Unions juridiques entre homosexuels : quand le droit devient totalitaire, par Germain Souchet (19/03/2013)

Crédits photographiques : Hideyuki Katagiri (National Geographic Photo Contest).
Cette note de Germain Souchet a été publiée en octobre 2006. Il m'a semblé opportun de la remettre en une, au vu d'une actualité sociale et politique que je ne n'ai pour l'heure pas commenté publiquement. Le texte de Souchet sera suivi par celui de Francis Moury, qui répondit à l'intéressé en étayant un point de vue opposé.

Les campagnes électorales, mères de toutes les démagogies

Tout a commencé en juin 2004 avec l’épisode «Tout sur Mamère» : à cette date, le député-maire Vert de Bègles – je me demande, au passage, si ces débris de la pensée politique sont biodégradables ou tout au moins recyclables – a décidé de procéder au mariage de deux homosexuels, les fameux Stéphane et Bertrand, devenus, l’espace de quelques jours, de véritables vedettes médiatiques. Depuis, naturellement, ce simulacre de mariage a été annulé par les tribunaux, car contraire aux dispositions du Code Civil. Néanmoins, face à cette provocation à la loi, face à la violation délibérée des règles en vigueur par un officier d’état civil, le gouvernement dit de droite, alors dirigé par Raffarin le Poitevin, n’avait fait que suspendre Noël Mamère de ses fonctions de maire pendant un mois, alors que le code général des collectivités territoriales, dans son article L.2122-16 permettait, par décret en Conseil des ministres, de le révoquer purement et simplement, ce qui aurait été la moindre des choses.
Si l’initiative de M. Mamère n’a pas fait d’émules dans l’immédiat – il avait appelé d’autres maires à faire comme lui, afin d’obliger le gouvernement à ouvrir un débat sur ce sujet tout à fait prioritaire en France, étant donné que nous nagions déjà dans le plein emploi et que nos rues n’avaient jamais été aussi sûres –, elle a néanmoins provoqué de rapides prises de position, qui ressurgissent désormais à quelques mois des élections présidentielle et législatives. Dès 2004, Dominique Strauss-Kahn, naguère candidat à l’investiture du parti socialiste, a été le premier à se prononcer publiquement en faveur du mariage homosexuel et de l’adoption d’enfants par les couples de même sexe. Si Lionel Jospin n’a jamais soutenu cette position, d’autres s’y sont allègrement ralliés, comme Jack Lang, infatigable promoteur de toutes les idioties du monde et de toute idée pouvant miner les fondements de la société. Craignant d’être débordés sur leur gauche – ce qui arrive plus souvent qu’on ne le croit – par l’UMP qui, dès juin 2004, avait annoncé par la voix de Jean-Pierre Raffarin sa volonté «d’améliorer le PACS», la plupart des éléphants roses se sont alignés en tête du cortège de la dernière «Gay Pride» ou marche des fiertés homosexuelles («LGBT», dit-on apparemment, pour «lesbienne, gay, bi et trans»). Enfin, dans le «projet socialiste pour la France» – non, ne riez pas, les caciques de la rue de Solférino ont tout de même réussi à pondre un document indigeste de 32 pages, qui serait franchement hilarant, je vous l’accorde volontiers, s’il n’était dangereux pour l’avenir de notre pays – on peut lire à la page 25 : «Dans le couple. Nous améliorerons le PACS en matière d’inscription à l’état civil, de régime des biens, de droits de succession, de droit au logement, de droits sociaux. Le mariage et l’adoption seront ouverts aux couples de même sexe».
Ségolène Royal, reine des sondages par la seule grâce de son sourire béat à la limite – et encore… – de la niaiserie, souvent présentée comme défenseuse des valeurs traditionnelles de la famille (sic), alors qu’elle n’est pas mariée – ce qui est évidemment son droit le plus strict et le plus respectable, mais la contradiction est tout de même flagrante – et qu’elle est à l’origine de la distribution gratuite de la pilule sans lendemain (pardon, de la pilule du lendemain, je les confonds toujours) dans les collèges et les lycées, longtemps réticente à se rallier aux positions du Parti, a fini, dans une interview accordée au magazine Têtu, par déclarer que «si la gauche est élue, elle votera un texte mettant en application ce projet».
