À quoi sert Josyane Savigneau ? (10/03/2009)

Crédits photographiques : Rich Pedroncelli (Associated Press).
Avertissement de JA
Je puis certifier l'exactitude absolue de plusieurs points évoqués dans le texte ci-dessous dont : la tenue d'un récent débat à la Foire du Livre de Bruxelles consacré au sujet mentionné, avec les participants dont les propos, du moins leur esprit plutôt que leur lettre indigente, m'ont été fidèlement rapportés par une amie qui a bel et bien échangé quelques mots avec l'inutile Josyane Savigneau, sollersienne convaincue depuis sa première communion, grande amie de Claude Durand dont elle salua sans même rougir, à une époque encore récente, tous les livres que l'immense éditeur (je ne fais que répéter ce que j'entends et lis : Claude Durand est un immense éditeur comme Bono est un immense bienfaiteur de l'humanité) lui demandait d'évoquer, en traçant devant elle une petite croix dans chacune des cases qu'il lui fallait remplir, comme un professeur coche, suivant sa satisfaction plus ou moins grande, une case indiquant les progrès de son élève.
Le reste, notamment la surprenante facilité lyrique de Josyane Savigneau et le fait qu'elle soit parvenue à écrire un livre sur un sujet aussi complexe qu'elle-même, est bien évidemment pure invention de ma part.

À quoi sert Josyane Savigneau ?
Mes chers lecteurs, je donnerai ma réponse avisée, à cette question qui n'en finit pas de traverser, depuis qu'elle a été imprudemment lancée à la face du Dieu absent, les étendues sidérales en fécondant sur son passage des systèmes solaires entiers, dès que j'aurais eu le plaisir de lire l'ouvrage de la critique dite littéraire la plus inutile de France, ouvrage que son éditeur, Stock, par un sentiment de pudeur bien compréhensible à l'endroit d'un auteur voulant à tout prix redevenir ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être après avoir connu la gloire médiatique, une simple badaude achetant son exemplaire de la Théorie des exceptions en demandant timidement à son libraire le rayon où il l'a rangé amoureusement, ne m'a pas encore envoyé, malgré une trentaine de messages de tous genres stylistiques qui n'ont de point commun que leur ton de plus en plus comminatoire. Rien à faire, je devais compter avec l'inépuisable radinerie de Fayard, il me faut maintenant tirer un trait sur les services de presse fournis copieusement par Stock à de plus chanceux que moi. Ou de moins francs... Ou de moins polémiques...
Avant de stupéfier le très vaste monde des lettres parisiennes en livrant ce qui pourrait bien être la réponse à une question qui, comme quelques autres tout de même moins métaphysiques, nous demeure cachée depuis la création du monde, livrons quelques indices : la si peu sémillante Josyane Savigneau, journaliste uniquement connue des sollersiens les plus pointus, lors d'un Salon du Livre qui du jour au lendemain devint le seul événement digne d'être pieusement commenté parmi les innombrables événements qui eurent lieu en cette inutile année 1995 a jeté, par deux fois au moins, le contenu de sa coupe de Champagne sur le visage de Marc-Édouard Nabe qui, grâce à sa très petite taille, n'a pas même eu besoin de faire mine d'éviter le furibond jet de liquide pétillant qui mouilla la chemise à fleurs, au niveau du nombril, de Stéphane Zagdanski, jamais très éloigné, à cette époque du moins, de son ami et, quoique tout petit, infréquentable et priapistique maître.
Josyane Savigneau, j'ai oublié de préciser ce fait peu connu, a aussi occupé sous sa douche, durant des années lumineuses, douloureuses et élégiaques, la place de soliste aphone dans un opéra posthume récemment découvert de Mozart intitulé Philippe Sollers ou le Don Juan improbable (KV 000, improbable plutôt qu'impromptu, même si je dois faire remarquer que le débat continue de faire rage parmi les plus éminents musicologues qui n'ont toujours pas tranché entre les deux termes, de même que le fait de savoir si Da Ponte a collaboré à cette œuvre mineure du génie autrichien est une question que nous ne saurions trancher en quelques lignes).
Josyane Savigneau, qui ne laissera de trace dans les mémoires, du moins espérons-le, que pour le premier seulement de ces hauts faits d'armes, participait il y a quelques jours, durant la Foire du Livre de Bruxelles, sans doute en sa qualité de spécialiste des navets, à un débat animé par Elkaïm Kerenn intitulé Cultiver la critique littéraire, ayant pour éminents participants, outre notre diabolique critique, Jean-Claude Vantroyen et Michel Field.
