Lettre à ceux qui parlent encore, par Moussa Diabira (22/12/2005)

The Fallen, photographie d'Owen Weber


L'un des reproches les plus inébranlables que me servent les crétins anonymes (sur la Toile, l'anonymat est bien souvent l'épithète de nature du crétinisme) est bien connu, quoique, sous leur plume débile, apparemment toujours auréolé de nouveauté : parce que j'interdis les commentaires, je serais un affreux dictateur détestant la contradiction. J'ai déjà, mille et mille fois, répondu à cette critique grossière, stupide et infondée, rappelant que je me moquais comme d'une guigne des avis des uns et des autres, que la communication directe était à mes yeux une facilité sidérante si on osait lui opposer la dureté de la communication indirecte (savoir si la Toile est ou peut être le lieu d'une pareille gageure est un débat initié, naguère, avec Dominique Autié...), qu'enfin j'ouvrais la Zone à qui le désirait, à condition bien sûr que l'intéressé daigne me faire parvenir un texte argumenté et, si possible, rédigé dans un français qui ne soit point celui du blog de Julien Dray. Est-ce trop demander ? Les babouins estiment, en hôchant d'un commun élan leur chef prognathe : oui, c'est beaucoup trop car je ne vois pas par quelle raison, moi, babouin et fier de l'être, je devrais ne point venir souiller la Zone et, en sus, y inviter la bande fort étendue de mes congénères, toujours prêts à se livrer à leurs tripotages publics. Mais qui donc, grands dieux, a fait croire à ces cousins lointains de l'homme que la Zone était un tripot démocratique ? Pas moi, je vous le jure. Et qu'y puis-je si, par exemple à l'occasion de ma série de publications de textes consacrés aux émeutes en banlieue, j'ai reçu beaucoup d'insultes mais strictement pas la plus petite trace d'un texte, fût-il violemment opposé aux idées de messieurs Moury, Dargent et Rivron, qui tâcherait de réduire à néant leur argumentation ? Effectivement, les babouins, y compris le chef, s'il existe, de cette facétieuse communauté arboricole, estimeront que je n'y puis rien... Je l'attends toujours, d'ailleurs, ce texte critique, polémique, soit-disant républicain, donc tolérant, s'insurgeant contre les analyses ici professées, qui, je le dis tout de suite, ne me font point rougir...
Voici en revanche, publié tel quel, l'un des très nombreux courriers que m'a valu cette même parution dans la Zone des différents articles regroupés sous un seul titre, Bellum civile/Civil War in France.

Je suis presque navré de prendre le temps de vous écrire ceci. Navré d'abord sans doute parce que je sens quelque chose d'un égocentrisme chagrinant à croire que cette lettre puisse avoir la moindre importance. Mais navré surtout qu'il m'apparaisse nécessaire de devoir l'écrire, c'est-à-dire peiné que certaines personnes ayant lu vos textes aient pu croire, parce qu'on y retrouvait peut-être une quelconque parenté formelle dans l'emphase avec les textes de certains extrémismes (vous le remarquez fort justement, c'est finalement souvent plus ce qu'on reproche aussi à Bloy), que vos textes défendaient des idées extrémistes quand, de manière générale, ils ne disaient rien que de très naturel.
Répétons-le donc encore au désert : il n'y a rien d'extrémiste à rappeler que si la société civile se refuse à employer la force pour juguler la violence, c'est la société civile qui disparaît, pas la violence, et cela reste vrai que cette violence ait été engendrée par la société civile elle-même ou non.
Je me permettrais cependant de glisser ce commentaire, avec l'espoir qu'il sera peut être utile : il m'apparaît étonnant que PERSONNE à ma connaissance (limitée je ne peux que l'accorder si je tiens à rester un tant soit peu honnête), n'ait fait le lien entre ces flambées de violence et le fiasco des dernières élections présidentielles : l'impact qu'a pourtant eu cette tragédie, le discrédit qu'elle semble avoir jeté sur l'ensemble des discours d'intégration ne sont pourtant pas moindres. Je pense que je garderais toute ma vie cette sensation étrange de la qualité du poids de l'air dans les rues au lendemain du premier tour, le visage des gens, et plus particulièrement celui de ce marchand de kebab, ébranlé et perdu. Je me souviens d'un article du Monde ou un anonyme cité disait : «On n'a pas voulu ça !». Réaction de quelqu'un sûr de son identité française. Mais pour beaucoup d'immigrés, ou de personnes se sentant immigrés dans leur propre pays, la réaction a plutôt été : «C'est pour faire partie de ça que je me suis battu ?». La revendication d'une identité communautaire, que beaucoup confondent avec l'islamisation, parce qu'elle en parasite les formes, semble s'être accrue dangereusement juste après, de même que la conception utilitariste de l'État français comme source extérieure, bonne uniquement à être parasitée, elle aussi, me semble s'être tout simplement légitimée à ce moment, se débarrassant des derniers lambeaux de honte qui auraient encore pu lui rester.
Ils ne veulent plus se considérer comme Français, voilà le message transmis.
Et pourtant, que sont-ils, si pas Français ? Que dit d'autre le désir avoué des plus bruyants d'entre eux de violer ou de pisser sur la France, si ce n'est que la France est toujours perçue comme la Femme sacrée qui les fait bander de (trop) loin ? Que marque d'autre la forme même de ces explosions de violence (je ne parle pas de celle que les médias de tous bords ont cherché à lui donner, mais bien celle perçue et assumée par les fauteurs criminels eux-mêmes, si loin de la réalité que puisse être leur perception des choses), cette manière de présenter ce qui n'est jamais que notre échec de société matérialiste comme une revendication sociale, sinon qu'ils étaient Français ?
Et c'est bien notre échec que cette manifestation montre. Vous l'avez déjà dit, répétons-le encore, ce n'est pas parce qu'ils sont dans un état de misère objectif, mais relatif, que la minorité vocale de ceux
qui maintenant refusent brûle. Nous leur avons enseigné que l'état de la société était purement arbitraire, et ils en ont tiré les conséquences logiques : s'il est certain que, de toutes façons, quelqu'un doit faire le sale boulot (sale, dégradant, juste parce que moins bien payé : l'argent est le seul vecteur de l'honneur, ça aussi nous le leur avons plus ou moins involontairement enseigné, et ils ne l'ont que trop bien appris), alors pourquoi serait-ce à eux de le faire plutôt qu'à d'autres ? Pire encore, je pense, ce que cette explosion de violence, devenue sa propre monnaie, et qui ne va nulle part, montre bien, c'est que nous n'avons rien de mieux à leur offrir pour se divertir que l'autodestruction par négation de l'autre.
Mais je m'arrête ici, j'étais venu pour lancer un élément, un écho, dans le débat. Pas pour participer à la grande série des monologues...
Merci au Stalker pour sa Zone (il est bon de trouver une voix autre et claire au milieu de la cacophonie des semblables, que l'on soit ou non d'accord avec elle), et merci encore à messieurs Moury, Dargent et Rivron pour leurs analyses de ces événements.

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