Voilà pour la gauche. Mais qu’en est-il maintenant de la droite ? Je ne parle pas du Front National ou du Mouvement pour la France, dont les prises de position outrancières ne méritent même pas d’être évoquées, ni de l’UDF, le nouveau parti de l’extrême centre (1). L’UMP, par la voix de son président Nicolas Sarkozy, le très probable candidat de la droite parlementaire, vient enfin d’intervenir dans ce débat. Mais d’une façon bien étrange. Après avoir confié s’être profondément interrogé sur le sujet et avoir longtemps hésité, le ministre de l’Intérieur s’est prononcé contre le mariage homosexuel, notamment parce que celui-ci impliquerait inévitablement, à court ou moyen terme, l’adoption d’enfants par des couples de même sexe. Il a énoncé une évidence : seuls un homme et une femme peuvent avoir des enfants. Mais il est des évidences qu’il est parfois nécessaire de rappeler dans notre société qui perd tout sens des réalités. Néanmoins, il a aussitôt ajouté : «Je suis profondément hostile à toute forme de discrimination [il aurait pu ajouter : sauf si elles sont positives !]. Les homosexuels ne doivent pas en subir. C’est pourquoi je suis partisan de l’égalité sur le plan financier. Il faut donc créer un système qui, sur le plan fiscal, patrimonial et successoral, garantisse l’égalité entre un couple hétérosexuel et un couple homosexuel. Aujourd’hui, il est nécessaire d’aller plus loin que le simple PACS» (in Le Figaro Magazine en date du 3 septembre 2006; c’est moi qui souligne).
Sans vouloir me tromper de cible en critiquant Nicolas Sarkozy, qui est le seul homme de droite à oser aborder certains sujets dits tabous et à lutter efficacement, sur le plan de la rhétorique, contre le terrorisme intellectuel de gauche, je ne peux qu’exprimer un réel mécontentement devant sa décision qui est à la fois profondément anti-libérale (j’y reviendrai) mais aussi contraire à ses propres prises de position passées. En effet, lors du débat de 1999 sur le Pacte civil de solidarité, le député RPR Sarkozy avait voté contre le projet présenté par la gauche (2). Mais il ne s’était pas contenté d’un vote négatif : il avait aussi fait partie des plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs ayant saisi le Conseil Constitutionnel en soulevant de nombreux motifs allégués d’inconstitutionnalité (3). Parmi ceux-ci, on pouvait lire : «[…] Les auteurs des deux recours soutiennent que cet article assimile donc fiscalement sur ce point [imposition commune sur le revenu à compter du troisième anniversaire de la signature du PACS] les partenaires d’un pacte civil de solidarité et les époux, alors que les avantages fiscaux de ces derniers résultent de la reconnaissance du mariage à la fois comme élément fondateur de la famille et comme générateur de devoirs pour les époux; que les requérants font également valoir que les réductions d’impôt sont consenties au détriment des personnes vivant seules ou en concubinage, ces avantages n’étant, selon eux, pas justifiés, comme ceux liés au mariage, par l’intérêt social que constitue la protection de la famille» (c’est moi qui souligne) (4).
En sept ans, Nicolas Sarkozy est donc passé d’une opposition radicale au PACS à une volonté d’aller «plus loin que le simple PACS», voire d’organiser des cérémonies en mairie pour sa nouvelle «union civile». On me dira que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis, que la société a évolué, que ceci, que cela… Je crains en réalité que la proposition faite par le président de l’UMP ne soit dictée par des intérêts électoralistes, le risque de se mettre à dos les lobbies «LGBT», bénéficiant de puissants relais médiatiques et artistiques, étant loin d’être négligeable. Parallèlement, sans aller jusqu’à accepter l’adoption d’enfants par des couples homosexuels, la porte-parole de l’UMP, Valérie Pécresse, s’apprête à proposer «la délégation de responsabilité parentale» permettant de «donner une place au parent social [sic] en l’autorisant à accomplir les actes usuels de la vie de l’enfant : aller le chercher à l’école, l’accompagner chez le médecin ou l’emmener en vacances en France». On voit très bien l’exercice d’équilibriste auquel se livre l’UMP : il s’agit de ne pas fâcher son électorat «conservateur», tout en donnant des gages aux «progressistes». Seulement, les différentes associations militant pour un plein droit à l’adoption estiment qu’il s’agit d’une «avancée» insuffisante. Il est donc fort à parier que, comme toujours, la droite, au mieux, ne gagnera rien à faire des propositions de gauche, et, au pire, s’aliènera une partie de ses électeurs.
Quoi qu’il en soit, cette mascarade augure mal de la capacité du très probable candidat de l’UMP à mener la «rupture» si, avant même d’arriver au pouvoir, il se lie les mains en faisant des concessions à ces minorités agissantes, qui ont fait du terme «démocratie» un mot vide de sens en France, et qui ont transformé les campagnes électorales en de formidables exercices de démagogie et de calculs politiciens visant à acquérir le soutien de tel ou tel groupe influent. Espérons seulement qu’il saura rester suffisamment libre, comme il a su le faire souvent avec efficacité sur d’autres sujets sensibles.

