Un prêtre marié de Jules Barbey d’Aurevilly, par Germain Souchet (15/03/2009)

Photo and caption by Mikael Stiller (National Geographic Photo Contest).
«Il me dit : «Va, et tu diras à ce peuple : Écoutez, écoutez et ne comprenez pas; regardez, regardez, et ne discernez pas. Appesantis le cœur de ce peuple, rends-le dur d’oreille, englue-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, que son cœur ne comprenne, qu’il ne se convertisse et ne soit guéri».
Isaïe (6, 9-10).

«Rien ne remplacera jamais le ministère des prêtres au cœur de l’Église ! Rien ne remplacera jamais une Messe pour le Salut du monde !»
Benoît XVI, homélie du 13 septembre 2008
Messe célébrée sur l’esplanade des Invalides.

«Est-il une joie plus grande que celle de souffrir pour votre amour ?»
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, Manuscrits autobiographiques.

«L’essence de l’amour n’est-elle pas de souffrir pour l’objet aimé, plus qu’il ne peut souffrir et même quand il ne souffre pas ?...»
J. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié.


C’est en 1855, année marquée par son retour à la pratique religieuse, que Jules Barbey d’Aurevilly entama la rédaction d’un roman intitulé Le Château des Soufflets, avec la conviction que ce travail serait rapidement achevé. Pourtant, ce ne fut que neuf ans plus tard, en 1864, qu’il termina Un prêtre marié, œuvre dense et d’une infinie richesse, tant littéraire que religieuse, et qui mérite peut-être plus encore que ses autres récits le titre de roman catholique. Car si la réflexion spirituelle et les références chrétiennes habitent tous ses textes, si le culte et la liturgie catholiques y sont souvent dépeints dans leur plus imposante splendeur, si, enfin, la figure du prêtre y est omniprésente, c’est seulement avec ce roman de maturité que Barbey explore en profondeur des thématiques proprement théologiques comme l’endurcissement des cœurs, l’échec de la prédication, la souffrance rédemptrice et la sacralité absolue de l’eucharistie. Et on ne peut s’empêcher de penser que c’est sa conversion, selon le terme consacré, qui explique ce qui pourrait ressembler à une anomalie chez cet auteur que l’on sait fasciné par le Mal, à savoir que la figure du Bien qu’il y décrit l’emporte, pour une fois, en grandeur et en intérêt sur celle du serviteur de Satan.
Fidèle à son habitude, Barbey nous fait entrer dans le récit de la vie de Jean Gourgue, dit Sombreval, prêtre défroqué, marié et père d’une jeune femme nommée Calixte, par l’intermédiaire d’un conteur, un certain Rollon Langrune, sorte d’autoportrait littéraire, mélange de dandy et de pirate sentant bon ses racines normandes, dont le narrateur avoue ne rendre qu’imparfaitement, dans ses longues pages, la puissance des paroles. L’introduction est superbement écrite et nous plonge aussitôt dans une atmosphère étrange et merveilleuse, mais le procédé, il faut en convenir, a quelque chose d’un peu artificiel, car ce n’est qu’à la toute fin du roman que ces personnages réapparaîtront, pour une conclusion un brin lapidaire (1). Qu’il soit permis ici de formuler une seconde – et donc dernière – critique qui, dans une certaine mesure, rejoint la première : si la langue est, comme toujours, d’une exceptionnelle beauté, le Connétable des lettres, perfectionniste maladif, pèche par moments par excès de préciosité, alourdissant son texte, qui n’en avait pas besoin, de références à des œuvres ou à des événements peu connus et donc difficilement compréhensibles par le lecteur contemporain – à moins que ce dernier ne souffre d’un manque de culture savamment enseigné et inculqué par l’éducation dite nationale.
À ces deux réserves près, on ne peut que succomber à la finesse de l’écriture aurevillienne, à la justesse et à la subtilité des sentiments décrits, en particulier dans la relation tendre et ambiguë qu’entretiennent Néel de Néhou et Calixte Sombreval. Et, si le dénouement est connu d’avance, si le lecteur comprend dès les premières pages que les trois protagonistes d’Un prêtre marié mourront tragiquement, ne pouvant échapper à la faute originelle de Jean Gourgue, si l’intérêt de ce roman – autre constante chez Barbey – réside bien davantage dans la façon dont on arrive à ce dénouement, il faut ici mettre en exergue la maîtrise consommée de l’art du récit, dont le sens et la portée sont rehaussés par deux coups de théâtre, la révélation de l’appartenance de Calixte à l’ordre du Carmel et la décision tardive, énigmatique et finalement tragique de Sombreval de reprendre l’habit de prêtre. Le premier donne une tout autre dimension à l’action de Calixte, tandis que le second ouvre la voie à une réflexion puissante sur la sacralité de l’hostie et du vin consacrés.
En fin de compte, Un prêtre marié s’impose incontestablement comme le chef-d’œuvre théologique de l’auteur – Léon Bloy ne tarissait pas d’éloges à son sujet –, mais cette force est peut-être aussi sa faiblesse : à une âme peu religieuse, il paraîtra ennuyeux; à un lecteur sans culture catholique, il restera totalement incompréhensible; enfin, à un esprit strictement rationaliste il deviendra rapidement une abomination, un exemple horrifiant de l’obscurantisme chrétien… Puisse cette modeste analyse en révéler tout au moins la profondeur, à défaut de le faire aimer !

