Un roman français de Frédéric Beigbeder (02/11/2009)

Crédits photographiques : Michael Nelson (European Pressphoto Agency).
Cet article a paru initialement le 7 octobre dans Valeurs actuelles. Un roman français a été couronné par le Renaudot, d'où la remise en une de mon texte.

IMG_4903.jpgC’est par le petit bout de la lorgnette, son histoire, que Frédéric Beigbeder, dans Un roman français, évoque celle de la France durant tout le XXe siècle. Tout y passe, de l’interprétation à New York, par son arrière-grand-mère à la «voix claire, soprano de large tessiture et d’agréable tonalité», de la fameuse mélodie de Puccini, O moi babbino caro, aux actes de bravoure de son grand-père durant la Seconde Guerre mondiale, Charles Beigbeder qui sauva des Juifs d’une déportation certaine. Ensuite la rencontre puis le mariage entre ses parents qui, pour se rejoindre, durent traverser un sentier appelé Damour, heureuse circonstance qui ne les empêchera pas, quelques années plus tard, de se séparer. Enfin l’enfance et l’adolescence de l’auteur, aussi ternes que rêveuses, dans la prison dorée de Neuilly, matière d’un des meilleurs chapitres du livre.
Si l’effort de mémoire est méritoire, vu que Frédéric Beigbeder avoue ne se souvenir de rien d’autre que de son plus proche passé et d’un présent qu’il consomme à outrance, il n’en est pas moins artificiel.
C’est en effet, plus que l’écriture que l’auteur pratique pour, dit-il, retenir le temps, sa fringale de plaisirs qui va être la cause inattendue de la brusque remontée des souvenirs qui composent Un roman français. Le passé du timide et complexé Frédéric lui revient en mémoire lorsque Beigbeder le noceur, après avoir consommé un peu de poudre blanche, est conduit au poste de police pour quelques heures, éprouvantes, de garde à vue, le personnage mondain ayant été immédiatement reconnu par les policiers et un procureur zélé qui décide d’en faire un exemple. Finalement, dans ce roman beaucoup plus sensible qu’il n’y paraît, Frédéric Beigbeder paraît retrouver la vieille idée selon laquelle l’art vit de contraintes et meurt de facilités. Bien sûr, il y a encore beaucoup de facilités dans ce livre, beaucoup trop de «mots gratuits» pour reprendre une expression de l’auteur de L’Égoïste romantique, même si l’humour, l’auto-dérision et surtout un constat imparable sur notre époque folle, coupée de son passée et tournant à vide, l’extraient de la catégorie peu flatteuse du roman de plage. Bien évidemment encore, une distance aussi considérable que salutaire sépare ce roman des thèses subtiles d’un Leo Strauss qui affirme que l’écrivain persécuté doit, pour avoir des chances de transmettre son message, utiliser une écriture complexe, ironique et paradoxale, qui permettra seule au lecteur véritable, s’il existe quelque part, de comprendre immédiatement de quoi il en retourne vraiment.
Persécuté, Beigbeder ? Sans doute oui, comme pourrait l’être un Brummel de cirque qui, pour faire oublier l’image ridicule qu’il donne de lui dans les médias,prendrait, de temps à autre, la pose de l’écrivain mondain et fragile! Mais enfin, il y a tout autre chose dans ce livre qu’un autoportrait complaisant : sous des dehors légers, on peut y lire une tentative de spectrographie de la France contemporaine, «une enquête sur le terne, le creux, un voyage spéléologique au fond de la normalité bourgeoise, un reportage sur la banalité» d’une société sans mémoire ni pères.
Quelques passages accèdent même à une certaine justesse, comme celui où le narrateur imagine le discours que son grand-père aurait pu lui tenir au moment de mourir, passage que l’on pourrait rapprocher, par son esprit plus que par son style, des constats désabusés qu’un très grand écrivain,Guy Dupré, répète de livre en livre : «Toi Frédéric, tu n’as pas vécu la guerre qui a précédé ta naissance, mais tes parents et tes grands-parents en conservent le souvenir, même inconscient, et tous tes problèmes, et les leurs, ont un lien direct avec la souffrance, la peur, les rancœurs et les haines de cette période de l’histoire de France.»
C’est lier, dans notre présent, l’histoire intime et celle de la littérature par une chaîne invisible (celle du langage ?) aux quelques années du plus grand péril de la France. Si la littérature, selon l’auteur,consiste à entendre une voix, alors il nous faut peut-être écrire que celle de Frédéric Beigbeder devient quelque peu audible et sérieuse. Il était temps.

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