Günter Grass, l'imposture, par Germain Souchet (22/08/2006)
Michael Patrick (Knoxville News Sentinel via Associated Press).
Adage populaire.
Depuis fort longtemps, le tambour sonnait bizarrement. Un coup trop violent l’a crevé et a permis de comprendre l’origine de ces dissonances. À l’intérieur, une vieille croix gammée toute rouillée venait régulièrement en heurter les parois. Sur l’insigne nazi, deux lettres toutes simples, mais d’une simplicité terrible : SS.
Günter Grass a donc révélé la vraie nature de son «engagement» pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa biographie officielle indiquait depuis toujours qu’il avait été enrôlé dans la défense anti-aérienne, avant d’être fait prisonnier par les Américains. La vérité est bien moins glorieuse : volontaire à 15 ans, en 1943, pour s’engager dans les forces armées allemandes, il a été incorporé dans une unité de la Waffen SS à la fin de l’année 1944, à l’âge de 17 ans.
Ce qui est insupportable dans la révélation faite par le prix Nobel de littérature 1999, c’est que toute son œuvre littéraire s’est construite sur la dénonciation de la passivité du peuple allemand sous le IIIeme Reich. Sa vie durant, il aura intimé l’ordre à ses compatriotes de regarder leur passé en face et de l’assumer. Tout en cachant la vérité sur le sien. Au fond, cela n’est même pas étonnant : combien d’intellectuels de gauche – pléonasme en France et, apparemment, en Allemagne –, d’artistes et d’autres donneurs de leçons professionnels n’appliquent pas à leur personne les principes qu’ils veulent imposer, souvent avec haine et arrogance, aux autres ?
Mais ce qui est encore plus insupportable dans «l’affaire» Günter Grass, c’est que, malgré sa «confession» tardive, il continue à se placer en seul juge de l’Histoire. En s’auto-amnistiant, tout d’abord. Dans l’interview qu’il a accordée au Frankfurter Allgemeine Zeitung le 12 août dernier, et traduite par Le Monde – «l’Immonde» qui, une fois n’est pas coutume, a fait de l’information – dans son édition en date du jeudi 17 août, Günter Grass déclare notamment : «Pour moi – je m’en souviens très bien –, les Waffen SS n’avaient rien de terrifiant, c’était une unité d’élite qui était toujours envoyée là où ça chauffait et qui, comme il était dit partout, essuyait les plus grosses pertes» (c’est moi qui souligne).
En somme, être membre des Waffen SS n’était pas si grave… à partir du moment où on s’appelait Günter Grass. Mais la révélation du porte-drapeau des intellectuels sociaux-démocrates allemands reste truffée d’incohérences. Après avoir affirmé qu’il se souvenait très bien de la manière dont il percevait les SS, il confie que sa mémoire des événements de cette époque est restée très précise : «Tout cela est très proche. Si je devais dire exactement quels voyages j’ai faits en 1996, je serais obligé de consulter des carnets de notes. Avec l’âge, la période de l’enfance devient plus claire. Le moment juste pour écrire quelque chose d’autobiographique est manifestement lié à l’âge» (Idem).
Et pourtant, dans la même interview, il semblerait que cette mémoire soit devenue quelque peu… sélective. En effet, il raconte qu’après s’être porté volontaire – je dis bien volontaire : ce «détail» a son importance, comme je le montrerai tout à l’heure – pour s’engager dans des unités combattantes de l’armée allemande, il a «ensuite […] oublié avoir fait cette démarche»; avant d’ajouter, sans gêne, que «c’est à Dresde seulement, je crois, que j’ai réalisé qu’il s’agissait des Waffen SS». Venant d’un homme qui a trompé le monde entier pendant plusieurs décennies, on ne peut qu’exprimer des doutes sur l’honnêteté de ces paroles. Après s’être accommodé d’un énorme mensonge pendant plus de quarante ans, sa bonne conscience pourrait très bien supporter quelques petits mensonges supplémentaires.
