La plume pichrocoline d'Assouline (02/11/2004)
Crédits photographiques : Nikon Small World.
Lecture ainsi d’un magnifique texte d’Albert Thibaudet, Cluny, présenté par Matthieu Baumier pour les éditions A contrario. Ce texte du grand critique avait d’abord paru, en 1928, dans la célèbre collection intitulée Portrait de la France. Baumier pointe justement quelques-unes des raisons qui font que cet excellent auteur est aujourd’hui tombé, comme tant d’autres, dans l’oubli : il écrivit sur Barrès et, surtout, sur Maurras le pestiféré. Baumier dès lors a bien raison de noter que «les purgatoires ne sont rien de plus que des portes d’entrée vers d’autres Cieux». Pour l’instant cependant, nous assistons plutôt à la rencontre émue entre deux ombres puisque j’ai pu constater une étonnante proximité, sur ce sujet magnifique qu’est Cluny, entre le texte de Thibaudet et celui de Pierre Boudot : le premier écrit ainsi que le «Cluny d’aujourd’hui n’est pas Cluny : c’est l’absence de Cluny, c’est le trou, la trouée, horrible et large plaie, qui fut faite à la terre par la démolition de l’un des deux Saint-Pierre», le second notant qu’il a fallu «cent cinquante ans pour que la mort du plus haut lieu du monde conquière sa plénitude : voici venir l'église du tombeau vide». Il est vrai que Pierre Boudot, dont les éditions de La Différence ont pourtant publié un émouvant recueil de textes intitulé Fureur et Espérance, est lui aussi un inconnu, qui plus est, comble de malchance, mort seulement voici quelques années : Boudot n’est donc pas dans un purgatoire mais bel et bien perdu dans les limbes, quels que soient les efforts que déploient ses amis afin de faire connaître son œuvre baroque et inclassable. Deux ombres donc, errant sur les ruines elles-mêmes absentes d’un haut lieu de la chrétienté qui n’est plus (qu’est-ce qui n’est plus ? La chrétienté ? Le haut lieu ? Ce doute grammatical, en tous les cas, tombe à point).
Pierre Assouline, au contraire de Boudot et de Thibaudet, est un nom pour le moins largement répandu dans les boudoirs parisiens où officie ce professeur de lecture, présence a fortiori renforcée depuis que le critique émérite a décidé de créer son propre blog, La république des livres, sorte de phare empêchant les lecteurs perdus dans des océans déchaînés de livres de s’échouer sur quelque amer redoutable : un mauvais livre, exhalant la puanteur d'une colonie de moules récemment crevées. Autre version, certes beaucoup moins poétique mais sans doute plus vraisemblable : le blog de Pierre Assouline est une auberge espagnole visiblement bien achalandée par Le Monde. Toutes les viandes qu’on nous sert n’étant pas forcément comestibles, le talent de maquignon d’Assouline consistera donc à nous vendre un baudet des Cévennes au prix d’un pur-sang arabe, saupoudrant le peu alléchant steak de précieuses épices birmanes. C’est alors au moyen d’un ton vif, de billets abondants et, ma foi, d’une évidente facilité de lecture (caractéristique qui, pour beaucoup, est une denrée inappréciablement rare, on se demande bien pourquoi), que le rusé charcutier va savamment enrober ses carnes : Angot se découvre ainsi des préoccupations métaphysiques, Sollers devient une espèce de Dante revenu de son périple aux Enfers et Millet (Catherine bien sûr, pas Richard) a droit d’entrée dans le panthéon des écrivains, «avec un son et une voix qui inscrivent son déballage d'organes dans la littérature». De qui se moque-t-on ? De nous, de vous, de moi... Car enfin, passe encore que notre célèbre critique évoque Celan, ou plutôt les lectures savantes que d’autres que lui réalisent sur l’une des œuvres majeures du siècle passé. Ainsi a-t-il raison de rester prudent puisqu’il paraît bien plus à l’aise en évoquant les frasques pichrocolines qui décantent dans les fûts des raouts parisiens qu’en (non-)commentant Todesfuge. Passe encore que, nous entretenant de Dostoïevski, Assouline nous livre de remarquables et futiles opinions sur la traduction d’André Markowicz pour Babel, jugée par lui-même comme étant la meilleure de toutes, ce dont je me montrerais moins assuré, n’étant pas un spécialiste de la langue russe, comme Assouline au demeurant et me méfiant par dessus tout des phénomènes de mode. Il y a peu, les éloges couvraient ainsi les traductions de la Bible, hirsutes et abominables de parti-pris et d’ignorance crasse, dues aux inspirations laïcardes de curieux écrivains soi-disant incontournables : cela donnait Florian Zeller ou son équivalent, déjà peu maître de sa propre langue, traduisant sans peine quelque chef-d’œuvre sacré rédigé en vieux massorétique ou Isabelle Alonso nous expliquant qu’Ève était la première femme battue de l’histoire. Vous ne hurlez pas de rire ? Vous avez bien raison : les différents livres de la Bible se vendent paraît-il comme des petits pains, achetés sans doute par des lectrices qui confondent la Genèse avec un numéro pilote de Elle. Passe donc