Aux portes de la Camarde : Imre Kertész et Jean-Michel Palmier (27/12/2004)

Crédits photographiques : Alexander Khudotioply (Reuters).
Lecture du curieux Être sans destin d’Imre Kertész. Étonnant de constater qu’il peut y avoir, aussi monstrueux soit-il et propre à choquer les imbéciles de toute obédience, un plaisir, non, un bonheur à Auschwitz, une phénoménale capacité d’adaptation de l’homme à l’horreur. Il n’y a dans ce livre que des descriptions, quasiment aucune conjecture ou supposition, encore moins de ces longues afféteries techniques propre à Jorge Semprún. Un être posé là, oui, dont le seul et inconcevable destin est d’être, tout simplement, d’être seulement, l’esprit ou l’âme constatant même une espèce de dissociation entre le corps et l’intellect. Le corps est certes là mais qu’en est-il de l’esprit ? De l’âme ? Ils dorment. Ils renaîtront... peut-être.
Revient dans ce livre admirable le thème de l’obstination. Dieu ? Non, il paraît presque – presque – totalement absent de ces pages qui sont, comme le Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, une sorte de long monologue où la conscience de l’auteur s’aventure bien rarement, pourrais-je dire, à l’extérieur.
Dans Un autre déjà (remarque idiote, puisque ce livre est postérieur à Être sans destin), m’avait frappé cette sensation de dépossession absolue, totale, d’un homme que, peut-être, l’Art seul retient. J’avais déjà évoqué, dans la Zone, l’étrange et somptueux Lefeu ou la Démolition de Jean Améry qui, lui, se suicida.
Étonnant aussi de constater comme le camp de concentration représente une espèce monstrueuse de «fosse de Babel» où toutes les langues se côtoient.

Si, obligé de rester alité pendant de longues journées, peut-être même des mois, à cause d’une grave maladie, je ne pouvais faire autre chose qu’écrire (ce qui est, notez-le, une chance inestimable), j’espère alors, j’espère au moins trouver la force de ne pas noter les incroyables platitudes que Jean-Michel Palmier consigne méticuleusement dans ses Fragments sur la vie mutilée.
Non, je souhaiterais ne rien écrire plutôt que d’aligner des fadaises que Loana rougirait de chuchoter ou ne rien écrire alors, si cette grâce m’était donnée, que d’essentiel, une prose débarrassée de toute distraction, dépouillée jusqu’à la nudité miséreuse qui est la réalité véritable de l’homme (sa face invisible), qui est aussi sa grandeur. La nullité des propos de Palmier, nullité étonnante alors que j’avais aimé sa biographie consacrée à Georg Trakl, vient sans doute de ce qu’il a parlé tout seul, même se mourant, refusant donc de s’adresser à quelqu’un. Sottise de l’homme. Sa prétention, alors même qu’il flaire la charogne qu’il est en train de devenir. La force de la littérature gît dans la merveille du dialogue. A contrario, remarquez comme tous les nains pathétiques qui se piquent d’écriture (j’en ai épinglé quelques-uns à mon vilain tableau de chasse…) ne s’adressent jamais qu’à leur propre nombril, puits sans fond dans lequel, d’ailleurs, ils ont vite fait de se noyer.

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