La situation des esprits de Jean-Philippe Domecq et Éric Naulleau (06/05/2012)

Crédits photographiques : Markus Schreiber (Associated Press).
1233649-gf.jpgÀ propos de Jean-Philippe Domecq et Éric Naulleau, La situation des esprits [2006] (Éditions Pocket, 2012).
LRSP (livre reçu en service de presse).

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À l’heure où les essayistes les plus médiatiques, donc consensuels, peuvent être confondus avec des résistants face à l’hydre aux mille têtes de la pensée unique, Jean-Philippe Domecq poursuit, de livre en livre, une œuvre critique aussi essentielle que radicale.
La situation des esprits, publié en 2006 et ici repris au format de poche, constitue un excellent résumé de son œuvre, protéiforme mais toujours vertébrée par une exigence de lucidité sans faille et une belle écriture (1), puisque le livre aborde non seulement tous les genres littéraires (2) où s’est illustré l’écrivain mais encore les problématiques, littéraires, artistiques et politiques, qui obsèdent l’auteur, et que nous pourrions résumer d’une phrase : «Sur les mots de la critique repose le succès des œuvres» (p. 52).
C’est justement l’absence totale d’une véritable critique littéraire et d’art, ou son remplacement par ce qu’Armand Robin appelait dans l’admirable Fausse parole la monotone «ondée du sous-langage», qui a permis à des livres qui n’en sont pas et à un art qui n’en est pas un, à un art «sans conséquences», comme le définit Domecq, d’être à peu près unanimement célébrés par les «mouches à mode» (p. 54) parisiennes qui sont parvenues à produire une «forme d’oppression culturelle très nouvelle puisque des gens de libre culture en auront été les agents» (p. 57).
Il faut donc que nous nous battions, nous répète inlassablement Jean-Philippe Domecq qui se fait le thuriféraire tranquille et surtout patient d’une «sérénité rageuse» (p. 63) et d’une véritable tactique de guérilla contre Goliath, puisque, quelles que soient les guerres et les luttes, «on est toujours peu à transformer les choses» (p. 76).
De fait, tout comme une espèce de Kierkegaard ne croyant pas en Dieu (3), Jean-Philippe Domecq, qui martèle le fait que l’art et la littérature «restent des exercices farouchement individualistes» (p. 174), désespère de trouver cette «verte primitivité» que le philosophe plaçait dans l’Individu puisque c’est bien dans les «conjonctions momentanés entre des individus et l’opinion [que] s’opèrent les retournements de l’Histoire» (p. 168) et qu'il faut toujours «prendre sa personne comme lieu de transit – d'un néant l'autre, bien entendu, c'est tellement plus vertigineux comme ça» (p. 213).

Notes
(1) Dont nous avons maints exemples dans ce livre : «Mon intuition est qu'il faut explorer tout du point de vue de ce petit laser nucléaire que nous avons en permanence en arrière-fond du boîtier crânien : notre conscience que nous passons, notre conscience que nous sommes moins que l'ombre du souffle d'une poussière d'atome dans l'infini de l'univers. Et quand je dis «infini», c'est vraiment borné, cette façon qu'ont les humains d'admettre qu'ils ont le vide pour seul sol et le vertige pour première sensation. Or, si on s'observe bien, en dehors du Divertissement permanent, cette sensation ne nous quitte jamais, nous la refoulons mais elle est au cœur, au creux, et elle est merveilleuse, en fait, effrayante d'abord et certes, mais quand on l'admet c'est toute la vie qui s'ouvre, jusque dans nos moindres perceptions, sensations, pensées : le paysage n'est plus le même, le corps désiré, on le voit encore mieux unique et fragile et préféré sur fond du monde, et nos pensées, qui savent qu'elles n'en sauront jamais assez et qui justement pour cela y vont, y vont...» (pp. 27-8).
(2) Le théâtre lui-même est évoqué par les didascalies qui émaillent le dialogue entre Domecq et Naulleau.
(3) «[...] la destinée de chacun n'a plus d'au-delà de soi, de perspective téléologique, qu'elle soit religieuse ou politique, et c'est une chance; l'humanité accède peut-être à maturité, enfin» (p. 232). Ailleurs, Domecq évoque un pari pascalien privé de transcendance (cf. p. 233) et évoque Stendhal qui a offert «une leçon de sagesse sans verticalité, sans l'ombre d'une transcendance – inédite, pour tout dire, et ce ne fut pas la moindre de ses libertés» (p. 237).

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