Ils réenchantent le monde, par Laurent Schang (04/05/2006)


Qui a prétendu que le roman d’aventure avait épuisé tous les sujets ? Adolescents, Christopher Gérard et Matthieu Baumier ont lu Le Matin des Magiciens en collection de poche, celui avec la photo de l’île de Pâques orange, et il en est resté quelque chose. Pas étonnant dès lors que leurs histoires de conspiration mondiale, guérilla souterraine d’initiés sur fond de lutte entre le Bien (l’alliance de Jérusalem et d’Athènes) et le Mal (le nazisme, parangon du matérialisme moderne), semblent tirées d’un chapitre oublié de la bible des occultistes, avant Dan Brown.
Et si, derrière la froide litanie des événements chronologiques – la période qui court de 1937 à 1946 –, s’était dissimulée une guerre de dimension cosmique entre sociétés secrètes ennemies, une guerre pour l’achèvement d’un cycle, qui aurait conduit à l’éradication de l’un, et à la mise en sommeil de l’autre ? Maugis, de Christopher Gérard, des deux l’aîné, fait suite à un précédent roman, Le Songe d’Empédocle, premier volet d’une tétralogie «païenne» déjà saluée par son compatriote Pol Vandromme, que n’aurait pas désavoué un Raymond Abellio, par exemple. Les vicissitudes au XXe siècle d’un ordre idéal d’élus, gardien de vertus immémoriales, la Phratrie des Hellènes, dont le destin tourmenté se confond avec celui du continent européen. On le voit, l’uchronie – «reconstruction historique d’événements fictifs, d’après un point de départ historique et un ensemble de lois» nous dit le Dictionnaire de la Langue Française – est un genre littéraire riche d’avenir.
Lorsqu’en mai 1940, les divisions à la tête de mort, nouveaux Doriens pour une Europe nouvelle, déferlent sur les XVII provinces, l’officier François d’Aygremont, fils d’Oriane et du chevalier d’Aygremont, dit Maugis, est du dernier carré des résistants ardennais. Maugis, comme dans la chanson de geste, le Phratriarque. De victoire en victoire, la roue solaire étend son empire mais dans l’ombre, le combat continue. Démobilisé, François/Maugis est missionné à Paris par ses frères, où il retrouve le poète Genséric, son initiateur, acquis à la Collaboration entre-temps. Après tout, les adorateurs d’Arès descendent bien des compagnons de Charlemagne, eux aussi. Là, au milieu des femmes faciles, des vapeurs d’alcool, il va connaître la tentation nihiliste de trahir pour épouser la cause de l’Âge Sombre, avant d’échapper à ses démons et de refaire le chemin d’Alexandre de l’Hellespont à la Bactriane, vers le Toit du Monde, le mythique Tibet. En attendant de rebâtir Delphes, qui sait ? En Irlande peut-être.

Christopher Gérard, Maugis, L’Âge d’Homme, 2005.
Matthieu Baumier, Le manuscrit Louise B, Les Belles Lettres, 2005.