Petit traité des vertus réactionnaires d'Olivier Bardolle (04/01/2011)

Crédits photographiques : Sgt Rupert Frere RLC/Crown Copyright (Reuters).
Rappel
Gómez Dávila ou la passion de la Réaction, par Luc-Olivier d'Algange.
Réactionnaires, donc salutaires lectures.
Florilège (horriblement) orienté, voire (visiblement) réactionnaire.
Carnets d'un vaincu de Nicolás Gómez Dávila.
Sur L'Éditeur.

31c2muYwLaL._SL500_AA300_.jpgÀ propos d'Olivier Bardolle, Petit traité des vertus réactionnaires (L’Éditeur, coll. Idées et Controverses, 2010).
LRSP (livre reçu en service de presse).


Le Petit traité des vertus réactionnaires d’Olivier Bardolle est si petit qu’il n’évoque que cinq vertus cardinales de la Réaction, cette vieille momie que notre archéologue amateur, un homme provenant de la société du spectacle (1) contre lequel son livre est pourtant dirigé, a pris le soin de sortir de son caveau pour l’exposer sous les regards horrifiés des badauds. Et encore, c’est tout juste si Olivier Bardolle, pressé qu'il était de prévenir la décomposition fulgurante de la vénérable carne multi-séculaire, a eu le temps de seulement les mentionner dans les toutes dernières pages de son livre, ces cinq vertus (cf. pp. 198-207), paraît-il si peu goûtées par les progressistes (c’est l’auteur qui les estampille de la sorte) qu’ils furonclent des boutons toutes les fois qu’ils entendent parler d’éducation, d’exemplarité ou de frugalité (la quatrième vertu, selon notre diététicien improvisé).
Quel dommage, quand même, que ne figure point, parmi cette si courte liste de vertus ou, plus modestement, de «conseils de survie», celle du beau langage, à tout le moins, d’une écriture à peu près décente qui trouvera quand même, en la personne de Luc Chatel paraît-il ministre de l'Éducation nationale, un ardent défenseur. Conserver ce qui dépérit ou qui est attaqué de toutes parts, réagir même contre l’universel reportage, c’est d’abord frotter les vieux sous échangés par des milliers de mains pour leur redonner un semblant du lustre d’antan. Un réactionnaire authentique, et non un de ces poseurs bavards comme Alain Paucard, secrétaire perpétuel de Jean Dutourd, DJ inspiré de Radio Courtoisie, directeur éditorial volant, mais oui, pour L'Éditeur et ami de Bardolle, ou d’autres demi-soldes grincheux, est, d’abord, se doit d'être un écrivain d’exception.
Olivier Bardolle qui, si je l’ai bien compris, se déclare fier d’être un réactionnaire trendy et souriant (à moins que, tel un peureux, il prenne grand soin d’affirmer qu’il ne fait que lire des auteurs réactionnaires, sans bien évidemment faire lui-même partie de l’horrible confrérie), est en fait un réactionnaire au carré, un hyper-réactionnaire parce qu’il réagit, contre la prose magnifique d’écrivains comme Joseph de Maistre, par l’usage d’une langue dramatiquement pauvre, à la limite de la sommation publicitaire, un milieu qui a été celui, il n'était pas très difficile de le deviner, de notre auteur, patron de Talent Group Holding, une société de marketing audiovisuel, dont L'Éditeur est une filiale.
Ainsi, il est assez comique de constater que l’intention bardolienne, impavide et bravache comme un tueur taciturne tout droit sorti d'un des films de L'Inspecteur Dirty Harry, se retourne d’assez grotesque façon : afin, sans doute, que son ouvrage puisse être lu par le plus grand nombre de personnes, Olivier Bardolle a dû se dire qu’il devait être temps de dépoussiérer le hiératisme somptueux (et somptuaire) des textes des grands anciens en y ajoutant la sottise progressiste se donnant pour but de raboter ce qui est tranchant, raccourcir ce qui est haut, massifier ce qui ne s’adresse, par essence, qu’à quelques âmes solitaires et fortes, abêtir ce qui ne peut souffrir les approximations, jouer, enfin, la petite musique sordide du journalisme de la plus basse extraction.
L’intention est louable, le résultat catastrophique. L’ouvrage de Bardolle est en effet tout ce que l’on voudra, par exemple un condensé de platitudes mal écrites (les lamentions sur Internet sont aussi convenues que fausses) censées former une future élite réactionnaire à laquelle on souhaite tout de même de plus solides nourritures, un très hâtif pensum à l’usage de téméraires journalistes (tous progressistes, c’est sûr) qui auront fort maigre jeu de moquer les défauts rédhibitoires de pareil livre et même un fourre-tout de constats banals alignés sans grand souci de cohérence (voir le chapitre intitulé Le clivage culturel, pp. 103-126), bref, le livre de Bardolle est à peu près n’importe quoi, y compris, si l’on en croit le grandiloquent et inutile préfacier Éric Naulleau, un ouvrage jetant «les bases d’une reconstruction» (p. 17), sauf un texte bien écrit.
