Au-delà de l'effondrement, 67 : Niourk de Stefan Wul (27/11/2020)

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Photographie (détail) de Juan Asensio.
313774931.2.jpgTous les effondrements.









Wul.jpgPetite fable post-apocalyptique sans prétention publiée à la fin des années 50, Niourk de Stefan Wul (nom de plume de Pierre Pairault, Bragelonne, 2020, Fleuve Noir, coll. Anticipation, 1957) se lit sans réel déplaisir, et ne vaut à mes yeux que par une surprenante confession anti-moderniste, délivrée par l'enfant noir, Alf (pour Alphabet), puis reprise dans un étrange Appendice figurant un seul poème aux rimes sommaires mais éloquentes, aux dernières pages du roman. Voici comment sont moquées les prétentions intellectualisantes de deux personnages, représentants d'une humanité future asexuée : «Oui, je sais bien, j'exagère. Je veux dire que vous vous acheminez vers une civilisation de robots. Vous avez aboli la conception naturelle; de siècle en siècle, vous abolirez une autre chose, puis une autre encore. Vous ne serez plus des hommes. Vous voulez monter très haut dans la puissance, mais vous n'avez gardé aucun point d'appui, vous avez eu tort de couper vos racines. Voyez-vous, je suis déjà monté plus haut que vous, mais ma personnalité s'étend de l'animal jusqu'à l'Homo multipotens. La vôtre ne va que de l'Homo artificialis à l'Homo superior. Ce serait à moi de vous mépriser, si j'étais encore capable de mépriser quelqu'un» (1). Cette déclaration s'accompagne, notons-le aussi pour choquer tous les petits lecteurs progressistes (et il y en a beaucoup, paradoxalement, dans les rangs des amateurs de science-fiction !), d'une affirmation de la croyance non pas en des dieux mais en un Dieu unique : «Je crois en Dieu. Mais je crains de ne pouvoir vous expliquer. Vous êtes trop supérieurs ou pas assez, pour comprendre. Voilà ce que l'on gagne à naître dans un bocal... Vous n'avez pas assez d'intelligence et vous avez perdu la naïveté. Pauvres, pauvres «supérieurs» !» (p. 232).
Cette leçon est pour le moins ambiguë car c'est tout de même au prix d'un formidable accroissement des facultés intellectuelles de l'enfant noir, soumis à une dose massive de radiations radioactives, que se produit ce grand bond en avant, comme si seul celui qui croit aux forces du Progrès pouvait, une fois qu'il serait allé jusqu'au bout de son fallacieux Graal, revenir à un état de vraie simplicité.
Terminons cette très courte recension en évoquant l'attention que Stefan Wul porte au langage, au travers de plusieurs notations, même si l'altération qu'il fait subir à certains termes (comme Niourk pour New York) est loin des expériences plus radicales que sont des textes comme Surface de la planète de Daniel Drode et Quinzinzinzili de Régis Messac. Là encore, assez classiquement voire très naïvement, Wul parie sur un développement des connaissances par la compréhension, d'abord balbutiante (par le biais d'un «langage mental incomplet», p. 137 ou d'une «orthographe phonétique», p. 172) puis fulgurante, du langage, mais le thème n'est pas suffisamment développé pour que nous puissions en dire beaucoup plus.

Note
Killdozer.jpg(1) Niourk de Stefan Wul (Bragelonne, 2020), p. 231. Signalons, car pouvoir lire des textes, surtout en édition de poche, qui ne sont pas truffés de fautes devient une rareté, une copie très propre pour cet ouvrage, puisque je n'ai relevé qu'une seule petite erreur (les et non pas «le îles», p. 10). Je n'en dirai pas autant pour telle très récente édition de Killdozer de Theodor Sturgeon, chez Mnémos (coll. Hélios), truffé de bizarreries typographiques (virgules mal placées, mots aux syllabes subitement détachées les unes des autres, fautes orthographiques et grammaticales...).

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