Tango de Satan de László Krasznahorkai (19/02/2007)
Crédits photographiques : Bruce McAdam (CC BY-SA).
László Krasznahorkai, Tango de Satan (Gallimard, coll. Du Monde entier, 2000 [1985]), p. 64.
Quel remarquable romancier, me suis-je encore répété après avoir terminé de lire Tango de Satan, paru en Hongrie en 1985 et publié par Gallimard en 2000. Certes, ayant découvert cet écrivain grâce à sa somptueuse Mélancolie de la résistance, dont le style envoûtant est d'une amplitude et d'une maîtrise confondantes (j'ai évoqué, dans un courriel adressé à l'écrivain, l'exemple d'Absalon, Absalon ! de Faulkner), je dois bien reconnaître que dans ce premier roman, le retournement final (ou plutôt la boucle refermée du tango mené par Satan, l'anti-Reprise kierkegaardienne par excellence), éminemment borgésien, un peu trop prévisible sans doute, l'intrusion grossière du surnaturel dans un monde qui le rejette pour lui préférer la superstition mesquine, ont tout de même pu gâcher quelque peu mon plaisir. Reste l'évidence, assez rare pour que je la souligne en ces temps de disette littéraire, pendant lesquels nous serons bientôt contraints, en France tout du moins comme naguère dans les riantes marches de l'empire soviétique, de perdre de longues heures pour faire la queue à moins de nous fournir, discrètement, de plus consistantes victuailles que celles que nous servent nos lamentables épiciers qui se prétendent romanciers, reste l'évidence d'une quête métaphysique obsédée par l'inéluctable dégénérescence d'un monde et d'une société ayant oublié Dieu, la description, entremêlant une satire hilarante des principaux personnages et quelques magnifiques évocations d'un paysage spectral qui eût pu être peint par Georges Rouault, d'une société post-communiste rongée par l'avidité, le sexe et l'alcool, suffisamment crédule pour se livrer à n'importe quel vagabond pourvu qu'il sache se servir de son verbe enchanteur, Irimias dans ce roman ou le Prince dans La Mélancolie de la résistance.
Une fois de plus (mais cette fois-ci en une phrase moins typiquement hongroise), je me redis scandalisé par le peu d'empressement que semblent manifester les éditeurs français, singulièrement Gallimard (auquel toutefois il faut rendre grâce de nous avoir donné deux magnifiques quoique fort tardives traductions de ce passionnant romancier), quant au fait de nous permettre de lire non point l'ensemble sans doute (et quand bien même : pourquoi pas ?) des ouvrages de Krasznahorkai mais, au moins, un tout petit peu plus que ces deux seuls romans qui, sans leur magnifique adaptation cinématographique réalisée par Béla Tarr, dormiraient probablement dans quelque tiroir poussiéreux de notre vénérable maison d'édition. Après tout, maintenant qu'elle est riche grâce aux ventes colossales des Bienveillantes, pourquoi ne déciderait-elle pas de consacrer un peu de son argent à une entreprise aussi belle que risquée ?
Lien permanent | Tags : littérature, critique littéraire, roman, krasznahorkai, béla tarr | | Imprimer