Jean Gourgue, dit Sombreval : prêtre sacrilège et père aimant

Curieux titre, finalement, que celui d’Un prêtre marié : c’est en effet un prêtre veuf et un prêtre père d’une fille, la virginale Calixte, que le lecteur côtoie tout au long du récit. Choix étrange, donc, mais pas innocent, car c’est bien le mariage de Sombreval, contracté au mépris du sceau indélébile inscrit par l’Esprit Saint au plus profond de son être le jour de son ordination sacerdotale, qui constitue le sacrilège originel à partir duquel sa vie va s’enfoncer irrémédiablement dans les ténèbres du péché.
On comprend donc que, dans ce roman, tout ce qui touche à Sombreval soit marqué par l’odeur du souffre. Son physique, pour commencer, n’a rien de celui d’un doux prêtre : de constitution robuste, imposante même, il est, selon le conteur, «laid» : «ses épaules, un peu voûtées, touch[ent] ses oreilles»; il a une «nuque fortement animale, les pommettes saillantes, les mains velues, le rictus, l’aspect noir et cynique» d’un orang-outan. Sa «peau de bête» et sa «voix caverneuse» complètent ce rapide portrait, qui lui vaut d’être comparé à un Satyre… Guère de nuances, donc, chez cette créature que l’on croirait envoyée par le Diable en personne, et dont on s’étonne qu’elle ait un jour revêtu la soutane.
Si l’habit ne fait pas le moine, selon l’expression populaire, il semblerait bien qu’il fasse le démon. Car les nouvelles activités de ce prêtre marié ne vont faire que confirmer la première impression laissée par son apparence physique : installé avec sa fille au château du Quesnay, il passe le plus clair de son temps dans son laboratoire de chimiste, aménagé sous les combles, faisant tourner à plein régime ses fourneaux qui, la nuit, couronnent d’une sinistre lueur rouge le toit de sa demeure. Quand il apparaît, c’est couvert de sueur et de suie, et cette noirceur bien visible ne fait rien pour dissiper l’horreur qu’il inspire aux habitants de la contrée.
Au-delà de ce recours, que d’aucuns jugeront facile mais dont on ne peut nier l’efficacité, aux imageries populaires de l’Enfer, Barbey développe patiemment une idée beaucoup plus forte : le sacrilège commis par Sombreval ne peut que semer, inexorablement, la mort et la destruction autour de lui. La nouvelle de son mariage tue en effet son père; la découverte de son ministère sacré enlève la vie à sa femme. Pour défendre l’honneur de sa fille, souillé en réalité par sa forfaiture tout autant que par les ignobles accusations de villageois abrutis, il n’hésite pas à tuer la mendiante Julie la Gamase. Et, quand sa fille découvre que son repentir est faux et qu’il s’apprête à commettre quotidiennement une consécration impie, elle succombe à son tour. Sa dernière victime est son ancienne nourrice, la Grande Malgaigne, personnage fascinant sur lequel nous reviendrons, et qu’il renverse violemment devant la tombe profanée de Calixte, ivre de douleur et de rage. Parricide, matricide, infanticide et homicide, Jean Gourgue ne pouvait terminer sa triste existence qu’en s’autodétruisant, ce qu’il fait, peu de temps après cette scène terrifiante, en plongeant dans l’étang du Quesnay. Ses crimes, épouvantables, et son suicide final doivent être compris comme n’étant que la conséquence logique du déicide – le mot est de l’auteur – originel.
Nul doute qu’il soit difficile pour notre époque de comprendre en quoi le mariage d’un prêtre peut mener à la destruction du monde – rien de moins. Ce lourdaud de Zola, déjà, croyait pertinent d’écrire, dans un article de 1865, la banalité suivante, que l’on pourrait retrouver sous la plume de biens des critiques littéraires contemporains : «[…] Le grand débat porte sur le sujet même du livre, sur ce mariage du prêtre qui paraît un si gros sacrilège à M. Barbey d’Aurevilly, et qui me semble, à moi, un fait naturel, très humain en lui-même, ayant lieu dans les religions sans que les intérêts du ciel en souffrent».