Par ailleurs, son activité de juge unique – pourquoi ne pas dire d’Inquisiteur ? – de l’Histoire allemande se poursuit, par un déversement hallucinant de haine et par des condamnations sans appel prononcées à l’encontre de nombre de ses contemporains. C’est ainsi qu’il continue de s’offusquer «qu’un ancien grand nazi comme Kurt Georg Kiesinger [ait été] chancelier», oubliant de préciser que cet homme, qui avait en effet travaillé au service de la Propagande nationale-socialiste, avait été «dénazifié» en 1948 au motif, notamment, qu’il s’était opposé aux actions menées contre les Juifs (1). Mais ce qui est pardonnable chez Grass ne l’est pas chez les autres, surtout s’ils sont de droite, on l’aura bien compris.
Dans le même ordre d’idées, Grass chante les louanges de la reconstruction à l’Est où «d’autres [personnes] de sa génération […] se retrouvaient […] aussitôt pourvu[e]s d’une idéologie nouvelle et crédible» (2). Et il ajoute, n’ayant pas peur du ridicule : «On vit arriver là-bas des résistants qui avaient pris part à la guerre d’Espagne et avaient souffert sous Hitler, et qui se posaient en exemples. Ils aidaient à s’orienter» (3). De la part d’un homme qui a dû attendre 1946 pour comprendre la vraie nature du régime nazi, il n’est finalement pas si étonnant qu’il ait eu besoin d’encore plus de temps pour réaliser que cette idéologie «nouvelle» – elle datait tout de même de 1848 ! – et «crédible» n’était en réalité qu’une vaste et criminelle imposture.
Toutes ces erreurs, toutes ces fautes pourraient inviter à plus de modestie. Intellectuel, Günter Grass n’a jamais assumé de responsabilités dans sa vie. La seule fois où il s’est engagé, ce fut au service des Waffen SS. Pas de quoi s’en vanter. Et pourtant, celui qui nous a si souvent été présenté comme la «grande conscience de l’Allemagne» se permet de traîner dans la boue Konrad Adenauer en affirmant qu’il était «affreux, avec tous les mensonges, avec tout ce catholicisme rance. La société d’alors se caractérisait par cet esprit petit-bourgeois étriqué». Rappelons tout de même qu’Adenauer fut confronté à une tâche titanesque : après l’écrasement de l’Allemagne, il devait veiller à regagner la souveraineté de son pays, à éviter une occupation permanente par les troupes alliées ou une absorption pure et simple par la RDA aux ordres de Staline. Son œuvre, entre 1949 et 1963, fut monumentale : il présida la commission chargée de la rédaction d’une nouvelle constitution – la fameuse «Loi fondamentale» allemande –, fonda un parti démocrate-chrétien rassemblant catholiques et protestants, qu’il conduisit à la victoire à de multiples reprises dans des élections libres et démocratiques. Il permit à la RFA de regagner rapidement sa souveraineté, présida à un redressement économique spectaculaire – avec l’aide, il est vrai, des capitaux américains – se réconcilia définitivement avec la France, fit intégrer son pays dans l’OTAN et l’ancra fermement du côté des démocraties libérales occidentales. Évidemment, il n’a pas culpabilisé à longueur de romans tout un peuple, à l’abri de son cabinet de travail. Il a cherché à tourner la page rapidement mais, au fond, que pouvait-il faire d’autre dans l’immédiat après-guerre ?
Ce que Grass lui reproche, sans le dire clairement, c’est de ne pas avoir fait de l’Allemagne un modèle de démocratie de gauche, comme le révèle l’utilisation du terme «petit-bourgeois» de sinistre mémoire. Mais aussi, sans doute, de ne pas avoir accepté une réunification allemande sous la condition, demandée par les Soviétiques, d’une neutralité entre les deux camps. Comme si, décidément, ce brave Günter n’avait rien appris de la montée au pouvoir d’Hitler et de la Seconde guerre mondiale. Comme si être neutre était un choix respectable, quand il s’agissait de se prononcer entre la démocratie et la liberté, d’une part, et le totalitarisme meurtrier d’autre part. Je ne peux m’empêcher, en lisant et en relisant l’interview de Grass, de ressentir une profonde nausée devant tant de mauvaise foi et de haine.
