Marc-Édouard Nabe ou la colère du bourdon (21/11/2004)

Crédits photographiques : Frank Rumpenhorst (AFP/Getty Images).
A la date du 11 novembre 2004, lu sur le site de Marc-Édouard Nabe ce plaisant commentaire, intitulé Les moustiques de la honte : «Les internuls Bruno-Deniel Laurent, Raphaël Juldé, Joseph Vebret et autres Juan Asensio essaient encore et encore de piquer Nabe, mais ils ne peuvent plus rien pomper de leur ancien auteur «chéri». L'ont-ils assez dit qu'il était «tari» ! Sans aucune honte de ce qu'ils sont, ils osent juger une fois encore son nouveau livre. En substance, J'enfonce le clou contient des textes excellents sauf quand Nabe s'attaque à Israël ou à l'Amérique... Ben voyons ! Littérairement, puisque c'est leur critère, en quoi Le Mur du mal est un texte inférieur à L'ogre Flou par exemple ? Et bien sûr, comme par hasard, quand Nabe analyse la pédophilie, ces refoulés frissonnent d'admiration ! Pour le reste, le livre leur «tombe des mains» (dixit le manchot Laurent), il s'agirait de «vérité molle» (dixit le dur Juldé), ou de «printemps tiède» (dixit l'ardent Ansensio [sic])... Non seulement, ces tristes messieurs aveuglés par leur idéologie sont bêtes, mais on se demande s'ils ont déjà compris une seule ligne des livres de Nabe qu'ils prétendent avoir appréciés jadis !».
Ces quelques lignes sont consternantes de bêtise, de mauvaise foi et, surtout, frappent mollement, sans le moindre talent dans la méchanceté, ce qui me fait soupçonner, à l'origine d'une telle bluette, quelque thuriféraire de Nabe plutôt que Nabe lui-même, paraît-il bien incapable de se servir d'Internet... Peu importe du reste. Face aux moustiques donc, nous avons un vieux bourdon qui n’a même plus la force de décoller, tout en pétaradant le sempiternel même vrombissement qui n’effraie plus que quelques libellules… De la part de Nabe, l’imprécateur-né, qui eût cru une telle flagornerie possible, une telle reculade, un aussi melliflu égratignement ? Ah ! Je ris à la seule pensée de ce qu’aurait pu écrire Bloy, paraît-il l’arrière-grand-père de Nabe du côté de sa mère, si quelque moustique, fût-il gorgé de sang contaminé, s’était avisé de piquer le colosse intraitable ! Le frelon redoutable aurait commis un véritable massacre dans la ruche devenue folle. Quelle tempête, quelle avalanche de termes surannés puisés dans les spicilèges poussiéreux où quelque «émonctoire infundibuliforme» eût trouvé un dernier refuge avant de réapparaître, magiquement transsubstantialisé par la colère du mendiant ingrat, sur la page fébrile d’un billet assassin. En lieu et place d’une lave exécrative qui au moins m’eût réjoui, Nabe nous sert, avec la timidité d’une pucelle et un sourire de potache pris sur le fait, une écuelle d’une fadeur absolue que ne refuserait pas de laper un Florian Zeller, pourtant allergique à toute consistance. Nous sommes donc des idéologues. Fort bien et Nabe, garçon intelligent paraît-il, de ne point paraître s’être avisé que, s’il écrit depuis quelques temps de forts mauvais bouquins, c’est bel et bien parce qu’il tente de plier, sans succès, son indéniable talent à une comique islamophilie qui n’a même pas cru utile de se prémunir du filet pourtant mince d’une ou deux lectures, je ne parle même pas de Muhyî-d-Dîn Ibn 'Arabî mais, plus classiquement, de Massignon (qu’il a lu du bout des lunettes, comme Bloy d’ailleurs) ou Corbin par exemple (l’un et l’autre connurent, mais Nabe l’érudit l’ignore sans doute, Gershom Scholem, en 1950 et 1952, lors des sessions d’Eranos).
Mais redevenons sérieux et, surtout, pédagogue et lisible pour ce myope atrabilaire. Faut-il rappeler à Nabe que je ne l’ai JAMAIS admiré, flairant trop, sous les atours dorés d’un saint Benoît Labre de catéchèse, un irrésistible tropisme pour une égolâtrie maladive ? Dois-je rappeler que je me suis toujours inquiété de sa propension ridicule à prendre la pose arrogante et totalement mensongère d’une sorte de Léon Bloy redivivus, Nabe qui beugle sur l’infinie nullité intellectuelle de la critique journalistique (il a parfaitement raison de le faire) alors même que, à la différence de Bloy qu’il vénère, bien peu de journées se passent dans notre capitale branchée sans qu’il soit invité par tel ou tel à nous vanter les vertus revigorantes de sa soupe de navets tiède ? Dois-je encore rappeler que j’ai longuement évoqué, dans la revue Cancer !, son excellent Alain Zannini, comme nul autre en France ne l’a fait je crois (sauf peut-être Laurent James), tout en pointant des défauts qui, à présent, grossissent de livre en livre, qui plus est en me moquant, justement, de telle zélée soubrette cancérienne qui ne tarissait pas d’éloges grandiloquents à l’endroit d’un Nabe grossièrement psychanalysé ? Puisque apparemment Marc-Édouard Nabe, ainsi que les deux ou trois hypokhâgneuses frigides qui constituent à présent son unique cour à peine humide, savent bien peu lire, je redonne ici, in extenso, ma critique de son dernier recueil de textes, J’enfonce le clou, peu aisément réductible, il me semble, à la sommaire crotte que nous a poussée, avec difficulté, un Marc-Édouard Nabe constipé.
