Révolution et contre-révolution conservatrices : à propos de la correspondance entre Carl Schmitt et Ernst Jünger, par Francis Moury (17/08/2021)
Photographie (détail) de Juan Asensio.


«Politiquement, j'ai plus appris dans les deux dernières années que dans les 37 précédentes. Petit à petit, nous laissons les Temps modernes derrière nous : les cent actes nouveaux seront de plus en plus palpitants. [...] J'éprouvais par trop le besoin d'être seul. C'est vraisemblablement la faute de Cassien; je trouve que la lecture des Pères de l'Église gagne en intérêt à chaque mois qui passe.»
Ernst Jünger à Carl Schmitt, le 4 juillet 1934, Correspondance 1930-1983 (op. cit., p. 53).
«Cher Ernst Jünger, sur votre phrase : «Peut-être les principes de 1789 survivront-ils aux États qu'ils ont ruinés», cf. la phrase du jeune Hegel : «C'est l'effet d'une loi supérieure qu'un peuple qui a donné au monde un élan nouveau et universel périsse à la fin avant tous les autres, et que son principe prévale, mais non lui-même» (cité dans mes Positions et concepts, note page 113.»
Carl Schmitt à Ernst Jünger, le 6 mars 1956, Correspondance 1930-1983, (p. 239).
Ernst Jünger est âgé de trente-cinq ans en 1930; Carl Schmitt est son aîné, âgé de quarante-deux ans : la différence d'âge me semble pourtant pratiquement abolie, dans leur correspondance, par une remarquable complicité intellectuelle, une véritable communauté d'esprit même si Carl Schmitt signe parfois ses cartes postales et ses lettres d'un «votre vieux Carl Schmitt», et cela dès les années 1940.
«Il avait certes agi avec légèreté et il y avait un mort avec lui, que j'ai ramené comme l'autre ― ce qui m'a fait repenser au début du [Ainsi parlait] Zarathoustra où Zarathoustra revient avec un mort et un fou» (lettre de Jünger à Schmitt du 26 juin 1940, page 99).
De fait, Jünger et Schmitt critiquent alors tous deux, d'une manière acérée, la démocratie moderne. L'État de droit, le parlementarisme, le libéralisme, la citoyenneté sont des concepts que rejettent autant Schmitt que Jünger : ils sont sur la même longueur d'onde. Sur le plan religieux, Jünger est protestant (et l'héritier d'une pensée allemande qui va de Luther à Nietzsche) mais il se convertira en 1996, deux ans avant sa mort, au catholicisme ― conversion pleinement consciente mais dont le sens est aujourd'hui discuté : Julien Hervier estime, sur la foi des confidences de la dernière épouse de Jünger, qu'elle fut d'essence surtout sociale dans la mesure où Jünger vieillissait au sein d'un environnement catholique; le prêtre qui accompagna Jünger à ce moment considérait au contraire qu'elle était le fruit d'un cheminement long et pleinement réfléchi ― tandis que Carl Schmitt est catholique du début à la fin. La critique du judaïsme par Schmitt ― son origine est d'abord la gnose catholique de Marcion mais elle se nourrit de sources parfois plus inattendues, par exemple sa lecture de Benjamin Disraeli dont il aurait (note 336, page 429) accroché le portrait à la place de celui de Bismark pendant qu'il rédigeait Terre et mer ― et son adhésion au nazisme, effective de 1933 à 1936, sont les deux grands points de divergence avec Jünger qui méprise d'une part le racisme (il récuse la récupération nazie de Nietzsche et n'apprécie ainsi pas du tout les études d'Alfred Baumler sur Nietzsche) et qui méprise régulièrement la politique et ses appareils, ne serait-ce qu'au sens technique moderne, notamment électoral, du terme.
«Il {Schmitt} m'écrit [à propos de son livre Terre et mer, paru en 1942 en Allemagne] sur le nihilisme, auquel il assigne, dans la traversée des quatre éléments, le feu. Se faire incinérer dans des crématoires serait une manie nihiliste. De la cendre renaît l'oiseau phénix, c'est-à-dire un signe d'air. Il compte bien parmi les rares personnes qui tentent d'évaluer le processus selon des critères qui ne soient pas tout à fait aberrants, comme le sont les catégories nationales, sociales, économiques. La cécité croît avec les Lumières; l'homme se meut dans un labyrinthe de clarté. Il a cessé de connaître la puissance de l'obscur.» (Jünger, Notes du Caucase, le 23 décembre 1942, cité par la note 364, page 434).

