Dans les griffes de la Hammer de Nicolas Stanzick, par Francis Moury (24/09/2010)

Crédits photographiques : Dr. Julian Finn (AP Photo, Museum Victoria, Census for Marine Life).
51soPKukh3L._SS500_.jpgÀ propos de Nicolas Stanzick, Dans les griffes de la Hammer – La France livrée au cinéma d’épouvante (1957-2007) (seconde édition revue, corrigée et augmentée, Éditions Le Bord de l'eau, 2010).

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Rappel
Dracula dans la Zone, par Francis Moury.

NB : par souci bibliographique et historique, nous avons pratiquement conservé la dichotomie entre notre première critique de l’édition originale et notre seconde critique sur la nouvelle édition. La partie écrite en 2008 à l’occasion de sa première édition n’a été modifiée que sur quelques détails de forme, pas sur le fond qui demeure globalement valable, à l’exception du paragraphe contenant nos critiques des coquilles, lacunes ou erreurs qui ont été à présent corrigées dans la nouvelle édition, à l’exception aussi des remarques matérielles sur la première édition, modifiées depuis.

Critique de l’édition originale parue en 2008
Nous avons achevé les 470 pages que compte ce mémoire universitaire méthodiquement transformé et augmenté, durant quatre ans, en un authentique livre d’histoire du cinéma. À tel point qu’il compte aujourd’hui en annexe dix entretiens fleuves – dont un avec votre serviteur – constituant à eux tous la moité du volume. Et sans oublier une bibliographie supérieure à tout ce qui existait en langue française ainsi que des tableaux de box-office historique indispensables à connaître, des notes très précises, et enfin des illustrations N.&B. soigneusement choisies, dont certaines sont fondamentales pour la remise en situation hic et nunc de la Hammer Films.
Stanzick souhaitait un cahier central en couleurs : il ne l’a pas obtenu de son éditeur. Mais pouvoir contempler une photo du cinéma Colorado du Boulevard de Clichy ou la fameuse photo du cinéma Midi-Minuit la semaine de l’exclusivité du Cauchemar de Dracula avec la queue des spectateurs du Boulevard Bonne Nouvelle, vaut bien qu’on se passe de la couleur ! Si certains lecteurs veulent contempler les couleurs originales de la célèbre et magnifique photo de plateau de Christopher Lee en créature dans The Curse of Frankenstein [Frankenstein s’est échappé] de Terence Fisher qui ouvre ouvre le chapitre 1 de notre livre, ils pourront toujours tenter de se procurer le numéro «spécial Hammer» paru en 1996 des «Archives Nostalgia» d’Occafilm, préfacé par Ronald V. Borst, illustré par les magnifiques archives de Lucas Balbo. Nous avons pu mettre la main dessus, pour un prix dérisoire, à l’occasion de la triste vente Dionnet l’année dernière : curieux hasard ou clin d’œil du destin, de la Némésis grecque qui veille jalousement au sort des mortels. Bref… Et si ces mêmes lecteurs veulent, en outre, contempler en couleurs les belles couvertures de la revue Midi-Minuit Fantastique qui ouvrent le chapitre contenant l’entretien avec Romer, ils ne leur restera plus qu’à se ruer dans la boutique de Norbert Moutier (lui aussi faisant partie des «entretenus», d’ailleurs) qui pourra peut-être leur en vendre un, ou bien à se rendre chez Cinédoc où nous avions complété en son temps notre propre collection ! Au demeurant, certaines images (celle de Caen et Lee prise sous l’entrée du cinéma) proviennent directement de la revue Midi-Minuit Fantastique (MMF) difficilement trouvable aujourd’hui. Et qu’il n’oublie surtout pas d’acheter les Creepy, Eery et Vampirella qu’il y trouvera s’ils couvrent les années 1970-1975 : il s’y retrouvera davantage encore !