Pour conclure sur Konrad Adenauer, une dernière remarque : lors d’un sondage télévisuel réalisé en 2003, le premier chancelier fédéral fut élu «plus grand Allemand de tous les temps» par le public. Il semblerait que les opinions de Grass ne soient donc pas majoritaires dans son propre pays, ce qui, au fond, est rassurant.
Mais le comble de l’immondice est atteint dans la dernière partie des extraits de l’interview publiés par Le Monde. Comme pour mieux minimiser ses «erreurs» de jeunesse, Günter Grass s’en prend aux autres pays européens : «si l’on regarde l’Angleterre et la France, sans parler de la Hollande et de la Belgique, l’époque des puissances coloniales et des crimes qui y sont liés est comme mise entre parenthèses». Naturellement, de graves fautes ont été commises dans les colonies; des crimes y ont été perpétrés. Mais est-il vraiment permis de comparer un système qui avait, entre autres buts, d’apporter la «civilisation» – le terme peut faire rire aujourd’hui, mais il était l’argument principal des républicains de gauche français, promoteurs infatigables de la colonisation à la fin du XIXe siècle – aux peuples colonisés, et une idéologie nihiliste n’ayant d’autre objectif que d’assurer la victoire totale de la race aryenne et l’élimination des races dites inférieures ? La réponse est évidemment non.
Pour autant, l’auteur du Tambour ne s’arrête pas en si mauvais chemin. Il raconte comment, prisonnier de l’armée américaine, il a découvert que «dans les casernes […], les Blancs qui vivaient dans des baraques séparées traitaient les Noirs de niggers». Avant de conclure : «Je ne veux pas dire que c’était un choc, mais tout à coup, j’étais confronté au racisme». Voudrait-il nous faire croire qu’en plusieurs mois, il n’a jamais entendu le moindre propos raciste ou antisémite au sein de la Waffen SS ? De la Waffen SS ? Nierait-il que les SS, avant les recrutements rapides des derniers mois de la guerre, recevaient une formation idéologique poussée ainsi qu’un «enseignement» sur les Juifs ? Il suffit d’ouvrir le journal de Goebbels, d’entendre un discours d’Hitler ou de Heinrich Himmler, chef de la SS, pour se rendre compte que les allusions haineuses au «complot de la juiverie internationale» sont légion. Elles relèvent même de l’obsession. Mais non, vous vous trompez : les Waffen SS n’étaient qu’une unité d’élite, l’auriez-vous déjà oublié ?
«L’affaire» Günter Grass ne se limite pas aux aveux tardifs d’un écrivain dont l’autorité morale est désormais sérieusement écornée. Les réactions à cette terrible révélation sont également des plus intéressantes. La gauche européenne, en effet, ne sait que dire sur le passé de SS du prix Nobel de littérature. Le fascisme et le nazisme – la confusion des deux, d’ailleurs, relève d’une simplification déformante de la réalité historique – sont censés être les deux ennemis les plus redoutables de l’Occident. La «bête immonde» se doit d’être combattue par tous les moyens, y compris par le recours à sa sœur jumelle communiste. Mais là, problème : c’est un social-démocrate très respecté qui reconnaît avoir été au service de la bête immonde à la fin de la guerre. Stupeur et consternation.
