La France, ce pays sans ambition, par Germain Souchet (20/11/2007)

Grèves, syndicalisme, CGT


«La peste soit de ce siècle exténué de castrats […]».
Friedrich Schiller, Les Brigands.



De nouveau, ce petit rappel : à propos de manifestations bien évidemment spontanées, de grèves qui le sont tout autant, sauf sur les lignes automatiques où chantent (gratuitement) des types talentueux qui emmerdent les Parisiens qui leur font la gueule, d'un extrémisme de gauche, donc bon teint et même salutaire et peut-être même recommandé par nos journalistes, presque tous de gauche, enfin d'une guerre civile larvée en France mais il ne faut pas, paraît-il, faire des amalgames, etc.

Bellum Civile ou Civil War in Paris, par Francis Moury.
Bellum Civile 2 ou Civil War in France, par Francis Moury.
Bellum Civile ou Martial Law in France, 3, par Francis Moury.
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La sociologie n'a pas de chance, par Jean-Gérard Lapacherie.
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Dans le métro parisien...



Deuxième semaine de grèves et de «conflits sociaux». «La France qui se lève tôt», expression qui avait eu son petit succès lors de la campagne présidentielle, doit précisément se lever encore plus tôt, affronter des heures d’embouteillages, marcher des kilomètres ou prendre des rames de métro ou de RER bondées, dans lesquelles les dirigeants des confédérations syndicales, habitués au confort de leur luxueuse voiture avec chauffeur, ne daigneraient pas monter.

La cause de toute cette agitation ? L’alignement des régimes spéciaux de retraite sur celui des fonctionnaires, rien de plus. Ce qui paraît pourtant être la moindre des choses. En effet, alors que, depuis 1993, les salariés du privé sont passés à 40 années de cotisation, avec un taux de contribution moyen de 10,35% du salaire et une retraite calculée sur les 25 meilleures années de rémunération, et que, depuis 2003, les fonctionnaires sont eux aussi passés à 40 annuités, tout en conservant comme base de calcul les 6 derniers mois de traitement et une cotisation de 7,85% de la rémunération nette hors primes (une fraction seulement de celles-ci étant comptabilisée), les salariés de la SNCF et de la RATP, eux, continuent à ne cotiser officiellement que 37,5 années, en ne versant qu’une cotisation de 7,85% du salaire hors primes, pour toucher une retraite basée, elle aussi, sur les six derniers mois de paye. Je dis «officiellement», car, avec un savant système de calcul permettant de comptabiliser des annuités qui n’ont pas été effectivement cotisées, l’âge réel de départ à la retraite est de 50,3 ans pour les agents de conduite de la SNCF, de 55,1 ans pour les cheminots et de 54,8 ans pour les salariés de la RATP. Pour information, il est de 57,6 ans dans la fonction publique et de 61,3 ans dans le privé (source : Reuters).
Sans cotiser plus et sans gagner moins, les salariés des régimes spéciaux partent donc en retraite six à onze ans avant les salariés du privé. Ne tournons pas autour des mots : ce sont des privilégiés. Et rien, aujourd’hui, ne justifie de telles différences de traitement. L’époque de La bête humaine est révolue depuis belle lurette. Mais personne n’ose s’opposer frontalement à cette minorité marxisante bien décidée à défendre ses «acquis sociaux», sans qu’à aucun moment la honte ne la gagne de bénéficier de tels avantages. C’est même plutôt le contraire. Combien de jeunes cheminots, âgés de 25 à 30 ans, entend-on à la radio ou à la télévision nous expliquer sans rougir qu’ils ne veulent pas que soit remis en cause un des points de leur contrat de travail ? Au-delà du fait que l’âge de départ à la retraite n’est pas fixé par le contrat de travail, et qu’il n’est donc pas nécessaire d’obtenir le consentement des intéressés pour le changer, on ne peut être qu’ébahi de voir des jeunes gens n’avoir qu’une idée en tête : partir à la retraite à 50 ans… Est-ce donc là le but ultime de leur vie ? Partir à la retraite ? Ne ressentent-ils pas le plus petit sentiment de gêne quand ils croisent dans la rue des femmes de plus de 55 ans qui sont contraintes de marcher près d’une heure pour venir travailler ? La logique des «droits acquis», dont notre pays est toujours prisonnier, n’est pas une «réponse à des craintes justifiées devant la mondialisation de l’économie», et autres fadaises de ce genre : elle révèle à quel point certains Français ont abdiqué toute forme d’ambition personnelle et collective. Travailler trente-cinq heures, se précipiter devant sa télévision en rentrant pour ne rien rater de la Star Academy, se réjouir de la suppression des cours le samedi matin au primaire et au collège, car cela permettra de partir en week-end dès le vendredi soir – mais pourquoi diable y a-t-il encore des cours le vendredi ? –, et enfin partir à la retraite à 55 ans pour être entretenu par ceux qui sont encore trop bêtes pour continuer à travailler, voilà donc à quoi se résume le rêve français…
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la relève est assurée. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer le mouvement étudiant contestant la loi d’autonomie des universités, pourtant vidée de sa substance – la sélection à l’entrée des universités ayant été supprimée –, après que Bruno Julliard, étudiant professionnel, a été reçu cet été à l’Élysée. L’abaissement de la fonction présidentielle n’aura servi à rien, puisque les syndicats d’étudiants réclament désormais l’abrogation pure et simple d’une loi votée à peine quelques mois plus tôt par le parlement. Comme toujours, la démocratie est méprisée : l’autonomie des universités, de même que la réforme des régimes spéciaux, figurait très clairement dans le programme électoral de Nicolas Sarkozy, largement élu, faut-il le rappeler, en mai dernier. La majorité UMP, reconduite le mois suivant, a d’ailleurs reçu le même mandat. Mais c’est le principe même de la représentation et des élections qui est remis en cause par les syndicats, qui estiment qu’eux seuls doivent décider des règles qui leur sont applicables. Un exemple frappant en a été donné à l’université de Rennes II : un vote à bulletin secret, organisé par la direction, a montré que 64% des étudiants souhaitaient une reprise des cours. Celle-ci n’a pu avoir lieu, car quelques militants d’extrême-gauche, armés de barres de fer, interdisaient l’accès aux bâtiments. Une attitude justifiée par le fait qu’une assemblée générale avait, la veille, décrété que le vote à bulletin secret était… illégitime. Ces méthodes et ces modes de pensée portent un nom : le bolchévisme.
Pour conclure ce billet d’humeur, un dernier mot sur les étudiants : hier, leurs syndicats appelaient à soutenir le mouvement de grève des fonctionnaires. Voilà donc quelle est l’ambition de la supposée future élite intellectuelle de la France : devenir des fonctionnaires grévistes. Aux États-Unis, un étudiant rêve de fonder son entreprise, de créer de la richesse, de gagner beaucoup d’argent par lui-même, en prenant des risques; et peut-être, un jour, d’être coté en Bourse et de figurer sur la liste des plus grandes fortunes du pays. En France, l’étudiant moyen ne vibre qu’en entendant les mots fonction publique, statut, catégories, traitement et retraite.

Ce n’est pas d’une rupture dont la France a besoin – une rupture d’ailleurs bien vite abandonnée à peine le pouvoir conquis. Mais d’une véritable révolution.

Une révolution conservatrice.

D’autres l’ont fait. Pourquoi pas nous ?

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