Pierre Marcelle déconstruit (03/05/2004)

Crédits photographiques : Uriel Sinai (Getty Images).
«Ce que la vérole a épargné sera dévasté par la presse».
Karl Kraus, Dits et Contredits.


Haineuse, ridicule, puante petite crotte, dans le Libération du jour, une fois de plus signée de, pardon, maigrement meringuée par Pierre Marcelle, téléphage tard venu à la critique littéraire, on se demande bien pourquoi au vu de son éclatant talent d'écriture. Les puristes de la langue française me feront sans doute remarquer qu’en aucun cas un étron ne saurait être qualifié de «haineux» ni même de «ridicule». Ces mêmes doctes ont toutefois oublié que, lorsque l’on évoque l’inflexible Marcelle, la fécalité acquiert mystérieusement une surprenante assise ontologique. Le non-Être a ainsi une odeur méphitique et chacune des bluettes insignifiantes de Pierre Marcelle nous permet d’en humer la délicate fragrance, qui poisseusement vous colle aux narines alors même que ladite crotte est retournée au néant d'où elle n'aurait jamais dû s'évader. Quel est le sujet (cf. note), aujourd’hui, du petit devoir quotidien et mal écrit du potache indigeste ? Il éreinte Houellebecq, coupable, selon les termes de cet inquisiteur de salon, d’être passé «à l’ennemi», id est Lagardère, visage haineux de l’Argent, celui que Marcelle à n’en point douter distribue largement aux pauvres, puisqu’il est de notoriété publique que ce nouveau saint Vincent de Paul, aussi gras que l’original était étique, refuse, de la part de son employeur, toute rétribution, fût-elle symbolique, en remerciement de son noble talent d’écriture. Le romancier à succès est le nouveau vendu au grand Kapital, Houellebecq qui semble donc être devenu la nouvelle cible, l’homme à abattre, de ce tireur d’élite qu’est Marcelle qui, assurément, s’il avait été plus âgé (et plus courageux), aurait sans l’ombre d’un doute prouvé sa valeur en exerçant ses talents dans les décombres de Stalingrad pour y pourchasser le Major König !
Ce n’est d’ailleurs pas la critique de Houellebecq… Je corrige sans tarder ma phrase, celle-ci laissant malencontreusement penser que Marcelle eût pu nous livrer une imparable analyse de l’œuvre du romancier, ce dont il est parfaitement incapable. Je corrige donc ma phrase pour écrire moins noblement : ce n’est d’ailleurs pas la charge contre les procédés propres (plutôt sales) aux grands groupes multimédias (faire de l’argent, qu’y a-t-il de nouveau ?) qui me révolte que la façon scandaleuse dont l’aigrefin Marcelle associe le nom d’un autre romancier, Dantec, à sa constante préoccupation, que dis-je, à la mission christique que s’est fixé le nain : chasser le Mal, où qu’il se trouve, celui-ci ayant un nom et un visage que Marcelle, depuis qu’il les a fixés sans ciller dans quelque confortable salle de rédaction, a décidé de vendre à la vindicte, je parle bien sûr du nazisme, ce Grand Forestier que le pion journalistique observe du haut de sa falaise de papier sale. Une fois de plus donc, cet inepte journaliste (le nom qui lui conviendrait serait plutôt : «journalier») attaque Dantec, lui reprochant ses «errances néonazies» alors que la Une de Libération est consacrée à l’odieuse profanation de plus d’une centaine de tombes juives dans un cimetière alsacien.
Le procédé est bien évidemment inadmissible et honteusement sale qui fait voisiner le nom d’un écrivain connu pour son philosémitisme et sa haine du nazisme avec les actes de quelques imbéciles abreuvés de bière et de mauvaises lectures, immédiatement désignés comme étant des suppôts de la «bête immonde»… Je ne cherche en rien à excuser ces faits, justement condamnés par l’ensemble d’une classe politique française horrifiée (1) et même (il faut s’en féliciter) par quelques hautes personnalités d’origine maghrébine, comme Dalil Boubakeur, le président du CFCM.