Bref état des lieux de la situation en Europe et dans le monde

Les partisans des unions juridiques entre homosexuels – qu’il s’agisse de mariage ou de contrats sui generis – et de l’adoption d’enfants par des couples de même sexe avancent en général les deux mêmes arguments.
En premier lieu, l’affirmation, a priori incontestable, consistant à dire que «c’est le sens de l’Histoire» : après la France en 1999, l’Allemagne a créé en 2001 un partenariat de vie offrant des droits proches du mariage, suivie par le Danemark et la Finlande, tandis que la Suède, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne et le Canada ont tour à tour autorisé le mariage homosexuel (ou inventé une forme d’union très proche et offrant les mêmes droits). Quant à l’adoption, elle est permise dans six pays : la Suède, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark, la Belgique et l’Espagne. S’en tenir à ces statistiques est pourtant un mensonge par omission : c’est oublier de dire que le président américain, le détesté George W. Bush, a publiquement demandé, en année électorale, qu’un amendement constitutionnel interdisant le mariage homosexuel soit adopté au niveau fédéral, ce qui n’a pas empêché sa réélection (6). Si le Congrès a, par deux fois, rejeté ce projet d’amendement, et si 8 États ont créé des unions homosexuelles (seul le Massachusetts, toutefois, ayant reconnu le mariage homosexuel), il est intéressant de noter que 27 États, dont 8 en novembre 2006 ont, par référendum, modifié leur constitution pour que le mariage ne puisse être conclu qu’entre un homme et une femme. Tous les pays occidentaux ne vont donc pas dans le même sens.
En second lieu, on nous assène régulièrement des reportages larmoyants sur les difficultés matérielles que rencontreraient les personnes survivant au décès de leur concubin ou de leur concubine, et sur leur impossibilité, notamment, de toucher un héritage. Cela, nous dit on, est une discrimination inacceptable (7). Et comme notre société, façonnée par des décennies de philosophie rousseauiste et marxisante, déteste les inégalités et les discriminations, il devient pratiquement impossible d’opposer le moindre argument rationnel à la furie égalitariste. Notons, toutefois, que le Code Civil permet de prendre des dispositions testamentaires qui, sans donner une égalité parfaite avec les couples mariés – ce qui est tout à fait justifiable, comme je le montrerai –, permet de mettre le concubin survivant à l’abri des aléas de la vie.

