et cela n’est guère étonnant : ce que révèle l’anthropologie dogmatique, c’est bien le montage ternaire des sociétés qui met en scène, par le maniement des symboles par les institutions, une Référence extérieure au plan horizontal des relations sociales, et cette ternarité relève justement du langage, elle est une «structure spécifique, coextensive au langage, hors de laquelle la vie de tout sujet et la constitution sociale où que ce soient seraient impossible» (Legendre, 1998, p. 21). Il n’existe pas d’autre horizon que celui du langage, et, comme le rappelaient Martin Heidegger dans Sein und Zeit [1927] puis Hans-Georg Gadamer dans Vérité et Méthode [1960], l’important n’est pas, par conséquent, de s’extraire du cercle herméneutique, impossible ambition toutefois nourrie par la science moderne, mais de savoir y rentrer de façon perspicace.
Toute autre nous semble être la tournure d’esprit de Defalvard. Que nous soyons irrémédiablement pris par le langage et la dématérialisation du réel qui inévitablement s’ensuit, loin de paver la voie à l’herméneutique et à l’enquête généalogique, renvoie tout au contraire chez le romancier à une situation ontologique à proprement parler carcérale; la condition langagière séquestre en effet l’homme dans un pénitencier à ciel ouvert au sein duquel l’asservissement aux mots se fait règlement général : «Il faudrait dire un jour pour de bon ce qu’il a d’acceptation absolue dans l’emploi d’un simple mot, de soumission sans distance à la réalité qu’il désigne» (Defalvard, 2021, p. 53). Cette dernière phrase marque l’envers de la dématérialisation opérée par le pouvoir des mots : notre séparation du réel, qui met un terme à l’expression débridée du principe de plaisir, ne se paie-telle pas, en retour, d’une fusion avec le langage ? Cela signifierait alors, si l’on développe cette hypothèse en suivant un raisonnement logique, que l’animal humain balance entre deux servitudes : celle à la réalité qui provient d’une absence de langage d’une part, celle des mots qui émane de l’omnipotence du langage d’autre part. Et, dans ce dernier cas, nul pan de notre existence ne se réalise en dehors de la parole et de l’écriture, si bien que le langage devient une obsession et une dépendance : «Ma dépendance aux mots était une dépendance de drogué» (Defalvard, 2021, p. 150).
Mais les addictions drainent leur lot de pathologies, tant physiologiques que psychologiques. Qu’en est-il alors de ce langage-drogue ? Il génère «la maladie de l’excès de sens« (Defalvard, 2021, p. 22) ou encore un «excès de conscience» que le romancier définit comme «un empêchement souffreteux, comme un lit de pierres sèches sur un chemin en descente empêche le l

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16/09/2021 | Lien permanent

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