Nous sommes tous des Foutriquets (08/03/2004)

Crédits photographiques : Johannes Simon (Getty Images).
Terminé la lecture du Précis de Foutriquet de Pierre Boutang, surtout intéressant par son constant recours à l’étymologie, par son rappel de Bernanos, qu’il ne ménagea guère et par quelques tics bloyens assez drôles. Les mots qu’utilise un imbécile sont toujours une arme contre lui-même, voilà en tout cas la précieuse leçon que ne cesse de nous répéter Boutang. Il faudrait ajouter que, de nos jours, un pamphlet politique d’une telle violence – puisque Boutang condamne absolument l’action politique de Giscard – serait tout simplement inimaginable, scandalisant jusqu’à l’apoplexie les petits femmelins pétitionnaires Lindenberg et Viviant qui, sans doute, en crèveraient, à Dieu ne plaise !
Vu le Macbeth de Polanski, adaptation assez fidèle du drame élisabéthain dont j’ai aimé la belle lumière – comme celle qui baigne la scène d’ouverture où les trois sorcières se réunissent pour invoquer les ténèbres – et les toutes dernières images, où le nouveau roi, meurtrier du tyran Macbeth qui lui-même a tué le bon roi Duncan, va lui aussi, à son tour, consulter les «Weird Sisters», dans une parabole transparente sur l’inéluctabilité du Mal et la folie de pouvoir animant le cœur des hommes. Il n’y a aucun lien entre ce film plutôt réussi et Big Fish de Tim Burton, adaptation d’un roman de Daniel Wallace. La leçon de ce conte bien moins naïf qu’il n’y paraît peut être résumée en une seule phrase : si l’homme ne meurt pas, si l’homme est immortel, si la mort même peut être vaincue, c’est uniquement par le pouvoir tout simple et grandiose de sa parole qui inlassablement n’en finit pas de conter, tentant de revenir à la source perdue de toute joie, l’enfance merveilleuse puis la vie de William Bloom (au pseudonyme transparent) et, métaphoriquement, l’Éden perdu.
Journée pluvieuse, vide, la négation même de la féerie chère à Burton. Je n’ai rien fait, hormis terminer de lire l’ouvrage d’Harold Bloom et l’Extension du domaine de la lutte de Houellebecq dont je me suis toujours méfié en raison de l’excessive publicité qu’on a faite autour du personnage et de certaines de ses déclarations, d'ailleurs peut-être tronquées ou déformées plaisamment. Sur ce roman déjà ancien : quelques remarques justes sur l’ineptie de notre quotidien, égarées au milieu de pages qui rebutent par leur manque de relief, sans doute volontaire. Les dernières lignes de ce bizarre roman constituent une sorte de non-révélation, une fermeture du personnage sur lui-même, sans même la possibilité, certes démoniaque, de commettre quelque meurtre libérateur (par exemple celui, plus rêvé que réellement perpétré, de Raphaël qui se tuera peu après ou ceux encore des cauchemars du narrateur), comme cela se produit dans le ténébreux et superbe Vent noir de Paul Gadenne. Avec ce non-roman en tout cas, sorte de précis de décomposition pour lequel l'écriture romanesque, l'auteur le dit, semble parfaitement inadaptée, Houellebecq parvient au degré final du dégoût et de l’ennui, pas même à cette halte esthétisante qui sauvait au moins l’âme de Des Esseintes du vide (personnage qui commencera, sous les traits de Durtal, sa douloureuse conversion dans Là-bas) à défaut de garantir sa santé mentale. Quelques étrangetés, qui sont comme des trouées d’air pur : fausses, lorsque par exemple le narrateur nous donne à lire de comiques satires animalières ou bien paradoxales, presque déplacées dans leur lyrisme, lorsque cette fois il s’extasie (début de la deuxième partie du livre) devant un danger courageusement affronté par des hommes de mer, sorte de fausse révélation et de rechute dans la banalité rouennaise et, en somme, avortement même de tout événement.
Étrange aussi, l’épisode de l’ami du narrateur, prêtre, qui a perdu la foi après avoir couché avec une femme. Je songe inévitablement à la figure du prêtre, autrement terrible, imaginée par Bernanos dans son génial Journal d’un curé de campagne.

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