Le livre de Stanzick donne envie au lecteur de faire tout cela – sans parler de l’envie de revoir les films Hammer cités tout du long de son voyage au centre de la mémoire : cela va sans dire et Seven Sept va probablement devoir ressortir des DVD de sa collection Hammer parue en 2005 – nous en sommes certain, et c’est un de ses grands mérites. Il est animé d’une flamme élaborée et réfléchie, claire et distincte sans pour autant qu’aucune obscurité ni aucune ambivalence ne soient négligées. Elle est communicative. Elle s’intéresse d’ailleurs à la manière dont la Hammer fut «communiquée» et reçue en France durant 50 ans. René Prédal avait déjà ébauché ce genre de recherches en s’attachant à l’histoire de Midi-Minuit Fantastique d’une part, à l’histoire de la réception par la presse française des films de Fisher d’autre part. Mais l’ambition de Stanzick dépasse ce simple support : Stanzick a visé et, souvent – pas toujours car la réalité reconstruite ne peut pas valoir la réalité vécue : ni l’information, si précise soit-elle, ni l’interprétation si intelligente soit-elle aussi, ne peuvent parfois compenser le temps passé : le mouvement global est en revanche très correctement restitué – réussi à peindre, en la reconstruisant précisément dans son ordre chronologique, la réception affective, sociale, intellectuelle, esthétique du cinéma d’horreur et d’épouvante par les différents publics de la Hammer en France. Ce n’est pas rien et ce livre est une date dans l’historiographie du cinéma, équivalente en importance à celle de la rétrospective Terence Fisher à la Cinémathèque Française en 2007, au sujet de laquelle nous renvoyons le lecteur à notre article paru ici même l’année dernière.
Stanzick n’a certes pas vécu la première moité de la période dont il parle puisqu’il est né en 1978. Son travail est donc équivalent, du point de vue méthodologique, à celui de Georges Sadoul lorsque ce dernier traitait du cinéma muet. Comme le fondateur de l’histoire française du cinéma, Stanzick a établi scrupuleusement les différents types de sources (orales, filmiques, papier, etc.) auxquelles il a demandé l’information sur ce passé fabuleux. Il a rencontré trois, voire presque quatre générations de témoins vivants et d’acteurs directement impliqués, à un titre ou à un autre, dans le passage de relais du «témoin» Hammer films en France. Il a compulsé les livres et revues parues en France de 1957 à nos jours sur le sujet et il les a compulsés très soigneusement. Il n’a pas tout compulsé, bien entendu et nous avons relevé avec un sadique plaisir (nuancé de mélancolie : notre savoir est aussi la rançon de notre âge) quelques lacunes. En revanche, il nous semble que telle quelle, cette bibliographie est la plus complète jamais parue en France sur la Hammer, jusqu’à une seconde édition qui l’enrichira encore peut-être. Car il manque quelques numéros de l’importante revue Écran, par exemple : ainsi le n° 37 de 1975, pp.17-22 et 68-69 n’est pas cité alors qu’il contient à la fois une savoureuse critique de la version «caviardée hard» de La Nuit de la grande chaleur de Fisher et un ample article assez étonnant de Gérard Lenne sur «Le Fantastique hors du ghetto» comprenant une sorte de révision mélancolique de certains Hammer comme Le Cauchemar de Dracula ou Le Redoutable Homme des neiges de l’Himalaya, à l’occasion de la rétrospective Hammer de la Convention du cinéma fantastique qui se tenait cette année-là au Palais des Congrès. Révision à laquelle, nous le disons à Lenne s’il nous lit, nous ne souscrivions pas lors de ladite et à laquelle nous ne souscrivons toujours pas : y souscrit-il aujourd’hui lui-même, s’il relit ces lignes ? Nous sommes certains que non, lorsque nous écoutons son commentaire passionné de l’art de Vincent Price dans le DVD Bach Film de la collection Serial Polar, en supplément à l’intéressant et très rare Shock d’Alfred Werker avec Price.
