Les ouvrières de la Termitière (16/01/2006)

Le Piranèse, Carceri XIV


Je veux donc dire, l’expérience est fascinante, je l’ai même réalisée pendant des heures, jusqu’à éprouver, littéralement, l’envie de vomir, que toutes ces niaises et fantomatiques pages virtuelles finissent pas se mélanger, par faire advenir une espèce de texte unique mais fallacieux, labile, une voix grotesque, à la limite de l’inexistence mais sauvée du néant tout de même par une dernière retenue ironique : la douleur infiniment médiocre, exprimée en tout cas dans une langue creuse, elle-même parangon de nullité, qui doit cependant recevoir quelque écho, la prière non pas de l’humble ou de l’humilié mais du médiocre [...].

Il semble, effectivement, que la Toile mérite bien son nom : il s'agit d'un Réseau où se trament les histoires, parfois les intrigues, je dis cela en toute ironie et sans chercher à être subtil (subtilis mis pour sub-telis), sachant que ce cliché est aussi vieux que celui qui apparente le livre (le Livre) au labyrinthe. Bien sûr, ne nous leurrons pas sur cette série d'images, qui probablement n'offrent, de la Toile justement, qu'une représentation obéissant aux propres schémas mentaux des concepteurs (Alex Shapiro et Christian Langreiter) de ce nouvel outil de recherche, et certainement pas une photographie, rigoureusement impossible d'ailleurs, du monstre arachnéen. Celui qui, de la Toile, pourrait jouir d'une vue surplombante vivrait sans doute une expérience mystique. Peut-être ces mêmes concepteurs, auxquels nous pourrions accorder, sait-on jamais, quelque culture littéraire ou picturale, ont-ils goûté les gravures les plus enchevêtrées de Piranèse ou tel texte babélique de Borges. Je veux simplement dire que, comme Dieu, la Toile est parfaitement non-représentable et que ce n'est que par une voie détournée, négative (ou apophatique) que nous sont offertes ces commodes (donc réductrices et finalement fausses) images qui, de la réalité de l'objet (fût-il virtuel), ne nous disent strictement rien ou, ici, rien de plus que ce que nous voulons en savoir : la Toile, infra-verbale ou pas, est effectivement une toile, rien de plus.
L'extension rapide des connexions et des inter-connexions, comme s'il s'agissait des galeries creusées par de patientes ouvrières n'obéissant à aucune Reine (savoir si Elle a jamais existé ou si Elle a simplement disparu est une question que je laisse à la sagacité des lecteurs de Kafka ou de... Borges), cette extension ridicule en ce qui concerne mon propre site, peut-être s'approchant de l'infini ou plutôt tendant indéfiniment à se rapprocher de l'infini (comme la Nef de Frank Herbert se rapproche toujours de la divinité sans jamais l'embrasser) pour ce qui est de l'univers virtuel est, mais je l'ai déjà dit ici, parfaitement inverse à la singularité presque absolue des voix qui la parcourent. Quelques voix paradoxales donc, en ceci qu'elles ne sont rien de plus que les messagères de la Voix, autant de singularités entretissant leurs écritures alors que, à mesure que grandit et s'étend le Réseau, à mesure que d'invisibles mains tissent la Toile, le Verbe se décale vers le rouge et s'éloigne, son écho de plus en plus faible venant d'un passé immémorial et pourtant vide.



















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