Ernst Jünger considérait en 1934 (lettre de Jünger à Schmitt du 26 décembre 1934, page 58) que «nous sommes maintenant dans la vingt-deuxième année de la Guerre mondiale, dont le tiers peut-être est derrière nous», autrement dit que le Première guerre mondiale de 1914-1918 n'avait pas cessé. Cependant d'abord occasionnellement favorable mais bientôt hostile au NSDAP, il est admiré par Hitler en tant que héros militaire et devient intouchable, quelles que soient ses prises de position, qu'au demeurant il dose et modère dans sa correspondance privée tant le régime s'avère, sous l'emprise de la surveillance des SS, immédiatement dangereux et meurtrier. Le domicile de Jünger fut tout de même perquisitionné en 1933 et en 1940 (voir préface de Julien Hervier, pp. 16-17) et il se plaint avec humour dans un post-scriptum (d'une copie à Schmitt d'une lettre adressée par Jünger le 27 juin 1934 au «Département de sauvegarde de l'éthique professionnelle» du NSDAP afin de défendre le botaniste Fritz Merkenschlager dont la théorie raciale relative au mélange de sang étranger et allemand ne convenait absolument pas à la doctrine nazie) des méfaits d'un Département qu'il compare au «Grand tribunal de l'inquisition» (page 52). Son prestige littéraire augmente en Allemagne comme en Europe de l'Ouest pendant la Seconde Guerre mondiale puis continue d'augmenter après la défaite : son image est celle d'un héros ― qui plus est, francophile et francophone ― de la Première Guerre mondiale qui ne s'est pas compromis avec le parti nazi durant la Seconde Guerre mondiale.

La relation de Jünger avec Schmitt ne fut, en outre, pas seulement intellectuelle ni mondaine mais familiale : le conseiller d'État Carl Schmitt devient en 1934 le parrain de Carl Alexander Jünger (1934-1993), le second fils de Jünger.
Ce qui explique sans doute, au moins en partie, que la correspondance de Jünger avec Carl Schmitt de 1930 à 1983, répartie sur 53 années, ait été deux fois plus durable et soutenue que la correspondance de Jünger avec Martin Heidegger de 1949 à 1975 (3), répartie seulement sur 26 années. Autre grande différence entre les deux correspondances : la correspondance de Jünger avec Schmitt couvre la période du Troisième Reich hitlérien (1933-1945) alors que l'essentiel de la correspondance de Jünger avec Heidegger débute quelques années après sa chute, dans une Allemagne en ruines, bientôt sévèrement divisée entre RFA capitaliste et RDA communiste. Notons à cet égard que Schmitt comme Jünger furent témoins de l'édification par la RDA du mur de Berlin (nuit du 12 au 13 aout 1961) mais que seul Jünger verra sa démolition (novembre 1989).
La contingence affective et sociale cède le pas dès 1968 à un renouvellement de leur estime mutuelle; une correspondance apaisée reprend alors jusqu'en 1983 : dans son avant-dernière lettre du 25 avril 1983 adressée à Schmitt, Jünger l'assure qu'il demeure «son éclaireur» et le remercie chaleureusement pour la «précieuse clé pour la Théologie politique» (4) qu'il lui a adressée à l'occasion de ses vœux d'anniversaire : «Parmi les vœux d'anniversaire, les vôtres m'ont particulièrement réjoui» (page 362).
Le philosophe allemand majeur du vingtième siècle, j'ai nommé Martin Heidegger, apparaît dans cette correspondance lorsqu'il est très brièvement cité par Carl Schmitt en 1942 à l'occasion d'une rencontre avec un de ses élèves mais il devient, à partir de 1955, beaucoup plus présent.
