Démon de Thierry Hesse (09/12/2009)

41+ApdCvgaL._SL500_AA240_.jpgLe démon qui habite le troisième roman de Thierry Hesse est plutôt taciturne. Lorsqu’il consent enfin à se livrer, nous comprenons qu’il n’aura de cesse d’inquiéter le narrateur, Pierre Rotko, comme il a inquiété son père, Lev : «Il est tout à la fois ce que mon père avait tenté de perdre, ma mère, voulu sauver : moitié juif, moitié russe, issu d’une souche de Juifs austro-hongrois émigrés en Russie avant d’y être massacrés […]. Ils vivent maintenant en moi».
Ils vivent, tous, humiliés et assassinés, en Pierre Rotko, fils de Lev Rotko, l’enfant unique de Franz Rotko, notable local soviétique tué en 1942 par les nazis. Lev s’est enfuit d’URSS en 1953, le lendemain du jour où Staline décède au milieu de ses propres déjections. Installé en France, il aura un enfant, Pierre Rotko, puis se suicidera, incapable de supporter la disparition brutale de sa femme et, surtout, de faire face à son passé.
Les livres seuls ne suffisent plus au narrateur pour comprendre quelle a été l’histoire de la destruction des siens dans l’Union soviétique et c’est bel et bien le «démon juif» du passé qui lui commande de se rendre sur un théâtre des opérations contemporain, la ville de Grozny rasée par l’armée russe.
Démon de Thierry Hesse s’inscrit assurément dans le renouveau du roman français illustré par de remarquables œuvres comme Match aller de Julien Capron et Conquistadors d’Éric Vuillard. Il manque toutefois à ce livre qui se veut une méditation sur le mal et n’en est qu’un plat exposé une qualité essentielle capable de donner quelque épaisseur psychologique à des personnages qui ne sont que des fantômes, faire tenir ensemble la multitude artificielle des récits qui le composent, magnifier enfin des réflexions pour le moins convenues voire infantiles sur l’extermination des Juifs : cette qualité, c’est le style.

Cet article, dans une version plus courte, a paru dans le numéro de Valeurs actuelles du jeudi 3 décembre.

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