L’abbé Méautis, dans un des développements les plus profonds de ce roman, fait mieux que lui répondre. Il est nécessaire ici de le citer longuement : «[…] Un prêtre marié, devenu impie – […] un homme qui n’avait pas seulement commis un grand crime, mais qui avait essayé de le consacrer par une loi, et, comme on dit dans la langue d’un monde athée, qui l’avait légalisé ! Or, […] pour les âmes fidèles, le prêtre marié est plus révoltant et plus criminel que le prêtre tombé, n’importe dans quelle fange ! plus criminel que le prêtre concubinaire lui-même, contre lequel tous les conciles ont prononcé tant d’anathèmes et de châtiments. […] Ce ne sont pas les crimes de la chair, mais ceux de l’esprit, qui sont les plus grands. Un prêtre tombé est un grand pécheur qui peut se relever, en s’appuyant sur la loi qu’il a méconnue, mais un prêtre marié a corrompu jusqu’à la notion de la loi, en en invoquant une à l’ombre de laquelle il a coulé son crime, et en s’établissant, grâce à cette loi, dans son péché comme dans une forteresse».
Très justement, Barbey oppose donc les lois de ce monde à la Loi, la loi divine et immuable qu’aucune loi humaine ne pourra jamais effacer. Le drame de Sombreval, au fond, est de ne pas comprendre qu’il ne lui suffit pas de ne plus croire en Dieu pour que Celui-ci cesse d’exister. Sombreval tue sans remords – car il est athée. Il est prêt à singer le repentir et la pénitence sans penser offenser Dieu – car il est athée. Mais ce faisant, il se ferme définitivement les portes du bonheur véritable et court à sa perte. Barbey met ainsi en exergue un paradoxe apparent : si l’Homme est libre de croire ou non, choisir de ne pas croire le prive de sa liberté véritable. Pour l’auteur, l’athéisme n’est donc pas une option, car il nie délibérément la Vérité et ne peut dès lors conduire qu’à la Mort.
L’obstination de Sombreval à refuser cette Vérité, qui s’impose à lui par tous les moyens, va devenir un des thèmes centraux de l’ouvrage, que nous analyserons dans un instant. Mais auparavant, arrêtons-nous sur ce qui est finalement le plus effrayant chez Jean Gourgue, dit Sombreval : ce ne sont ni son apostasie, ni ses mensonges, ni même ses crimes, mais bien son amour, l’amour qu’il porte à sa fille Calixte.
Car Sombreval est un père aimant. Il est même plus qu’un père, puisqu’il a pour cette jeune femme à la constitution débile, sans cesse menacée par quelque crise catatonique, des tendresses inépuisables, jamais impatientées, des tendresses de mère. Implacable, violent parfois, face à un monde qui le déteste et le craint, il se transforme en une créature d’une infinie douceur dès qu’il s’agit de venir au secours de sa fille. Mais cet amour, s’il est noble, a quelque chose de malsain, car il n’évite pas l’écueil de l’idolâtrie qui menace tout amour maternel : le thème est récurrent sous la plume de l’auteur et dans les propos de son personnage, comme quand il qualifie Calixte «d’orgueil de sa vie», qu’il confesse à Néel «être comme tous les idolâtres enragé de parer [s]on idole» de bijoux qu’elle ne porte jamais, sa règle le lui interdisant, ou enfin quand il dit encore plus explicitement à l’abbé Méautis que «cette enfant […] est [s]on Dieu et [s]on Paradis». Ce mot, il l’avait déjà prononcé en présence de sa fille en lui disant sans ambages : «Dieu, c’est toi !».
Dès lors, l’amour même qu’il porte à sa fille va devenir un obstacle à son salut. Terrifié à l’idée de la perdre, il va s’acharner à chercher une réponse chimique à sa souffrance spirituelle. Ne trouvant pas – comment aurait-il pu ? –, sa rage et son ressentiment ne vont faire qu’augmenter et le pousser à son impiété finale, cette repentance de façade, cette pénitence hypocrite qu’il accomplit avec férocité, comme en témoignent les traces de sang laissées sur le mur de sa cellule au séminaire de Coutances, œuvre d’une discipline maniée avec un zèle insensé, et qui, in fine, tuera sa fille au lieu de la sauver. La leçon, terrible, que Barbey nous enseigne, est que l’amour, n’en déplaise à Sombreval, n’est pas «plus fort que la mort» s’il ne s’appuie sur l’amour rédempteur de Dieu. Jean Gourgue avait beau maîtriser toutes les connaissances chimiques et médicales de son temps, et peut-être plus encore, il avait beau être prêt à se sacrifier physiquement pour sa fille, n’ayant pas en lui l’amour vivifiant du Christ, cela ne lui servit de rien.
Personnage plus complexe qu’on ne pouvait le penser de prime abord, Sombreval peut d’une certaine manière être vu – ironiquement – comme l’incarnation de son époque : comme elle, il est issu des Lumières et de la Révolution; comme elle, il est persuadé que l’amour humain se suffit à lui-même. Comme elle, il finit par tuer ce qu’il aime le plus.