Délaissant mon paletot d'obscurité primordiale qui fut tressé, voici quelques millénaires, par ma maîtresse Gorgone, jouant de la mobilité démoniaque de mes traits fantasques pour me composer une figure qui ne soit point celle du sombre Marin de Coleridge, bref, redevenant pour quelques heures le placide et charmant Juan Asensio afin de tenter d'approcher celle qui fut la plus haute prêtresse du culte sanglant de Sollersoustra, que mes séides m'indiquèrent n'être qu'une honteuse approximation de mes plus fades sabbats coupés à l'eau sucrée de Huysmans puisqu'il se contentait d'offrir en sacrifice quelques mouches céruléennes échappées des livres de François Meyronnis ou de Yannick Haënel, je vins écouter les propos absolument insignifiants de Michel Field consacrés à la renaissance commerciale, grâce à l'une de ses émissions aujourd'hui heureusement oubliées, du roman tout juste passable de Philippe Grimbert intitulé Un secret, trépignant d'impatience en attendant que notre morganatique critique livre ses plus précieux oracles. Le diable, tout démonologue débutant connaît cette caractéristique s'il a lu Tertullien, le diable étant l'impatience faite ange (1), j'eus quelque grande difficulté à ne point trépigner sur place et risquer de marquer ainsi d'une empreinte peu discrète le sol sur lequel je me tenais, ma fière tête tendue vers la hiératique critique pour l'heure silencieuse, le regard intrépide s'aventurant dans quelque paysage intérieur grandiose et inconnu.
Enfin la plus fidèle interprète de l'idole sumérienne cacographique appelée Baal Sollers dit le roi des Moucherons, ouvrit la bouche et les mondes de trente univers s'arrêtèrent de parcourir leur orbe elliptique autour de myriades de globes de lumière que les plus puissants télescopes ne sont pas encore parvenus à découvrir.
«Quelle chance que la mienne, affirma clairement, d'une voix tout de même colorée par une compréhensible émotion, Josyane Savigneau, oui, quelle chance immense d'avoir été embauchée par Le Monde puisque se pressaient, je vous le rappelle au cas où vous ne le sauriez pas, sous des fourches caudines que même Marc-Édouard Nabe, ce vil contempteur de mon talent, aurait trouvé basses, pas moins de douze candidats en interne tous désireux, fût-ce au prix de leur âme bradable facilement, d'occuper la place que dis-je, le trône depuis lequel je n'allais pas tarder à fulminer mes bulles ! Pourquoi pas moi ?, se demanda alors, à voix haute, puissante et d'une surprenante alacrité, notre diabolique prêtresse presque dressée sur l'estrade et vibrante d'une fierté difficilement contenue, oui, pourquoi pas moi ?», hurla cette fois-ci celle qui eut raison d'invoquer son maître Sollers le trois fois Ardent pour le prier de réaliser un miracle capable de dessiller les yeux des aveugles que nous sommes tous.
Les pouvoirs du Doge de la bêtise n'étant pas de pacotille puisqu'il a réussi à publier l'un des plus mauvais livres de ces cinq derniers siècles, De l'extermination considérée comme un des beaux-arts de son ami François, le miracle se réalisa et Josyane s'engouffra dans sa caverne protégée par une garde d'eunuques fanatiques. Elle devint ainsi, après des années d'efforts dont nous, nous les paresseux ne pouvions avoir ne serait-ce que l'ombre d'une idée, la vestale la plus courtisée d'un culte dont les origines se perdent dans les sables de Mésopotamie pour timidement finir dans les toilettes du Flore. Josyane Savigneau occupa donc l'une des places les plus prescriptrices, comme disent les vendeurs de tondeuses à gazon, du journalisme de la plus haute qualité et intégrité intellectuelles : Le Monde des Livres.