C'est probablement la lettre de Carl Schmitt à Ernst Jünger du 10 août 1955 (et ses amples notes 675-677 annexées aux pages 506 à 508) qui permet de bien comprendre comment Heidegger et eux formèrent après-guerre ― de facto car ils produisaient cet effet du simple fait qu'ils survivaient à l'épreuve de la Seconde Guerre mondiale non seulement physiquement mais théoriquement (et artistiquement dans le cas de Jünger sans négliger le fait que Schmitt considère en 1955 le style philosophique de Heidegger comme une authentique et véritable tentative littéraire) ― une sorte de trinité théorique survivante de l'Allemagne révolutionnaire «nationale-conservatrice» des années 1918-1933.
Ernst Jünger avait en effet contribué dès 1950 par son essai Passage de la ligne aux Mélanges offerts à Martin Heidegger pour son soixantième anniversaire. Cinq ans plus tard, à l'occasion des Rencontres amicales. Mélanges offerts à Ernst Jünger pour son soixantième anniversaire, recueil dirigé et édité en 1955 par Armin Mohler, deux essais firent plus particulièrement sensation : la contribution de Martin Heidegger, Sur la Ligne qui répondait d'emblée par son titre à l'essai antérieur de Jünger, et la contribution de Carl Schmitt, La Structure historique de l'actuelle partition du monde entre Est et Ouest. Ces contributions de 1950-1955 les lient éditorialement et mettent alors en lumière, aux yeux du public universitaire d'élite auquel elles sont naturellement destinées, divers aspects théoriques qui les rapprochent tous trois, à commencer par une commune critique philosophique de la civilisation technique qui matérialise le nihilisme auquel la pensée allemande de l'être doit résister.

De son côté, Heidegger avait correspondu avec Carl Schmitt dès 1933 à l'occasion de la citation du fragment 53 d'Héraclite (5) sur la guerre (la guerre est père de toutes choses...) dans la troisième édition allemande de La Notion de politique. Heidegger l'en avait chaudement félicité, se souvenant probablement que la citation ne se trouvait pas dans la première édition allemande de 1927. Autre points communs bien connus : Heidegger et Schmitt avaient tous deux adhéré le premier mai 1933 au NSDAP. Selon Julien Hervier, la correspondance de Jünger avec Heidegger aurait débuté dès 1931 (6). Heidegger avait lu et écrit des articles sur Jünger dès les années 1930, organisant notamment en 1939-1940 un cercle de lecture jüngerien à l'Université de Fribourg. En 1920-1930, Heidegger, Schmitt et Jünger étaient déjà trois figures intellectuelles majeures de la révolution nationale-conservatrice allemande. Cette trinité intellectuelle et sa ligne générale théorique sont confirmées après-guerre par chacun des trois et par leurs échanges cordiaux.
Sur le plan matériel, ce volumineux ouvrage broché est illustré en première de couverture par un dessin original de Patrick Lusinchi représentant Jünger assis au premier plan et Schmitt debout au second plan, dans un salon rouge muni d'une bibliothèque. Le thème de la bibliothèque, de sa complétude, de son incomplétude, de sa perte, de son remplacement, est une constante de cette correspondance : l'âme et l'esprit matérialisés de Jünger et Schmitt sont les livres qu'ils possèdent, qu'ils lisent, qu'ils commentent. Au verso, une photo N&B montrant Jünger en uniforme et Schmitt en civil à Rambouillet, le 19 octobre 1941.
Il est muni d'une préface rédigée par Julien Hervier qui fut notamment responsable de l'édition des traductions des Journaux de guerre de Jünger à la Bibliothèque de la Pléiade en 2008, édition à laquelle le traducteur et réviseur des notes François Poncet avait en son temps collaboré. La préface de Hervier s'attache à deux aspects : l'évolution de la position de Jünger et de Schmitt relativement au Troisième Reich d'une part, l'évolution psychologique de leur relation d'autre part. La postface d'Helmuth Kiesel, responsable des éditions allemandes de 1999 puis 2012, étudie succinctement mais précisément divers aspects : matériel et éditorial, historique, philosophique, littéraire. On peut dire que l'ensemble (préface + postface) constitue une solide introduction que chacun pourra ensuite prolonger par la lecture des lettres et de leurs notes, en fonction de ses intérêts personnels.