Un roman sur l’endurcissement du cœur

Thème biblique majeur, que l’on retrouve dès le récit de la sortie d’Égypte, et que seul le Christ parviendra à vaincre par sa mort et sa résurrection, l’endurcissement des cœurs se devait d’occuper une place de choix dans ce roman religieux. C’est naturellement du cœur de Sombreval dont il s’agit avant tout, de ce cœur rebelle qui refuse chacun des signes que la Providence lui envoie pour faire fléchir son orgueilleuse raison, et qui le fait s’exclamer un jour, en frappant sa poitrine de sa main : «Je crois à moi. Je crois à ce qu’il y a là-dedans».
Étrangement, les premiers avertissements lui ont été lancés par la Malgaigne, qui, dans sa jeunesse, pratiquait l’art interdit de la divination. Avant même qu’il n’entre au séminaire, elle avait regardé son avenir dans quelque potion de sorcière et lui avait dit «qu’elle le voyait prêtre – puis marié – et puis possesseur du Quesnay […] – enfin que l’eau lui serait funeste et qu’il y trouverait sa fin». On sait que chacune de ces prédictions finissent par se réaliser, ce qui d’ailleurs soulève quelque problème : romancier catholique, Barbey ne peut s’empêcher, comme dans L’Ensorcelée, d’avoir recours à ces vieilles superstitions encore si présentes dans les campagnes de son temps, au risque d’alimenter la critique facile des rationalistes les plus acharnés. Conscient, sans doute, de cette faiblesse, il la résout doublement. D’abord, en prenant bien soin d’affirmer clairement, et à plusieurs reprises, que l’Église condamne le recours aux charmes comme étant d’inspiration satanique. L’abbé Méautis, notamment, se charge de tancer cette vieille impénitente, pourtant rentrée dans le rang d’une pratique religieuse fidèle, mais qui ne manque jamais de faire état de ce que ses visions ou ses voix lui ont appris. Sur son lit de mort, Calixte ira dans le même sens : «Nous avons eu tort d’écouter la Malgaigne et de croire à ses superstitions. Nous étions des enfants. L’Église défend ces choses». Mais surtout, Barbey montre très subtilement toute l’ambiguïté du rôle joué par les prédictions de la vieille femme, qui semblent davantage guider les événements, les précipiter vers un dénouement tragique, que les anticiper vraiment. Apparaissant à tous les tournants de la vie de Jean Gourgue, elle personnifie tout à la fois sa conscience et la réprobation d’une contrée restée profondément chrétienne. Insaisissable comme la destinée, implacable comme le Jugement, cette Norne mystérieuse, cette grande fileuse qui décide de se vêtir de noir pour porter, de son vivant, le deuil de son «Jeannotin», avertit en fait bien plus qu’elle ne prédit; ce sont ensuite le trouble qu’elle laisse, même chez cet athée de Sombreval, et le manque de confiance en Dieu qui se chargent de transformer ses délires en prophéties auto-réalisatrices.
Ne tenant pas compte des mises en garde de sa mère de lait, Sombreval écoute encore moins les condamnations répétées d’un autre personnage tout aussi inflexible : la contrée. En traitant le village, les paysans, la petite société rurale d’Ancien Régime comme un être vivant à part entière, Barbey nous rappelle qu’il n’est pas un individualiste, et qu’il s’inscrit dans la tradition de quelques prophètes du passé contre-révolutionnaires pour qui l’Homme en tant que tel n’existe pas. Cette contrée se manifeste toujours en bloc, en attroupement, comme à la sortie de la première messe à laquelle le prêtre marié et sa fille viennent d’assister, et toujours de manière hostile. La «voix de la contrée – cet écho fait de mille échos, qui dit tant de choses», va d’abord gronder contre l’installation de Jean Gourgue, cet ancien gueux, au château du Quesnay, qui fut dans un passé récent la maison des maîtres, de la grande noblesse du pays. Ce qui serait aujourd’hui vu comme un exemple de promotion sociale est perçu par la Normandie profonde de ce roman, et par Barbey lui-même, comme le symbole d’une société marchant à front renversé, d’un monde à l’envers pour lequel plus rien n’est sacré. Par la suite, la rumeur va s’attaquer directement à l’honneur de Calixte, «la fille au prêtre», comme le disent avec une certaine horreur ces paysans demeurés religieux, entretenant ainsi la fureur de Sombreval et la violence de Néel, tous deux confrontés à «l’ennemi invisible, cette chose sans visage qu’on appelle le bruit public».
Certes, ces accusations infâmes, jamais proférées devant Sombreval lui-même, sauf par Julie la Gamase qui le paye de sa vie, ont quelque chose de lâche et de détestable, car elles veulent salir ce qu’elles ne peuvent détruire. Pour autant, Barbey cherche à nous faire comprendre que c’est bien cette contrée qui dit vrai, et que la virulence et l’injustice apparente dont elle fait preuve ne sont que la conséquence des actes de Jean Gourgue : lui, le sacrilège et le parvenu, vient provoquer leur foi et leur attachement à un ordre social révolu, alors que sa fortune lui aurait permis de résider où bon lui semblait. C’est donc par orgueil qu’il revient sur les lieux de son enfance et de son ministère, par goût de la provocation et de la bravade. Cette attitude, si elle a quelque chose de fascinant, n’aura finalement pour effet que d’aggraver les maux de Calixte, qui souffre de la juste réprobation dont son père est l’objet, et de renforcer encore l’entêtement tragique de Sombreval à vouloir triompher seul contre tous – contre la Malgaigne, contre la contrée, contre Dieu lui-même.