Vrai !, que la foule des incroyants ne se gausse point ou je lui enverrai quelque horrible Scarbo qui l'affligera de rêves terribles : je sentis alors, mon regard vert magnifiquement décrit par Jean Lorrain brûlant de fondre sur celui de ma diabolique délaissée, une onde chaude et puissante de plaisir parcourir ma souple échine qui fit se tordre de délices les sorcières de Macbeth et je sentis également se dresser, pour quelque oraison propitiatoire, l'organe que Félicien Rops a peint arrosant de ses gouttelettes méphitiques la plus profonde nuit parisienne, lorsque Josyane évoqua, la voix incapable de contenir une émotion bouleversante (plusieurs des auditeurs qui m'entouraient portèrent une main tremblante à leurs yeux subitement humides), sa très dure éviction du Monde des Livres, autrement dit de la Sainte Congrégation de l'Ardent Sollers le trois fois Vénitien, éviction, que me dites-vous là : blessure point encore refermée, tremblement de terre et de ciel, bref catastrophe insigne qui est la matière très sensible, à vif comment pourrait-il en être autrement ô viles âmes insensibles, de laquelle un livre ténébreux et maléfique a fait jaillir une fleur unique à la vénéneuse fragrance. Ce livre porte un titre que Baudelaire, le savant et crépusculaire poète des Fleurs du Mal, l'un de mes disciples les plus subtils, n'aurait point rougi de trouver dans quelque grimoire tout gorgé de sang de vierge : ce titre, dont la seule prononciation mentale suffit, paraît-il, à convoquer les gouges les plus immondes que les appels frénétiques de Manfred n'émurent pas et rameuter toutes les créatures de l'Enfer qui délaissèrent le si peu machiavélique Gilles de Rais en un cercle avide de dévorer les plus savants Cazotte, ce titre que moi-même, Satrape déchu régnant cependant sur des armées innombrables et magnifiques vues en songe par John Milton, je tremble d'évoquer, ce titre quel est-il ? Frémissons d'oser livrer au public inculte l'une des invocations infernales les plus puissantes que bouches mortelles craignirent de chuchoter : Point de côté.
Il nous fallait souffler sans doute, car le public, autrement, se fût jeté du haut de quelque falaise comme les pourceaux évangéliques, mes mignons tout remplis de moi, et alors nous soufflâmes puisque, après avoir présenté son travail d'enseignant, Jean-Claude Vertroyen évoqua l'inévitable question des blogs que très habilement Michel Field et Josyane Savigneau, par leur silence aussi respectueux qu'éloquent, firent germer dans les cervelles les plus obtuses. «Avec Internet il y a un essor des blogs, une bulle. Il existe notamment deux blogs qui se déchirent : le Stalker...»
Là, mon cher lecteur, je brise la trop facile cadence de mes phrases impeccables en y glissant un couac salvateur, là donc, à ce moment devant lequel mon odieux Créateur Lui-même frémit de surprise lorsque, de toute éternité, Il en conçut l'affreuse stupéfaction, là, triste mortel et toi Proserpine, ma compagne immonde et belle, nulle technique de reproduction ne pourrait figer la magnifique grimace de dégoût barrant d'une cicatrice plus large que le sourire de Gwynplaine le dur visage de Josyane, nul écrivain ne saurait être capable de camper l'essoufflement, la lassitude, l'étonnant mélange de ces sentiments et de quelques autres point soupçonnés des créatures sublunaires, qui fit se tordre, comme s'il se fût agi d'un diablotin soumis à l'exquise torture d'un filet d'eau bénite tombant goutte à goutte sur son front maléfique, Josyane Savigneau et sourire, oui, sourire très méchamment, diaboliquement, Michel Field, sans doute quelque initié de l'Ordre secret des Téméraires Serviteurs du Noir, comme je me surpris à le penser en regardant plus attentivement cet homme à la silhouette aussi bedonnante qu'anodine, «le Stalker donc et... Pierre Assouline !»
Et Vertroyen l'impavide de poursuivre, alors que les secouristes, sur un geste à peine perceptible de Josyane, accouraient en nombre, observant tout de même une distance aussi respectueuse que prudente entre leurs pauvres carcasses frémissantes d'amour et l'enveloppe charnelle de leur Archonte vipérine, se tenant, quoi qu'il en soit, prêts à réagir en une fraction de seconde au moindre signe inquiétant qui trahirait de leur déesse quelque inexplicable évanouissement, et Vertroyen de continuer donc, affirmant qu'on assistait à une vraie foire d'empoigne qui se terminait presque à tous les coups par des insultes et engueulades ad hominem. «Les critiques se critiquent et oublient d'être des passeurs», cette mémorable sentence étant fort heureusement saluée par de francs rires secouant un peu trop mécaniquement les corps de Field et, redevenu marmorréen, de Savigneau dont la voix, plus tranchante que jamais, coupant Vertroyen qui évoquait, courageusement, la dimension autistique d'Internet et singulièrement des blogs, résonna dans le temple devenu subitement silencieux. Je me souviens de ces paroles de colère et de feu comme si quelque inquisiteur avait tenté de les graver sur le corps rompu d'une de mes adorables sorcières : «De toutes façons affirma notre critique stochastique, le sort des blogs ne peut qu'être équivalent à celui des radios libres, toute cette fumée va disparaître, tout cela finira par se tasser, il suffit, en attendant cet heureux événement, de se boucher le nez et de fermer les yeux». Les applaudissements furent frénétiques, quelques hourras fusèrent, qui n'arrachèrent qu'un minuscule sourire à l'immarcescible Savigneau, décidément aussi impassible qu'une statue de bronze.
