Sur une île, stalker, quels livres emporteriez-vous ?, 7 (29/05/2008)

Photographie de l'auteur.

«The cold sweat melted from their limbs,
Ne rot, ne reek did they;
The look with which they look’d on me,
Had never pass’d away.»
Samuel Taylor Coleridge, La Ballade du Vieux Marin et autres poèmes (Gallimard, coll. Poésie, 2007), Chant IV, p. 54.


1404789347.jpgStéphane Audeguy a beau pester, rien n'y fait, La Montagne morte de la vie de Michel Bernanos (1) est bien évidemment un texte remarquable et stupéfiant taraudé par une inquiétude religieuse qu'une vieille taupe athée et à l'odorat émoussé serait capable de renifler à mille mètres de son museau.
La liste des signes évoquant une présence divine (qui est, bien sûr, dans ce livre, absence (2)) est accablante pour notre préfacier (il en donne lui-même quelques-uns, le plus évident étant un poème posthume de Michel Bernanos intitulé lui aussi La Montagne morte de la vie évoquant des prêtres continuant d'adresser leur prières à un Père absent), préfacier que Nicolas d'Estienne d'Orves auquel personne (hélas, si : un autre journaliste) n'a songé à demander son avis idiot, a bien évidemment tort de préférer à Dominique de Roux, dont le jugement, sur celui qui fut son ami, est fulgurant.
Non seulement Michel Bernanos cite, significativement tout de même, le Baudelaire des Phares en exergue de son mystérieux conte que l'on peut lire comme un hymne à la ténacité et au courage des hommes (le renoncement, l'immobilité étant au contraire infernaux (3)), mais les mentions explicitement religieuses sont légion. J'en donne quelques-unes : Toine, le vieux compagnon du narrateur, L'évoque (p. 53) et Le prie (p. 82) alors que les métaphores liturgiques, elles, sont innombrables (p. 89 : «Sa voix fut aussitôt emportée, et, comme un chapelet de prières égrené à haute voix en semaine sainte, répercutée pendant de longues minutes par l'immense voûte gorgée de nuit». Page 113 : «Cette forêt entière priant, tous arbres inclinés, puis se relevant comme après une génuflexion !», etc.).
389614115.jpgCertes, Audeguy a bien raison de se méfier des lectures spiritualistes (dont celle, à ses yeux, de Salsa Bertin intitulée Michel Bernanos l'Insurgé parue aux Éditions de Paris) mais enfin, affirmer, comme il le fait, que La Montagne morte de la vie, est un texte «habité par une hantise différente, intensément physique» [à savoir : une Nature cruelle et incompréhensible pour l'homme], autre que celle de l'absence d'un Dieu incompréhensible, c'est prendre la cause pour l'effet.
J'ai du mal à comprendre ces commentateurs qui, systématiquement, sous le prétexte fallacieux de ne point comprimer la formidable polysémie des textes qu'ils analysent mal et vite (réduisant donc eux-mêmes ladite richesse du sens...), refusent, du moins écartent prudemment la lecture religieuse qui, de fait, lorsqu'elle est intelligemment menée et sans volonté outrancière d'apologétique, subsume toutes les autres.
J'indique enfin, à tout hasard, que La Montagne morte de la vie figure en son centre une plongée dans un vortex : y tombent non seulement les deux personnages (rendant de fait impossible, logiquement, quoique littérairement acceptable, la prise de parole du narrateur, mort ou plutôt pétrifié dans une minéralisation éternelle) mais Michel Bernanos, lui aussi mort lorsque ce texte somptueux a été publié en 1967 par Jean-Jacques Pauvert.

Notes
(1) Michel Bernanos, La Montagne morte de la vie (La Table ronde, coll. La Petite Vermillon, 2008).
(2) Notons que, à la différence du magnifique poème de Coleridge appartenant aux célèbres Ballades lyriques, nulle rédemption ne sauvera le narrateur du conte de Bernanos. Toute la première partie de son texte évoque La Ballade du Vieux Marin et autres poèmes.
(3) «Le dégoût n’est-il pas le commencement de l’acceptation ? Si l’acceptation est fatale aux gens normaux, elle est logique pour ceux qui restent muets aux questions qui pourraient les sauver», op. cit., pp. 109-10.

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