Et finalement, contre sa fille Calixte, l’objet de son amour désordonné. Se disant prêt à tout pour la sauver, y compris à «donner[…] [s]on âme à l’enfer pour cela», s’il croyait «à la justice de Dieu et à l’éternité des peines» – quelle folie, car Dieu ne cherche au contraire que notre salut ! –, il lui refuse pourtant la seule chose qui pourrait la consoler, à savoir une conversion authentique et la reprise de son ministère sacré. La souffrance de sa fille peut en quelque sorte être vue comme faisant partie de la stratégie mystérieuse du Très Haut pour vaincre ce cœur peccamineux. C’est en tout cas ce qu’indique clairement l’auteur, quand il écrit que «cette enfant […] était peut-être tout son remords, toute sa conscience, une conscience que Dieu lui avait placée dans ses entrailles de père pour remplacer cette autre qu’il avait étouffée en lui». Car il lui aurait suffi de répondre aux prières de sa Calixte pour qu’elle soit enfin déchargée du terrible fardeau que constituait à ses yeux sa propre naissance. La fin, hélas, sera tout autre : refusant de s’en remettre à Dieu, Sombreval fera semblant de s’en remettre à Dieu et ce sont bien ses agissements, une fois révélés, et non une quelconque punition venant d’une divinité aveugle et cruelle, qui provoqueront ce qu’il avait toujours redouté : la mort de sa fille.
Dans sa lutte absurde et sans issue contre Dieu, Sombreval réussira à attirer, presque à son insu, le jeune Néel de Néhou. Transi d’amour pour Calixte, ce fils d’émigré va, à force de fréquenter le Quesnay, évité par toute la population, y compris par les pauvres qui refuseront de recevoir l’aumône de la «fille au prêtre», devenir le seul ami de cette étrange famille. Sans doute troublée par ce tempérament fougueux et parfois d’une violence extrême, Calixte ne sera pour autant jamais éprise du fils du vicomte Éphrem, ne se détournant pas des vœux qu’elle a prononcés d’être «l’épouse de Notre Seigneur Jésus-Christ». Elle révèle d’ailleurs assez tôt à celui qu’elle considère comme un frère qu’elle est une carmélite, dispensée temporairement d’entrer au couvent, un secret que, naturellement, son père ignore. C’est avec force et sérénité qu’elle explique quelle mission lui a été confiée par sa supérieure et par l’abbé Hugon : «L’Église, dont les entrailles savent s’ouvrir et se dilater avec une inépuisable tendresse, a été pour moi plus qu’une mère. Elle a accepté ma foi et m’a fait participer aux mérites de ceux qu’elle enchaîne dans des liens sacrés, mais elle n’a pas voulu me séparer de mon père, croyant, dans sa sublime intelligence et dans sa sublime charité, que je pourrais mieux, en restant près de lui, le ramener à Dieu et sauver son âme».
Confronté à cette révélation, pour lui terrible, Néel s’obstine à refuser l’irrévocabilité des vœux prononcés par cette jeune femme qu’il aime si intensément et qu’il désire épouser. Une espérance qui sera résolument entretenue par Sombreval – toujours lui ! – persuadé que l’amour d’un mari pourrait réussir là où celui d’un père avait échoué. Ignorant la portée réelle de ses paroles, il déclare un soir à Néel : «Nous avons, vous pour rival, et moi pour ennemi, le Dieu de Calixte, le Dieu de la Croix». D’éducation et sans conteste de foi catholique, Néel est sans cesse tiraillé entre le respect des vœux sacrés de Calixte et la folle volonté d’obtenir coûte que coûte sa main un jour. Il va jusqu’à rompre ses fiançailles avec la jeune Bernardine de Lieusaint, provoquant ainsi une brouille entre leurs pères respectifs, amis de toujours et anciens compagnons d’exil. Mais surtout, on ne peut s’empêcher de penser que ce qui détourne Néel de son devoir de chrétien, qui serait de révéler l’imposture de la fausse pénitence de Sombreval, n’est pas tant le désir d’épargner à Calixte une atroce souffrance, que le secret espoir de la voir enfin renoncer à la vie consacrée, croyant son père arraché à la damnation éternelle. Après avoir accompagné ce dernier par-delà la lande du Quesnay, il revient chez Calixte et, se laissant emporter par l’émotion du moment, lui demande de lui accorder «cette vie que vous m’avez refusée et que vous n’avez peut-être plus de raison pour me refuser, à présent que Dieu vous a exaucée. Vous ne voudrez peut-être pas m’être plus cruelle que ne vous l’aura été Dieu». À cela, sœur Calixte répond par cette superbe interrogation : «[…] Parce que Dieu, qui ne m’avait rien promis, m’a tout accordé, dois-je aussi être assez ingrate pour lui reprendre le peu que je lui ai promis ?». La fidélité de Calixte à ses vœux finira d’exaspérer Néel, qui n’acceptera que sur le lit de mort de la jeune carmélite d’épouser Bernardine, apaisant quelque peu l’agonie de cette âme pure, non sans l’avoir éprouvée jusqu’au bout, lui répétant qu’il mourrait avec elle, comme l’avait prédit la Malgaigne.
On le voit, le personnage de Néel a une double utilité pour l’auteur : montrer que le Mal est contagieux, car c’est bien poussé par Sombreval que le jeune homme s’est continuellement mis en travers du chemin de sanctification emprunté par Calixte; et insister sur le fait que même l’amour, s’il n’est pas purifié dans l’Amour divin, peut endurcir les cœurs et semer la discorde et le malheur.