Après quelques jours d’hésitation, la parade a enfin été trouvée. Ce qui est condamnable, nous dit-on, ce n’est pas cette «erreur de jeunesse» (sic) de Grass, mais le fait qu’il ait attendu aussi longtemps pour en faire état. On n’ose imaginer quelle aurait été la réaction de tous ces bien-pensants si Grass avait été un auteur de droite ou dit de droite. Il est vraisemblable que le déchaînement médiatique aurait tourné au lynchage en règle. D’autres vont encore plus loin, à l’instar de Daniel Cohn-Bendit, homme éminemment respectable, comme chacun sait, qui a déclaré, sur France Inter, être «un peu étonné et abasourdi» que l’écrivain allemand ait «attendu une cinquantaine ou une soixantaine d’années pour expliquer une chose qui, en soi, fait partie de la normalité de l’Allemagne de l’époque (4)» (c’est moi qui souligne).
La normalité, dites-vous ? Apprenez, mon cher Cohn-Bendit, que 300 000 Allemands seulement sont passés dans les rangs des Waffen SS. Nous sommes loin des neuf ou dix millions d’engagés dans les Hitlerjugend. Car il existe entre ces deux organisations une différence de taille : l’appartenance à cette dernière était obligatoire, tandis que les SS n’engageaient, chez les Allemands, que des volontaires. Si les Waffen SS devaient constituer les troupes «d’élite» de l’armée, pour reprendre les termes de Grass, il ne paraît pas concevable qu’ils aient recruté au hasard, même dans les dernières heures de la guerre (5). Si Grass a été incorporé dans cette terrible organisation, c’est bien parce qu’il s’était porté volontaire pour rejoindre des unités combattantes de l’armée allemande. En 1943. À une époque où la véritable nature du régime ne faisait plus de doute pour qui voulait bien ouvrir les yeux; à une époque où les défaites allemandes en Afrique du Nord, puis à Stalingrad, commençaient inévitablement à être connues, grâce au retour des combattants au pays, et ce, malgré la propagande intense des services de Goebbels.
La normalité ? Est-il besoin de vous rappeler, «Dany le rouge», que la 2e division «Das Reich» de la Waffen SS s’est rendue tristement célèbre en exécutant 99 civils à Tulle, le 9 juin 1944, puis en perpétrant le massacre d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944, faisant 642 victimes ? Soit 741 morts en deux jours seulement. Dois-je également rappeler à votre mémoire sélective de gauche, à votre bonne conscience dégoulinante, que la 3e division «Totenkopf» (tête de mort : le nom ne laisse aucun doute sur la nature de ces unités) de la Waffen SS s’est rendue coupable, en juin 1940, du massacre de tirailleurs sénégalais à Chasselay dans le Rhône, où un cimetière militaire a été construit pour recevoir leurs dépouilles ? 1940. Il semblerait bien que les «unités d’élite» n’en étaient pas à leur coup d’essai en 1944. Dois-je vous rappeler enfin que la 10e Panzerdivision SS «Frundsberg», à laquelle appartenait Günter Grass, avait été commandée de novembre 1943 à avril 1944 par un certain Karl Fischer von Treuenfeld ? Le nom ne vous dit rien ? Laissez-moi vous rafraîchir la mémoire : Treuenfeld commandait les troupes allemandes en Bohême-Moravie en 1942; c’est lui qui perpétra, à la tête de Waffen SS, le massacre de 1 300 Tchèques en riposte à l’assassinat de Reinhard Heydrich.
Alors, simple «unités d’élite» ? «Normalité» de l’Allemagne de l’époque ? Une telle réécriture de l’Histoire porte un nom : cela s’appelle du négationnisme. Et c’est même puni par la loi en France (6). Mais évidemment, tout est légitime pour voler au secours d’un intellectuel de gauche. Peu importent les choix qu’il a pu faire dans sa vie, seul compte désormais le fait qu’il ait été «engagé» en faveur du SPD.
