Au-delà de l'effondrement, 10 : Je suis une légende de Richard Matheson (31/10/2009)

Crédits photographiques : Amirhassan Farokhpour (Nature/National Geographic Photo Contest).
Tous les effondrements.

Non seulement le «dernier homme sur Terre se trouvait irrémédiablement voué à supporter seul ses fantasmes», comme l'écrit Richard Matheson dans Je suis une légende publié en 1954 (1), mais encore doit-il se rendre compte, stupéfait, qu'il n'est plus vraiment le dernier homme sur Terre. Une nouvelle race, issue d'une terrible épidémie ayant transformé les hommes en vampires et morts-vivants, a trouvé le moyen de survivre et compte bien se débarrasser de ses rivaux. Intéressant petit livre, sec comme un scénario de la Quatrième dimension (à laquelle d'ailleurs Matheson participa comme à d'autres films, celui-ci ou cet autre), histoire davantage portée par la musique que par les livres tenus en peu d'estime (2), admirablement directe jusque dans sa façon, pour le moins franchement naïve, de nous expliquer les raisons de la présence de vampires assoiffés de sang.
La fin du roman, lyrique à souhait et systématiquement trahie par les fort passables adaptations cinématographiques qui en ont été faites (3), digne du retournement de l'ironique roman de Pierre Boule, La Planète des singes (1963), est cependant l'unique intérêt de notre texte, lorsque le héros du livre comprend qu'il accèdera, une fois lynché par la foule, au statut de légende, rejoignant en somme celui que l'humanité avait accordé depuis la nuit des temps aux vampires : «Robert Neville considéra le nouveau peuple de la Terre. Il savait qu’il n’en faisait pas partie. De même que les vampires, il était pour eux une abomination, un objet de sombre terreur qu’il fallait détruire. Une pensée lui vint alors, et il s’esclaffa malgré la douleur. Son rire s’acheva en quinte de toux. Il se retourna et s’appuya au mur pour avaler les pilules. La boucle est bouclée, songea-t-il tandis qu’un engourdissement ultime s’emparait de ses membres. Une nouvelle terreur a émergé de la mort, une nouvelle superstition a conquis la forteresse inexpugnable de l’éternité. Je suis une légende» (4).
Ce roman de Richard Matheson, allez donc savoir pourquoi, m'a en tous les cas redonné envie de lire un superbe petit livre, signé Jacques Chessex, Le Vampire de Ropraz.

Notes
(1) Richard Matheson, Je suis une légende (traduction par Nathalie Serval, Gallimard, coll. Folio SF, 2009), p. 101.
(2) «Neville s’immobilisa et explora la salle du regard. Tous ces livres, songea-t-il en secouant la tête. Ces résidus de l’intellect planétaire, raclures de cerveaux frivoles, pot-pourri d’artefacts incapables de sauver l’homme de l’anéantissement…», ibid.
(3) Le plus célèbre roman de Matheson a été médiocrement adapté trois fois à l'écran sous les titres The Last Man on Earth (1964) d'Ubaldo Ragona et Sidney Salkow, The Omega Man (1971, en français exploité sous le titre Le survivant) et enfin sous le ridicule I Am Legend (en 2007). Signalons encore que 28 Days Later (2002) et 28 Weeks Later s'inspirent tous deux de ce livre.
(4) Page 228 et dernière de Je suis une légende.

Lien permanent | Tags : littérature, critique littéraire, science-fiction, post-apocalyptisme, richard matheson | |  Imprimer