Ce qui vit de la matière... (05/04/2005)

Crédits photographiques : Biswaranjan Rout (Associated Press).

«Je ne Vous ai pas connu alors, – ni maintenant.
Je n'ai jamais prié quand j'étais un petit enfant.

Ce soir pourtant je pense à Vous avec effroi.
Mon âme est une veuve en deuil au pied de votre Croix ;

Mon âme est une veuve en noir, – c'est votre Mère
Sans larme et sans espoir, comme l'a peinte Carrière.

Je connais tous les Christs qui pendent dans les musées ;
Mais Vous marchez, Seigneur, ce soir à mes côtés.»
Blaise Cendrars, Les Pâques à New York.



«Ce qui vit de la matière, écrivait Karl Kraus dans Pro Domo et Mundo, meurt avant la matière. Ce qui vit dans la langue vit avec la langue.» Il me semble dès lors que j'affirme une pénible banalité en faisant constater que toutes ces bouches cariées, chuchotant autour du cadavre du Saint-Père, vivent d'une vie moins certaine, admirable, immortelle, que cette dépouille, blanchie comme un os et passée on dirait à l'émeri de la souffrance, du Verbe.
Et que dire d'un pays, le nôtre, à tel point coupé de toute grandeur, de tout souvenir, de tout rêve de grandeur, de tout frôlement du sacré, de tout frisson du divin qu'il est capable, grattant fidèlement son prurit deux fois centenaire, de s'émouvoir que son pouvoir politique rende un dernier hommage, pourtant fort modeste si on le compare à ceux rendus par des pays qui sont a priori moins chrétiens que le nôtre, à celui qui fut, aussi (d'abord, disent les mauvaises langues, faisant mine d'oublier la longue tradition de la théologie politique pratiquée par l'Église), à celui qui fut un immense dirigeant, et un dirigeant immense, justement parce que le Saint-Père n'a pas craint de redonner au Politique sa majuscule péguyste, mot, notion et réalités majusculés qu'un Chirac et tant d'autres de ses suiveurs perclus de trouille s'amusent à galvauder un peu plus chaque jour ?
J'écoute les ondes et j'enrage de mon impuissance, de ne pouvoir freiner, ne serait-ce qu'une seule seconde, l'inéluctable progression de cette gigantesque marée de merde qui finira bien par nous noyer. Je me demande parfois si nous ne sommes pas déjà des noyés, déjà des morts, la presse seule, ces milliers de phrases sales proférées par des cadavres nous donnant l'illusion de la vie alors que, pauvres épaves abandonnées même des bivalves, nous nous décomposons lentement dans quelque Sargasse infernale.
J'écoute le vacarme médiatique et j'ai honte de ces édiles borgnes, ces petits pions festifs, gaucholâtres d'une sous-culture merdeuse et s'offrant au vit le plus scorbuteux pourvu qu'il soit tolérant, Arnaud Montebourg, Jean-Luc Mélenchon, Christophe Girard et j'ai honte, oui, j'ai honte de toute la procession miteuse de ces gardiens de la sainte orthodoxie laïcarde, FNESR, FSU, Unsa-Éducation et tant d'autres qu'il ne vaut même pas la peine de nommer, de peur de les arracher au néant.
Nous avions oublié notre baptême. Nous lui crachons dessus à présent. C'est lui qui va nous maudire, maudire notre nation jadis aînée, maudire notre trouille, maudire notre faiblesse qui est peur, c'est lui qui va nous maudire, nous le sommes déjà, maudits, c'est lui, non pas notre baptême, reçu que nous le voulions ou pas mais notre oubli, notre crachat.

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