Avouons-le de prime abord : nous avons commencé par dévorer les dix entretiens et n’avons lu qu’ensuite la première partie historique. Autrement dit, nous avons lu le livre à l’envers ! Non seulement parce que nous voulions relire notre propre entretien au plus vite – son intégrité est intacte et parfaitement retranscrite : nous précisons qu’il conclut en quelque sorte le livre, par un choix qu’il appartiendra au lecteur d’apprécier, ou par le hasard de la chronologie puisqu’aussi bien le nôtre est le seul effectué en 2007 alors que tous les autres furent effectués en 2004 – mais encore et surtout parce que nous voulions ensuite dévorer ceux des 9 autres afin de comparer leurs souvenirs et leurs positions aux nôtres !
Commençons par dire un mot de ceux avec Michel Caen (né en 1942) et Jean-Claude Romer (né en 1933), qui furent les fondateurs – avec Alain Le Bris toujours resté dans l’ombre depuis, et sous le patronage spirituel nécessaire du grand Jean Boullet (1921-1970) – de la revue Midi-Minuit Fantastique, la revue qui détermina l’avènement d’une authentique cinéphilie fantastique française au début des années 1960. Romer s’était récemment expliqué sur cette période dans un entretien clair publié sur Devildead.com et n’ajoute pas grand chose à ce qu’on a pu lire. Caen en revanche précise bien des points, et l’entretien vaut d’être lu car il s’exprime rarement à présent sur cette période. Il est d’une grande lucidité et s’avère parfois très étonnant.
Noël Simsolo et Jacques Zimmer étaient des critiques généralistes. On lit leur commentaires rétrospectifs sur cette période avec un intérêt réel lorsqu’ils apportent des précisions ou des anecdotes historiquement positives mais on aurait préféré, on le dit franchement, avoir un entretien avec des témoins de la même génération, comme Jean-Pierre Bouyxou ou Paul-Hervé Mathis, à la place de ces deux-là. On aurait préféré, disons-nous, car même si Zimmer a effectivement ouvert les colonnes de La Revue du cinéma – Image et Son et de la Saison cinématographique à quelqu’un du calibre de Jean-Marie Sabatier, ladite Revue et ladite Saison crachèrent pendant très longtemps sur le genre et sur ses cinéastes. À commencer par Zimmer lui-même qui crachait sur Les Vierges de Satan allègrement dans la Saison 1970 et qui laissait paraître dans la même les critiques les plus ignobles jamais écrites sur Le Retour de Frankenstein et Les Deux visages du Dr. Jekyll. Simsolo clame admirer Fisher depuis toujours : c’est vrai. Le problème c’est que le reste des cinéastes Hammer ne trouve pas souvent grâce à ses yeux et qu’il a une assez forte tendance à en dire du mal à la même époque : on a lu dans cette même Saison sous sa plume au tournant des années 1970 des critiques parfaitement méprisantes de films fantastiques remarquables, strictement contemporains de ceux de la Hammer, comme le très beau The Oblong Box [Le Cercueil vivant] de Gordon Hessler ou appartenant à la Hammer comme le passionnant Les Cicatrices de Dracula de Roy Ward Baker. Leur ralliement un peu trop appuyé aujourd’hui à la cause Hammer n’arrive pas tout à fait à nous convaincre, c’est le moins qu’on puisse dire.
Ensuite Gérard Lenne qui a publié d’abord le beau Le cinéma fantastique et ses mythologies qui demeure l’un des grands livres sur le genre au tournant en 1970, publié chez les Dominicains des Éditions du Cerf : sa réédition de 1985 chez Henri Veyrier, supérieure à l’original à tous points de vue – absence d’index nomini mise à part : on aurait aimé que le livre de Stanzick en disposât aussi, soit dit en passant – renie heureusement son vocabulaire et son raisonnement structuraliste initiaux, mais conserve la flamme amoureuse initiale.
Moutier et Schlokoff complètent les deux premières générations de cinéphiles : l’un est créateur d’un fanzine qui fut l’émule de celui de Pierre Charles, l’autre le créateur de la Convention du cinéma fantastique. Ils ont été au cœur des choses, et l’entretien avec Schlokoff précise bien des points essentiels. Celui de Moutier offre par sa sincérité un aspect «brut de décoffrage» qui réjouira les tenants du premier degré.