Le droit n’a pas vocation à faire le bonheur des peuples

Le sujet de la reconnaissance juridique des unions entre homosexuels est délicat, convenons-en. Il est difficile d’argumenter sur un sujet épineux, sans risquer aussitôt d’être taxé d’homophobie, de catholicisme intégriste, voire de fascisme puisque, dans le petit cerveau des grands censeurs de la pensée, tous ces termes sont plus ou moins synonymes. L’erreur majeure serait de faire porter le débat exclusivement sur la morale et le caractère «sacré» du mariage, alors que nous abordons ici la seule question du mariage civil. Afin d’éviter ces écueils, il convient donc d’en revenir aux principes fondamentaux du droit et de la philosophie politique libérale. Je sais, c’est un peu aride et sans doute moins passionnant ou émouvant que le reportage de TF1 sur le mariage de Stéphane et Bertrand, et sur les larmes de crocodile versées par Noël Mamère au moment de remettre aux deux «mariés» leur livret de famille. Mais je ne peux décidément pas me résoudre à voir des sujets politiques fondamentaux être systématiquement traités par la seule combinaison de l’émotionnel et du terrorisme intellectuel.
À quoi le droit sert-il donc (8) ? Dans les sociétés libérales modernes, à quatre choses : à organiser une société d’individus libres, à en assurer sa pérennité, à garantir la sécurité des personnes et des biens, et enfin à défendre la dignité absolue de la personne humaine, ce qui implique notamment de protéger les faibles contre les forts. Néanmoins, si le droit n’a pas vocation à réaliser la morale ou à imposer aux individus, d’une manière ou d’une autre, des conceptions morales – le risque étant de sombrer dans une forme de dictature de l’ordre moral ou dans le règne de l’obscurantisme – il ne peut ni ne doit être contraire aux exigences de la loi morale naturelle ou de la juste raison (la recta ratio), ni accorder une reconnaissance juridique à des comportements objectivement immoraux.
C’est la distinction traditionnelle faite entre le droit naturel et le droit positif. Le droit naturel préexiste à toute législation : en fonction des convictions de chacun, il résulte d’un travail de recherche et de découverte effectué par la Raison humaine ou d’une révélation divine. Le droit positif, quand il est édicté, ne peut en aucun cas s’opposer au droit naturel sous peine d’être illégitime. Nul ne doit alors y obéir. En d’autres termes, la loi humaine n’a force de loi qu’en tant qu’elle est conforme à la loi morale naturelle, reconnue par la droite raison, et en tant qu’elle respecte, en particulier, les droits inaliénables de chaque personne.
Pour prendre un exemple extrême, les lois raciales du IIIe Reich ou les lois discriminatoires de Vichy à l’encontre des Juifs étaient illégitimes et ne devaient pas être obéies parce qu’elles s’opposaient clairement à la loi morale naturelle, selon laquelle tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.
Que l’on soit bien conscient de la chose suivante : si on ne croit pas au droit naturel, si l’on n’admet pas que le droit positif est limité par une loi supérieure, d’essence métapolitique ou morale, on sombre très rapidement dans une conception totalitaire du droit, auquel tout est permis. Il n’existe alors plus aucune légitimation à la désobéissance civile ou à l’opposition aux lois injustes, car la notion même de justice disparaît. Le droit devient donc l’instrument privilégié, aux mains de ceux qui détiennent le pouvoir, de la transformation de la société qui, le plus souvent, est imposée de force à tous les réfractaires. C’est précisément ce à quoi nous avons assisté dans l’Allemagne hitlérienne ou dans la Russie communiste (9). Et c’est malheureusement ce à quoi nous assistons aujourd’hui, sous une forme édulcorée et dénuée de violence physique, mais non de violence verbale ni morale, dans nos sociétés post-modernes qui n’ont, la plupart du temps, qu’un rapport très éloigné avec la pensée libérale originelle. Depuis Saint-Just et la Révolution française – je sais, certains doivent penser que c’est une de mes obsessions : cependant, la plupart des maux de la France viennent de cette conception totalitaire de la politique, jamais tout à fait abandonnée – le droit positif a de plus en plus tendance à être mis au service du «droit au bonheur» des individus, dogme érigé en lieu et place de la réflexion sur le droit naturel, et qui connaît de multiples déclinaisons, dont les fameux «droit au mariage» et «droit à l’enfant».

