Chris Foss ou l'éveil insoupçonnable (26/01/2005)

Crédits photographiques : Chris Foss, Atlantis, 1976.
Bien des années avant que je ne découvre les œuvres d’un Goya, d’un Rembrandt ou d’un Dürer, je suis resté dans ma chambre, durant de longues journées d’une réclusion délicieuse, rêveuse, à feuilleter un album que m’avait offert l’un de mes cousins genevois, graphiste de métier et qui n’ignorait pas mon goût prononcé pour la science-fiction.
0uro_foss014.jpgCe livre, paru en 1978 je crois et aujourd’hui épuisé, je le feuillette encore de temps à autre, n’y trouvant plus, le contraire eût été pour le moins suspect, le charme et l’invitation au voyage que je croyais y lire durant mes jeunes années. Ce livre est un album réunissant les œuvres les plus connues de Chris Foss, que je m’amusai alors à reproduire, tout comme celles d’un Tim White. Mes dessins, parfois réussis, doivent dormir quelque part, alors que l’album de Foss est parfaitement visible dans la bibliothèque de mes parents, ceux-ci ayant poussé le luxe jusqu’à décider de le faire relier à neuf, tant mes consultations avaient endommagé ce livre, que les bien des amateurs du genre doivent chérir comme l’un de leurs trésors de guerre.
Je me demande parfois ce qui a tant pu m’attirer dans les dessins certes impeccables de l’illustrateur britannique, qui avait travaillé pour les projets de Dune (l’adaptation qu’en rêvait de réaliser Jodorowsky), d’Alien (son vaisseau, le Nostromo, reste toujours impressionnant de puissance) ou de Superman (avec les superbes décors de la planète Krypton) avant qu’ils ne soient tous abandonnés au profit de maigres œuvres d’imagination. A l’inverse d’un piètre Siudmak ou même d’un Gyger parfois surestimé, Foss ne se mêle pas de métaphysique, ne délivre presque jamais le moindre «message» : il dessine et c’est bien assez.
0uro_foss015.jpgSes machines versicolores et hirsutes, impeccablement exécutées à l’aérographe, semblent ainsi parfaitement adaptées à leur unique mission, qu’il s’agisse de fendre les brumes épaisses de quelque planète inhospitalière, s’enfoncer dans un espace que l’on devine bien évidemment inconnu et riche de découvertes ou transporter vers quelque destination périlleuse des millions de fantassins suréquipés comme ceux de Starship Troopers d’Heinlein. En un mot, ses vaisseaux spatiaux sont improbables et, parce qu’ils indiquent une cohérence certes organique, mais avant tout esthétique, entre leur milieu exotique et le génie d’une espèce (rien ne nous prouve qu’il s’agisse de l’homme…) qui a dû les construire pour s’en affranchir ou bien l’explorer, ils sont beaux.
Ainsi, à mille lieues des impératifs techniques rigoureux auxquels doivent bien se plier les techniciens de la Nasa ou de l’ESA s’ils veulent que leurs sondes d’une laideur caractéristique puissent tout de même survivre au vide de l’espace, c’est la parfaite inutilité des machines inventées par Foss qui confère à ces dernières une étrange lueur ou même, je n’ai pas peur de l’écrire, une espèce d’aura que je ne retrouve plus, et encore, bien rarement, que lorsque, rêvant, je m’imagine arpentant le tarmac d’un spatioport écrasé de lumière aux côtés d’une Rydra Wong, l’héroïne de Babel 17.
0uro_foss037.jpgC’est aussi, je crois, le fait de contempler, émerveillé, les carlingues futuristes imaginées par Foss qui, je ne saurais trop à présent démêler le complexe écheveau des appels, des incitations, des paresses, des procrastinations, des influences et des refus ayant dégourdi mon imaginaire, c’est donc le fait de lire et, d’une certaine façon, de tenter de déchiffrer les rébus colorés que me proposaient les meilleures illustrations de Foss qui m’a ouvert l’infini des lectures. Comment pourrais-je donc taire cette influence lointaine, peut-être (certainement) ridicule mais néanmoins séminale ?

Tous les commencements de quelque sincérité, n’est-ce pas, sont non seulement minuscules mais aussi insoupçonnables.

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