Que les choses soient claires : je ne me permettrai jamais de juger la passivité des gens pendant la guerre. Qui peut honnêtement dire ce qu’il aurait fait dans des circonstances aussi graves ? Personne. Mais quand Daniel Cohn-Bendit – toujours lui – demande si «on a le droit aujourd’hui de dire qu’il aurait dû être résistant à 17 ans» et qu’il poursuit en déclarant «qu’il faut être bien dans ses chaussures pour prétendre que l’on aurait été soi-même à 17-18 ans résistant dans un régime tel qu’il est», il fait preuve d’une malhonnêteté incroyable. Il prétend ainsi nous faire croire que le choix se limitait à être résistant et mourir en martyr, ou à s’engager volontairement dans les Waffen SS. Or, entre les deux, il y a un gouffre. Ce que je reproche à Günter Grass, contrairement à toutes les bonnes consciences de gauche, et à quelques personnes de droite qui tombent dans le piège du relativisme, ce n’est pas seulement son silence assourdissant pendant plusieurs décennies. C’est aussi son engagement – et non son «enrôlement», terme employé aujourd’hui pour minimiser la responsabilité de l’écrivain – dans les Waffen SS.
D’autres jeunes Allemands, en effet, ont été confrontés aux mêmes circonstances et n’ont pas fait le même choix. Qu’on se souvienne du début de polémique, fabriquée de toute pièce par des médias malveillants, ayant entouré l’élection du Pape Benoît XVI il y a un peu plus d’un an. Croyant avoir découvert une information «troublante», ils ont annoncé, tout sourire, que le jeune Josef Ratzinger avait appartenu aux Hitlerjugend. Et un certain nombre d’imbéciles utiles de reprendre cet argument aujourd’hui. C’est oublier que le cardinal Ratzinger, outre qu’il n’avait pas joué les donneurs de leçons, n’avait par ailleurs jamais caché cet épisode de sa vie (7). C’est ignorer, ensuite, que le jeune bavarois avait refusé d’intégrer l’organisation des jeunesses hitlériennes. Quand l’enrôlement est devenu obligatoire, il n’a pu s’y soustraire, pas plus que les neuf ou dix millions de jeunes Allemands âgés de 6 à 18 ans. Très rapidement, Josef Ratzinger n’y a plus mis les pieds, au risque de perdre sa bourse d’études publiques. Il faut dire qu’il détestait le régime nazi, ayant été élevé dans une famille catholique, et notamment par un père connu pour ses prises de positions très hostiles au NSDAP.
Devenu séminariste, ce qui, à cette époque, était une forme de résistance passive – ne pas oublier que les catholiques étaient, après les Juifs, la prochaine cible des nationaux-socialistes (8) – il a été enrôlé de force dans la défense anti-aérienne. Dans la Wehrmacht, donc. À l’époque, le futur cardinal n’avait que 16 ans, mais il avait déjà conscience de ce que le IIIe Reich représentait. En septembre 1944, après un an de service dans la DCA – année au cours de laquelle il a poursuivi ses études de séminariste –, le jeune Ratzinger s’est retrouvé affecté au service du travail obligatoire. Comme le raconte Patrice de Plunkett dans son ouvrage Benoît XVI et le plan de Dieu : «Une nuit, les chefs tirent du lit ces gamins épuisés et les rassemblent en survêtement : il s’agit de les enrôler dans la Waffen SS. Un officier les fait avancer un par un : «exposant chacun devant tout le monde, racontera le cardinal, il profita de notre fatigue pour essayer de nous extorquer une inscription volontaire». Beaucoup cèdent. Quelques-uns résistent. Ce sont des séminaristes de Traunstein : ils répondent qu’ils se destinent à devenir prêtres catholiques. On les renvoie dans leurs baraques sous les quolibets : les larbins du pape sont indignes de se battre pour la liberté allemande ! Les cris de mépris du SS et des vieux du parti, dira le cardinal, avaient un goût sublime : ils nous libérèrent de la menace de cette liberté fallacieuse et de toutes ses conséquences» (c’est moi qui souligne).
Ensuite, le futur prêtre se fit affecter dans la région où habitaient ses parents et se démobilisa de lui-même en avril 1945, évitant les SS errants qui pendaient les déserteurs. On le voit, sans être nécessairement un héros de la résistance, on pouvait fort bien, entre 16 et 18 ans, faire de la résistance passive et, en tout cas, ne pas s’enrôler volontairement chez les SS. La comparaison entre le Pape Benoît XVI et Günter Grass est donc mal venue, car Josef Ratzinger n’a jamais partagé la fascination de l’écrivain pour le IIIeme Reich. Ce fut même tout le contraire.