Christophe Lemaire et Jean-François Rauger sont nés la même année que nous ! Nous appartenons bien à la troisième génération, non pas de terroristes comme dans le médiocre film de R.W. Fassbinder, mais de hammeriens. Lemaire est un peu une contrepartie ironique de Moutier puisqu’il est un critique qui se veut d’abord témoin, rapporteur factuel et surtout pas critique, tandis que Rauger est une profonde contrepartie analytique de Schlokoff, si on veut filer la métaphore des parallélismes d’attitudes d’une génération à l’autre. Ils se répondent et se complètent bien, de ce point de vue. Est-ce que les trois de 1960 font la paire ? On vous laisse répondre. Quant à notre propre entretien, «Francis Moury par lui-même» n’étant pas encore au programme de la collection «Microcosme», section «Écrivains de toujours» des Éditions du Seuil, un commentaire par nous-même de notre propre entretien n’aura pas lieu : nous devons en laisser le soin aux lecteurs.
Abordons à présent la première partie historique du livre.
Commençons par quelques critiques, et relevés d’erreurs : le négatif vient toujours d’abord. Outre d’assez nombreuses coquilles, il y a quelques erreurs, même si assez peu sur l’ensemble qui est globalement très sérieux. Page 39, ce n’est pas Tony Faivre qui a traduit Dracula de Bram Stoker aux éditions Gérard & Cie (collection Marabout, Bibliothèque fantastique) mais bien Lucienne Molitor. Faivre avait rédigé une importante introduction à cette traduction. Quant aux Éditions Gérard & Cie, elles furent domiciliées à Verviers en Belgique, mais Verviers est une ville, pas un éditeur ! Page 409 nous confirmons que le titre français exact d’exploitation du film de Guest est Le Redoutable homme des neiges de l’Himalaya et non pas L’Abominable homme des neiges. Page 440, le titre exact du livre de Michel Laclos paru en 1958, est Le Fantastique au cinéma et non pas Le Cinéma fantastique. Enfin, last but not least, je ne suis le concepteur éditorial du Catalogue annuel de L’Étrange Festival que pour les années 2003, 2004, 2005 et 2006 mais ceux des années antérieures et postérieures n’ont pas été rédigées par moi-même.
Sur le fond, il y a matière à quelques critiques.
Il nous semble ainsi que la distinction entre les deux périodes de la revue MMF (1962-1966 et 1966-1971) n’est pas peut-être pas aussi tranchée que Caen veut bien le dire et qu’elle ne fut pas si tranchée non plus dans l’esprit des lecteurs. MMF demeurait de toute manière une revue marginale, lue par une infime fraction de la population, et c’est surtout auprès d’une élite critique que de tels changements furent éventuellement porteurs de sens immédiat. Dès l’origine, au demeurant, il y avait du cinéma classique Universal au programme de la revue et pas uniquement de la Hammer, comme Nicolas le sait bien : un n° spécial King-Kong, un autre sous le patronage de Zaroff. Les années expressionnistes allemandes – à ce propos, nous pensons aussi qu’on peut qualifier l’expressionnisme allemand muet de véritable premier âge d’or du cinéma fantastique : Stanzick a tout à fait raison de l’écrire – et les années Universal 1931-1945 furent bien représentées dans MMF.