« Passer de la lecture du remarquable et ténébreux ouvrage de Wladimir Weidlé au dernier livre signé du tonitruant Marc-Édouard Nabe, J’enfonce le clou, c’est un peu décider de ne plus contempler telle magnifique icône pour se consacrer à l’analyse d’un vulgaire chromo criard, l’une de ces babioles graisseuses que les Grecs déposent pieusement à l’endroit où leur façon exotique de conduire a privé l’un des leurs des plaisirs purement terrestres d’un Muscat de Samos. Attention cependant, je ne jette pas l’anathème sur Nabe, qui d’ailleurs s’empresserait de le ramasser et de lui témoigner une attention de tous les instants, comme s’il s’agissait pour lui d’arroser une plante souffreteuse qu’il exhibera ensuite avec fierté. Certains textes, notamment l’analyse superbe consacrée à la Passion de Mel Gibson, sont remarquables de justesse et de violence. Stigmatiser l’Occident pourrissant, drapé dans sa trouille-très-chrétienne (ou plutôt catholique) n’est également pas pour me déplaire, quitte à manier un peu trop facilement le paradoxe théologique en affirmant plusieurs fois que la seule terre de chrétienté, aujourd’hui, est désormais la terre «où il y a de l’islam». Je ne peux toutefois, à l’instar de Joseph Vebret, que constater que, systématiquement, Nabe cherche à choquer pour le simple plaisir de choquer. Ainsi revendique-t-il haut et fort la transformation, par les actes terroristes, de l’horreur en œuvre artistique puisque l’art, selon l’auteur, n’est absolument plus capable, de nos jours, de rivaliser avec la réalité. Nabe a bien évidemment raison ; jetez un coup d’œil sur les meilleures ventes littéraires et vous ne pourrez qu’affirmer, avec l’auteur du splendide et jouissif Alain Zannini, que la littérature française ne vaut (presque) plus rien et que, symétriquement, c’est sur ce rien que poussent de plus en plus de champignons blafards, les journalistes de Paris comme on parle des champignons de la même cave. Nabe a raison, oui, mais ce n’est pas tant l’horreur terroriste décidée par quelques fous qu’il faut admirer que de stigmatiser, au contraire, le ridicule pathétique dans lequel nos lettres ont lamentablement coulé, elles qui ne parviennent même plus à surnager dans la bassine de la culture, cette flache d’eau croupissante dans laquelle Nabe n’en finit pas de jeter ses vieilles carcasses d’insultes rouillées. Une fois de plus, il a raison mais on se demande alors par quelle mystérieuse abnégation l’auteur n’a pas décidé d’écrire une œuvre qui serait justement à la hauteur de notre époque, en sublimant par son art l’horreur mécanisée, en clouant au pilori le vieux pantin culturel. Car enfin, la facilité avec laquelle les prétentions nabiennes peuvent être balayées d’un geste est tout simplement déconcertante : que fait Nabe dans ce livre, J’enfonce le clou, lui qui exalte l’art contre la culture ? Du culturel voyons ou bien, si l’on tient quelque peu à sauver les meubles et la réputation (exagérée) d’incendiaire que traîne avec lui le grincheux impénitent, de l’anti-culturel, ce qui est à peur près rigoureusement la même chose… Un proverbe brésilien affirme comiquement qu’un pauvre mange de la viande lorsqu’il se mord la langue. Nous pourrions dire que Nabe, qui crache toutes les fois qu’il le peut sur la culture, en mange pourtant dès qu’il tire sa langue… Marc-Édouard Nabe préfère donc, en enfonçant un clou émoussé sur une bûche creuse, faire œuvre de diariste plutôt que de romancier, sans doute parce que, depuis quelque temps, le don romanesque de Nabe, presque miraculeusement éclot dans Alain Zannini, est tout simplement tari. Il est vrai, comme je l’avais écrit dans feu Cancer !, qu’Alain Zannini, s’il laissait entrevoir la réhabilitation romanesque d’un écrivain de grand talent contre l’homme de lettres approximativement bloyen, pouvait aussi nous faire craindre un enlisement dans les sables de la redite, qui eut d'ailleurs lieu avec l'ouvrage suivant le roman. Pour Nabe, le mirage messianico-révolutionnaire qu’est l’Irak, dont il a sans doute vu la terrible réalité, comme d’autres qu’il décrie, depuis une terrasse d’hôtel de luxe, n’aura pas duré plus longtemps qu’un printemps tiède.

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