Le droit de la famille au service de la filiation

Appliquons maintenant cette réflexion générale sur le droit au cas particulier du droit de la famille. En France, contrairement à d’autres pays, il n’est pas possible de se marier religieusement avant d’être marié civilement. Cette disposition date de la Révolution française qui avait, en son temps, laïcisé le droit civil, choix consacré par le Code Napoléon quelques années plus tard, et confirmé, aujourd’hui encore, par le Nouveau Code Pénal (10). Or, le mariage civil a pour but exclusif de créer une union solide entre un homme et une femme souhaitant fonder une famille (11). La famille est en effet la cellule de base de l’organisation de toute société : il est fondamental qu’elle soit stable, car cela permet aux enfants de s’y structurer et d’y développer pleinement leurs potentialités. De la stabilité des familles dépendent ainsi la stabilité de la société dans son ensemble (12) et la possibilité pour tout individu d’entrer dans la vie avec les meilleures chances – autant dire que la famille participe de la création d’une véritable égalité des chances. On le voit, et il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir le Code Civil, le droit de la famille a pour vocation quasi exclusive de protéger la filiation, c’est-à-dire les enfants qui, par définition, sont les êtres les plus faibles de la société. L’article 213 du Code dispose en effet, au début du chapitre VI «Des devoirs et des droits respectifs des époux» : «Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir» (c’est moi qui souligne).
Symétriquement, on peut en déduire que le mariage civil n’a pas d’intérêt en soi pour les couples – les devoirs pesant sur les époux ayant vocation à assurer la solidité du cadre familial et les dispositions relatives au divorce concernant aussi largement les enfants (13) – à l’inverse du mariage religieux, engagement solennel de deux personnes devant Dieu, voire sacrement, comme dans l’Église catholique. Dans un article du Figaro daté du 28 juin 2004 et intitulé «Qu’est-ce qu’un homme normal ?», Alain-Gérard Slama résumait parfaitement cette idée : «L’intervention de l’État dans le droit de la famille, faut-il le redire, a pour seule justification la protection de la filiation. Les maires ne marient pas les couples, ce sont les couples qui se marient. Le représentant de l’état civil est le greffier des engagements pris par la société envers les époux à raison de leurs enfants potentiels. Tous les autres cas de figure sont du ressort des contrats personnels, authentifiés par des notaires» (c’est moi qui souligne).