Je vis ensuite une jeune femme s'approcher de notre éminente critique partie retrouver une de ses amies et probable collègue, alors que les derniers officiants du culte sauvage dont j'avais été le spectateur anonyme et fasciné, le regard encore voilé et comme vidé de toute énergie, s'apprêtaient à retrouver leur insignifiante vie profane, tout de même consacrée par quelque relique savignesque, rognure d'ongle ou morceau de cheveu, postillon insigne, qu'ils étaient parvenus à sauver de l'indifférent parterre promis à un futur industriellement javellisé. Je n'eus aucune peine à entendre très distinctement, en suivant discrètement les intéressées à quelques pas de distance, les paroles qu'elles échangèrent en se dirigeant vers le stand des éditions Stock, où notre diabolique allait sans doute libérer quelques-unes de ses dédicaces les plus rugissantes :
- «Madame, pardon...
- Mademoiselle ou Madame, venez-en au fait je vous prie, je suis une journaliste... Du moins l'ai-je été naguère et mon temps, qui désormais ne fait plus que s'étirer, intolérablement, alors même que ma peine de recluse, d'emmurée vivante, de femme livrée, rompue et insultée, nue et humiliée par le sordide bourreau acclamé par la populace, alors que mon supplice digne des plus affreuses subtilités des tortures chinoises disais-je, depuis cet âge d'or aboli bibelot d'inanité sonore, s'est enveloppé d'une lumière crue que je ne puis fixer plus de quelques secondes sans m'arracher, de rage, de colère, de désespoir et de tristesse, les cheveux, comme la vierge folle que les dieux intraitables m'ont condamnée à devenir, errant dans les salles de rédaction comme les possédés marchaient, à moitié fous, dans les cimetières... Zut, où donc en étais-je ? Ah oui, et mon temps reprit la magnanime critique, et mon temps n'est plus consacré qu'à l'adoration plénière de celui-là seul qui ne m'a point conspuée au moment où se déclenchait l'apocalypse, qui donc à votre avis, hein ?
- Je ne sais pas, votre mam...
- Suffit, impertinente !
- Certes mais...
- Ne m'interrompez pas, risible insolente ! Savez-vous qu'autrefois, naguère, merde : jadis, ma parole avait réelle puissance de vie et de mort sur mes sujets ? Je vous prie donc d'en venir au fait, d'être brève, d'aller droit au but, de ne point user de ma patience ni même de subordonnées inutiles car se tenir ainsi comme une antique pythie sur le tréteau des songes les plus difficilement interprétables, comme je l'ai fait, pendant plusieurs minutes d'une tension tout aussi inimaginablement supportable, est-ce qu'un tel acte de bravoure inconnu des rampants et des assis ne mérite point quelque consolation ambrée et légèrement enivrante que certes votre élocution hésitante et la trop évidente procrastination de votre question ne risquent point de m'offrir ?
- Oui, sans doute mais...
- Je ne vous le répéterai pas, venez-en aux faits, péronnelle !
- J'allais le fai... Bref, lorsque les blogs de critiques littéraires ont été évoqués, vous avez fait, ma dame, une très légère grimace qui, rassurez-vous, ne s'est absolument pas vue... Cela ne vous plaît donc pas ?
- Voyons, ma pauvre enfant siffla Josyane en lançant un regard amusé et ironique à son amie qui immédiatement laissa sa vilaine figure se parer des versicolores grimaces du dégoût, voyons disais-je, ne comprenez-vous pas, même si vous semblez ne rien savoir de notre noble métier de journaliste et des très hautes vertus d'effacement, oui, d'effacement, qu'il suppose, ne savez-vous donc pas, impertinente, que ce n'est là, toute cette ribambelle braillarde de blogs, qu'un phénomène transitoire et affreusement peu intéressant ? Dois-je donc vous répéter mon oracle en réaffirmant que ce qui se produira sera, comme pour les radios libres, un bruit étouffé, sensiblement comparable à celui d'un pet impossible à retenir durant une interview délicate, vent discret qu'il faut toutefois lâcher, au risque de voir son élocution subitement contrainte par quelque mystérieux empêchement ?
- Euh... Oui...
- En avez-vous fini ?
- Presque votre sainteté... Vous connaissez Stalker et avez l'air de ne pas l'apprécier, pourquoi, ô divine Bouche d'or critique ?
À ces mots, une raideur inhabituelle paralysa le visage habituellement si joyeux de notre Pythie critique, raideur, à vrai dire grimace de souffrance à peine atténuée par l'extraordinaire humilité et le sourire innocent de notre timide lectrice, pourtant implacable dans sa volonté de comprendre les jugements de notre apodictique critique.