La bibliographie sélective comporte environ 20 pages : elle est répartie entre les deux auteurs, chacun muni d'une bibliographie primaire (leur œuvre) et secondaire (les études sur leur œuvre). J'aurais préféré, en raison de sa densité (éditions originales allemandes et traductions françaises sont citées dans l'ordre chronologique de parution et séparées par une simple mise à la ligne), qu'elle fût numérotée : chaque unité aurait pu comporter l'ensemble des références à un titre; cela aurait contribué à son aération et à une consultation plus intuitive. Le lecteur fervent s'habituera cependant assez vite à la technique de sa consultation.
L'index des noms comporte, lui aussi, environ 20 pages. Si on y cherche Carl Alexander Jünger, il faut aller directement et logiquement au nom de famille Jünger qui répertorie une sélection de 14 prénoms distincts. Notons que «Jünger Ernst [Ernstel]» concerne l'autre fils de Jünger, celui tué au combat en novembre 1944. Idem pour les membres de la famille Schmitt. Aucune entrée n'est individuellement consacrée à Ernst Jünger ni à Carl Schmitt puisque chaque page les concerne. Statistiquement, l'écrivain français le plus mentionné est Léon Bloy (8). Cet index très ample ne mentionne volontairement pas les noms cités dans la section bibliographique : par exemple Alain de Benoist, cité à plusieurs reprises dans la bibliographie pour ses études (y compris bibliographiques) et pour les numéros spéciaux de sa revue Nouvelle École sur Schmitt (n°44, 1987) et sur Jünger (n°48, 1996), est absent de l'index.
La présentation matérielle des ajouts de la seconde édition allemande est conservée à l'identique, y compris la reproduction des manuscrits, en fac-similé, sur quelques pages. Ces ajouts bénéficient de notes complémentaires rassemblées dans un second appareil critique à la numérotation par conséquent autonome.
Notes
(1) Pour un examen plus approfondi du marcionisme et de l'hégélianisme de Carl Schmitt, cf. Francis Moury, Le rationnel et l'irrationnel dans la pensée allemande (paru en 2010 sur Stalker-dissection du cadavre de la littérature) repris en version revue et corrigée in Francis Moury, La Lance d'Athéna, tome 1, Études d'histoire de la philosophie ancienne, moderne et contemporaine, §XII (éditions Ovadia, Nice, 2021).
(2) Concernant la question de la durée du ralliement de Carl Schmitt au nazisme, il existe une thèse qui prolonge celui-là bien au-delà de 1936. Cf. Jean-François Kervégan, Carl Schmitt et l'unité du monde (in Les Études philosophiques n°68, PUF, 2004, pp. 3 à 23). Kervégan y écrivait : «La thèse selon laquelle l’engagement intellectuel nazi de Schmitt aurait pris fin après les attaques lancées contre lui en 1936 par l’organe SS Das Schwarze Korps est complaisante; l’expression de cet engagement se fait certes moins hyberbolique, mais il se poursuit jusqu’au tournant de la guerre, soit jusqu’à la fin 1942 : voir les dernières lignes de l’article La Formation de l’esprit français par le légiste (SGN, p. 210; trad[uction] dans Du Politique, p. 209-210).»
Je précise, à toutes fins utiles, que rien dans ces lettres de Carl Schmitt, du moins celles couvrant la période incriminée de 1930 à 1942, ne permet de le confirmer ou de l'infirmer. En revanche, quelques formules utilisées dans certaines lettres de 1943 (cf. notamment la note 389 concernant l'allusion biblique aux gens non sancta, in lettre du 21 mars 1943 à Jünger) sont des critiques voilées du régime.
(3) Ernst Jünger & Martin Heidegger, Correspondance 1949-1975, traduction par Julien Hervier (éditions Christian Bourgeois, 2010). C'est une correspondance qui ne traduit pas, ainsi que son titre l'indique, les échanges d'avant-guerre entre Heidegger et Jünger qui, selon Julien Hervier, auraient commencé en 1931. Cf. note 6 infra.