MMF et la Hammer symboles d’une contre-culture hippie ou rock ? Franchement, nous ne le croyons pas car nous avons vécu très souvent à cette époque des projections dans lesquels lesdits hippies se moquaient cordialement ou agressaient vertement les productions Hammer qu’ils jugeaient globalement réactionnaires, archaïques et sans intérêt. Que certains critiques français aient tenté de transformer la Hamme en instrument de libération esthétique, le fait est patent. Mais ce ne fut absolument pas la manière dont le public populaire ni même le reste du grand public reçut ces films. Inconsciemment en revanche, et même d’un point de vue sociologique si on accepte l’idée d’un inconscient collectif actif différent des consciences individuelles le constituant, la thèse de Stanzick peut se défendre mais elle nous semble une reconstruction artificielle plus qu’une vérité, nous devons bien l’avouer. La Hammer au demeurant ne critique pas la société victorienne qu’elle représente. Et en outre, cette société et sa matière scénaristique ne sont pas «gothiques» stricto sensu : ce terme est un peu inapproprié. Il y a des traces de roman noir gothique et frénétique – tel qu’un Maurice Lévy l’avait étudié vers 1970, avant sa magnifique étude sur H. P. Lovecraft ou du fantastique (parue dans la collection 10/18) – dans les films de la Hammer mais à part les films – mineurs – consacrés à Robin des Bois par Fisher et un ou deux autres cinéastes sous contrat, aucun Hammer ne se passe au Moyen-âge.
Peut-on dire que la scène de destruction du comte Dracula à la fin du Cauchemar de Dracula soit matricielle du cinéma gore ? Une ou deux années auparavant, Riccardo Freda avait déjà filmé, avec les effets spéciaux fournis par Mario Bava, une destruction corporelle assez similaire – qui allait certes moins loin mais qui était déjà très poussée, même si pas jusqu’à la décomposition – de la belle actrice Gianna Maria Canale à la fin de I Vampiri. Au demeurant le cinéma «gore» commence où celui de la Hammer s’achève : il joue sur d’autres pistes. Hershell Gordon Lewis est un cinéaste passionnant mais il n’a guère de lien avec la position éthique et esthétique d’un Terence Fisher. Et il ne faut pas oublier que les chefs-d’œuvre produits et/ou réalisés par Baker et Berman comme Jack l’Éventreur (1958), L’Impasse aux violences (1959), Le Sang du vampire (1959) vont parfois aussi loin voire plus loin dans ce domaine, sans oublier d’autres productions anglaises indépendantes de la Hammer, celles de la Tigon, de la Amicus, etc. Qu’on songe au Cirque des horreurs de Hayers par exemple. La Hammer n’a pas eu le monopole de l’horreur graphique en 1960, loin de là. L’Horrible Dr. Orloff de Franco date de 1960 et Le Moulin des supplices de Ferroni, aussi de 1960. Sans oublier non plus Les Yeux sans visage de notre grand Franju qui est probablement le plus grand film fantastique français jamais réalisé au XXe siècle.
Autre problème : Dracula prince des ténèbres est écrit par Sangster sous pseudonyme mais d’après un sujet de John Elder alias Anthony Hinds. Lequel des deux a davantage déterminé le script et son évolution ? Pourquoi, enfin, avoir négligé délibérément les films fantastiques «non-gothiques» de la Hammer ? La note qui précise cette décision ne nous a pas du tout convaincu.
Pourquoi enfin, au nom d’un être de raison nommé «gothique», se priver, amputer du corpus hammer, des titres aussi passionnants que les trois Quatermass – les deux premiers films de Guest déterminèrent par leur succès l’orientation définitive de la firme dans le fantastique en 1955-1957 – et d’autres titres tout aussi passionnants : les films préhistoriques comme Un Million d’années avant Jésus-Christ de Don Chaffey ou Femmes préhistoriques de Michael Carreras, les films d’aventure fantastique comme Le Peuple des abîmes de Michael Carreras sont ainsi totalement absents. Paranoïac de Francis, Hurler de peur de Seth Holt, pour ne citer que certains des «policiers horrifiques» de la Hammer et le film d’aventures (traversé d’éclairs d’épouvante) Les Étrangleurs de Bombay de Fisher le sont aussi.
En somme le livre de Nicolas Stanzick traite d’une partie de la production fantastique de la Hammer, mais pas de toute la production fantastique de la Hammer, ce qui est gênant, encore moins de toute la production Hammer, tous genres confondus, ce qui n’est pas gênant.
Après les critiques, les bons points !
