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07/08/2019
Au-delà de l'effondrement, 19 : Surface de la planète de Daniel Drode
Crédits photographiques : Alessandro Bianchi (Reuters).
Tous les effondrements.
À propos de Surface de la planète de Daniel Drode, Robert Laffont, coll. Ailleurs et demain, 1976. Préface et bibliographie de Gérard Klein. Surface de la planète (1959) est suivi de La rose des énervents (1960), Quatre-en-un (1960), Dedans (1963) et Ce qui vient des profondeurs (1967).
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La note de Wikipédia consacrée à Surface de la planète de Daniel Drode vous en apprendra suffisamment sur ce roman étrange pour que je ne m’attarde point inutilement sur son histoire, roman que quelques rapprochements avec le Nouveau Roman avaient tenu jusqu'alors éloigné de mon attention. Si ce livre n'est qu'une plate transposition des petites techniques de distorsion si chères à cette école ridicule, quel peut bien être son intérêt, me suis-je demandé ? Je me trompais. Un de ces magnifiques hasards dont nos vies sont tissées fit que je me plongeai dans la lecture du texte de Drode au moment même où Jérôme Leroy, qui venait de m'envoyer un exemplaire dédicacé de son dernier recueil de poèmes paru à La Table ronde, m'écrivit pour me dire l'intérêt (on s'en doute férocement critique) qu'il prenait à lire ma série de textes consacrés à l'exploration des multiples formes de survies inventées par les hommes. Il évoqua alors son goût pour Surface de la planète de Daniel Drode que je venais tout juste d'acheter chez un bouquiniste, ce livre, comme tant d’autres ouvrages de science-fiction de qualité qu’aucun éditeur ne songe à rééditer, étant épuisé. Je lui proposai de publier, dans la série intitulée Au-delà de l'effondrement, un texte sur le roman de Drode et il accepta de bon cœur. Je le mettrai donc en ligne dès qu'il me l'enverra et ainsi vous pourrez avoir deux lectures d'un même ouvrage [il va de soi que je n'ai jamais reçu, au cours des mois voire des années qui suivirent ces échanges, la moindre note de Jérôme Leroy, homme exerçant ses immenses talents de critique ici ou là, à droite et à gauche, sans que l'on garde un bien grand souvenir de ses notules].
L'intérêt de Surface de la planète de Drode est bien réel et dépasse le seul cadre, fort restrictif il est vrai, du roman post-apocalyptique, même s’il en fait à l’évidence partie par son inscription dans l’avenir, plus exactement, dans une période suivant la destruction du temps historique : «[…] et on se casserait la tête à chercher ce que nous venons y faire, nous, les hygiéniques produits du système, véritable posthistoire» (p. 88). La beauté de certains passages descriptifs, quant à elle, suffit à invalider le rapprochement avec les minuscules prouesses fuligineuses du Nouveau Roman, qui n’est à mes yeux, pour la petite dizaine d’ouvrages appartenant à cette «école» que j’ai lus, que bégaiement poussif de khâgneux appliqué, apprenant laborieusement ses gammes puis décidant de jeter aux orties toute la «vieillerie poétique». Il n’y a qu’un seul Rimbaud fort heureusement mais beaucoup, peut-être même beaucoup trop d’ingénieurs en agronomie : qu'ils se contentent d'optimiser la croissance des pommes de terre, plutôt que d'écrire des romans à peu près illisibles. L’intérêt et la réelle beauté de Surface de la planète tiennent non seulement dans quelques fulgurances poétiques («Ainsi du vautour qui passe et rapasse [sic], essuyant à grands traits un niveau de l’atmosphère. Soudain orthogonal ce vautour il pique vers la proie qu’il aperçoit sur la steppe, et quand il l’a déchiquetée, retourne sous les nuages se circuler», p. 164) mais encore dans le processus d'écriture revendiqué que Drode expose ainsi, dans un curieux article intitulé Science-fiction à fond paru en 1960 dans la revue Ailleurs (nos 28-29, avril-mai) : «Le langage du personnage de S.-F. n'est en fait que l'état actuel de la langue, abusivement étendu à tout le futur. Par suite de cet anachronisme flagrant, il y a un décalage entre les paroles du personnage et la réalité qui l'entoure. Paresse de l'auteur ? Bien entendu : il s'épargne un travail rebutant, celui de la forme», conclut Drode (article cité in op. cit., p. 12). En somme, il serait illusoire de penser que le langage, si nous faisions dans l'avenir un bon de quelques siècles, serait la seule réalité qui, depuis notre époque lointaine, n'aurait point évolué.
Assez nombreux après tout, comme Van Vogt, Delany, Orwell, Burroughs, Womack, sont les auteurs qui ont évoqué la question du langage dans des œuvres de science-fiction. Je renvoie le lecteur curieux de cette question à l'ouvrage intitulé Les langues imaginaires de Marina Yaguello (Le Seuil, 2006). Ils ne sont en revanche qu'une poignée, comme Burgess dans Orange mécanique, à décrire son évolution future et à faire du livre même qu'ils écrivent le miroir de cette évolution, mélangeant inextricablement fond et forme. En somme, si l'on n'a certes pas demandé à Flaubert d'écrire Salammbô dans la langue que parlaient réellement ses personnages, nous pourrions toutefois reprocher à Frank Herbert de faire dialoguer ses Atréides et ses Harkonnens dans un anglais parfaitement compréhensible de New York à Calcutta, alors même que l'histoire de Dune a lieu quelques milliers d'années dans notre futur. C’est à cette question épineuse, mais de parfait bon sens, que Daniel Drode s’attaque. De façon finalement assez timide car les procédés que l’auteur utilise pour inventer ce langage du futur (déformation de termes, inversion de certains membres de phrase, juxtaposition d’un registre courant voire vulgaire avec des mots rares, jeux avec la typographie, etc.) sont peu nombreux. Ce point n’est même pas ce qui confère à mes yeux sa portée à cette longue nouvelle, suivie de quatre autres textes d'intérêt divers, beaucoup moins originaux cependant (le plus mauvais : Ce qui vient des profondeurs) que Surface de la planète.
La suite de cet article figure dans Le temps des livres est passé.
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