Les Émigrants de W. G. Sebald (29/09/2005)

Crédits photographiques : Finbarr O'Reilly (Reuters).
Chacun des quatre récits qui composent Les Émigrants (Die Ausgewanderten, Gallimard, coll. Folio, 2003) de W. G. Sebald est en tout point remarquable mais, si je devais ne retenir que quelques lignes de ce livre (admirablement traduites, soulignons-le, par Patrick Charbonneau, également traducteur de Vertiges et, à paraître chez Actes Sud, de Séjours à la campagne), ce sont celles-ci, extraites du texte, le dernier des quatre, consacré à Max Ferber, où l’auteur écrit : «Il faisait une journée aussi limpide qu’à l’époque et quand, au bord de l’épuisement, j’eus atteint le sommet, je vis une nouvelle fois le paysage du Léman, absolument inchangé, semblait-il, et immobile, si l’on excepte les rares bateaux minuscules qui avec leur lenteur inimaginable traçaient leurs sillages blancs sur le bleu profond des eaux et, sur la rive opposée, les trains qui passaient par intervalles dans un sens ou dans l’autre. Ce monde à la fois proche et repoussé à une distance inaccessible, dit Ferber, l’avait attiré avec une telle force qu’il avait craint de devoir s’y précipiter, et l’aurait sans doute fait si, tout à coup – like someone who’s popped out of the bloody ground –, ne s’était trouvé devant lui un homme d’une soixantaine d’années tenant un grand filet à papillons de gaze blanche et qui, dans un anglais aussi élégant qu’en définitive impossible à identifier, l’avait prévenu qu’il était temps de songer à redescendre si l’on voulait encore arriver à Montreux pour le dîner» (p. 227). Pourquoi cette dilection pour ces quelques lignes que l’intrusion, coutumière sous la plume de Sebald, de phrases en anglais non traduites, ne parvient sans doute pas à tirer de l’insignifiance ? Justement parce que s’y joue le drame même de l’insignifiance et, sans vouloir trop m’amuser avec de faciles jeux de mots, l’insignifiance de tout drame, la banalité de ce qui se dit dans ce court passage étant comme renforcée par l’intrusion proprement surnaturelle de l’étrange personnage du chasseur de papillons, qui à vrai dire semble parcourir les pages du livre tout entier de Sebald, à la recherche d’une mystérieuse créature que, bien sûr, il ne parviendra jamais à capturer.
Le fait, aussi, que ces phrases, lues alors que je marchai, un soir d'été, dans le décor irréel de Molitg-les-Bains, me rappellent une vieille tentation qui fut mienne il y a quelques années, tentation hideuse comme une hydre qui me saisit à la gorge dans le même paysage ou peu s’en faut (voire la même région) que décrit Sebald, tentation surmontée, non... repoussée, éloignée, dans les larmes et les hurlements lancés vers le ciel d'un magnifique bleu sans pourtant que j’aperçoive le moindre chasseur de papillons, ce fait disais-je, est purement anecdotique, terriblement banal et, en somme, d’aucune valeur.

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