L’illégitimité du mariage et des unions juridiques entre homosexuels

Si l’ouverture du mariage aux couples homosexuels s’accompagnait ou avait vocation à être accompagnée, à terme, par la possibilité d’adopter des enfants, alors une telle mesure serait clairement contraire à la loi morale naturelle. Nicolas Sarkozy a fort justement rappelé que seuls un homme et une femme pouvaient avoir des enfants. Ceci est un fait. Ne pas le reconnaître, c’est nier l’ontologie même de l’Homme, en effaçant arbitrairement le lien qui unit depuis toujours et pour toujours la procréation à la différence des sexes. Si discrimination il y a, c’est à la Nature qu’il faut s’en prendre (14). En attendant, il n’est pas permis de prendre en otage des enfants pour satisfaire le «droit au bonheur» de quelques uns. Il n’est pas permis de prendre le risque de déstabiliser profondément de jeunes personnes qui ont besoin d’un père et d’une mère pour assurer leur développement et leur structuration. Il n’est pas permis, enfin, de réduire les enfants à des objets de consommation devant répondre au désir égoïste de certains, qui veulent pouvoir faire «comme les autres», alors que, précisément, ils ne se comportent pas comme les autres. Autoriser l’adoption d’enfants par les homosexuels revient en fait à piétiner le commandement moral central de Kant, que j’aime souvent à citer : «toute personne doit toujours être considérée comme une fin, jamais comme un moyen».
Si, en revanche, on se contentait de vouloir ouvrir le mariage aux homosexuels, sans évoquer la question de l’adoption, alors il n’existerait plus aucune justification à une telle loi. En effet, le mariage ou l’union de deux personnes n’intéressent pas, en tant que tels, l’État, dans la mesure où il s’agit de relations privées. Comme l’écrivait Alain-Gérard Slama dans l’excellent article précité, «l’État n’a pas à intervenir dans les rapports sexuels entre adultes consentants». En revanche, en dehors de tout lien avec la filiation, l’État doit prendre les mesures nécessaires à la protection des plus faibles, qui pourraient se voir imposer des relations sexuelles – interdiction de la pédophilie et détermination d’un âge minimum pour que des relations sexuelles puissent être jugées pleinement consentantes – ou un mariage forcé. Il n’existe donc pas de «droit au mariage» mais seulement un droit à la protection du faible, et donc la possibilité et le devoir pour l’État d’interdire certains comportements.
Si donc la reconnaissance du mariage homosexuel ne trouve aucune justification du point de vue de la philosophie du droit, cela signifie que cette revendication a pour seul but de faire légitimer, par la voie d’une loi, un comportement privé contraire à la loi morale naturelle. En d’autres termes, alors que le droit a été laïcisé et, que de fait, il n’intervient plus dans les choix privés des individus – c’est la raison pour laquelle les rapports homosexuels entre adultes consentants ne sont, fort heureusement, plus pénalisés, contrairement à ce qui existait dans un passé pas si lointain – on assisterait à une «athéisation», à une moralisation à l’envers du droit, c’est-à-dire à son instrumentalisation au service d’une prise de position morale, sous l’apparence de la neutralité et de la lutte contre les discriminations. Ouvrir le mariage aux homosexuels n’a rien à voir avec la tolérance, puisque celle-ci existe déjà et que des lois punissent à juste titre ceux qui s’en prennent à des personnes en raison de leur orientation sexuelle. Créer un mariage homosexuel revient uniquement à affirmer l’égalité entre l’hétérosexualité et l’homosexualité, et donc à affirmer la moralité de l’homosexualité. Il s’agit bien d’une dérive totalitaire du droit, utilisé pour imposer une conception morale contraire à la juste raison.
Mais poussons le raisonnement jusqu’au bout. Admettons que l’homosexualité soit un comportement parfaitement moral, dans la mesure où, après tout, seul compte le fait que deux individus s’aiment. Admettons aussi qu’il existe un droit au mariage et un droit à l’enfant, ou plutôt un droit à la filiation, pour raisonner en termes juridiques. Peut-on alors me dire pourquoi les articles 161, 162 et 163 du Code Civil interdisent les mariages incestueux (entre ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne, entre frère et sœur, et enfin entre oncle et nièce, tante et neveu) ? Si un frère et une sœur s’aiment réellement et librement, au nom de quel principe discriminatoire devrait-on leur interdire l’accès au mariage ? Peut-on également m’indiquer pourquoi l’article 310-2 dispose que «s’il existe entre les père et mère de l’enfant un des empêchements à mariage prévus par les articles 161 et 162 [il s’agit des relations entre ascendants et descendants et entre frères et sœurs] pour cause de parenté, la filiation étant déjà établie à l’égard de l’un, il est interdit d’établir la filiation à l’égard de l'autre par quelque moyen que ce soit» ? Pourquoi ne pas admettre qu’un enfant puisse avoir comme parents un frère et une sœur ou un père et sa fille ? Quoi, vous êtes choqués ? Qu’entends-je ? Ce n’est pas moral ? C’est contraire à la loi naturelle ? Auriez-vous donc encore des tabous ? Mais je croyais que la libération sexuelle était passée par là ! Libérez-vous donc de ces carcans petit-bourgeois étriqués, bon sang !
Je n’ai rien à ajouter, je crois, sur le mariage homosexuel. Il convient néanmoins d’aborder la question de la reconnaissance juridique d’unions civiles entre personnes du même sexe. Le raisonnement, me semble-t-il, est encore plus simple dans ce cas. Créer une union juridique autre que le mariage, dont la seule vocation est de reconnaître l’existence d’un couple, sans aucun lien avec la filiation, n’a, sans même aborder la question de l’homosexualité et de l’hétérosexualité, absolument aucun sens, je crois l’avoir suffisamment démontré. Or, c’est exactement ce que le PACS a fait. L’article 515-1 du Code Civil dispose en effet «qu’un pacte civil de solidarité est un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune» (15). Notre société est-elle devenue à ce point abrutie qu’elle se jette gaiement dans les bras du totalitarisme ? Pourquoi deux individus ont-ils besoin que l’État intervienne pour organiser leur vie commune ? Ne sont-ils pas assez libres et autonomes pour le faire par eux-mêmes ? Ne peuvent-ils pas, s’ils ne se font pas totalement confiance – et cela peut se comprendre, car décider de vivre en couple est toujours, en quelque sorte, un pari sur l’avenir – signer un contrat authentifié par un notaire, lui donnant ainsi force exécutoire en cas de contentieux (16) ?
Mais le crétinisme le plus complet a été atteint par l’adjonction, à la loi sur le pacte civil de solidarité, d’une disposition donnant une définition juridique, donc un statut, au concubinage. Je ne peux m’empêcher de citer l’article 515-8, tant il est savoureux : «le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple» (17). Une union de fait. Une union libre, qui refuse le moindre engagement auquel le mariage et, dans une très moindre mesure, le PACS, obligerait. Pourquoi diable donner un statut juridique à ceux qui refusent précisément tout statut juridique ? Qui songerait à définir, dans le code civil, le célibat ? Peut-on m’expliquer à quoi cette disposition peut bien servir ?
La réponse, en réalité, est simple. La loi sur le PACS, y compris son addendum sur le concubinage, n’est qu’une vaste fumisterie de la gauche qui, en instituant ce «sous-mariage», a voulu créer un précédent devant inévitablement conduire à l’ouverture du mariage républicain aux couples homosexuels. Il s’agissait déjà d’une utilisation totalitaire du droit, mais personne n’avait relevé ce point précis au moment du débat parlementaire. Or, sept ans après son adoption, je le réaffirme avec force : le PACS n’a aucune raison d’être, ni pour les couples hétérosexuels, ni pour les couples homosexuels. En conséquence, toute forme d’union juridique civile autre que le mariage, qui protège la filiation, faut-il encore le redire, qu’elle soit destinée aux couples hétérosexuels ou aux couples homosexuels, ne trouve aucune justification dans la philosophie du droit libérale qui sert de fondement à notre société. Affirmer le contraire, c’est reconnaître que le droit doit être mis au service d’une conception morale athée et égalitariste dont la vocation est clairement totalitaire, puisqu’elle a pour unique ambition de faire table rase de tout ce que le judéo-christianisme et la pensée philosophique qui en est issue ont apporté au monde occidental depuis des siècles.