Le portrait d’une sainte

L’œuvre de Barbey d’Aurevilly est marquée par un paradoxe bien connu : catholique parfois intransigeant, il semble trouver dans le Mal plus d’ampleur, plus de piquant que dans la fidélité au Bien. On sait qu’il avait pour projet d’écrire, après ses six Diaboliques, six Célestes qui devaient leur répondre dans un intéressant jeu de miroirs – du moins l’annonçait-il lui-même dans la préface à son recueil de nouvelles. On sait également qu’il ne le fit jamais, jugeant peut-être le sujet trop fade. En y regardant de plus près, on serait tenté de dire qu’il l’avait en réalité déjà magnifiquement épuisé avec Un prêtre marié : la seule et unique Céleste que ce croyant pouvait décrire était en effet Calixte Sombreval, dont la sublime beauté réside dans son destin de vierge martyre, figure par excellence de l’héroïsme chrétien.
C’est avec beaucoup de subtilité que Barbey nous révèle la profondeur véritable de son personnage. Dans un premier temps, Calixte apparaît en effet comme une jeune femme aimée – de son père et, surtout, de Néel de Néhou, ébloui par sa première apparition. Le lecteur pourrait croire, le temps de quelques pages, que Barbey s’apprête à lui conter une histoire d’amour tragique, noble et pure, mais finalement assez commune dans la littérature française du XIXe siècle. En fait, il découvre progressivement que la fille de Sombreval est totalement dénuée de toute forme de sensualité : malade, elle est présentée comme fragile, pâle, aux cheveux simplement relevés droit, les coiffures sophistiquées faites de torsions n’étant pas supportées par ses «tempes douloureuses». À ce physique quelque peu austère – il n’est jamais fait mention de courbes, de rondeurs féminines – s’ajoute le fait qu’elle ne porte aucune parure, aucun bijou. Seul un ornement rompt avec cette sobriété excessive : un ruban écarlate, porté au milieu de son front. Il faut dire que, dès sa naissance, la malheureuse enfant née de l’impiété avait eu ce front d’albâtre marqué d’une croix rougissant au moindre effort et faisant l’horreur de son père. Son bandeau de velours, destiné à épargner à Sombreval cette vue pénible, ressemble pourtant à la «couronne d’un front martyr», donnant à Calixte l’apparence des «Méduses chrétiennes dont le front ouvert verse du vrai sang sous les épines du couronnement mystique». En somme, la jeune femme est dotée d’une incontestable beauté, mais de cette «beauté chrétienne, [de cette] double poésie, [de cette] double vertu de l’Innocence et de l’Expiation», d’une beauté, enfin, qui «se redoublait de tout ce qui la faisait souffrir».
On comprend bien que ce personnage n’a rien d’ordinaire. Aussi, quand elle confie à Néel qu’elle est une religieuse, on réalise que Barbey n’avait pas vraiment d’autre choix : la grandeur morale presque effrayante de Calixte, son adhésion résolue à son martyr, qui est la cause même de ses terribles souffrances physiques, avaient en quelque sorte besoin de ce cadre institutionnel et sacré pour ne pas dériver vers la morbidité. Dès lors, la perspective du roman en est radicalement changée. Calixte ne souffre pas pour le plaisir de souffrir, mais parce que cela accompagne nécessairement son ministère de carmélite. On l’a déjà évoqué : l’Église lui a confié la mission d’intercéder pour son père afin qu’il enterre sa vie de péché et qu’il renaisse à sa vocation sacerdotale. C’est au moment de cette confidence en forme de coup de théâtre que l’auteur écrit les quelques lignes qui donnent tout leur sens à l’action et au long calvaire de la jeune femme – et donc au roman lui-même : «Et Calixte avait dignement compris le grand acte qu’on attendait d’elle. Auprès de ce père qui ne croyait plus, la carmélite du Quesnay devait se trouver dans un désert plus profond que celui dont l’entrée lui était interdite. […] Elle ne devait pénétrer dans ce cloître, dont elle était exilée, qu’après la mort de Sombreval, s’il persistait dans son endurcissement sacrilège, ou le jour consolant qui le verrait changé et reprenant les vêtements de son sacerdoce. Jusque-là, elle avait la consigne sacrée de ne pas abandonner son poste de dévouement et de sacrifice».
Le choix de l’ordre du Carmel n’est d’ailleurs pas innocent : on sait que la vocation des carmélites est d’obtenir le salut des âmes et la sanctification des prêtres par une vie de prière et de sacrifices. C’est donc bien d’abord en tant que carmélite que Calixte est amenée à se sacrifier pour obtenir le salut de l’âme de son père, mais il est vrai que Barbey y ajoute une autre dimension, quand il écrit explicitement que Calixte «était trop chrétienne pour admettre l’irresponsabilité des enfants dans le crime ou la faute des pères, ce premier coup de hache, donné par une philosophie antisociale, dans la plus vivante des articulations de la famille – le lien inextricable qui unit le père aux enfants». Pour Léon Bloy, cette notion était même centrale – il cite précisément cette phrase dans la critique qu’il écrivit de ce roman en 1876; mais, si elle posait déjà problème au milieu du XIXe siècle, elle met nécessairement mal à l’aise, y compris les chrétiens, en ce début de XXIe siècle. Que la chute, le péché originel, se transmette mystérieusement de génération en génération est un fait incontestable. Mais que les enfants dussent souffrir pour les fautes commises par leurs parents heurte par trop nos esprits individualistes et nos consciences sans doute devenues autolâtres.
