Éléments succincts pour une théologie politique et juridique de l’union homosexuelle et transsexuelle, par Francis Moury (20/03/2013)

Crédits photographiques : Jessica Rinaldi (Reuters).
Ce texte, initialement publié en octobre 2007, est une réponse tardive à celui de Germain Souchet, intitulé Unions juridiques entre homosexuels : quand le droit devient totalitaire, que j'ai également remis en une, vu l'actualité qui est la nôtre.
Les deux camps en présence, sur cette (double) question pour le moins complexe, auront ainsi des éléments de réflexion de qualité.

17 octobre 1651
«Saint Augustin nous apprend qu’il y a dans chaque homme un serpent, une Ève et un Adam.»
Blaise Pascal, Pensées et Opuscules (édition par L. Brunschvicg, Opuscules, première partie, IX, Librairie Hachette, coll. Classiques Hachette, 1978), p. 107.

«[...] L’inconscient se trouve, d’une façon générale, en dehors du temps. Le caractère le plus important et le plus étrange de la fixation psychique consiste dans le fait que les impressions subsistent non seulement telles qu’elles ont été reçues, quant à leur nature, mais aussi en maintenant toutes les formes qu’elles ont revêtues au cours de leur développement ultérieur : particularité qui ne se laisse expliquer par aucune comparaison avec ce qui se passe dans les autres sphères de la vie [...].»
Sigmund Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, (1901-1904, traduction par S. Jankélévitch, Payot, coll. P.B.P., 1922, tirage de 1976), p. 290.

«Nous trouvons un curieux symbolisme de mariage mystique dans l’écrit appelé l’Épître de Clément Romain (IIe siècle), ch. XIV : «L’homme est Christ, la femme est l’Église»; mais les deux ne font qu’un seul corps, si bien que cette union mystique (sunousia) a les caractéristiques d’une Syzygie, c’est-à-dire d’une notion d’androgynie [...].»
Dr. Jean Halley des Fontaines, La Notion d’androgynie dans quelques mythes et quelques rites, voir le chapitre XVII intitulé L’Église primitive (Librairie Le François, coll. Hippocrate, dirigée par le Pr. Laignel-Lavastine, 1938), p. 131.


Faute de temps, j’ai remis régulièrement à plus tard une réponse construite et ordonnée au texte de Souchet paru en novembre 2006 sur l’union juridique des homosexuels. Cette rentrée 2007, si riche en événements de toute nature réclamant tous des commentaires, ne saurait pourtant me distraire du projet que j’avais d’en écrire une. La re-vision hier soir sur Arte du très beau film Wild Side de Sébastien Lifshitz a constitué l’indispensable aiguillon, la saine piqûre de rappel me notifiant à nouveau mon devoir de l’écrire. La voici donc enfin, avec un retard dont je prie Germain Souchet et Juan de m’excuser.
Ma réponse initiale (1) envoyée par courriel à Juan et transmise par celui-ci à Germain Souchet qui y avait à son tour répondu obligeamment, était désordonnée, écrite sous le coup de la colère et de l’agacement, trop rapide aussi. Elle confondait par exemple d’une manière gnostique, comme me l’avait justement fait remarquer ce dernier, naissance corporelle et naissance mystique. Elle confondait en outre certains plans de réalité que Souchet, dans sa réponse à ma réponse, distinguait plus exactement que moi : moral, politique, juridique, religieux.
Je l’avais conclue par cette phrase : «Le plan de la charité est celui d'une alliance invisible qui refuse la barbarie de l'État comme celle des individus : elle raisonne sur le concret, jamais sur l'abstrait. Ce qui semble abstrait – le juridique, le normatif civil – répond ici à une réalité qui est bien trop douloureuse pour qu'on accepte un texte comme le sien sans réagir.»
Presque une année plus tard, en ce 27 septembre 2007, critiquer les conditions politiques et juridiques d’une telle union pour des raisons fondamentalement religieuses me semble passible d’une réponse d’essence elle-même religieuse, donc théologique. Et d’une réponse qui dépasse théologiquement la simple position charitable. Nul courage particulier dans un tel dépassement puisqu’on verra infra qu’il est recommandé par certains théologiens contemporains.
Je présente donc au lecteur un florilège de citations concernant l’homosexualité provenant de la Revue des Sciences philosophiques et théologiques. On n’en trouve guère dans ses index avant 1995. J’ai pourtant recherché soigneusement dans les années antérieures puisque, grâce à Juan et l’obligeance de la revue lyonnaise Économie et Humanisme, j’en possède pratiquement la collection complète des années 1975 à 2006, donc les tomes 59 à 90. Mais ce qu’on trouve dans les numéros postérieurs, de 1995 à 2005, m’a suffisamment consolé des lacunes antérieures. C’est parfois très sympathique, suggestif et surprenant ! Voici les extraits : ils bénéficieront ici, sur ce site, d’une audience bien supérieure à celle qui est la leur habituellement.

Extraits classés par ordre chronologique de 1995 à 2005 :

1) L. J. White, Biblical Texts and Contemporary Gay People. A Response to Boswell and Boughton. (Dans sa recension critique du livre de J. Boswell, Christianity, Social Tolerance and Homosexuality [1980], L. C. Boughton, Irish Theological Quaterly 58 [1992] 141-153, (le recenseur et l’auteur de l’ouvrage discuté se placent au même niveau en argumentant d’après les critères moraux contemporains. L’un et l’autre ne tiennent pas compte de la mentalité des méditerranéens. Ceux-ci condamnaient l’homosexualité pour d’autres raisons : elle était contraire à l’honneur du lésé, à la fonction procréatrice et à la sainteté du groupe), pp. 286-301.
Revue des sciences philosophiques et théologiques, section «recension des revues», tome 79 n°2 (Vrin, avril 1995), p. 349.