Du point de vue historique nous ignorions que La Revanche de Frankenstein de Fisher avait été un échec relatif au box-office international et que c’est cet échec qui avait déterminé la mise en route, sur des bases scénaristiques différentes, et avec Freddie Francis à la place de Terence Fisher comme cinéaste, de The Evil of Frankenstein [L’Empreinte de Frankenstein] : le point est un pur point d’histoire économique du cinéma qu’il faut savoir dorénavant. Bouyxou lui-même, lorsqu’il rédigea son beau «Frankenstein» (Éditions Premier Plan, 1969) n’en était apparemment pas conscient. Un bon point pour Nicolas Stanzick qui amène cette information importante en lumière ici et maintenant. Il n’est jamais trop tard pour préciser un point d’histoire de la Hammer. Et Stanzick nous a apporté d’autres informations d’une même importance à l’occasion : il bénéficie des recherches antérieures et a su les exploiter, les clarifier, les rassembler d’une manière claire, cohérente, souvent élégante.
On le voit, il demeure donc dans ce livre des points sur lesquels nous sommes réservés et sur lesquels nous pourrions discuter. Mais au total, compte tenu de l’ensemble du travail, ils sont raisonnablement rares et porte plutôt sur l’interprétation que sur des erreurs factuelles. Certains résumés sont même très utiles et novateurs : celui sur Jean Boullet est très bien et donne très envie de lire le livre complémentaire de Denis Chollet. Et encore une fois, tout le reste, même si matière à discussion pointue, demeure une source sûre d’information pour tout étudiant ou curieux désireux de couvrir ce sujet et cette période. Les deux derniers chapitres sont un exemple de compréhension correcte : nous nous y sommes absolument retrouvés nous-mêmes décrits objectivement par Stanzick, avec une acuité et une parfaite intelligence du contexte, rétrospectivement. Nous les citons de préférence aux premiers chapitres car ici, nous sommes nous aussi témoins de première main, ce qui nous donne un avantage certain pour en juger.
Bref : un livre qui complète très utilement, par un point de vue sociologique original et d’une manière synthétique, les grands classiques de l’histoire française du cinéma fantastique déjà publiés de 1958 à nos jours. Et aussi le premier grand livre sur le cinéma fantastique paru dans notre pays au XXIe siècle : je suis naturellement fier d’être présent dans cette somme. Nous en souhaitons au plus tôt une réédition agrémentée cette fois-ci d’un «Index nomini» qui en rendrait plus commode la consultation, corrigée de ses assez nombreuses coquilles, pourquoi pas dotée d’un cahier couleurs supplémentaire. Mais tel quel, à acheter sans plus attendre car l’objet est déjà assez beau.

Note critique additionnelle sur la seconde édition parue chez BDL
La première édition épuisée en quelques mois, et pas mal de coquilles et d’erreurs subsistant, une réédition devenait urgente : on se félicite de sa parution d’autant qu’elle tient bien compte de la liste d’errata et de corrigenda que nous avions adressées à l’auteur à cette occasion.

Cette seconde édition comporte des nouveautés, à commencer par deux nouveaux entretiens avec :

- Bernard Charnacé, acteur dont la vocation fut déterminée par son admiration pour le comédien Peter Cushing qu’il rencontra adolescent à Whitstable dans le Kent. Une anecdote personnelle : en 1976 puis en 1977, j’étais à Whitstable comme lecteurs d’anglais par la grâce d’un «joint-venture» entre l’un des professeurs d’anglais de notre lycée parisien et cette si jolie petite ville anglaise. Il me semble bien avoir croisé Cushing vêtu d’une veste de cuir, conduisant une belle Américaine décapotable, un fugitif instant qui demeure gravé dans ma mémoire. J’ai aussi frappé à sa porte, bien sûr car nous étions tous logés sur place et donc à quelques rues à pied de chez lui, mais son activité était telle à ce moment, comme Charnacé le sait, que j’avais peu de chance de l’y trouver. C’était déjà un miracle de l’avoir croisé. Charnacé fournit de beaux souvenirs dans son entretien mais un bémol critique : il maintient l’idée que les cinq Frankenstein fishériens sont des films athées. Idée soutenue en 1971 par Bouyxou mais vigoureusement démentie par l’intéressé le scénariste Jimmy Sangster dans l’entretien paru à cette époque in Bouyxou & Lethem, La Science-fiction au cinéma (Éditions UGE, coll.10/18). Bouyxou étant le second nouvel entretenu du livre, cela me fournit une transition, non sans avoir rappelé au passage que cette contradiction entre l’idée de Bouyxou et la position de Sangster est évoquée dans mon propre entretien.