Toutefois, je conseillerai aux journalistes une certaine prudence avant de désigner l’évident coupable à leurs yeux : quelques paumés avinés de mauvaises lectures, bien évidemment d’obédience extrémiste et, comme l’extrémisme, en France, n’est fermement condamné que lorsqu’il est de droite et certainement pas lorsqu’il provient des franges bien-pensantes de la gauche, ces mêmes crétins seront donc d’extrême droite. Il est d’ailleurs vrai, la Licra n’a pas manqué de le rappeler, que c’est la région tout entière, dans laquelle vivent ces chiens néonazis, qui est elle-même d’obédience frontiste. Fort bien, lâchons sur ces porcs irréductibles, qui de toute manière ont toujours regardé louchement de l’autre côté de la dangereuse frontière, les régiments de Dragons, ces soudards auront vite fait d’épurer ethniquement la France d’une si dérangeante population transformée en alléchant boudin !
Le nazisme justement. Voilà une réalité étiquetée, classifiée, punaisée, qui rentre admirablement dans les petites cases que nos journalistes ont préparées à l’avance pour ce genre de nouvelle, qui sur leurs écrans n’est rien de plus qu’une dépêche Reuters, aussi anonyme (peut-être même moins) que l’est l’annonce de telle agression révoltante de vieille femme ou de telle tournante sodomite. L’indignation, la colère, la révolte, ces baumes dont se moutardent nos journalistes viendront après, bien après, après l’émotion esthétique provoquée par une mise en page percutante en Une, qui n’a qu’un but, car il faut bien vivre, même à Libération, ce sanctuaire du Pauvre : faire vendre.
Encore une fois, fort bien. Mais je conseillerai toutefois à Pierre Marcelle et ses semblables (cela se peut-il ?) de se montrer circonspects. Je leur rappellerai que ces mêmes spontanés défenseurs de la tribu de Juda semblent avoir mystérieusement oublié un petit détail (si je puis dire sans que l’on m’accuse de voter Le Pen !) : ils étaient en effet beaucoup moins prompts à s’indigner lorsque, il y a quelques mois, aujourd’hui encore, des dizaines de Juifs, chaque jour, étaient molestés, insultés, frappés, non seulement par des Français d’origine maghrébine mais encore par quelques irresponsables porcs d’extrême gauche, défilant sous des pancartes qui ont sali la France. La belle affaire, alors, de rappeler, comme l’a fait Mouloud Aounit samedi, que «cette profanation ne [pouvait] cependant être dissociée des attaques répétées récemment contre les lieux de culte et symboles musulmans dans la même région», alors que les commissariats n’enregistrent même plus les agressions de Juifs perpétrées par ceux qu’un imbécile nomma prudemment des «sauvageons» et qui, plus sûrement, sont des chiens qui ne cessent d'uriner sur leurs bienfaisants protecteurs, toute cette gauche abjecte qui excuse l'intolérable sous le prétexte du progressisme culturel !
Pierre Marcelle, lave-toi les oreilles et écoute cette vérité apocalyptique : jusqu’à preuve du contraire, l’antisémitisme, aujourd’hui, en France, est bien davantage le fait d’une population maghrébine ultra-violente relayée dans les hautes sphères de la Rive Gauche par un virulent discours anti-israélien d’origine révolutionnaire que de quelques skins déjantés, dont je ne nie bien évidemment pas la crétinerie et encore moins l’existence. Marcelle, incommensurable kabbaliste ayant exercé son art du déchiffrement en regardant, des mois durant, les textes sacrés et hermétiques qui s'affichaient sur son petit écran, aurait au moins, s'il avait eu quelque once de conscience professionnelle, pu clamer ce que n'importe quel passant qui a assisté à cet odieux spectacle de Juifs molestés par des jeunes de banlieue sait de toute évidence : quiconque tolère sous ses yeux de tels agissements est un chien, rien d'autre qu'un chien.
Ce n'est cependant pas le plus grave. Marcelle, sans même paraître s'en rendre compte, s'est enfoncé plus bas dans l'abjection, lui qui semble pourtant être plus hardi que Virgile accompagnant Dante dans les plus puants et profonds malebolge. Ce n’est pas tout car, en employant la curieuse expression de «capitalisme concentrationnaire», Marcelle opère un dangereux glissement sémantique, qui tenterait de nous faire croire, non seulement que le nazisme, aujourd’hui, a changé de visage (heureusement, Marcelle finit toujours par dénicher, comme un vieux flic rompu à la routine, les sales gueules, quel que soit leur maquillage ou déguisement…) en s’incarnant dans le capital exponentiel mais encore, plus occultement, que le nazisme lui-même n’est qu’un des monstrueux surgeons du capitalisme, et en fin de compte que ce dernier est, comme le diable, nazi dès le commencement, sa ruse la plus fameuse (quelle réussite puisque le monde entier n’a strictement rien vu !) ayant été de faire croire que les Juifs, exterminés par millions par les bourreaux nazis, étaient autre chose – par exemple de doux agneaux – que de sordides loups assoiffés par l’argent.