2) R. B. Ward, Why Unnatural ? The Tradition behind Romans 1: 26-27. (La prohibition des relations homosexuelles féminines et masculines comme étant contraire à la nature vient de Platon par la tradition juive hellénistique [Philon, Pseudo-Phocylides]. À sa base figure une attitude à la fois hostile au plaisir et favorable à la procréation), p. 263-284 de la Harv. Theol. Rev. 90 (1997), 1.
Revue des sciences philosophiques et théologiques, section «recension des revues», tome 82 n°2 (Vrin, avril 1998), p. 369.

3) Hogado J. M., Homosexualidad (1) Trastorno psicopatologico ?. (L’étude psychologique de l’orientation sexuelle permet d’affirmer qu’il n’y pas de base suffisante pour maintenir une explication psychopathologique de l’homosexualité), pp. 439-477 de Miscel. Comillas, 36 (1998), p. 109.
Revue des sciences philosophiques et théologiques, section «recension des revues», tome 83 n°3 (Vrin, juillet 1999), p. 631.

4) Bonjor J. A., Homosexual Orientation and Anthropology : Reflections on the Category «Objective Disorder». (L’évaluation de l’orientation homosexuelle en termes de «désordre objectif» est solidaire de l’anthropologie de Thomas d’Aquin [âme subsistante et directement créée]. Une prise en compte d’anthropologies évolutionnistes pourrait amener à reconsidérer ce jugement), pp. 60-83 des Theological Studies, 59 (1998), 1.
Revue des sciences philosophiques et théologiques, section «recension des revues», tome 83 n°2 (Vrin, juillet 1999), p. 429.

5) Crowley P. G., Homosexuality and the Counsel of the Cross. (L’anthropologie théologique sous-jacente au conseil de vivre l’homosexualité comme une participation à la croix du Christ implique une vision de la sexualité qui inclue la souffrance. Nécessité d’une théologie empathique de la croix assumant en retour la joie de l’amour comme don de soi), pp. 500-529. Pope S. J., The Magisterium’s Argument Against «Same-Sex Marriage» : An Ethical Analysis and Critique. (Plaidoyer pour l’engagement d’un dialogue de l’Église catholique avec les personnes homosexuelles qui se réclament d’elle plutôt qu’une poursuite d’un discours de moins en moins compris «à propos» de la condition des personnes homosexuelles), pp. 530-565 des Theological Studies, 65 (2004) III.
Revue des sciences philosophiques et théologiques, section «recension des revues», tome 89 n°1 (éd. Vrin, janv.-mars 2005), p. 204.

On le voit : nul besoin d’être jésuite et fervent lecteur de la Nouvelle Revue de Théologie publiée par nos amis belges de Louvain pour lire des revues comme celle-ci ! En les lisant avec sérénité, on constate que les études théologiques sont au fond beaucoup moins intolérantes – du strict point de vue catholique – envers un statut marial et juridique du couple homosexuel que Germain Souchet qui se prétend leur héritier et leur défenseur. À tout le moins, l’anathème n’est nullement de mise et les attitudes théologiques semblent absolument ouvertes et compréhensives. Le point de vue de la simple charité – certes toujours valable et parfaitement légitime – est largement dépassé par de telles recherches historiques et philosophiques. Celles-ci ne font d’ailleurs que prolonger la possibilité théologique et philosophique d’une reconnaissance catholique des sexualités alternatives, déjà en germe dans les temps les plus primitifs du christianisme. Reconnaissance qui est le préalable au renversement total et définitif des arguments spécifiquement religieux que Germain Souchet développe contre une union juridique des homosexuels.

Note
(1) PS Je crois utile de remettre ici en mémoire quelques extraits de ma réponse initiale à Souchet envoyée en novembre 2006 qui me semblent encore valables : «Si la droite était moins bête, elle aurait fait ce que la gauche a fait sans lui laisser s'en approprier les bénéfices électoraux. La situation était bien celle d'une discrimination à de nombreux égards : j'en ai été le témoin lorsque j'ai travaillé comme secrétaire dans une association qui secourait les prostituées transsexuelles.
Victimes de bourreaux exploiteurs, victimes de l'État rançonneur et premier proxénète, dans l'impossibilité matérielle et morale d'être intégrées administrativement par une union quelconque si elles – le féminin doit être employé, dans le cas de l'apparence féminine permanente puisqu'on a souvent affaire à de très jolies personnes qui sont issues de la même race humaine à laquelle notre cher Germain Souchet appartient, personnes qui ont donc un père, une mère, des frères et sœurs, une morale, un esprit, une âme aussi – tombaient amoureuses d'un homme. Et bien sûr sans possibilité de travailler car la carte d'identité française indique le sexe alors qu'aux USA cette indication est interdite : supériorité de l'état protestant sur l'état catholique, en cette circonstance qu'il faut remarquer. Ces injustices se poursuivent d'ailleurs et je puis en donner à Germain Souchet quelques exemples très précis.
La réalité exigeait donc de telles législations réparatrices d'injustices aberrantes.
Il ne s'agit pas de menacer les fondements de la civilisation chrétienne mais de concilier cette dernière avec ce qu'on a pu nommer un humanisme chrétien. Terme galvaudé qui ne me plaît pas mais qui renvoie tout bonnement à la charité légale la plus élémentaire, et qui est simplement l'adaptation en profondeur de cette civilisation à une liberté sans incidence sur la spiritualité et la moralité des individus.»

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