L’esclave d’Isaac Bashevis Singer, par Gregory Mion (03/03/2020)
Crédits photographiques : Yana Paskova (Reuters).
Henrik Ibsen, Un ennemi du peuple.
L’amoureux divisé de ce livre se prénomme Jacob et il se conduit selon les enseignements ascétiques de la Torah (cf. p. 26). Il est l’esclave de Jan Bzik, quelque part dans la Pologne immémoriale des paysans, loin de sa vie d’autrefois où il était maître d’école. Survivant du massacre perpétré par les Cosaques, ancien érudit de Josefov et père de famille dont la femme et les enfants sont morts dans le carnage, Jacob a été vendu comme esclave. En homme tout à fait pieux, il accepte l’épreuve de la Providence (cf. p. 12), se nourrissant de bon nombre de prières qu’il connaît par cœur, tel Primo Levi se souvenant des vers de Dante au milieu de l’univers concentrationnaire. La femme qui le perturbe de plus en plus s’appelle Wanda. Elle est la fille de Jan Bzik, âgée de vingt-cinq ans et veuve, d’une allure gracieuse qui contraste avec les dégénérées de ces hauts pâturages (cf. pp. 16-9). Il n’y a guère que Wanda, en outre, qui éprouve à l’endroit de Jacob un sentiment d’attirance. En effet, pour le commun de cette région, la judaïté de cet homme est perçue à l’instar d’une anomalie susceptible de menacer l’ordre établi (cf. p. 41). Ainsi Wanda ne craint pas de braver les interdits, de dédaigner la coutume à dessein de se rapprocher de Jacob en qui elle devine un «profond penseur» (p. 22). Mais lui, discipliné par une mystique endurcie, résiste religieusement aux velléités sentimentales de Wanda (cf. pp. 22-3). Il y voit même l’empreinte de Satan, la signature du Tentateur qui voudrait l’escorter jusque dans les souterrains du péché (cf. p. 17). S’engage alors un combat avec le démon, une lutte de tous les instants contre les sommations de la chair (cf. pp. 46-9), la réfutation permanente et torturante d’une sympathie pour les ténèbres qui l’encourage à renier Dieu (cf. p. 66). Par un effort grandiose de réminiscence, Jacob maintient vivante la Torah, «cachée dans les replis et les sillons de son cerveau» (p. 50). La douleur de l’exil et l’expérience d’un désir enfiévré lui font comprendre ce passage où la Kabbale évoque «la Face cachée de Dieu et [le] retrait de Sa lumière» (p. 73), l’heure grise où la beauté du divin disparaît pour celui qui est enchaîné «aux vanités de la chair» (p. 74).
La suite de ce texte figure dans J'ai mis la main à la charrue.
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