«Erreur de jeunesse». Le terme est un peu léger. Mais surtout, et l’exemple de Benoît XVI le montre, ce n’est pas non plus une excuse valable. L’excellent film La Chute se conclut par le témoignage de Traudl Humps-Junge, l’ancienne secrétaire d’Adolf Hitler. Manifestement torturée au plus profond de son âme par son aveuglement pendant la guerre, et loin de se trouver des excuses, cette femme aujourd’hui décédée déclarait sobrement : «Bien sûr que toutes ces horreurs que j’ai apprises par le procès de Nuremberg, ces six millions de Juifs et des gens d’une autre foi ou d’une autre race qui ont trouvé la mort, bien sûr que toutes ces horreurs ont été un terrible choc pour moi. Mais je n’avais pas encore établi le lien avec mon propre passé. Jusqu’alors, je me consolais en me disant que je n’étais pas coupable, que je n’avais rien su de tout ça, je n’avais rien su de ces proportions. Et puis un jour, je suis passée devant la plaque commémorative qui rend hommage à Sophie Scholl dans la Franz-Joseph Straße et je me suis aperçue qu’on était de la même année. Et que l’année où moi, j’ai rejoint Hitler, elle, elle avait été exécutée. Et à ce moment-là, j’ai pris conscience que la jeunesse n’était pas une excuse, mais qu’on aurait peut-être dû s’enquérir de certaines choses» (c’est de nouveau moi qui souligne).
Il n’y a rien à ajouter, je crois. Si ce n’est qu’au lieu de pleurnicher En épluchant les oignons et en découvrant la plus grande imposture de l’après-guerre, nous devrions cultiver un esprit critique et un attachement aux valeurs de la liberté, de la justice et de la dignité absolue de la personne humaine, comme remparts permanents contre tous les totalitarismes. Le monde d’aujourd’hui n’a pas besoin de «consciences» un brin avariées, de donneurs de leçons infatigables, incohérents et peu exemplaires, mais plus que jamais de guetteurs attentifs au service de la liberté. Et ce n’est sûrement pas parmi les «compagnons de route» du NSDAP ou des mouvances marxistes que l’on risque de les trouver.
Notes
(1) À noter également que Kiesinger (CDU) a dirigé le premier gouvernement de grande coalition CDU-SPD de la RFA, gouvernement auquel participait un certain Willy Brandt, que Günter Grass semble avoir toujours adulé…
(2) C'est moi qui souligne.
(3) Idem.
(4) Oserait-il dire que la collaboration faisait partie de la normalité de l’action de l’administration française pendant l’Occupation et excuserait-il les «erreurs de jeunesse» de quelques fonctionnaires zélés ?
(5) D’ailleurs, Günter Grass a été incorporé en 1944. La déroute de l’armée allemande n’était pas encore pleinement consommée. La situation aurait pu être différente s’il avait rejoint les SS en avril 1945.
(6) L’article 24 bis de la loi sur la presse de 1881 dispose en effet : «Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale». Pour mémoire, la SS a été déclarée dans son ensemble organisation criminelle lors du procès de Nuremberg.
(7) Il y est d’ailleurs longuement revenu dans ses mémoires et dans le livre d’entretiens Le Sel de la Terre.
(8) L’idéologue nazi Alfred Rosenberg, condamné à mort à Nuremberg, écrivait dès 1930 : «le catholicisme est, à côté du judaïsme démoniaque, le second système d’éducation d’espèce étrangère qui doit être vaincu psychiquement et spirituellement, si un peuple allemand conscient de l’honneur, et une véritable culture nationale, doivent naître un jour» (cité par Patrice de Plunkett dans Benoît XVI et le plan de Dieu, Presses de la Renaissance, p. 43).
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