Le Bloc de Jérôme Leroy, par Christopher Gérard (11/12/2011)

Photographie de Juan Asensio.
Jusqu’à présent, la droite radicale n’inspirait guère les romanciers, si l’on excepte Fasciste, talentueux roman d’apprentissage de Thierry Marignac (Payot, 1988), Les Sectes mercenaires (Le poulpe, 1996) ou Blocus solus, polars ésotériques du très marginal Bertrand Delcour.
Jérôme Leroy a-t-il lu ces auteurs ? Sans doute. Lui-même, proche un temps de la mouvance royaliste (tendance Boutang) et collaborateur de la brillante revue «néo-hussarde» Réaction, n’a cessé, dans ses précédents romans, de dépeindre un monde crépusculaire, en proie aux tortueuses manipulations de polices parallèles qui tentent de maîtriser un chaos grandissant. Monnaie bleue (Rocher, 1997), à mon sens l’une de ses réussites majeures, illustrait avec talent sa vision pessimiste d’une France décadente, au bord de la guerre ethnique et gangrenée par une corruption digne du Bas-Empire romain.
Les héros de J. Leroy, généralement des professeurs de lettres en zone prioritaire («à discrimination positive», dirait-on en Belgique), se révèlent des nostalgiques alcoolisés, à la fois bibliophiles désenchantés et amoureux passionnés qui, un soir de fin du monde, se retrouvent entraînés dans les soubresauts d’un régime à l’agonie. Tous ses livres en témoignent : à l’instar de son confrère Sébastien Lapaque, lui aussi issu de l’Action française, il se passionne pour les vins non soufrés, non filtrés, bref, de ces vins qui vous délient la langue sans vous filer une casquette à boulons.
Les auteurs de polars noirs Battisti, Fajardie et Jonquet l’inspirent, eux aussi, pour ce qui est de la critique sociale, toujours présente, parfois appuyée au point d’en devenir vaguement ornementale. On songe aussi à Orwell ou à Dick pour l’uchronie. Bolcho ami de Raspail, réac admirateur de Chavez ? Qu’importe : le camarade Leroy – rouge et blanc - est un écrivain de race doublé d’un authentique lettré… à l’ancienne, un homme complexe.
Avec Le Bloc, sa première Série noire, Jérôme Leroy reprend ces ingrédients pour mieux déconcerter ses lecteurs. Je mentirais en affirmant que ce polar est aussi réussi que ses précédents romans, notamment en raison du prêchi-prêcha que l’auteur s’impose, comme pour se convaincre lui-même. Pourtant, je l’ai lu d’une traite ! L’histoire ? La dernière nuit d’une amitié que les bassesses de la politique vont pulvériser. À ma gauche, Antoine, bourgeois de Rouen et prof de lycée tourné fascistoïde «à cause d’un sexe de fille» - les héros de Leroy sont de sacrés polissons - et marié à la fille du Borgne (pardon, du Manchot), présidente du Bloc, qui arrive aux portes du pouvoir par la grâce de sanglantes émeutes. A ma droite, Stanko, prolo du nord, skinhead à peine détatoué (mais qui a lu le Journal de Jules Renard), l’homme des basses œuvres du Parti. Ce professionnel de la violence doit disparaître pour amadouer une droite «respectable», totalement dépassée par les événements qu’elle a déclenchés. Un commissaire des RG particulièrement vicieux, figure souvent présente dans l’œuvre de Leroy, réclame aussi le paiement d’une dette ancienne : un attentat naguère passé sous silence.
Antoine, le dilettante, ne lèvera pas le petit doigt pour sauver son petit frère : il se contentera de lever le coude pour, à grandes rasades de vodka glacée, se remémorer leur histoire commune. De son côté, Stanko, le professionnel, est devenu le gibier du groupe qu’il a entraîné. Lui aussi se souvient, et il se défend bec et ongles, jusqu’à l’apothéose, digne de Mishima. Au lecteur de décider qui est le plus vivant des deux.
Au fil des pages de ce roman bavard et ambigu, le lecteur croise les fantômes de J.-E. Hallier, de Christian de la Mazière (le Waffen-SS aux lunettes de soleil du Chagrin et la Pitié), A.D.G., et même l’ombre d’un activiste dextriste disparu dans un attentat à la bombe. La description du Bloc, de son folklore et de ses purges, se révèle tout compte fait moins effrayante que la peinture d’une France déboussolée, en proie aux manœuvres d’apprentis sorciers prêts à tout, y compris à la politique du pire, pour rester au pouvoir. Si Leroy trempe sa plume dans le vitriol, c’est surtout pour fustiger et l’autisme de la gauche caviar et le cynisme de la droite saumon, unies dans une même répulsion.
À l’évidence, sa sensibilité le rapproche bien plus des rebelles résolus que des libertaires jouisseurs et autres névrosés (surtout en version «citoyenne»). Leroy excelle à décrire de l’intérieur les deux visages d’un type d’homme, le condottiere politique. Il n’évite malheureusement pas les dialogues explicatifs, légers comme un tract de la CGT, quand l’ancien skin se met à pérorer comme un prof conscientisé !
Authentique antimoderne sous le masque du marxiste «balnéaire», le camarade Leroy clame avec une fougue bienvenue son dégoût pour «la grande braderie des valeurs».
Bien plus qu’un roman politique, bien plus qu’une dénonciation d’un parti, Le Bloc se lira comme une imprécation contre le nihilisme.

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