Joris-Karl Huysmans, le forçat de l'écriture (12/05/2007)

Photographie (détail) de Juan Asensio.


IMG_2652.JPG«Le genre humain n’avait péri que par la voie de solidarité, c’est-à-dire par l’effet de sa communauté substantielle et morale avec Adam, son premier auteur; il était donc juste qu’il pût être sauvé dans la mesure et selon le mode de sa perte, c’est-à-dire par voie de solidarité… Où la solidarité du mal avait tout perdu, la solidarité du bien a tout rétabli.»
Lacordaire, Conférences de Notre-Dame de Paris, 1855, 66e conférence.

«Après avoir scruté et mis à nu tous les bas fonds de l’ordre social : après avoir mis à nu les mystères sataniques, à coup sûr il ne faut pas laisser vos lecteurs au milieu de ces Ténèbres. Dante après avoir décrit les lieux de la souffrance, monte en Haut, et veut nous dévoiler les gloires du ciel. Là il a été peu de choses ! Mais vous, vous aurez pour base de votre Livre les cieux nouveaux et la nouvelle terre…».
Abbé Joseph-Antoine Boullan, 27 janvier 1891, cité par Maurice M. Belval, Des ténèbres à la lumière. Étapes de la pensée mystique de J.-K. Huysmans (éditions Maisonneuve et Larose, 1968), p. 94.


Patrice Locmant, J.-K. Huysmans, le forçat de la vie aux éditions BartillatJoris-Karl Huysmans est un écrivain finalement assez peu évoqué dans la Zone, peut-être parce que je ne suis jamais vraiment parvenu à passer outre telle remarque à mon sens fort juste que Pierre Glaudes fit dans notre entretien au sujet des livres de l'écrivain, jugés inférieurs à ceux de Léon Bloy.
Quoi qu'il en soit, je reviens, ces derniers temps, à mes vieilles amours en lisant ou relisant des essais consacrés à Charles Péguy, Georges Bernanos ou, depuis peu, Joris-Karl Huysmans donc, visiblement infiniment plus goûté par les universitaires qu'un Ernest Hello, dont ils ignorent à vrai dire la simple existence. Il est vrai que, ayant multiplié les audaces formelles et stylistiques, Huysmans ne peut que passionner, de façon bien légitime, le monde de la recherche qui, fort prudemment, déclarera toutefois ne guère s'intéresser à ses tout derniers romans, catholiques en diable si je puis dire.
D'emblée, je dois dire qu'il s'agit, avec le livre de Patrice Locmant, d'évoquer une agréable petite biographie, qui plus est parue aux éditions Bartillat qui ne ménagent pas leurs efforts pour nous faire découvrir ou redécouvrir des textes beaucoup moins connus de Huysmans que ne le sont ses romans les plus célèbres, À rebours et Là-bas. L'auteur écrit, évoquant l'admiration, quelque peu oubliée, qu'un Breton témoignait au romancier décrivant les aventures esthétiques de Des Esseintes (je suppose qu'il n'apprécia guère la suite romanesque, durtalienne, accomplissant par la foi le destin littéraire du torturé Floressas) : «Huysmans est un visionnaire. Il a prévu la décadence des arts et la venue du tout-marchand, provoqué la mort du roman romanesque en inventant l’autofiction, déboulonné les fondements du réalisme matérialiste de Zola pour ouvrir la voie au surréalisme» (Patrice Locmant, J.-K. Huysmans. Le forçat de la vie, Bartillat, 2007, p. 184). Je ne sais si Huysmans a prévu quoi que ce soit : je crois qu'un écrivain véritable n'a absolument pas besoin de prévoir puisque l'analyse qu'il donne du monde qu'il décrit est toujours une évocations maux secrets qui le rongent. Un grand romancier se moque donc du futur, sa tâche étant de sonder les abîmes du présent. Cette radiographie, si elle est puissante, sera après tout riche de bien des enseignements.
M'a de plus considérablement gêné cette facilité commise par l'auteur, évoquant plusieurs fois la double personnalité de Huysmans, écrivant, de nouveau un peu trop souvent à mon goût, qu'il y avait en lui un docteur Jekill et un Mr. Hyde, métaphore convenue au possible on me l'accordera en lieu et place d'analyses littéraires plus poussées.
Que Locmant ne nous donne pas. Que d'autres qu'il a forcément lus nous donnent.
Belval, ainsi, tentait de souligner «l’influence de Baudelaire sur Huysmans» (op. cit., p. 178) et cet auteur n'a certes pas été le dernier, on s'en doute, à évoquer de possibles ou évidentes influences des écrits de tel ou tel écrivain sur l'auteur des Foules de Lourdes. Locmant poursuit son développement qui gagne, comme dans le passage suivant, à être débarrassé de ses facilités quelque peu condamnables même si, rigoureusement, ces lignes pourraient presque être écrites sur n'importe quel écrivain de quelque importance, qu'il s'agisse d'un Baudelaire, d'un Barbey d'Aurevilly ou, bien sûr, d'un Bloy : «En concevant l’expérience humaine comme une globalité fusionnant sans contradiction le vécu et l’inexplicable, les dégoûts de l’existence à l’extase la plus pure, les noirceurs de l’âme humaine à ses élévations mystiques, Huysmans a anticipé la littérature postmoderne. Il a permis l’avènement d’un art total, établi des correspondances inédites entre la résonance des tons, la musicalité du verbe, la clarté du plain-chant et les senteurs harmonieuses de la peinture. Il a fusionné sa vie et son œuvre pour faire de l’une et de l’autre une œuvre expérimentale unique.»
Aussi agréable à lire qu'on le voudra, le livre de Locmant ne va donc guère plus loin, in fine, que tel mince article paru dans un recueil de textes datant de quelques années, où Françoise Court-Perez écrivait : «On voit que la description de l’expérience mystique prolonge l’inclination esthétique et qu’il y a une nette continuité dans l’œuvre. La transposition d’art est inscrite au cœur de l’œuvre et suppose l’échec de la tentative d’évacuation du regard et de la représentation» (in Alain Vircondelet (sous la direction de), Huysmans. Entre grâce et péché, Beauchesne, coll. Cultures et christianisme, n°3, 1995, p. 18).

À venir dans la Zone, un entretien avec Rémi Soulié, auteur d'un beau Péguy de combat publié par Les provinciales puis un dialogue à trois voix (Raphaël Dargent, Francis Moury et Germain Souchet) consacré aux thèses défendues par Dargent dans son premier essai ô combien polémique, Ils veulent défaire la France édité par L'Âge d'Homme.
Je n'oublie pas vous avoir promis quelques lignes sur Le Tunnel de William H. Gass...

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