Les formules qu’un étudiant tout frais entré à Sciences Po aurait quelque honte à employer foisonnent sous la plume lamentable de Bardolle qui, rendons-lui cette justice, n’hésite pas une seconde à faire étalage de ses dons, peut-être parce que l’enthousiasme est une vertu (la sixième ?) selon notre réactionnaire inauthentique.
Voici quelque condensé de sous-Houellebecq que Bardolle connaît bien, un exemple de maxime émoussée qu’on croirait provenir d'un Cioran accouchant les esprits dans un tripot, un soir de déveine : «Deux millénaires d’efforts gigantesques sont réduits à cette postmodernité cafardeuse dans laquelle se traîne le dernier homme en poussant son caddy au supermarché du coin» (p. 46). Même Émile Brami, pourtant expert confirmé en culture de navets, aurait su tutoriser de plus ingénieuse façon cette tige maladive ! Ailleurs, le service militaire, dans une véritable fulgurance poétique, est désigné comme étant une «formidable machine républicaine à intégrer les disparités individuelles dans le creuset national» (p. 71), mots ridicules qui, agencés d’une aussi peu inventive façon, ont bien dû être employés jusque dans les salles de rédaction chypriotes les plus modestes.
Olivier Bardolle n’affectionne pas seulement les citations (presque) jamais sourcées (surtout celles de Céline, de Cioran, de Maistre et, bien sûr, de Muray, la figure tutélaire) ou même les fausses citations (l’éternelle prophétie de Malraux sur le caractère nécessairement religieux du siècle présent, cf. p. 169), les clichés les plus jaunis, les métaphores les plus percluses, les comparaisons les plus indigentes (comme celle-ci : «L’hypermodernité ressemble à une automobile puissante et rapide mais dépourvue de freins», p. 197) ou enfin les formules les plus irrésistiblement creuses («Claude Lévi-Strauss met le doigt là où ça fait mal», p. 142).
La pensée elle-même, si le mot n’est pas exagéré, d’Olivier Bardolle, lorsqu’elle parvient tout du moins à s’extraire hors du caniveau des plus consternantes facilités («Nous ne pouvons pas dire la vérité, à savoir que nous avons envie de culbuter sur le canapé celle que nous écoutons poliment», p. 161; il y en a bien d’autres, hélas…), la pensée elle-même d’Olivier Bardolle, qui à l’évidence, une fois qu’il a joué, sur deux seules notes, le seul air de quelque intensité de la Réaction (qui sait que «la condition humaine est définitivement précaire depuis la Chute», p. 209), n’a absolument plus rien à nous dire, est un cliché absolu, qu’on en juge par cette sentence mémorable, magnifique exemple de la nullité de l'écriture de Bardolle : «C’est aussi une manière de faire croire que l’on peut évacuer le tragique de la condition humaine, ce qui est grave de conséquence dans la mesure où quand on croit avoir évacué le réel, celui-ci vous rattrape tôt ou tard et vous saute à la gorge alors que vous ne vous y attendiez plus (les surendettés en savent quelque chose)» (p. 75).
Les surendettés, qui ont d’autres chats à fouetter que d'acheter puis de lire des ouvrages médiocres, mal écrits et qui, du réel, ne nous apprennent rien que nous ne sachions depuis la petite enfance, en savent peut-être quelque chose et moi, sans avoir fort heureusement dépensé un centime pour ce livre, je sais que le Petit traité des vertus réactionnaires est un ouvrage qui, comme tous ceux que j’ai lus et qui ont été publiés par l’Éditeur, s’oublie aussitôt que refermé.

Note
(1) Dans l'article, purement paraphrastique, qu'un certain Jean Voisin donne du livre de Bardolle dans Liberté politique (décembre 2010, n° 151, pp. 193-4), nous apprenons que l'auteur est «un grand gaillard baraqué, à la cinquantaine juvénile, droit dans ses jeans, qui endosse peu souvent une veste, ignore le port de la cravate, circule à moto et préfère écouter Johnny Cash plutôt que le De profundis de Michel-Richard de Lalande». Oublions la nullité de cette pseudo-critique pour ne retenir que la peinture, pour le moins complaisante, d'Olivier Bardolle en guerrier trendy des temps modernes. Il est vrai que ce même Bardolle, dans son Traité, est un grand admirateur du Clint Eastwood de Gran Torino...

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