- Ah mais c'est une horreur, c'est... c'est... C'est tout simplement fasciste, c'est même fachiste, c'est immonde, il n'y a pas de mots pour décrire cela, il nous faudrait un Shakespeare des ténèbres pour oser évoquer ce Pandémonium. Horrible vous dis-je ! L'horreur, l'horreur, l'horreur comme l'a écrit quelque part (ne répétez pas que j'ai perdu la référence, il me tuerait pour moins que cela, car sous son regard, je suis comme une mouche sous celui de Monsieur Peste ou Teste je ne sais plus !), comme l'a écrit mon maître Philippe Sollers. S'adressant à la journaliste qui se tenait à ses côtés depuis que nous avions quitté le plateau d'où, éprouvée, Josyane était descendue, aidée par quelques puissants bras masculins, notre professionnelle du jugement esthétique cria : tu connais ?
- Quoi ?
- Comment ça, quoi ? Mais de quoi crois-tu que nous sommes en train de parler, hein, de Yann Moix, qui est en train de faire fondre, aussi sûrement que je m'appelle Josyane, les ventes déjà maigres du Figaro Littéraire ? Stalker voyons ! Tu connais ? Non ? Eh bien tant mieux, ton âme n'est point contaminée. C'est affreux, affreux, affreux, vraiment horrible, horrible, horrible, il n'y a aucun mot pour ne serait-ce que tenter de décrire ce cloaque qui, comme mon amie Valérie Scigala l'a écrit sur les pages de son journal intime (oui, et alors, elle l'a fait sur Facebook, cela prouve quelque chose ?), déshonore la blogosphère, la pensée, l'histoire de notre magnifique pays ayant porté sur les fonts baptismaux la littérature la plus pure, qui a triomphé avec les livres adamantins de Philippe Sollers !
Notre humble Mouchette, absolument pas impressionnée par notre Donissan femelle capable de voir le démon se nicher aux plus profond des entrailles les moins transparentes, répliqua sur un ton dénué de toute colère :
- Certes il y a un style qui est véhément mais c'est une écriture qui est bien au-delà de ces bêtes considérations idéologiques.
- Mais je m'en fous, hurla la prêtresse de la critique lymphatique et, s'arrêtant dans un geste théâtral et fulminant ce qui devait dans son esprit s'apparenter à quelque réelle bulle d'excommunication, elle cria de nouveau que même s'il votait à gauche, ce possédé, ce fou, ce Metzengerstein de la critique, ce démon, oui, ce démon, c'était fasciste, F-A-S-C-I-S-T-E, vous comprenez le français ?
- Je peux vous dire que j'y ai trouvé et y trouve encore, reprit notre lectrice, le regard doux et ne cillant pas sous le feu de notre Méduse ayant pétrifié bien des auteurs désarmés ou peu aguerris, dans cette Zone qui ne s'ouvre qu'aux humbles, de très belles choses.
- Ah non, taisez-vous, imbécile, manante, qu'en savez-vous, vous qui n'êtes qu'une... qu'une lectrice ! C'est tout simplement... C'est tout simplement immonde !, éructa l'impeccable journaliste chassée de sa salle de rédaction comme Ève le fut du Paradis par la faute du Serpent perfide, alors que son amie et collègue, et peut-être même interprète attitrée puisque je me souvins brusquement que Josyane Savigneau faisait office de prêtresse écumante, s'adressa, une dernière fois, à cette jeune femme que je remerciai d'un sourire qu'elle ne vit point, en crachant une formule dont mon angélique intelligence n'a pas fini de percer les plus grandioses mystères : regardez plutôt le site de Pierre Assouline, ça, c'est bien, ça c'est journalistique, ça c'est critique, ça c'est démocratique !»
Et sur ces mots altiers et frémissants de colère qui sont la marque la plus évidente de l'hermétisme absolu des imbéciles, Josyane Savigneau, qui durant plusieurs années a fait trembler le petit monde veule de l'édition parisienne, partit noyer sa mélancolie maladive en s'asseyant, blafarde et seule, devant une pile de son livre au titre idiot, Point de côté.

Note
(1) «Je trouve donc l'origine de l'impatience dans le Diable lui-même, et dès le moment où il ne supporta pas avec patience que le Seigneur Dieu eût soumis à son image, c'est-à-dire à l'homme, toutes les œuvres qu'il avait créées», De la Patience (Cerf, coll. Sources Chrétiennes n°310, 1984), 5.5, p. 73.

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