Si le soleil ne revenait pas de Charles Ferdinand Ramuz (31/12/2020)

Photographie (détail) de Juan Asensio.
Ramuz.JPGDans sa simplicité bouleversante, qui n'a pas grand-chose à voir avec l'apprêt de ce qu'on a pu appeler la littérature rustique (1), Si le soleil ne revenait pas (2) de Charles Ferdinand Ramuz rappelle le dernier film, à ce jour hélas, de Béla Tarr, Le cheval de Turin. Mais c'est un pessimisme radical qui sépare le roman du film car, dans ce dernier, le soleil ne revient effectivement pas, et tout s'effondre définitivement, sans l'aide de la plus petite pyrotechnie hollywoodienne, not with a bang, but a whimper.
J'ai pu écrire de ce film qu'il ne nous plongeait absolument pas dans le temps de l'éternel retour, et que, «bien loin d'être synonyme de vide, comme Béla Tarr lui-même a pu le confesser, la morne répétition des mêmes gestes quotidiens (s'habiller, habiller son père, préparer le repas, deux pommes de terre bouillies mangées avec les doigts, soigner la jument, entretenir le feu, se coucher sans avoir échangé plus de quelques mots, faire les bagages, charger la misérable charrette), essentiellement par la jeune femme qui est l'humble servante de son père et du cheval qui refusera de s'alimenter et de boire, est une triste, sans doute mécanique mais néanmoins lumineuse sacralité en actes et en gestes, comme nous le voyons dans La Route de Cormac McCarthy». J'ai aussi affirmé que Le cheval de Turin pouvait être considéré comme une «apocalypse toute moderne, ténue, sans ouverture de sceaux et déchirements de ciel qu'auraient pu évoquer quelques vers extraits des Hollow Men de T. S. Eliot : «This is the way the world ends / This is the way the world ends / This is the way the world ends / Not with a bang but a whimper», mais apocalypse toute de même en ceci qu'elle est surnaturelle (car comment, si elle ne l'était pas, interpréter le fait que même les braises cessent de rougeoyer ?)», révèle qui plus est «l'évidence que nous avons failli à notre devoir d'être des hommes et non des bêtes et manifeste son caractère néfaste dans une minéralisation contrastant avec le mouvement du cheval de la scène d'ouverture, minéralisation qui, de Monsieur Ouine à La Montagne morte de la vie des Bernanos père et fils, a toujours signé la fin de toute chose».
Une histoire sans nom.JPGDans le roman de Ramuz, la mort de l'oiseau de mauvais augure Anzevui, qui paralyse de peur les habitants du petit village de Saint-Martin d'En Haut, coïncide avec le retour du soleil, qui, d'ailleurs, n'a cessé d'être présent tout au long du texte par de discrètes allusions, des comparaisons plus hardies, des métaphores sans fard. C'est en somme parce que les êtres frustes dont Ramuz évoque la vie que l'on dirait ressembler à celle de personnes qui auraient été, comme par sorcellerie, figée quelques siècles en amont du nôtre (à moins qu'il ne s'agisse, plus sourdement, de la preuve que c'est notre propre vie qui est devenue folle et la leur, celle de ces personnages, qui a su rester saine), parviennent, tout de même, à la célébrer dans des gestes simples, dans la notation de plaisirs que nous ne parvenons plus à deviner, aveuglés que nous sommes par la lumière artificielle, que revient le soleil, c'est pour cela que triomphe la joie de la célébration et de la vie au grand large du vide montagnard, à l'exact opposé d'une autre œuvre de l'enfermement fatal, destinal, hermétique, étouffant, Une histoire sans nom de Barbey d'Aurevilly, dans laquelle, dès le début, la lumière se fait chiche, avare, avant d'être engloutie dans d'impénétrables noirceurs que l'auteur des Diaboliques prendra le soin de ne point trop révéler, signant aussi, là encore, une de ces petites apocalypses qui, loin de révéler quoi que ce soit, gardent avarement leur secret, avec la lumière des grands jours.

Notes
(1) Telle qu'un Jérémias Gotthelf (pseudonyme d'Albert Bitzius) a pu l'illustrer, non sans quelque pointe de très franche noirceur, avec un texte comme L'Araignée.
(2) Charles Ferdinand Ramuz, Si le soleil ne revenait pas (feu L'Âge d'Homme, coll. Poche suisse, 2004). Même si ce titre n'a plus aucune chance d'être réédité par une éditrice qui a sabordé l'héritage de son père, je signale quelques petites fautes comme : ils et non «il donnent», p. 26; un «dit» en trop, p. 38; un et non «une regard», p. 178.

Ramuz.jpg

Lien permanent | Tags : littérature, critique littéraire, charles ferdinand ramuz, béla tarr, le cheval de turin | |  Imprimer