Quoi qu’il en soit, à partir de cette révélation, l’auteur des Diaboliques, en grand adepte des constructions parallèles, n’aura de cesse d’opposer les parcours de Calixte et de son père qui, bien que s’aimant tendrement, se livrent un combat spirituel intense. Sombreval, qui souffre de voir sa fille malade, est prêt à tout, sauf à faire réellement pénitence, pour obtenir son salut terrestre, c’est-à-dire sa guérison. Calixte, de son côté, souffre pour son père, espérant que ses souffrances et ses prières le rachèteront de son mariage sacrilège et qu’il obtiendra le Salut éternel. Elle est donc, en un sens, également prête à tout pour le sauver, mais une différence de taille sépare le père et la fille : Calixte espère mais estime que rien ne lui est dû. Et si elle souffre, ce n’est pas seulement parce qu’elle aime son père, mais aussi et peut-être surtout parce qu’elle aime Jésus-Christ et que la vie de péché de son père offense et blesse le Seigneur autant que sa foi. Au fond, Barbey nous montre que le dévouement de Sombreval pour sa fille, qui va jusqu’à la mortification de sa propre chair, a quelque chose d’égoïste, alors que celui de Calixte est désintéressé car elle s’en remet totalement à Dieu.
Du coup, une autre opposition est soulignée tout au long du roman : tandis que la jeune carmélite communie avec sérénité et intensité au Corps et au Sang du Christ, y puisant la consolation et la force de continuer sa mission, le chimiste s’acharne à chercher dans le sang humain, périssable et impur, une manière d’arracher sa fille – «[s]on ouvrage» – à une mort probable. La réflexion de Barbey, de fait, s’élargit dans la dernière partie du roman pour aborder la question de la sacralité absolue des espèces consacrées pour le Salut du monde.
En effet, l’abbé Méautis, qui a le premier compris l’imposture de Sombreval, décide, après une longue et éprouvante lutte, de déchirer le rideau du mensonge pour sa fille; ce faisant, il sait qu’il la tuera probablement, mais qu’elle est la seule à pouvoir empêcher son père de procéder chaque jour à une consécration sacrilège, ajoutant un crime de plus à sa forfaiture passée, en trompant qui plus est ses paroissiens confiants. La révélation aura hélas la conséquence redoutée et Néel de Néhou, dans un premier temps, accusera Méautis avec violence d’être le «bourreau de Calixte»; il finira néanmoins par s’incliner devant la tristesse sincère mais sans repentir du prêtre, qui n’avait fait qu’accomplir son devoir. Encore une fois, dans une société qui ne comprend plus le sens du mot Vérité, l’attitude de l’abbé Méautis peut paraître terrible, inhumaine, voire fanatique. Il faut croire que sous le Second Empire, le recul du christianisme était déjà suffisamment avancé pour que Barbey prenne la précaution de justifier dans de longues pages la décision du doux ecclésiastique, un homme dévoué et bon, qui supportait difficilement la moindre peine qu’il pouvait infliger autour de lui. Une dernière fois, il nous faut citer extensivement le texte aurevillien : «[…] L’abbé Méautis voyait la gloire de Dieu, comme Néel le bonheur de Calixte. Sans cette idée de la gloire de Dieu, le rôle cruel que l’abbé Méautis, cette âme de jeune fille pour la pitié et cette âme de Saint pour l’amour, finit par jouer dans cette histoire serait vraiment inexplicable. Mais aux yeux d’une âme qui avait une telle puissance d’adoration et de foi, demandez-vous ce que devait être la profanation du corps et du sang de Jésus-Christ par un hypocrite qui mépriserait intérieurement la singerie de ses mains et des paroles et n’en viendrait pas moins tous les matins jouer son infâme comédie sur l’autel ! […] L’outrage le plus sanglant fait à un père et qui recommencerait chaque jour ne donnerait pas une idée suffisante de cette volontaire et permanente injure faite à Dieu, le Père des pères».
Barbey d’Aurevilly prend de nouveau une position forte : à travers la conclusion de son roman, il affirme tout simplement que la Vérité est toujours bonne à dire.
Cependant, au terme du récit, une question demeure. Calixte, la carmélite Calixte, sainte Calixte, même, n’a-t-elle pas totalement échoué ? En apparence, oui : elle est morte sans parvenir à convertir son père, qui finit, ivre de douleur, englouti dans l’étang du Quesnay; Néel se suicide peu après au cours d’une bataille napoléonienne; quant à la Malgaigne, elle n’a pas résisté aux derniers outrages commis par son Jeannotin, et s’est éteinte peu de temps avant que ses sombres prophéties ne se soient entièrement réalisées.
Pourtant, à y regarder de plus près, le sacrifice de Calixte n’aura pas été vain. D’abord, parce qu’elle s’est sauvée elle-même, ce qui n’était pas acquis au départ. Ensuite, parce qu’au moment de sa mort, elle a réussi à réveiller chez le vicomte Éphrem de Néhou et Bernard de Lieusaint, ces deux vieux libertins, un sentiment religieux depuis longtemps éteint, grâce à ce qu’il est convenu d’appeler sa communion miraculeuse au viatique, quand son corps s’est soulevé dans un flamboiement surnaturel pour aller à la rencontre de l’hostie que le prêtre lui présentait. Quand on sait que Barbey tient le libertinage de l’aristocratie comme une des causes principales de la chute de l’Ancien Régime, et donc d’une société aux fondements exclusivement chrétiens, on mesure la portée symbolique de la conversion de ces deux hommes au soir de leur vie. On peut ajouter à ces victoires la vocation de Bernardine, qui entrera au Carmel après le décès de son époux Néel, sous le nom de sœur Calixte, faisant ainsi vivre sa mémoire et l’enseignement qu’elle avait dispensé par sa façon de vivre. Mais tout cela n’est rien en comparaison de la grande victoire qu’elle a remporté par sa mort : en effet, c’est bien par celle-ci que Sombreval est arraché à sa pénitence sacrilège et que la sainte messe est finalement protégée de l’outrage. En ce sens, participant de la souffrance rédemptrice de Jésus pour le monde, Calixte meurt en martyre authentique du Christ.