(4) Carl Schmitt, Théologie politique 1922-1969 (traduction et présentation par Jean-Louis Schlegel (éditions Gallimard, NRF-Bibliothèque des sciences humaines, 1988).
(5) Texte grec du célèbre Fragment 53 d'Héraclite : «Πόλεμος πάντων μὲν πατήρ ἐστι, πάντων δὲ βασιλεύς, καὶ τοὺς μὲν θεοὺς ἔδειξε τοὺς δὲ ἀνθρώπους, τοὺς μὲν δούλους ἐποίησε τοὺς δὲ ἐλευθέρους.» Heidegger a notamment commenté ce fragment en 1935 dans son Introduction à la métaphysique. Concernant les problèmes philologiques du texte, voir les études classiques d'histoire de la philosophie et les traductions de tous ou certains fragments chez G.W.F. Hegel, Félix Ravaisson, Émile Bréhier, Jean Voilquin, Abel Jeannière, Clémence Ramnoux. « À quoi bon une traduction des fragments d'Héraclite ? Elle ne signifie rien par elle-même; elle ne peut être qu'un auxiliaire pour l'étude du texte, ou bien (c'est le cas ici) l'illustration d'une interprétation» écrivait avec une sévérité sans doute excessive ― mais il faut se souvenir qu'il avait été formé à l'exigeante école de Léon Robin ― l'excellent Joseph Moreau dans sa recension (in Revue des Études Anciennes, 1959, page 452) du livre de Jeannière sur Héraclite (qui contenait une traduction annexée des Fragments). Le non helléniste pourra cependant se reporter à celle de Jean Voilquin, Les Penseurs grecs avant Socrate (éditions Classiques Garnier, 1941) qui demeure une des meilleures. Notons en passant qu'il semble qu'on soit parfois, aujourd'hui, réticent à traduire «Πόλεμος» par le simple «guerre» alors que c'est pourtant l'évidence même : aucun philologue ni aucun commentateur d'Héraclite n'aurait songé à traduire autrement durant l'âge d'or philologique européen de 1870-1940.
(6) «Ses premiers échanges épistolaires avec le philosophe dataient de 1931 et, bien avant la Seconde Guerre mondiale, il parlait souvent de lui avec son frère Friedrich Georg» selon Julien Hervier. Il y aurait donc une correspondance 1949-1975 traduite car jugée majeure et une correspondance d'avant-guerre pas encore traduite car jugée moins ample et mineure par les éditeurs allemands, anglais et français qui ne connaissent que ce terminus a quo 1949.
(7) Note 412, page 440, Kiesel écrit que Duns Scot est connu pour sa doctrine de l'univocité de l'être, ce qui est vrai mais qui réduit considérablement la doctrine de Scot à un de ses aspects : celui concernant la portée de la métaphysique humaine (qui traite de l'être) qui ne peut être confondue avec la théologie (qui traite de Dieu). François Poncet croit devoir y ajouter deux lignes : une parfaitement exacte sur le fait que Martin Heidegger lui consacra sa grande thèse de doctorat, l'autre parfaitement inexacte, assurant que Scot diminue la transcendance divine et prépare la voie au panthéisme de Spinoza. S'il lit cette dernière ligne, le fantôme de Scot sera mécontent. Sur Scot, la meilleure synthèse demeure le chapitre que lui consacre Étienne Gilson, La Philosophie du moyen âge (éditions Payot, 1922, revue 1944 et 1976, voir notamment pages 598 et 599). Il n'y pas de rapport entre la volonté divine chez Duns Scot et la conception spinoziste d'un Deus sive natura qui nie toute contingence. Raison pour laquelle, au demeurant, Carl Schmitt admirait Duns Scot et méprisait Spinoza. Particulièrement intéressante, sur ce plan, est la note 500 de Kiesel à la page 462 qui cite ce jugement de Schmitt du 7 octobre 1947 dans son Glossarium : «[Deus sive natura est] l'insulte la plus éhontée jamais faite à Dieu et aux hommes». Kiesel remarque que la critique de cette formule spinoziste est aussi une critique par ricochet du fait que Jünger avait mis en exergue à son livre La Paix (1945) une sentence de Spinoza.
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