Des os dans le désert de Sergio González Rodríguez (29/07/2019)

Photographie (détail) de Juan Asensio.
«Lege rubrum si vis intelligere nigram.»

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Contrairement à ce qu'écrit Vincent Raynaud dans la préface du livre de Sergio González Rodríguez, Des os dans le désert n'est pas une œuvre proprement littéraire.
Cet ouvrage terrifiant, remarquablement documenté, longue et monotone remémoration des mortes qu'il ne faut point oublier (voir, p. 289, ce que déclare sur ce sujet l'auteur), étonnante enquête qui valut à Sergio González Rodríguez plusieurs menaces de mort et quelques scènes de pure violence, ce texte trop souvent brouillon dans l'exposition des faits (impressionnante antienne de dates, de chiffres, de rapports, mentions sans fin de prénoms et de noms, répétition des mêmes informations, jeux avec la chronologie, etc.), est toutefois bien moins saisissant que le livre halluciné de Michael Herr, Putain de mort.
Il se pourrait même que l'unique prestige proprement littéraire, voire que l'unique intérêt du livre de Sergio González Rodríguez, contrairement à ses propres dires (cf. p. 366), tienne au fait que Roberto Bolaño n'a pas hésité à en reprendre la trame dans son prodigieux 2666, allant même jusqu'à intégrer le journaliste en tant que personnage de son propre roman et à prêter quelques-unes des caractéristiques de l'étrange Abdel (ou Abdul) Latif Sharif Sharif (accusé par les autorités de Ciudad Juárez, à tort selon Rodríguez, d'être l'un des principaux responsables des meurtres de femmes) au plus que mystérieux Benno von Archimboldi, centre de gravité, véritable trou noir attirant dans sa gueule vorace toute la matière du roman. Signalons aussi que, s'inspirant d'un chapitre intitulé La vie interrompue (pp. 260-277 de notre livre), Bolaño n'a pas eu peur de développer la monotone litanie, dans une quatrième partie, dite des crimes, aussi froide que poignante, des corps atrocement mutilés de femmes retrouvés sur des terrains vagues, son texte reproduisant (en y ajoutant probablement quelques détails de son cru) les conclusions des autopsies pratiquées sur les cadavres des malheureuses.
Il y a, dans toute exposition d'un meurtre se voulant absolument détachée de l'émotion, un caractère monstrueux qui, très vite, dépasse notre capacité de compréhension pour nous laisser sidérés, plongés dans l'horreur, enfoncés si profondément dans l'abjecte monotonie du Mal, à moins qu'il ne s'agisse, plus sûrement, d'une sorte de fatigue, réellement physique qui, bien vite, met à distance l'atrocité... Nous nous habituons à l'horreur, surtout lorsque ses hauts faits sont placidement égrenés par quelque pigiste de l'AFP lardant de fautes et d'incorrections ses dépêches.


La suite de cet article figure dans Le temps des livres est passé.
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