Technikart, la bouche pleine de détritus (13/09/2005)

Photographie (détail) de Juan Asensio.
Si la théorie de l'évolution telle que l'imagina Darwin est aujourd'hui décriée de toutes parts, à juste titre semble-t-il, une pièce de choix pourtant doit être versée au dossier accumulant les preuves rigoureusement scientifiques quant à la validité de ladite théorie. Ou, tout du moins, d'un de ses axiomes : la sélection naturelle des espèces les plus résistantes et, à défaut, l'élimination, tout aussi naturelle et nécessaire, des plus faibles. Je me souviens ainsi d'un étrange spectacle, qui aurait pu convaincre le plus ardent opposant au darwinisme que, devant ses yeux, se déroulait effectivement une mutation génétique d'un genre nouveau, non pas évolutive mais, si je puis dire, dévolutive. En somme et pour la première fois je crois dans l'histoire de l'humanité si l'on excepte les apparitions publiques d'Arnaud Viviant, était exposé aux yeux de tous les curieux un cas exemplaire de régression de l'homme vers son lointain ancêtre simiesque, voire, mais je n'ai sur ce point de certitudes scientifiques, vers les tout premiers stades de la vie amibienne.
Il y a de cela quelques mois, je me trouvai ainsi au dernier Salon du Livre, près du stand des éditions du Rocher, échangeant quelques paroles avec l'amical géant qu'est Pierre-Guillaume de Roux, lorsque je m'avisai que, à quelques mètres de moi à peine, se tenaient deux jeunes ectoplasmes avachis sur des poufs à l'aspect tout aussi inconsistant (à moins que la comparaison ne s'applique dans l'autre sens), lesquels sirotant du jus d'orange et fixant le vide d'un regard suffisamment amorphe pour décomplexer une tanche sous-marécageuse, dodelinaient bizarrement de la tête lorsqu'ils constataient, apparemment ravis, leur appartenance commune à quelque espèce infra-verbale. Je m'approchai avec une grande prudence de la Zone de turbulences, sans paraître troubler la silencieuse méditation de nos bonzes indolents : bienvenu jeune con que tu es, tel était sans doute le message que signifiaient grossièrement, à l'adresse de bien rares visiteurs plus amusés que consternés, quelques affiches de propagande guévariste, bienvenu dans le monde lobotomisé et impeccablement festif où Technikart fait régner sa parole nanocéphale. Pris d'une irrésistible envie de rire, je décidai, avec un dernier regard de mépris, de laisser à leur splendide ataraxie ces deux protozoaires pour me diriger, revenu en quelques pas au monde vertébré, vers le stand des éditions de L'Éclat. Bizarrement, sans doute contaminé par quelque miasme prébiotique, je fis durant plusieurs nuits de curieux cauchemars où la réalité, comme dans Ubik, s'effilochait pour se réduire à un filet de bave collante.
Reste à savoir, mais je laisse de cette question disputée le lecteur seul juge, reste à savoir si les rédacteurs de Technikart présentèrent, ce jour-là, le fruit d'une nécessaire adaptation au monde qui est désormais le nôtre, pour lequel leur défaut de colonne vertébrale constitue il est vrai un atout de taille ou s'il s'agit bien, comme je le crois, d'une régression définitive de l'homme vers une sous-humanité branchée (au sens où les arbres constitueraient le biotope de l'espèce observée...), vierge de tout péché, distraitement polémique et dédouanée non seulement de toute conscience mais de toute perception de la verticalité que dis-je !, de la plus petite certitude quant à un cousinage même lointain avec ce que jadis nous appelions : des hommes.
Quoi qu'il en soit de ces passionnantes questions dont Houellebecq fera peut-être la matière de son prochain roman, l'article suivant est vieux et, selon certains, il tenterait, avec une bombe H, d'éliminer une colonie de larves de moustiques. Oui, oui, sans doute, suis-je tout prêt à concéder à mes inflexibles lecteurs mais il vaut tout de même comme témoignage d'une bizarre complexion, la mienne, qui elle aussi a droit, après tout, aux attentions des scientifiques : je ne puis décidément laisser en paix les imbéciles, fussent-ils heureux.
Surtout lorsqu'ils sont heureux.

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