Les inégalités fiscales dénoncées sont en réalité parfaitement fondées

Reste une toute dernière question. Pourquoi les couples mariés, par définition hétérosexuels, bénéficient-ils d’avantages fiscaux dont les couples homosexuels sont exclus ? Il convient d’abord de rappeler que le PACS, ouvert aux couples de même sexe, limite considérablement cette inégalité. Mais, au lieu de développer un nouvel argumentaire, je me contenterai de reprendre les idées avancées par la droite parlementaire en 1999, dans sa saisine du Conseil Constitutionnel précédemment évoquée, et qui gardent aujourd’hui encore toute leur pertinence. La saisine déposée par les sénateurs, reprise par le Conseil sous une forme légèrement différente (cf. infra) expliquait en effet que «l’attribution d’avantages fiscaux aux couples mariés résulte de la reconnaissance du mariage à la fois comme élément fondateur de la famille et comme générateur de devoirs pour les époux», et, plus loin, que les avantages accordés aux partenaires liés par un PACS ne trouvaient pas de «justification tirée de l’intérêt général, [contrairement à ceux] bénéficiant aux époux» (18).
En d’autres termes, le mariage, cadre privilégié de la famille, assure une forme de «service public»; il joue un rôle central dans l’organisation et le fonctionnement de la société. Il apparaît donc normal d’apporter une contrepartie à cette aide sous la forme d’avantages fiscaux, l’impôt étant un des vecteurs principaux de la participation des citoyens à l’action régulatrice de la puissance publique.