En guise de conclusion

Inutile d’en dire plus sur ce très grand roman théologique, œuvre d’une puissance rare et qui montre une nouvelle fois la supériorité du récit – qu’il soit romanesque ou théâtral – sur la réflexion conceptuelle. Œuvre dense, peut-être excessivement, diront certains, Un prêtre marié synthétise tous les thèmes chers à Barbey d’Aurevilly et notamment, cela va de soi, ses considérations sur le rôle irremplaçable des prêtres (n’oublions pas que c’est par l’abbé Méautis, le «double positif» de Sombreval, que vient la révélation qui conduira à la mort rédemptrice de Calixte).
Qu’il soit simplement permis de retenir deux idées majeures au terme de cette analyse qui n’aura certes pas évité l’écueil de vouloir explorer trop de thématiques en si peu de pages. La première est qu’il paraît désormais incontestable que la figure de Calixte l’emporte sur celle de Jean Gourgue, dit Sombreval, et que cette vierge martyre est, dans le Bien, d’une trempe au moins égale, pour ne pas dire supérieure, à celle des Diaboliques du recueil éponyme, voire à celle de l’effrayant et satanique abbé Jéhoël de la Croix-Jugan dans L’Ensorcelée. La seconde est que, par ce roman, Barbey ne se contente pas de laisser quelques sources d’espérance dans un univers où le Mal a triomphé – on songe encore à L’Ensorcelée ou à Une vieille maîtresse –, mais qu’il montre comment le Bien l’emporte dans le mystère de l’économie du Salut, même si cette victoire ne prend pas les formes attendues par l’esprit humain.

Un enseignement qui mérite d’être médité.

Note
(1) Le reproche que l’on pourrait faire à l’auteur est en fait de ne pas avoir tranché entre deux possibilités littéraires : il aurait pu, au terme de l’introduction, évacuer définitivement ces personnages, comme il le fit dans L’Ensorcelée, car ils ne servent finalement qu’à nimber l’histoire à venir de mystère, ou, au contraire, leur conférer un rôle véritable tout au long de l’ouvrage, comme dans Le Chevalier des Touches ou certaines des Diaboliques. Semblant opter pour la première solution, il maintient cependant, en filigrane, la présence de Rollon Langrune et de son auditoire, avant leur fugace retour conclusif.

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