ces filouteries et quelques autres, du même tonneau percé. Ce que je ne puis en revanche comprendre, c’est pourquoi, systématiquement, Assouline musèle avec bien peu de panache (c’est là un euphémisme…) celles et ceux qui ont le malheur de le critiquer, votre serviteur vous vous en doutez. La République n’admet donc aucune critique, polie et argumentée, venant des rangs du bas-peuple néanmoins amoureux des lettres comme le sont le Roi et sa cour ? Apparemment non puisque, il faut se le dire, dans le monde prétendument lettré d’Assouline, la République dégage une curieuse odeur de viande desséchée : celle qui devait s’exhaler des celliers miteux des sovkhozes russes lorsque, par chance, ils étaient épargnés par les rats. Bref, Assouline écrit sur tout, je l’ai déjà dit et ne m’attarde donc pas sur la polygraphique faculté du critique, et c’est sans doute en raison d’un oubli lamentable, qu’il va d’ailleurs vite réparer en me lisant en cachette (traîtresses statistiques !), que nous n’apprenons pas quelles étaient les andouilles préférées d’Ernest Renan qui, comme nous le savons, s’en délectait lorsque, sur son rocher de l’île de Bréhat, il contemplait le large en méditant, jetant aux goélands les restes indigestes de son festin de Guéméné. Assouline, lui, a une autre technique, qu’il ne sait pas devoir, fort indirectement il est vrai, à Sainte-Beuve, grand amateur de promenades littéraires : il contemple son large nombril et commence à tourner autour ; le parcours est certes long, l’organe étant démesuré. Quelle est la prise remarquable du chasseur ? Un sympathique bardot avec Stevenson ? De secrets paysages révélés par Julien Gracq ? Quelque nouvelle espèce de cicindèle avec Ernst Jünger ? Non, rien de plus que deux ou trois petites phrases de la taille d’un insecte qui, en guise de méthode savante de lecture, ne décortiqueront pas l’œuvre remarquable de Sollers mais nous apprendront néanmoins que l’homme, quant au fait que le Guide du routard consacré à l’éternelle Venise ne mentionne pas le nom de l’illustre romancier, demeure intraitable… Assouline écrit donc sur tout sauf… sur la littérature, comme bien de ses congénères, journalistes avant que d’être des lecteurs cultivés, soit, je précise ce qui pourrait rester flou dans l’esprit de certains : de vieilles badernes qui, sans avoir fait aucune guerre, arborent pourtant, lors de somptueux cocktails où il faut montrer patte blanche et avec une prétention de Kadhafi, toutes les médailles possibles de gloire et de mérite, de prompts écrivailleurs qui, sans avoir écrit un seul livre, fût-il de critique (car celle-ci, dans mon esprit, est bien évidemment une création à part entière lorsqu’elle s’enfonce profondément dans une œuvre), nous livrent leur avis supralumineux, et rien d’autre hélas, sur tel ou tel torchon populaire tricoté par Christine Angot ou Catherine Millet. En somme, lire Assouline peut avoir quelque intérêt, je ne le conteste pas, à condition de s’entendre sur la nature de ce dernier : non pas celui de se cultiver ou même de découvrir certaines œuvres littéraires remarquables mais celui, plutôt, d’être incollable sur la dernière mode en guise de génuflexion devant le pape de la maison Gallimard ou encore de savoir correctement placer une oreille compatissante et experte contre la planche la plus dégoûtante et graisseuse d’une arrière-cuisine de restaurant hongro-vietnamien. On ne me fera pas croire qu’un journaliste qui travaille depuis plus de vingt ans, comme lui-même le souligne sans rire, dans ce milieu de fesse-mathieux mité jusqu’à l’os, ne s’y connaît pas en matière de perruques, celle, érigée au rang de véritable légende urbaine, d’un des papes de la littérature française qu’il nomme en dégoulinant de componction mais celles, aussi, qui dans l’argot des artisans désignent d’honnêtes petites magouilles. Petites, toutes petites magouilles certes, pas même littéraires, simplement consensuelles, donc journalistiques, entre amis en somme. D’ores et déjà, nous attendons de voir la charmante dentelle dans laquelle Assouline emmaillotera probablement le frais cadavre d’ADG en faisant, guipure bien-pensante oblige, la part belle à l’auteur de Notre frère qui êtes odieux tout en prenant grand soin, bien entendu, de se démarquer de ses affreuses idées honteusement réactionnaires.
PS : Il est vingt heures et vingt-quatre minutes et je ne me suis pas trompé dans mon pronostic. J'ajoute ces quelques mots après avoir visité le site du pichrocolin belluaire. Assouline a en effet écrit un pauvre petit papier sur ADG, à comparer avec celui signé par Olivier Germain, en... reprenant la plupart des termes de la dépêche AFP parue ce matin, y compris l'anecdote sur la signification de son pseudonyme et la référence à Jean-Patrick Manchette ! PITOYABLE, Assouline.
Note
(1) Mary Burnet et autres contes, aux éditions nantaises Le Passeur.
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