- Jean-Pierre Bouyxou, donc, historien et critique de cinéma (de cinéma-bis essentiellement, mais les connaissances de l’homme sont encyclopédiques et il connaît son John Ford ou son Michael Curtiz aussi bien qu’un autre), programmateur du cinéma fantastique parisien le Styx (c’est Bouyxou qui avait programmé au Styx Les Deux visages du Dr. Jekyll de Fisher : nous avions cité cette anecdote dans notre propre critique du film parue l’année dernière sur Le Coin de l’œil puis en version revue, corrigée et augmentée, sur The Hammer Collection et enfin ici-même) et cinéaste. Nous avons récemment lu ses textes précis et incisifs parus dans le beau volume Paris Match dans les coulisses de Cannes (Éditions Glénat, 2010) et les Éditions BDL devraient bientôt rééditer son beau Frankenstein (1969) devenu rare… mais que nous possédons évidemment dans la section cinéma de notre bibliothèque ! Bouyxou appartient à la génération «midi-minuiste» et il est un témoin de première main. Attention certains éléments de son entretien ne nous sont pas tout à fait inconnus : la critique morale «croisée» que s’adressèrent mutuellement Terence Fisher et Michael Powell avait déjà été évoquée oralement par Bouyxou lorsqu’il avait présenté le contexte du Grand inquisiteur de Michael Reeves, dans un supplément annexé au DVD Néo Publishing. Et inévitablement, il rebondit (intelligemment) sur la polémique relative à l’athéisme dans les Frankenstein.

- une nouvelle préface du scénariste Jimmy Sangster, le scénariste de la Hammer Film que Thomas Roland avait interviewé sur Le Coin de l’œil et qui maintient ici encore que Hurler de peur demeure son film préféré : voir notre critique du film sur ce même site Le Coin de l’œil. À noter que le film préféré de Sangster n’est pas pris en compte dans le livre de Stanzick en raison de la «coupure gothique» opérée a priori dans son étude.
- un index augmenté des noms, une filmographie complète et détaillée de la Hammer et l'actualisation de la bibliographie,
- beaucoup de nouveaux éléments critiques sur les films eux-mêmes,
- une augmentation de la partie consacrée à Hammer et culture pop,
- un passage sur Le Bal des vampires de Polanski et son influence (selon nous négative) sur la réception de la Hammer ici,
- et pas mal d’ajouts ponctuels.

Au final :

- le texte de la partie «essai» fait désormais 197 pages Word contre 180 pages précédemment,
- les entretiens comptent 166 pages Word, contre 124 pages précédemment,
- la partie «annexes+index+biblio+tables des matières» : 77 pages contre 41 pages précédemment
- et le texte complet fait 455 pages contre 360 précédemment.
Cette nouvelle édition au format élargi de 23x15cm comporte un nouveau cahier de photos en couleurs de 16 pages contenant de belles photos de plateau – certaines très rares (Barbara Shelley dans La Gorgone) et d’autres plus connues – et quelques reproductions d’affiches originales. Une photo pleine page, en noir et blanc, ouvre toujours chaque chapitre et chaque entretien. Avec là aussi des modifications : Nicolas a ainsi ouvert le nôtre par une image de la version Fisher du Fantôme de l’Opéra – que nous avons critiqué sur le site Écranlarge à sa sortie DVD zone 2 par Bach Films – alors que l’édition originale de 2008 l’ouvrait par une image du Dr. Jekyll & Sister Hyde de Roy Ward Baker.

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