Vie et mort de Gollum (08/11/2004)
Crédits photographiques : Daniele Tamagni.
Ma phrase est trop longue ? Pas encore assez en tout cas pour tenter de démêler l’inextricable écheveau qu’est devenue la plus sotte réalité, la plus commune, celle pourtant qui a toujours été la matière intime des grands écrivains qui, comme Gadenne, voient dans l’agonie d’une baleine la mort d’un monde en ruine et la promesse de sa renaissance miraculeuse. Voici donc une phrase encore plus longue. Cet événement somme toute banale, une baleine qui meurt sur une plage et ces comparaisons, cela n’est absolument rien bien sûr, rien de plus que quelques références littéraires (je parle de Bénichou, de Gadenne et même de la baleine entrée en littérature avec le Léviathan biblique, pas du journaliste caviardeur Assouline, qui pèse pourtant moins lourd que quelques grammes de krill), références disais-je fugaces et immédiatement avalées, digérées puis… oubliées par le flot d’informations qui jamais ne tarit, cette mer des Sargasses roulant dans ses vagues sales la victoire triomphale de George W. Bush, la déconfiture pitoyable d’une presse parisienne ayant présenté trop de fois le Texan confiant comme un attardé mental, l’autre déconfiture, cette fois intestinale, consécutive à cette même victoire et au fait que Yasser Arafat semble s’être transformé en quelque monsieur Valdemar, «tourista» phénoménale qui, paraît-il, a conduit Marc-Édouard Nabe à se passionner, afin de rédiger son prochain ouvrage de nobles pensées journalistiques, sur le sujet hautement philanthropique du dérèglement de ses boyaux, j’allais oublier l’assaut des Marines sur Fallouja, la mort de Français en Côte d’Ivoire et, point d’orgue de cette banale fin de semaine, la défection (ça y est, je peux cette fois-ci employer le terme approprié de «trahison» ? sans recevoir un glaviot verdâtre et malodorant tombé du ciel où plane, immarcescible et altier, le Fou de Bassan ?), donc, la trahison de Johann Cariou sur lequel un contrat a été passé : certaine mystérieuse et impénétrable autorité exige comme Salomé la tête du traître sur un plateau de moules d’ailleurs plus très fraîches. Oui, il y avait fort à parier que ces mêmes moules, ouvertes dix lignes plus haut, ne soient définitivement pourries et inconsommables à force d’être ballottées par le ressac de mon interminable phrase…
Bah !, cher Johann, avec ces événements qui ne sont rien de plus qu’un tremblement de terre au royaume de Lilliput, te voici rendu à ta piètre dimension humaine, trop humaine, une fois de plus descendu du tatami sur lequel tu n’as combattu rien d’autre que ta propre trouille, certes gigantesque. Tu n’es désormais rien de plus qu’un dommage collatéral en somme même si ta vie va devenir périlleuse décidément à présent que la colonie des Fous t’a rejeté dans les ténèbres extérieures, étranger sur une terre étrangère, pauvre albatros sans génie et pataud que moquent les marins d’eau douce, avec en prime une meute cancérigène de loups sur tes traces, elles-mêmes surveillées depuis les altitudes par les rondes splendides des Fous de Bassan. Cher Johann, petit Gollum détruit par le pouvoir maléfique de l’Anneau, écoute donc le conseil que te délivre le rusé Basque que je suis, expert en camouflage tactique et reste donc terré profondément deux ou trois semaines dans quelque recoin puant des catacombes parisiennes où tu attendras désormais, tel un étique stylite adepte du jeûne régénérateur (à moins que comme Gollum tu ne te nourrisses plus que de poisson cru…), l’esprit serein et ton âme relapse ayant fait résipiscence, comme les anciens chrétiens persécutés la Venue (la seconde ?) du terrifiant Seigneur de l’Ano, en anglais le Ring donc, moins d’ailleurs celui de Tolkien que celui de Wagner puisque seuls les accents d’une tragédie faustienne aussi admirable pourront convenir à ce mystère théâtral digne des temps anciens et que je résumerai sans emphase de la façon suivante : Johann Cariou, qui avait déserté un vaisseau fantôme pour monter sur les planches pourries d’un Tannhäuser de foire, s'est évaporé dans la nature, errant désormais de port en port comme le triste marin de Coleridge… Nous pourrions nous croire, avec toutes ces références littéraires, dans quelque sombre drame romantique alors que nous n'avons jamais déserté les tréteaux de la foire la plus grotesque.
Note
(1) Le texte exact est : «Le dessein des deux auteurs [Job et Kafka] est évidemment le même : dépeindre l’hétéronomie de Dieu, ce qui échappe aux mesures humaines. Jusqu’alors on avait toujours procédé par une potentialisation infinie du positif, en supposant plus de clarté qu’on ne saurait en concevoir, plus de force, plus de grandeur. Kafka nous fait comprendre la disparité des deux mondes en dotant le monde de la perfection de signes négatifs. Chez Job déjà, l’univers de Dieu, étant celui des monstres, est radicalement opposé à celui de l’homme, mais du moins est-il grandiose.»
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