En guise de conclusion

Alors, que faut-il faire, risque-t-on de me demander. «Il faut bien vivre avec son temps», m’avancera-t-on, croyant avoir trouvé un argument imparable. Je répondrai simplement qu’il est dangereux et irresponsable de vouloir saper les fondements mêmes d’une société, d’une civilisation, voire de toute organisation humaine. Si, naturellement, tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit et en dignité, si nul ne doit être attaqué verbalement, moralement ou physiquement, ni subir de discrimination en raison de sa race, de sa religion, de son sexe ou de son orientation sexuelle, et si une des missions principales de l’État est de garantir la sécurité des personnes, de toutes les personnes, contre toute forme d’agression gratuite, il existe néanmoins une différence, un gouffre, même, entre la tolérance – qui implique de laisser chacun vivre selon sa conscience, tant que ses choix de vie ne portent pas préjudice à autrui – et le fait de reconnaître et d’approuver par la loi un comportement privé contraire à la loi morale naturelle, et de l’ériger ainsi en institution du système juridique.

La tolérance n’est pas le relativisme des valeurs. Seul le respect de la juste raison par les lois permet à une société d’être libre et pérenne. Et rien n’est plus moderne que la liberté véritable.

Notes
(1) Dans la nouvelle émission «Chez F-OG», diffusée sur France 5 le 10 septembre 2006, François Bayrou, interrogé sur le fait de savoir s’il penchait désormais à gauche ou à droite, a répondu que toute sa vie, il avait tenté de ne jamais penser… Euh, pardon, de ne jamais pencher.
(2) Il suffit de se rendre sur le site de l’Assemblée nationale, de rechercher le dossier législatif sur le PACS et d’étudier la liste des personnes ayant voté pour ou contre le projet de loi.
(3) Se reporter au Journal Officiel de la République Française en date du 16 novembre 1999, pages 16 959 et suivantes, et, pour la liste des signataires de la saisine du Conseil, à la page 16 962.
(4) Inutile, je crois, de préciser que le recours avait été rejeté et que la loi sur le PACS, déclarée conforme à la constitution, avait été promulguée le 15 novembre 1999 sous la référence 99-944.
(5) «L’UMP veut concéder des droits aux parents gays», Le Monde, mercredi 6 septembre 2006.
(6) Au contraire, si l’on en croit plusieurs études selon lesquelles le président républicain aurait battu John Kerry tant en raison de sa politique de lutte contre le terrorisme que sur le terrain des valeurs.
(7) Il s’agit, là encore, d’une manipulation des esprits : le problème, en effet, ne concerne pas que les couples homosexuels, mais tous les couples ne s’étant pas mariés. Or, ce sujet est quasiment exclusivement abordé sous l’angle des soi-disant discriminations dont sont victimes les couples de même sexe.
(8) J’ai déjà succinctement abordé cette question dans un de mes précédents textes : se reporter à l’article intitulé De la France au bord du gouffre… et de ceux qui veulent qu’elle fasse un pas en avant.
(9) Où sévissait le slogan tristement célèbre : «rien n’est impossible pour l’homme communiste».
(10) Cela peut surprendre. Pourtant, l’article 433-21 du NCP dispose : «Tout ministre d’un culte qui procèdera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil sera puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende». On peut se demander, à la lecture de cet article, si la liberté de culte a un sens.
(11) C’est ce qui, au passage, assure la pérennité des sociétés et, tout simplement, de l’humanité.
(12) Ce n’est pas un hasard si l’explosion du cadre familial est concomitante avec l’augmentation des difficultés psychologiques et scolaires de nombreux enfants, sans parler des comportements délinquants qui se développent très souvent en raison de l’absence de repères familiaux ou de l’exercice de l’autorité paternelle.
(13) Même s’il faut reconnaître que les articles du Code Civil relatifs au divorce répondent aussi à la nécessité de protéger la personne du couple la plus faible, c’est-à-dire, le plus souvent, la femme.
(14) Remarquez, il se trouverait bien quelque tribunal ou, mieux, la Cour européenne des droits de l’Homme pour intenter un procès à Mère Nature… et pour la condamner !
(15) C’est moi qui souligne.
(16) C’est, au demeurant, exactement ce que recommandait Alain-Gérard Slama dans la première citation que j’ai faite de son article du Figaro.
(17) C’est de nouveau moi qui souligne.
(18) Journal Officiel de la République Française, 16 novembre 1999, p. 16 973.

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