Admirable retournement de la langue qui, comme Boutang le savait, dévoile toujours la vérité autour de laquelle l’imbécile tourne comme un fou, sans même la soupçonner ! Ce que Marcelle nous expose donc très clairement, dans un texte pourtant long de quelques lignes seulement, c’est son antisémitisme viscéral, quoique profondément refoulé, ce misérable tas de petits secrets ne pouvant s’empêcher d’exsuder par tous les pores du journaliste dès qu’il éructe sa rage.
Houellebecq, qui n’a pas l’heur, comme Marcelle, de vivre sous un pont, est donc tout ensemble un Juif qui s’ignore (bien sûr : ne déteste-t-il pas les Arabes ?) et un affreux néonazi s’il cède aux chants perfides des sirènes capitalistes et Dantec, qui assurément vend lui aussi beaucoup d’exemplaires de ses «rinçures» néo-païennes à des cochons pangermanistes et qui, en plus, dialogue avec des extrémistes (que vous faut-il de plus monsieur le Juge ?), n’est qu’un Juif recouvert (Marcelle, lui, a percé le voile) d’un trompeur velamen.
Messieurs les journalistes de Libération, Pierre Marcelle, téméraire Robespierre de la bluette, votre Une eût été plus percutante mais certes moins explicite pour vos lecteurs si, en lieu et place de tombes juives lardées de croix gammées, vous aviez gravé au couteau, sur les fronts de Michel Houellebecq et de Maurice G. Dantec, l’étoile de David.

Note
(1) Mais je ne crois pas encore avoir lu ou entendu, à l’heure qu’il est, les anathèmes provenant des rangs clairsemés des communistes, des verts ou de l’extrême gauche révolutionnaire, pourtant si prompts à stigmatiser l’homophobie et l’horrible défiguration de notre belle capitale par l’abattage de quelques platanes. Je cite in extenso l'admirable prose de Pierre Marcelle : «Après Maurice G. Dantec (Note : Qui ment partout qu'il nous a écrit, et dont les groupies en folie nous anathématisent, dans leurs bulletins paroissiaux, pour avoir pointé le silence de son éditeur Gallimard à propos de ses errances néonazies (Libération du 29/01)), son frère littéraire revendiqué, c'est au tour de Michel Houellebecq de s'égarer. On a lu ça dans les gazettes fébriles, très sollicitées par l'agent de l'écrivain qui ne cesse d'étendre le domaine de ses luttes. Ayant bien bataillé contre le fisc depuis son paradis fiscal irlandais, le sulfureux auteur cocufie son éditeur Flammarion et son ami Beigbeder, et rend les armes à Lagardère ­ Arnaud, alias le jeune (on dit : Junior) ­ qui en fait commerce en grand ; le truc a donné lieu à un show d'anthologie, exemplaire de l'extension du capitalisme concentrationnaire. Imaginez : tel un éphèbe en string jaillissant de la pièce montée à l'enterrement d'une vie de jeune fille, le marchand de canons bondit sur les planches, à Deauville et au terme d'un «séminaire management», claironne à son troupeau de cadres l'acquisition de la danseuse très chère ­ le best-seller Houellebecq, qui vient saluer. Lagardère éditera son prochain roman (via Fayard) et produira (via GMT Production) le film que l'auteur lui-même en tirera. La claque des cadres se pâme au coup du roi (on dit : synergies), dont la saga est depuis distillée (fameux scoop !) dans le micro-milieu éditorial. Cela donne, dans Livres Hebdo, que l'agent de Houellebecq «refuse de révéler le montant des à-valoir», tandis que Le Monde la joue thriller («l'idée est partie d'une conversation, en décembre 2003 dans un café de la rue Soufflot...») et cite l'AFP qui «évoque la somme d'un million d'euros». À ce prix, gageons que tous les titres et télés affidés de Lagardère ont programmé un scandale avec la promo. Ainsi l'industrie du livre prend-elle le train emballé de celles du disque et du cinéma. Houellebecq le révolté, dont les livres se promouvront désormais comme une paire de Nike, fait à l'affaire un amusant alibi. Mais il est mort.

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