Deux années passées dans la Zone... et puis ? (09/03/2006)
Crédits photographiques : Jeff Chiu (Associated Press).
Ayant plusieurs fois, par exemple avec Dominique Autié, évoqué diverses problématiques (dont celle de sa pérennité, de son utilité même) relatives à l'écriture virtuelle, j'ajoute que je ne sais pas combien de temps encore je parviendrai, à ce rythme de lectures, de rédaction, de mise en page, de promotion (forcément... virale) de mes textes, à nourrir ce blog vorace : toutefois, afin de remercier d'une certaine façon mes lecteurs, voici le portail de la Zone refait à neuf grâce au talent de Claude (du Monde est petit) et aux bons soins techniques de Philippe Pinault et de son équipe, que je remercie amicalement.
Je noircis à dessein le tableau ? Oui, sans aucun doute. Quelques jours, en effet, passés à Lyon, n'ayant d'autre possibilité, lorsque je n'étais pas toutefois complètement submergé de dégoût et de colère devant tant de médiocrité bavarde, que celles de lire la presse écrite et, ô abîme d'insignifiance, de regarder les différents journaux télévisés, quelques jours donc où il m'a fallu tout de même ne point absolument me couper du monde m'ont convaincu plus que jamais du formidable espace d'une parole libre (sans liberté, qualité éminente qui est la plus rare, la parole n'est que stupide logorrhée) que représente la Toile, sans absolument aucun équivalent lorsqu'il s'agit de trouver des répliques, même lointaines, à des sites tels que No Pasaran !, Zek II ou Subversiv [ce site n'existe plus], pour ne citer que les plus connus de ces lieux d'imprécation, quelle que soit notre opinion sur certaines de leurs dérives, alors même que je n'ai point besoin d'évoquer les travaux vertueux de ceux que j'ai qualifiés de nobles marcheurs.
Cette semaine lyonnaise m'a également permis de fouiller, avec une certaine nostalgie, dans des caisses pleines de monceaux de papiers où j'ai retrouvé quelques raretés, par exemple un exemplaire de la feuille de chou, intitulée L'Indigeste, que j'avais reprise en main à l'époque où j'étais étudiant à l'Université Jean Moulin Lyon 3. J'y fis mes premières armes et certains professeurs se souviennent encore, je l'imagine, d'un mémorable numéro spécial, à la couverture rouge sang, consacré tout entier aux figures de Satan. Le travail de rédaction, de mise en page et de fabrication de cette fort modeste revue était réalisé en commun : j'écrivai sur papier les articles qu'une (ou plusieurs) de mes amies s'occupaient alors de taper puis de mettre en page. Je me chargeai de la répartition des tâches, du contenu de chaque numéro, des illustrations bref : un premier boulot de rédacteur en chef qui allait me préparer pour la suite, Les Brandes.
D'autres trouvailles ? L'unique numéro de la revue Immédiatement auquel j'ai participé, à l'époque où Luc Richard et Sébastien Lapaque en étaient les chevilles industrieuses. Il s'agissait de rendre compte d'une réédition dans la collection La petite Vermillon, d'ailleurs truffée de fautes, du Désespéré de Léon Bloy. Mon article fut entièrement caviardé, voire réécrit pour la cause (bien rarement noble) journalistique, ce qui suffit à me mettre dans une colère dont le premier résultat fut la publication de mon texte tel quel et le deuxième de me rapprocher de Sébastien Lapaque, dont j'allais ensuite saluer les deux excellents ouvrages qu'il consacrerait au Grand d'Espagne.
Deux exemples, encore, de revues qui n'existent plus. D'abord Esprits Libres publiée par L'Harmattan et dirigée par Nathalie Sarthou-Lajus et Chantal Delsol, ensuite Salamandra, la belle revue de Florence Kuntz. Je fus contraint de quitter le comité de rédaction d'Esprits Libres après quelques violents échanges épistolaires avec Nathalie qui me signifia ne pouvoir accepter un de mes courts textes consacrés à Georg Trakl, sous le prétexte idiot que pratiquement personne, en France, ne s'intéressait à ce... quoi déjà ?... poète. Chantal Delsol cherchant, bien mollement, à nous apaiser, ne parvint pas à faire que sa revue, pourtant flanquée d'un trésorier de haut vol issu je crois de l'X, de l'ENA et de Normale Sup tout à la fois, dépasse le quatrième numéro. Aucun regret donc, puisqu'il faut ajouter à ces couacs, au sein même de l'équipe de rédacteurs, une manifeste et coutumière incapacité, pour L'Harmattan, de faire correctement son boulot, a priori d'éditeur.
Aucun regret, de même, quant à ma longue collaboration avec Gaël Olivier Fons qui, alors que j'étais étudiant à Lyon 3, vint me trouver : ayant lu L'Indigeste, il voulait avec moi proposer aux étudiants de philosophie (il en était) une revue digne de ce nom, capable surtout de concurrencer l'immonde torchon intitulé Rhizome, organe pseudo-deleuzien de propagande de l'Unef (ou de l'Unef-ID, je ne sais plus même s'il s'agissait, à peu de nuances près, d'identiques crétins pontifiants et guévaristes dont les petits frères défilent aujourd'hui contre le CPE). C'est cette revue, dont Les Brandes constituait le supplément littéraire et gratuit, qui m'a familiarisé avec les techniques, presque archaïques à l'époque, de la mise en page sur Word. J'appris aussi, ayant trop tardé, sans doute, à m'y résoudre, à taper comme je le pus sur un clavier de vieux Mac. Même enrichissante expérience quant aux techniques de fabrication de plusieurs centaines d'exemplaires, de mise en (dépôt-)vente dans les principales librairies lyonnaises puis de gestion d'un fichier d'abonnés dont le nombre, pour cette entreprise rien moins que cryptique, n'a jamais cessé de nous étonner.
Pour Salamandra, très intéressante revue (qui, cela ne gâche rien, offrait à ses lecteurs une impeccable maquette) publiée sous les auspices du groupe Europe des Démocraties et des Différences au Parlement européen, je donnai un seul article consacré à George Steiner. Ce fut également un texte consacré à ce même auteur qui parut dans l'un des numéros de la revue confidentielle et exigeante (ceci expliquant sans doute cela, sans compter, de la part de son patron, une bizarre incapacité à l'endroit de la logique médiatico-marchande, qu'il faut tout de même bien finir par accepter lorsqu'on se pique de vendre un produit, fût-il le fruit le plus noble de l'esprit) intitulée Les provinciales, dirigée par Olivier Véron qui lut, le premier, le manuscrit qui allait devenir mon essai sur Steiner. Avant même de participer directement au contenu des Provinciales, j'en étais un fervent lecteur, y découvrant par exemple le nom de Jean-Marie Turpin puis celui de Pierre Boutang dont je ne tardai point à dévorer les livres géniaux et (parfois, comme il en va du Purgatoire) hermétiques.
Après avoir fini de scanner les couvertures de ces revues, j'ai remisé ces dernières dans le carton où, insignifiantes aventures littéraires, elles vont continuer de mener leur existence secrète.
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